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Alimata Sawadogo, directrice générale du musée national : « Il y a 45 000 objets burkinabè au musée Quai Branly »

vendredi 19 janvier 2007.

 
Alimata Sawadogo

Malgré ses quarante cinq (45) ans d’existence et son site récent de 29 hectares, le musée national du Burkina Faso n’arrive pas à accomplir pleinement ses missions de collecte et de conservation des témoins matériels des différentes couches sociales.

Les ressources financières font énormément défaut limitant les ambitions et les projets. Entre ses activités traditionnelles et ses perspectives, la directrice général Alimata Sawadogo partage ses difficultés, ses craintes et ses espoirs.

Sidwaya (S.) : Qu’est-ce que le musée national du Burkina Faso ?

Alimata Sawadogo (A.S.) : Le musée national est une institution de l’Etat, créée en 1962. Depuis sa création, ses service ne disposaient pas de site propre. Ils étaient en nomadisme dans la ville de Ouagadougou. Ce n’est qu’en 1999 que la première pierre du siège a été posée et l’infrastructure inaugurée le 23 décembre 2004. Le musée national était aussi confronté à des difficultés d’ordre juridique. Aujourd’hui, les statuts sont finalisés et le musée érigé en Etablissement public à caractère scientifique, culturel et technique (EPSCT).

Pour cela, ses missions sont d’éduquer le grand public à la connaissance du patrimoine culturel, de collecter, promouvoir et sauvegarder les témoins matériels des différentes couches sociales burkinabè, d’entreprendre des recherches sur les témoins matériels et immatériels du Burkina Faso et enfin de contribuer au développement de musées privés et publics. A cet effet, le musée national travaille en partenariat avec d’autres musées comme ceux du Poni (Gaoua), du Houet (Bobo-Dioulasso), du Sanmatenga (Kaya).

Nous avons organisé une exposition au musée du Houet lors de la Semaine nationale de la culture (SNC) et une autre au musée du Sanmatenga. Nous avons également procédé à l’inventaire des collections du musée du Poni et contribué à leur conservation en y envoyant une équipe technique. Nous apportons notre appui au musée de Manega dans le même sens. Car les objets de tous ces musées entrent dans la liste du patrimoine national, qu’ils soient du privé ou du public. Le musée de la musique a aussi bénéficié de notre concours, à travers la mise en place et la formation du personnel.

S. : Qu’est-ce qui empêche véritablement le musée national d’accomplir son devoir dans un pays culturellement connu dans le monde comme le Burkina Faso ?

A.S. : Le manque de site propre n’a pas permis au musée de se développer comme il se doit à ses débuts. C’est une fierté qu’aujourd’hui les autorités aient pris conscience de l’importance d’un musée national. Elles lui ont attribué un site de 29 hectares. Cet espace reflète leurs ambitions pour le musée. Bien que ce soit encore un vaste chantier, des bâtiments poussent petit à petit sur le site. Le quatrième est presqu’achevé.

La construction d’une grande salle d’exposition est prévue pour 2007. Doucement mais sûrement, le musée national prend son envol dans la promotion de la culture burkinabè. Il ne faut pas occulter aussi les ressources financières qui font énormément défaut. L’Etat consent certes des efforts. Mais le fait que le musée national se batte aujourd’hui sur deux fronts handicape ses actions. En même temps qu’il faut construire des bâtiments pour les objets collectés, en même temps il faut créer les conditions nécessaires à une meilleure conservation des collections. En 2006, l’Etat a octroyé trois cent (300) millions de F CFA au musée national. Une grande partie de cette somme a été utilisée pour la construction de bâtiments.

Pour son fonctionnement, le musée n’a que dix sept (17) millions de F CFA. Nous ne nions pas l’effort consenti à notre égard mais nous rappelons que pour qu’un musée puisse se développer, il faut allouer des moyens consistants à son fonctionnement. Parce qu’il faut collecter les objets, les entretenir, réhabiliter d’autres, former le personnel. Nous espérons qu’après la phase du chantier, des financements conséquents viendront assurer un meilleur fonctionnement du musée national afin qu’il participe activement à la promotion et au rayonnement de la culture burkinabè.

S. : Quarante cinq ans après sa création, le musée national reflète-il suffisamment le témoignage de toutes les couches sociales burkinabè ?

A.S. : Pour le moment, le musée national n’a pas pu accomplir toutes les missions qui lui sont assignées. C’est-à-dire, faire connaître la culture burkinabè à toute la population. A ce jour, le musée national n’a pu collecter que cinq mille (5 000) objets. Nous nous attelons à ce que la culture de chaque ethnie du Burkina Faso y soit représentée. Car un inventaire et une répartition des représentations géographiques des objets dans le musée montrent que beaucoup d’ethnies n’y sont pas. Pour cela, nous avons mis l’accent en 2006 sur les Gourmantché, car leurs objets sont si peu représentés.

