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Du code électoral du Burkina Faso 2015 : Au nom de la loi !

18 avril 2015, 21:21, par Docteur Delphine FEESER COMPAORE

Les difficultés des États africains et de leurs institutions en matière de droit et de libertés individuelles et collectives sont réelles. Le partage du pouvoir et des richesses sont sources de bon nombre de conflits sociaux et politiques graves. C’est pourquoi le droit de vote conféré à chaque citoyen par la constitution, et qui devrait pouvoir faire évoluer les situations, porte l’intérêt de cette contribution.
Les révisions des constitutions dans cette partie du monde sont devenues une problématique importante. Celles touchant les mandats présidentiels, leur durée et limites, font l’objet de nombreuses fractures sociales qui ébranlent les institutions et engendrent le désordre, l’insécurité et divisent. Le dernier évènement en date, à savoir l’insurrection qui a mis fin au régime en place au Burkina Faso depuis 1987 , mais collégialement comptable depuis 1983, reste un exemple qui montre les difficultés de successions à la tête de cet État, mais aussi les paramètres de prise du pouvoir politique et de son maintien. Trouver, dans les failles d’une constitution ou des règles liées, quelques stratégies de lutte politique, d’évitement ou de défense est normal, mais celle du passage en force pour jouer les prolongations à la tête d’un État ou d’une institution reste risquée. A cette périlleuse épreuve de force et de droit, il y a ceux qui s’en sont sortis, et ceux qui sur le banc de touche s’apprêtent à se lancer à leur tour dans ce jeu. Le Burkina Faso a déjà joué, et réglé à sa manière radicalement les choses, du moins on l’espère pour la première partie ! Dans un cas ou dans l’autre, les suivants sont certainement très attendus !
Pourquoi en dehors de tout argument juridique, et en dépit de tout bon sens, se refuse-t-on à céder le pouvoir le moment venu ? Répondre à cette question du passage en force en violation de la constitution, c’est s’interroger sur les enjeux politiques et économiques du pouvoir, et sur cette volonté d’y rester pour gouverner sans limite. Ces enjeux sont multiples et variés et peuvent être liés aux quelques casseroles plus ou moins sonores que chaque gouvernant entrant ou sortant est censé trainer derrière lui, ou aux « poulets crevés » qu’il aurait pu oublier dans les tiroirs de la république. Faits avérés, imaginaires ou savamment fabriqués à dessein par de gentilles et actives petites mains, le vrai se mêle au faux et fait danser ces hommes. Ceci a de nombreuses conséquences sur le mode de gestion, le choix des collaborateurs et la conduite globale de la gouvernance. On pense à prendre les bonnes dispositions pour éviter au mieux ces durs moments de rendre des comptes, classiques dans l’ordre normal des choses, mais perçus en Afrique comme absolument déshonorants et insupportables.
A ce titre, les uns et les autres gouvernent le plus souvent avec un groupe dont ils s’assurent la loyauté. C’est une équipe pas nécessairement familiale dans tous les cas de figure, comme on a toujours tendance à le dire, mais qui peut rester consciemment ou inconsciemment hermétique avec ses concordances de méthodes et de pratiques. Le réfractaire à ces normes internes de fonctionnement, bonnes ou mauvaises, prend le risque d’être mis à l’écart, coupé des informations et exclus des décisions les plus importantes, s’il n’est pas purement et simplement éjecté.
C’est pourquoi c’est si difficile de lâcher prise, pour le groupe, pour les privilégiés de l’instant T d’une gouvernance, et finalement pour tout le monde, lorsque sonne l’heure fatidique de la relève. Dur, dur, sans doute d’exister après coup, sans subir les foudres et critiques des nouveaux forts à qui l’on n’a peut-être pas rendu la vie facile et qui vous rendront bien volontiers la monnaie de votre pièce. De plus, les institutions judiciaires très souvent affaiblies par de nombreux atermoiements, placent innocents ou coupables dans la même situation d’impatience avec la tentation parfois facile de se faire justice soi-même.
