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Justice : Maître Paul Kéré dénonce « la contrariété » des récentes décisions prises par le Conseil supérieur de la magistrature

23 mai 2018, 07:48, par PALE Isso

Bonjour Me Kéré,
Après lecture de votre dénonciation, je n’ai pu me réserver la présente réaction. Cet écrit, comme vos précédents, sont votre droit d’opiner, ce qui est juste et normal car contribuant à donner une lecture plurielle des questions pointues de notre vie nationale et je vous en remercie.
Cependant, j’aimerais aussi porter à votre connaissance que le droit se construit ; il n’est jamais une œuvre achevée. Notre devoir à tous, c’est de travailler à le consolider et non à le discréditer. Le putsch, que vous le vouliez ou non reste une infraction criminelle qui a endeuillé et continue d’endeuiller de nombreuses familles au Burkina qui, comme ceux que vous défendez, attendent simplement de savoir pourquoi et comment des burkinabè comme eux ont été amenés à prendre des armes contre d’autres pour en arriver à de telles extrémités. Le procès devrait en soi être une occasion, un rendez-vous d’échanges pédagogiques et juridiques dont devraient pouvoir se saisir les parties pour s’expliquer devant le peuple au nom duquel chacun prétend répondre.
A vous suivre, on s’explique mal les arguties développées par vos moyens et autres avocats tendant à se dérober de cette vision, prônant une réconciliation de façade que vos amis ont déjà expérimentée par l’entremise de la journée nationale de pardon, avec quels résultats ? Pourquoi tant de stratagèmes pour se dérober de sa propre responsabilité ou turpitude ? Les auteurs du putsch qui l’ont reconnu et assumé sont-ils si indispensables au point que l’on puisse passer en pertes et profits les victimes humaines et économiques et ne jamais répondre de leurs actes et forfaits ? Si le bourreau a des droits, les victimes en sont-elles dépourvues ? Vous investissez-vous autant pour les nombreux burkinabè qui croupissent dans les geôles de nos prisons pour des motifs insignes à comparer à un tel acte criminel ? Pouvons-nous encore nous appeler "burkinabè" en nous mentant ainsi continuellement, en manquant de se dire une fois pour toute la vérité à qui qu’il soit en face ?
Le plus grand crime du pouvoir Compaoré, comme je le pense, aura été de brader notre intégrité pour ne sanctifier que l’appât de gain facile, le pouvoir personnel et la banalisation de la vie humaine. Regardez l’héritage qui en découle de nos quotidiens aujourd’hui ! Parcourez son règne, et vous m’en reviendrez si vous êtes encore en capacité de raisonner en pensant simplement à l’intérêt du peuple si cette notion vous en dit. C’est ça qui est normal maintenant ? N’abusez pas de la patience du peuple burkinabè et ne le prenez pas pour dupe s’il a toléré le long règne de ce sieur. Un peu de dignité nous amènerait à raisonner autrement, à penser qu’une vie vaut une autre ; ce n’est pas ce qu’enseigne le long règne de vos maîtres ou protégés.
Mon avis est ceci : notre plus grand mal est l’institution justice de notre pays, qui n’a tiré aucune leçon de l’insurrection du peuple burkinabè, n’a aucun repère, aucune estime et aucune inspiration de la souveraineté populaire. Autrement, un sursaut d’orgueil l’amènerait à inspirer un corpus juridique qui collerait à nos réalités, ne se laisserait pas balloter par des marchands arpentant nos tribunaux avec pour armes des menaces de moyens juridiques dits internationaux d’une justice de riches et de courtisans. On l’a vu avec Me Olivier Sûr et compagnie. Regardez autour de nous et à travers le monde, dans quel pays verrez-vous le bordel de cirque organisé autour de ce procès ? A force d’accepter n’importe qui et n’importe quoi dans nos prétoires, l’on est en train de conduire ce procès à l’enlisement souhaité par les mercenaires de nos tribunaux suivant un plan concocté avec les putschistes.
Si le déport d’avocat est permis, dans quelles conditions se doit-il ? Votre écrit montre bien la stratégie d’intimidation savamment orchestrée pour en arriver à l’enlisement du procès en incitant clairement quelconque avocat de la défense à se déporter, ce qui est une suggestion gravissime. D’ailleurs, je n’ai jamais compris pourquoi le tribunal n’avait pas ouvert d’enquête pour en savoir sur le déport en cascades des avocats de la défense ! A termes, est-il impossible d’arriver à de la jurisprudence en l’espèce pour juger au delà d’un certain nombre de déports s’il est avéré une collision coupable entre avocats et prévenus ?
Vous qui adorez la justice française et occidentale, pouvez-vous nous dire combien de procès et dans quelles conditions les nombreux crimes politiques ou économiques en France, en Allemagne ou aux Etats-Unis ont été ou sont menés ? Pouvez-vous y développer autant d’argumentaires et y prospérer ?
Vos propos tendent à renforcer le caractère de justice d’une république bananière à la limite. Que le tribunal trébuche, se trompe, tombe, l’essentiel est qu’il se relève, et dise le droit en accord avec le peuple burkinabè en dépit de jérémiades de quelques courtisans intéressés. Vous avez le droit d’attaquer ses décisions où vous voudrez, c’est votre droit. Que vous le vouliez ou pas, on construira peu à peu notre arsenal judiciaire en méditant bien l’adage qui dit que seuls ceux qui n’agissent pas ne se trompent pas.
De grâce, si vous ne pouvez contribuer à assoir notre pays dans le renforcement d’une justice véritable, crédible et responsable à laquelle aspire le vaillant peuple burkinabè dont le rendez-vous historique ne s’arrête pas avec la mafia juridique insidieusement tissée par le pouvoir de Blaise Compaoré, le peuple s’en chargera. Avec tous mes respects, excusez-moi par avance si mes propos venaient à vous porter offense. Cordialement.


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