Une grande campagne de collecte a été organisée dans toute la région de l’Est et une exposition sur ce peuple a lieu actuellement au musée national. Cette année, ce sera le tour d’une autre ethnie. A travers un programme quinquennal, nous ambitionnons de rassembler le maximum d’objets sur les ethnies moins représentées au musée national. Cela va permettre de résoudre deux problèmes : la non représentativité des peuples et l’insuffisance des témoins matériels. Parce qu’avec seulement cinq mille (5 000) objets au musée national, il est difficile de se positionner sur l’échiquier mondial avec des musées africains européens ou américains disposant entre 500 000 et un million d’objets.

S. : En dehors des fonds alloués par le budget national, le musée ne bénéficie-t-il pas de ressources ailleurs ? Et comment sont-elles gérées ?

A.S. : Vu le faible taux de fréquentation du musée, l’institution ne réalise pas de recettes. C’est d’ailleurs le reproche à nous fait lors de l’assemblée des Sociétés d’Etat. Nous sommes en phase d’installation. Comment peut-on demander à celui qui est en train de construire, de dégager en même temps des recettes ? Nous ne pouvons pas assurer une meilleure visibilité du musée, susciter l’engouement du public pendant que le site est en chantier.

En dehors des fonds alloués par l’Etat, le musée bénéficie des aides spontanées. Grâce à l’ambassade des Etats-Unis, le musée a acquis du matériel audiovisuel de 10 millions de F CFA en 2002. C’est l’UNESCO qui a financé la collecte des objets gourmantché à hauteur de quinze (15) millions de F CFA. L’ambassade de France a doté le musée d’un matériel informatique et bureautique d’une valeur de douze (12) millions de F CFA. Elle a également financé la construction d’une salle d’exposition à cent (100) millions de F CFA. Nous élaborons des projets et recherchons des financements pour compléter les fonds de l’Etat.

La gestion des ressources financières du musée obéit à la règle de tout établissement public à caractère culturel, scientifique et technique. Le musée dispose d’un conseil d’administration. Il dispose d’un compte trésor. La directrice générale que je suis gère l’institution avec différents organes et personnes habilités : conseil d’administration, contrôleur financier, agent comptable, direction de l’administration et des finances (DAF). Aucun sou ne peut sortir des caisses sans un quitus des différentes structures financières. Pour ce qui est des aides extérieures, ce sont les bailleurs qui lancent leurs appels d’offres et réceptionnent le matériel ou l’ouvrage pour le remettre au musée.

S. : Le Burkina Faso dispose-t-il de ressources humaines nécessaires à la gestion d’un musée ?

A.S. : La plupart des responsables des musées sont formés aux métiers de conservateur. Ils sont issus des mêmes écoles que les autres conservateurs du monde entier. Donc la question de la compétence ne se pose pas. Seulement, leur nombre reste insuffisant. Il n’y a que six (6) conservateurs de musée pour tout le Burkina Faso. Cela les oblige à travailler avec du personnel qui n’est pas forcément technique. C’est pour cela que le musée national a inscrit la formation de ses agents comme une priorité.

Depuis deux (2) ans, des consultants et des experts de la direction des musées de France et d’autres du musée de Bamako (une référence en Afrique) séjournent deux fois dans l’année au Burkina Faso pour former le personnel local. Musées publics et privés participent à ces sessions. Egalement, au niveau de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (ENAM), une filière « Conservation et restauration des musées » a été créée pour former des agents recrutés sur concours direct ou professionnel.

S. : Quelle relation peut-on établir entre musée et développement ?

A.S. : Tout citoyen burkinabè doit comprendre qu’un musée national représente un pan de son histoire. C’est une institution qui doit être au premier plan du développement d’un pays. Car comme l’a si bien dit un penseur : « Lorsqu’on ne sait pas d’où on vient, on ne peut pas savoir où on va ». Or, un musée permet de résoudre ce problème et aider à mieux appréhender le futur. La lutte pour la promotion du musée national doit être une action commune.

Elle n’incombe pas seulement aux professionnels des musées ou aux hommes de culture. Aujourd’hui, les Maliens sont fiers du musée de Bamako. A toute rencontre entre professionnels, ce musée est cité en exemple. Nous sommes capables d’une telle ouvre au Burkina Faso. Il y va de notre intérêt à tous, car les conflits en Afrique s’expliquent parfois par la méconnaissance de la culture et de l’histoire de l’autre. Or, sans paix sociale et civile, aucun développement n’est possible.

S. : Peut-on dire aujourd’hui que les Burkinabè fréquentent le musée national ?

A.S. : Depuis 2005, le musée national a entamé une mission de sensibilisation à la base, c’est-à-dire, à l’endroit des enfants. Car très peu de burkinabè fréquentent les musées. De 2003 à 2005, le musée national a accueilli cent (100) visiteurs burkinabè adultes, alors que de 2005 à aujourd’hui, l’institution a reçu cinq mille (5 000) enfants. La sensibilisation au niveau des enfants a fortement payé. Il faut un changement radical des mentalités. Si les enfants sont intéressés au musée, ils seront nos porte-paroles auprès de leurs parents.