La vie politique est plutôt mouvementée au Burkina, avec des particularités socioculturelles qui agissent en contrepoids, souvent dans l’extrême urgence pour aider à ramener l’équilibre. Dans cette république caractérisée par des périodes d’exception et de calme, on dénombre depuis le 5 aout 1960, date de l’indépendance, 5 coups d’États, 2 insurrections, une révolution en 1983, rectifiée 4 années plus tard en 1987. Puis s’en suit une longue gouvernance de 27 ans en acquis et faiblesses interrompue en octobre 2014 par un mouvement populaire. La transition actuelle conduira à des élections en fin d’année 2015.
La roue économique et politique de l’Afrique, doit tourner souvent, tout le monde en est convaincu, tout en tenant compte des particularités des relations intergénérationnelles bien prononcées. À défaut, on assistera à toutes les tentatives pour la mettre autrement en mouvement par tous les moyens. L’exemple du code électoral du Burkina Faso récemment remanié, promulgué par le Président de la République Michel Kafando, et frappant d’inégibilité certains citoyens burkinabè, pourtant jouissant pleinement de leurs droits civiques, en est une parfaite illustration. Ce sont des dispositions électorales sur fond d’exclusions, en complète violation de la constitution, sur lesquels le conseil constitutionnel va devoir tabler pour valider ou non les candidatures aux élections présidentielles et législatives 2015. Ce code conçu en complète violation de la loi, en présence d’acteurs politiques et sociaux bien avisés et surtout d’une société civile hautement sensibilisée, consciente et habituellement plus regardante sur les dangers d’un tel acte sur la paix sociale, laisse pantois. Si certaines personnes ou groupes de personnes s’en réjouissent à coup de grandes déclarations médiatiques, son application sur le terrain électoral et postélectoral ne sera certainement pas garant de paix.
Dans les dispositions prévues par la loi, tout burkinabè jouissant de ses droit civiques garde son droit de vote et celui d’être éligible. Elles lui donnent ainsi le pouvoir d’exercer un droit de regard sur les affaires de son pays et d’en choisir les grandes orientations. À ce titre la mise hors-jeu d’anciens gouvernants, de militaires, de burkinabè de l’étranger etc. est faite en violation grave de ces droits, rien ne pouvant justifier un tel acte, dès lors qu’ils jouissent de leurs droits civiques. Les raisons faisant référence au code de démocratie de l’union africaine ne le justifient pas plus, même pour faire bien en matière de règle de conventionalité en droit international. C’est parfait que l’on se souvienne aussi vite des codes internationaux et régionaux à cette occasion comme nous l’aurions fait aussi pour agiter vigoureusement le fanion de l’immixtion dans nos affaires intérieures à d’autres occasions. Nous ne sommes pas des champions toutes catégories de la démocratie, pas plus que nos États ne remplissent tous les critères des formes les plus abouties de l’État démocratique 2015. Mais cet argument en référence à ce code de l’union africaine que nous avons paraphé ne saurait justifier une telle position, au risque de remettre en cause, dans un contexte aussi instable le juste équilibre de l’État que l’on tente de rendre le plus démocratique possible, et sans lequel évidemment aucun code fut-il national, régional ou international ne serait plus d’aucune utilité. Un argument donc très peu convaincant et difficilement recevable. C’est pourquoi on pourrait avancer d’autres arguments sur cette décision de l’assemblée transitoire pour valider ces exclusions en se servant de la loi comme d’un tremplin, en dehors de toute répartie et de tout esprit d’apaisement, dans un contexte tendu, où les enjeux des élections sont très importants. L’exclusion des anciens gouvernants, celui des burkinabè de l’étranger, de militaires et d’autres de la course au pouvoir, pour des raisons techniques ou même de prudence, dévoilent du même coup les stratégies des partis et groupes d’intérêts en présence aux commandes. La règlementation sert ici de faire valoir pour s’offrir les voix d’un électorat qui pourrait néanmoins rester imprévisible.
Sur le corps électoral et l’exclusion des burkinabè de l’étranger : la grande inconnue de l’orientation des votes de l’ensemble de l’électorat aura peut-être eu raison du droit des burkinabè de l’étranger à exercer leurs droits. Est exclue de fait pour impossibilité technique, cette population vivant hors du territoire, plus ou moins en lien avec le pays, et montant au créneau chaque fois que la vie de ceux de l’intérieur semble menacée. Ces votes s’annonçaient encore plus indéchiffrables, parce que fondées sur des critères de choix et d’appréciation différents de ceux de l’électorat interne.
