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Procès des présumés putschistes : Ouali crache ses vérités

jeudi 8 avril 2004.

 
Le Cne Luther D. Ouali

La deuxième journée d’audience du procès de la tentative de
putsch a vu la comparution du cerveau présumé, le capitaine
Ouali Diapagri Luther. Il n’a pas nié les intentions d’organiser
une manifestation pour revendiquer leurs dus consécutifs à une
mission au Liberia. Cependant, l’intéressé est allé au delà, il a
fait le procès des années Compaoré qu’il qualifie de
"Compaorose"

Le capitaine Ouali est au coeur de cette affaire. Il lui est
reproché les faits d’atteinte à la sûreté de l’État, de complot et de
trahison. Il commence par relever des irrégularités dans l’arrêt
de renvoi. Dans la forme, il dénonce des contrevérités dans les
procès verbaux de la phase préliminaire. Selon lui, les officiers
de Police judiciaire (OPJ) auraient obligé le sergent chef
Abdoulaye Konfé à établir un plan d’attaque de la présidence et
l’attribuer au capitaine Ouali.

Avant d’entrer dans le vif du sujet,
Luther Diapagri Ouali a évoqué les pressions morales et
psychologiques dont il a été victime (c’est une constante qui
revient chez les inculpés qui ont déjà comparu, quand ceux-ci
ne reviennent pas carrément sur leurs déclarations).
Sur son agenda qui semble avoir été l’une des sources
d’informations sur la tentative de putsch, Ouali tempère. " Ce qui
est dans l’agenda n’est pas parole d’évangile". Ceci pour
signifier que tout ce qui y est mentionné n’a pas eu forcément
lieu.

Interrogé sur ses voyages au Bénin, au Togo, au Ghana et en
Côte d’Ivoire, le capitaine Ouali explique qu’au Bénin, il a rendu
visite à un ami malade. Il reconnaît avoir demandé l’intervention
du président Kérékou afin qu’il intercède auprès de Blaise
Compaoré par rapport à la crise que traverse le Burkina. Au
Togo, il a reçu la somme de 100 000 F CFA du commandant
Yak, un promotionnaire. En Côte d’Ivoire, Raphaël Logbo, aide
de camp du président Gbagbo, lui a remis 50 "briques". "Pour
quoi faire ?", interroge le juge. Ouali, sereinement, répond qu’il
voulait créer sa société de transport.

Dans cette somme, il
donne 2,4 millions au capitaine Minoungou et 2 millions au
capitaine Bayoulou. Ce dernier soutient devant le juge que cette
somme lui a été certes remise par Ouali mais, c’était pour
acheter un terrain à Bobo Dioulasso.

De la marche à la tentative de putsch

A l’audience, le capitaine Ouali a reconnu avoir voulu organiser
une manifestation pour attirer l’opinion public et surtout celle de
la presse sur la situation des militaires revenus du Liberia.
Lui-même est victime d’injustice et en attente de réhabilitation
depuis 1985. Le capitaine Ouali est revenu longuement sur son
propre parcours fait de ressentiments. Il dénonce le clientélisme
dans l’armée et lance entre autres griefs " ce n’est pas une
armée. Qu’est-ce qu’une armée quand un sous-officier donne
des ordres à un officier ?" Et de conclure que " le ver est dans le
fruit".

Cette vision des faits sera étayée par le commandant
Bernadin Sié Pooda. Affecté à l’OCAC en 1999, le commandant
en a également gros sur le coeur. Il déballe les pratiques
mafieuses et les promotions de complaisance. Pour ce qui
concerne l’affaire du putsch, il dit avoir été mis au courant d’une
concertation au sujet d’une marche par le capitaine Ouali .
C’était en mai 2003. Il soutient avoir donné son accord pour la
marche et non pour un quelconque coup d’État.

Le commandant
Poda reconnaît avoir garder les 46 millions de Ouali et affirme
les lui avoir remis. Lui aussi fait cas de brimades et
d’humiliations à la gendarmerie. Il laisse entendre que son
honnêteté serait la cause de ses problèmes.