Cette vision nous amène à concentrer nos actions de sensibilisation dans les écoles. Des établissements primaires et secondaires visitent de plus en plus le musée. Rien qu’en 2006, ce sont 5 348 élèves qui l’ont visité, contre 100 en 2005. Tout un travail doit être fait pour améliorer la fréquentation du musée. Il faut éduquer le public sur ce qu’est un musée et son importance. Nous avons entrepris une série d’activités sur toute l’étendue du territoire, à travers des expositions, des séances de sensibilisation des populations et des chefferies traditionnelles, des actions de sauvegarde du patrimoine culturel local. Nous encourageons la création de petits musées qui pourront être les relais du musée national. C’est le cas à Réo et à Fada N’Gourma, bientôt Ouahigouya.

S. : Comment expliquez-vous le délabrement des habitats traditionnels, construits sur le site du musée pour montrer cette facette de la culture nationale ?

A.S. : Le ministère de la Culture a obtenu un financement canadien en 1999 pour construire ces habitats traditionnels dans le cadre du « Projet jardin, plantes, habitats traditionnels ». En plus de ces constructions, des espèces de plantes des différentes régions du Burkina Faso devraient être cultivées pour permettre aux visiteurs du musée d’avoir une idée de l’environnement écologique et culturel des habitants de ces maisons. Malheureusement, le projet a été exécuté sans prendre en compte la fragilité des matériaux utilisés.

Un an après, les constructions ont commencé à se dégrader, avant même mon arrivée à la tête du musée en 2002. Nous nous sommes battus pour obtenir d’autres financements afin de les réhabiliter. Nous avons commandité des devis par des spécialistes des habitats traditionnels. La réhabilitation se chiffre à dix (10) millions de F CFA. Ce que le budget de fonctionnement (17 millions de F CFA) ne peut pas supporter. Car en plus des activités traditionnelles du musée national, il faut animer l’institution en tant qu’établissement public, organiser les conseils scientifique et d’administration.

Aussi, nous avons déposé auprès du bailleur de ces habitats traditionnels, l’ambassade du Canada, un projet demandant une rallonge sur le projet initial, en vue de la réhabilitation. Cette restauration va aussi dans l’intérêt du bailleur des constructions, car les ouvrages n’ont pas été encore réceptionnés. Avant même la fin de la construction, l’on s’est aperçu du délabrement. L’ambassade du Canada ne peut pas les réceptionner dans leur état actuel. Il faut alors trouver une solution. A notre entendement, l’ambassade doit sauver les habitats et nous allons nous charger de l’entretien. Nous avons même inscrit le volet « entretien des habitats traditionnels » dans le budget du musée.

Actuellement, nos ressources ne peuvent pas supporter les coûts de réhabilitation. A défaut d’avoir un financement extérieur, il faut être franc et reconnaître que les habitats traditionnels n’entachent pas l’intégrité du patrimoine culturel. Ces constructions peuvent être reprises à tout moment. Par contre, la conservation et la protection des cinq mille (5 000) objets constituent une priorité pour le musée national. Ces objets sont uniques. S’ils disparaissent, on ne peut pas les remplacer. Le Conseil d’administration a donc opter de concentrer les ressources financières sur les activités de conservation des objets collectés.

S. : En tant qu’Africaine et conservatrice de musée, qu’est-ce que cela vous fait de voir le musée du Quai Branly présenter exclusivement des objets africains ?

A.S. : Pour l’inauguration, le président français Jacques Chrirac a invité tous les professionnels des pays africains qui ont beaucoup d’objets au musée Quai Branly. Le Burkina Faso était à l’honneur, car il y a quarante cinq mille (45 000) objets burkinabè au Quai Branly. En tant que représentante du Burkina Faso à cet événement, j’ai été émue en visitant les réserves de ce musée parisien.

Il y a là-bas une grande partie de notre culture que les Burkinabè qui n’iront pas en France ne connaîtront jamais. Or, les objets burkinabè exposés au Quai Branly ne peuvent plus revenir au pays. Ils ont été répertoriés comme patrimoine français. Le seul fait de savoir que ces objets se retrouvent là-bas me fend le cour. Cependant, le Burkina Faso peut tirer quelque chose de positif sur l’aspect technique et professionnel du musée Quai Branly.

C’est le mécénat qui y est développé. L’intervention de l’Etat dans ce projet est insignifiante. Ce sont des collectionneurs et des opérateurs privés qui se sont investis pour mettre en place ce musée. L’infrastructure a été construite par un architecte qui veut seulement se faire connaître dans le milieu culturel. Cela peut constituer un cas d’école pour le Burkina Faso. L’Etat ne peut pas tout faire. Il faut encourager chaque citoyen à s’intéresser à sa culture.

Interview réalisée par Jolivet Emmaüs

Sidwaya