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Pr. Albert Ouédraogo, enseignant à l’Université de Ouaga, ancien ministre : « J’ai toujours eu horreur de tout système qui exclut »

4 juillet 2014, 09:13, par Mechtilde Guirma

« C’est vraiment le cas de le dire ; je suis aussi dans la souffrance quand je vois ça. Mais je me dis quelque part, on l’a mérité ».
Vous n’êtes pas seul professeur à être dans la souffrance. Moi aussi je suis dans la souffrance. Tout d’abord je vous présente mes félicitations pour ce livre qui devrait servir de bréviaire à notre démocratie. En effet vous partez d’une expérience de funérailles, mais je suis partie d’une expérience de vie pratique pour aboutir au même résultat que vous. Bref tout ce que vous avez développé sur le Sénat, les chefs coutumier et religieux, je l’ai fait également, dans le travail d’investigation « Sur les coutumiers et les religieux » dans le cadre de la décentralisation, entre 1994 et 1996. Mais je n’ai pas osé appelé cela Sénat. J’ai parlé d’une structure qui pourrait regrouper les religieux, les coutumiers, les professions, l’armée même les chômeurs. Et j’ai ajouté que tout ce monde qui se retrouve ensemble, va dialoguer pour l’essentiel. Je me dis qu’on ne peux élaborer des projets quelconques sans les consultés. Par exemple : l’éducation ils ont tous des universités et des écoles. La santé ils ont tous des cliniques et des hôpitaux. L’agriculture, ils s’y mettent tous (voyez par exemple les moines bénédictins de Koubri). L’environnement, ils ménagent les forêts les cours d’eau. La paix, qui ne veut pas la paix. Ils initient des projets d’industrialisation : fruits, lait transformation etc. Dans cette structure ai-je ajouté quand bien même il y des prêtres des el adj, des religieuses, ils restent tous des laïcs car la question ne sera pas de savoir quelle est la religion qui est vraie ou celle qui est fausse, ils sortent tous d’un même moule culturel de fraternité avant d’être religieux. Donc un lieu parfait du dialogue inter religieux. À l’époque c’était Antoine Raogo Sawadogo qui était le président de la Commission Nationale de décentralisation. Notre équipe était composé de Pierre Joseph Laurent Basile Guissou et moi. Nous avons été recrutés par le bureau ARC de Madame Joséphine Ouédraogo/Guissou. Toutes les péripéties que j’ai eu pour être empêchée de déposer le travail, je le tais. De même la façon dont Joséphine a dû quitter Ouagadougou. Mais l’essentiel est que je l’ai déposé mon rapport. Bref je voudrais tout simplement dire qu’en ce qui me concernait bien avant la décentralisation, en 1989 après les exécutions des Lingani, Mgr Denis Tanpsoba rendant visite à ma mère me vit là. Nous avons causé de la vie politique, et il m’a dit « Tu as fais Science politique et Relations Internationales avec l’option en diplomatie. L’Église a la chance d’avoir pour la première fois une femme politologue, pourquoi ne t’investis-tu pas pour réunir les femmes catholiques et être leur chef afin qu’avec les autres femmes des autres confessions religieuses et coutumières vous vous organisiez afin de contrer les abus politiques ». En effet à cette époque c’était la chute du mur de Berlin et aussi la rencontre de la Baule. « Il faut venir chez moi, me dit-il, nous allons manger et en discuter ». Je n’ai pas voulu discuter et comme c’était une haute autorité de l’Église je n’osais pas lui parler de mes appréhensions connaissant la mentalité des gens à l’époque surtout les femmes. Il y avait une association de femmes catholiques déjà fonctionnelle. Mais Mgr. Denis Tanpsoba le savait il avait peut-être autrement son idée. Cependant réflexion faite j’ai mesuré toute la portée de l’affaire « Qui suis-je moi pour prétendre vouloir organiser les femmes autrement et me substituée à la présidente sous prétexte que je suis une intellectuelle ? Et à supposer même que je veuille tout simplement être conseillère, là aussi il y avait de meilleures que moi. Je leur donnerai même gratuitement mes idées, qu’elles voudront le transformer à leur manière pour en être auteur, mieux les initiatrices. Or c’est là le problème, le projet risque purement et simplement d’être dévoyé. L’histoire nous en apprend beaucoup. Karl Marx lui même n’a-t-il pas crié de façon exaspérée qu’il n’était pas marxiste ? ». Aussi je n’ai pas répondu à l’invitation de Mgr Denis Tanpsoba. D’ailleurs plus tard du forum de la réconciliation, je l’ai expérimenté avec des femmes que je croyais être mes amies déjà depuis 40 ans à l’époque. Puis le 29 janvier 1990, le Pape Jean Paul II visite le Burkina-Faso. A la grand-messe de Yagma après avoir décrit les maux de notre temps, qui dévoient la morale il fit un appel pathétique aux femmes burkinabés tout particulièrement. Ce fut 6 mois plus tard (au mois de juillet) lorsque qu’on projetait de convoquer l’Assemblée Constitutive, que repensant à la proposition de Mgr Tanpsoba, j’eu alors le courage, et je fis un schéma de ma proposition pour la démocratie et demandant rendez-vous au Cardinal Paul Zoungrana, je lui montrais mon schéma. Je vous assure qu’il en fut émerveillé et il ajouta qu’il était content de voir que ce fut une de ses diocésaines qui a pensé à la question et il me dit de remettre le schéma à son vicaire Mgr Wenceslas