Les Burkinabè de l’étranger, sont organisés. C’est pourquoi en dehors des difficultés économiques que l’on pourrait raisonnablement accepter comme circonstances atténuantes, celles techniques évoquées sont fortement contestables. Elles auraient pu être surmontées pour permettre à tous d’exercer leurs droits de citoyen.
Sur l’exclusion des gouvernants d’hier : On se rappelle que les partis de l’ex majorité et de la mouvance de l’ex présidence avaient écopé, en guise de punition, d’une suspension de trois mois et d’une réduction drastique du nombre de représentants au sein du CNT. Certains ont solennellement reconnu qu’ils se sont trompés et auraient pu faire autrement. La majorité d’entre eux a demandé pardon aux burkinabè, au nom de ce qu’ils n’ont pas su ou pu voir, anticiper ou empêcher de faire. Ces sanctions venaient néanmoins, rappeler aux uns et aux autres qu’il y a des moments où il faut faire preuve de sagesse et d’apaisement pour sauver l’intérêt du plus grand nombre : par ici la paix sociale ! C’est d’ailleurs à ce titre que nos sociétés et traditions culturelles, toutes tendances confondues, vont chaque fois que nécessaire à la rescousse de la modernité républicaine dans un souci de dialogue afin de contribuer à sauver et à limiter autant que possible d’éventuels dégâts. Cette sanction en violation de la loi reste donc une atteinte grave aux libertés. Elle est de surcroit inutile et dommageable pour la paix sociale. Seul le peuple burkinabè souverain doit demeurer l’unique juge de ces candidatures par les urnes. En d’autres termes, et en dehors de l’inéligibilité des certains membres du CNT prévue par la charte de transition et acceptée par eux, tous les burkinabè restent électeurs et éligibles. Ils sont nombreux, à l’intérieur comme à l’extérieur, de tous les bords politiques ou libres penseurs, et de toutes les catégories sociales sans distinction aucune. Il faut se souvenir de l’insurrection populaire d’octobre qui dénonçait déjà une certaine exclusion et que, de ce fait, chacun fonde toujours et encore le souhait d’une évolution positive prenant en compte tout un chacun.
Ceci étant, on pourrait aller plus loin, et poser une question qui fâcherait bien plus. Un éventuel bon score de l’ex-majorité serait-il possible ? Si oui, ce serait une terrible nouvelle et une grosse remise en cause des derniers évènements ! Sinon ce serait une victoire et la volonté d’un grand changement sous le sceau d’une légitimité incontestable. Il s’agit ici d’un simple questionnement bien sûr, mais il faut imaginer qu’au soir des résultats, tout est possible, y compris le plus inattendu. Je passe sous silence le décompte impossible des personnes à exclure par logique de paix et afin d’éviter les questions de délations et dénonciations de toutes sortes. En estimant que par une recherche effrénée des coupables on finisse par établir une liste des exclus, le sacrosaint principe d’égalité de la sanction pour le même acte commis serait rudement malmené. On aurait aussi alors l’obligation d’étendre la procédure à d’autres périodes, d’autres évènements intervenus dans le pays et à d’autres personnes qui se seraient rendus coupables dans les mêmes circonstances. Et là, il risquerait d’y avoir du sport et de sacrées surprises, concernant peut-être une partie de notre classe politique. Touchons du bois !
Sur l’exclusion de militaires et autres corps paramilitaires et de sécurité : Parmi les militaires burkinabè, on compte, depuis janvier 1966, 5 présidents de la république sur 7. Ils ont toujours géré les institutions militaires, mais aussi civiles si besoin avec un égal bonheur, et de ce fait cernent toutes les réalités du pays. Ils peuvent aussi être des empêcheurs de tourner en rond tout court, ou de tourner autour de la caisse, sauf exception. C’est pourquoi on voit parfois leur présence dans l’administration civile d’un assez mauvais œil. Leurs droits d’électeurs et de candidats restent entiers.
Les burkinabè si réactifs savent ajuster les décisions prises, et ne manqueront pas de le faire en « remaniant le code révisé » dans un souci de cohésion et d’unité nationale.
Docteur Delphine FEESER COMPAORE (cdelphe2007@hotmail.fr)


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