Mais une des motivations qui aura certainement marqué
l’attention du public, c’est quand l’avocat du présumé cerveau du
putsch lui demande de raconter la journée d’un certain 16
décembre 1998. L’affaire Norbert Zongo, s’invite à nouveau dans
le prétoire.

Sur le pont Kadiogo, soutient-il, la foule en émoi accompagne
Norbert Zongo et ses trois compagnons à leur dernière
demeure. On demande alors à la foule de se mettre à genou et
que chacun fasse une prière. Le capitaine Ouali raconte : "le peuple n’avait plus son destin en
main, j’ai été sensible à la douleur du peuple". Pour lui, c’était
un "devoir patriotique de chasser le président Compaoré de son
fauteuil". Le juge Franck Compaoré écoute attentivement. Ouali
avoue avoir eu "l’idée" du putsch. Mais tout le monde n’en était
pas informé.

L’incident

Les conseils des autres accusés ont voulu savoir la nature des
relations entre Ouali et leur client respectif. Me Néa, avocat du
sergent de 1re classe, Adjima Onadja, attaque la procédure : "
On a fait dire à mon client qu’il a pris l’argent chez Ouali pour
consulter". Toute chose que Ouali récuse : " il avait des
problèmes, je l’ai aidé. C’est tout" .

Dans cette affaire de putsch, le capitaine Ouali dit s’être ouvert
au sergent Babou Naon. Du moins, c’est ce qu’il soutient à
l’audience. Interrogé sur l’implication du pasteur Paré, Ouali est
catégorique :" il a été impliqué sans le savoir". Quant à ses
rapports avec le commandant Kambou Sié Remi, le capitaine
Ouali affirme n’avoir revu ce dernier qu’en "taule".

Après les observations et les questions des conseils des
accusés, le commandant Abdoul Karim Sanou crée l’incident. Il
accuse les avocats de divertir le tribunal et l’opinion. Tollé
général dans le box des avocats. Le Bâtonnier Benoît Sawadogo
calme le jeu. Le commissaire du gouvernement retire ses mots.
L’incident est clos.

Mais le capitaine Ouali D. Luther a eu le temps de dire ses
vérités. Il accuse le régime de Blaise Compaoré d’être
responsable de la crise. " On a épuisé toutes les voies de
recours, on est des Burkinabè, on a des droits".

Le Capitaine Bayoulou récuse les faits

Le capitaine Bayoulou Boulédié devait répondre des faits a lui
reprochés. Il les récuse. On m’a dit de dire que Norbert
Tiendrebéogo et le général Kwamé Lougué sont impliqués". Il
raconte les pressions qu’il a subies. Il aurait été mis dans le
coffre du véhicule du colonel Diendéré.

Une fois de plus, la procédure est contestée. Le capitaine
Bayoulou n’aurait pas été assisté par un avocat après le déport
de Me Mamadou Coulibaly.
Le capitaine Bayoulou déclare que le juge d’instruction l’aurait
intimidé. Donc il a déposé sans avocat. L’avocat qui s’est
constitué à ses cotés, Me Oumarou Ouédraogo ne s’est
constitué que lors des confrontations. Questions de
procédures. Peut-on contester la procédure antérieure,
notamment les déclarations à la gendarmerie et devant le juge
d’instruction ? Oui, répondent les différentes parties. Mais
surtout Me Antoinette Ouédraogo partie civile au procès
demande au tribunal de juger en son intime conviction.

Le palais de justice militaire
accueille moins de monde que prévu
malgré la diffusion des débats
dans la cour.

Bayoulou est précis dans sa relation des faits. Réunion fortuite
au square Yennega en 2001 avec quelques-uns des accusés.
En avril 2001, le sergent Kaboré Moussa dit Boza décédé en
détention lui parle de Ouali. Plus tard, il se brouille avec ce
dernier afin que celui-ci "l’oublie". C’est après cet incident que le
caporal Bassolet Bassama le rencontre et lui dit que le pasteur
Paré veut le voir en vue de le réconcilier avec Ouali.

Le capitaine Bayoulou ne reconnaît pas les faits retranscrits
par le juge d’instruction. Les contestations répétées des
procédures antérieures ont quelques peu irrité le parquet qui ne
comprend pas que les accusés aient pu signer des procès
verbaux et les contester après devant le tribunal.


La "Compaorose", vous connaissez ?

C’est un nouveau mot dont l’inventeur n’est autre que le
capitaine Ouali Luther Diapagri présumé cerveau du putsch
manqué . C’est un néologisme qu’il emploie pour caractériser le
régime Compaoré et ses tares. Dans sa ligne de mire, il
accable l’armée, la justice et tous les autres secteurs marqués
par le clientélisme.

Rien ne fonctionne selon lui et le problème,
c’est Blaise Compaoré. Il aurait demandé à Mathieu Kérékou
d’intercéder auprès de ce dernier pour le raisonner. Lui-même
aurait essayé mais en vain. Enlever Blaise Compaoré de son
fauteuil était devenu pour lui un devoir patriotique. Il affirme avoir
pris ses responsabilités.

Il se présente aussi comme une
victime du système. De 1985 à 1999, il a couru après sa
réhabilitation et dit ne pas être le seul dans ce cas s’appuyant
sur les vétérans du Liberia, tout comme Naon Babou.

Ces deux
éjectés du système Compaoré ont encore ceci de commun
qu’ils ne se renient pas. Ils expliquent pour mieux se faire
comprendre. Ils assument leur choix.
Le capitaine Ouali ne comprend pas pourquoi par exemple
François Compaoré est toujours libre dans l’affaire Norbert
Zongo. Il s’apprêtait à donner des noms d’exécutants du crime
du 13 décembre 1998 lorsqu’il a été interrompu par le juge
Franck Compaoré. Ce dernier a souhaité ne pas aborder le
sujet, puisque celui-ci est en instruction auprès du juge
Winceslas Ilboudo. Il a demandé au capitaine Ouali de réserver
ses révélations pour ce dernier. Pendant ce temps, le sergent
Naon demandait la parole en vain.

A. T


Les bruits du palais

• Lecture biblique en pleine audience

Le pasteur Pascal Israël Paré, un des accusés, ne se sépare
pas de la Bible à tel point qu’il l’amène à l’audience. Non content
de cela, il n’hésite pas à l’ouvrir et à la lire pendant les débats.
C’est tout à fait normal, dira-t-on, pour un pasteur, chef spirituel
d’une communauté.

• Pas de minute de silence observée

Le ministère des Affaires étrangères, par un communiqué,
invitait les burkinabè à observer le 7 avril, à 10h, une minute de
silence en la mémoire des victimes du génocide rwandais. Au
tribunal, cela n’a pas été respecté. A 10 heures sonnantes, le
capitaine Diapagri Luther Ouali était à la barre, l’assistance
occupée à l’écouter, le tribunal et les autres parties à le
questionner.

• Baisse d’affluence

Au deuxième jour du procès, l’affluence était moindre. En tout
cas, dans l’espace réservé aux avocats, aux inculpés, aux
témoins et aux journalistes, des places sont restées
inoccupées de l’ ouverture de l’audience à sa suspension à 14h.
Pourtant, au premier jour , cette partie de la salle était pleine tout
comme celle en haut réservée au public.

• Congés forcés

Compte tenu du procès, le périmètre du tribunal militaire est
bouclé. Cela n’est pas sans conséquences sur le voisinage
immédiat. C’est le cas par exemple du restaurant et du centre
municipal multimédia qui jouxtent l’enceinte du tribunal militaire.
Depuis le début du procès, leurs portes sont closes et le
personnel en congé forcé.

Par Abdoulaye TAO et Seni Dabo
Le Pays