Compaoré (aujourd’hui évêque émérite de Manga) pour qu’il en fasse des photocopies et d’envoyer à toutes les paroisses de son diocèse afin qu’on commence à enseigner dans les homélies « la femme gardienne de la vie et éducatrice de paix ». Et je lui ai alors dis « Eminence, est-ce que je pourrai avec votre permission demander une audience au Camarade-Président Blaise Compaoré en tant que femme catholique pour lui soumettre ma proposition ? ». Il me dit d’aller avec sa bénédiction. J’attrapai alors madame Bondé Bayamou (René Flotte de Pouzol) ma voisine, et nous fîmes la demande d’audience auprès du président, et je remis la lettre à Laurent Zoungrana qui était à l’époque le chef de protocole. Le président me reçu le 18 janvier 1991 avec deux femmes dont la sœur d’Achille Tanpsoba de Kologh-Naba. Il me demanda un écrit explicatif plus détaillé. Ce que je fis et j’envoyais des ampliations à Son Éminence après bien entendu lui avoir fait le compte-rendu de notre visite. Je donnais également une copie au Moro-Naba Baongho, au Président de la communauté musulmane Triandé Toumani, au Pasteur Daniel Compaoré qui était mon cousin, pour la FEME Puis après j’envoyais des correspondances à toutes les missions diplomatiques expliquant pourquoi il nous fallait une dimocratie à la mesure de notre culture. L’observateur Paalga a reçu une copie, les Éditions Pays également et par la suite elles diffusaient mes articles de sensibilisation. J’ai interpellé l’Assemblée Nationale de l’époque. Ce fut à la vue de tous ces articles que Joséphine Ouédraogo, m’a engagée dans son ONG pour faire les investigations sur la décentralisation. Croyez moi, elle l’a payé cher cet engagement. De tous ces articles et lettres, Odette Sanogo de l’UNICEF les relia en un gros paquet de feuilles en trois exemplaires (dont un jusqu’à présent chez Laurent Bado). J’ai reçu également les félicitations de son excellence Yé Bongnessian alors président de l’Assemblée Nationale, du premier Ministre Youssouf Ouédraogo. Le professeur Filga Michel m’a-t-on dit m’a également félicité. Le professeur Ram Christophe Ouédraogo est venu me demander pour le photocopier pour la bibliothèque de l’institut de Sociologie. J’étais fière de les lui remettre, il m’en a été très reconnaissant. Je suis passée à la télévision avec Benjamine Douamba et deux autres femmes, la députée Adèle et la syndicaliste (Mominata je crois) qui est maintenant à Bruxelles, et j’ai expliqué exactement la même chose à la télévision. Ce que je veux vous dire ici professeur, c’est la mentalité de certains hommes politiques qui est mauvaise avec des femmes ambitieuses jalouses et méchantes.
D’abord ce qui fait que j’éprouve aussi une souffrance, on m’a éliminée de façon arbitraire (après que j’aie promis l’essentiel, le plus intéressant) lorsque je faisais les investigations pour la décentralisation. Basile Guissou Pierre Laurent et moi on devant aller ensemble à Dori et à Ouahigouya. Basile me dit que lui il préfère s’arrêter qu’il a terminé son travail. Puis derrière moi ils s’en vont tous les deux ensembles à Dori. Bien sûr à Dori vous saviez qui était là-bas. Un phallocrate peulh évidemment. Ouahigouya était bien entendu le fief de Salif Diallo et d’Antoine. Je dus terminer mon travail à mes frais avec ma pauvre pension. Et n’eût été le médiateur Marc Garango et sa collaboratrice Myriam, je n’aurai même pas perçu mon reliquat et de misère en misère, lorsque je suis rentrée dans mon fond c’était pour rembourser des dettes. Ce que je veux savoir : quand une femme a une initiative pourquoi, elle n’a pas de poids, et quand l’homme reprend l’idée. Alors là c’est applaudi tout de suite ? Ça c’est un. De deux, comme j’ai parlé dans les journaux, en pâture, pour qu’au moins un parti s’en saisisse enfin et comprenne qu’il faut entreprendre des consultations avec les confessions religieuses et coutumières et proposer des réformes adéquates qui tiennent compte d’eux. Dieu merci, Maître Hermann a compris et il a élaboré un très bon projet de société avec le concept du Sénat, non pas à la manière d’Europe, mais en tenant compte des Confessions religieuses et coutumières. J’en étais tellement contente que je lui ai écrit et présenté mes félicitations et mes encouragements. Mais voilà que les maîtres de l’UPC en font une copie collée en allant à la rencontre des Confessions Religieuses et Coutumières pour revenir nous parler d’alternance et pas de Sénat quelque soit sa forme. Quand ils ont mis leur écrit en ligne, je l’ai téléchargé, et après l’avoir lu attentivement, je leur ai répondu en disant que l’histoire ne pouvait pas retenir ce plagiat. Qu’ils reprennent le projet de Maître Hermann et qu’ils enlèvent ce qu’ils veulent et rejeter l’essentiel, à savoir ce refus de Sénat même reformulé dans son état initial, tel que proposé au début et qui devrait permettre aux confessions religieuses de défendre leurs intérêts, c’était vraiment fort, car la laïcité de notre pays ne ne saurait être antireligieuse, ni anti-coutumière, parce qu’à ce moment nous n’aurions ni repère ni souveraineté, et refuser tout dialogue, toute rencontre toute reformulation de la Constitution avant les élections quitte à mettre le pays à feu et à sang, poussant l’outrecuidance jusqu’à mettre en garde l’Église ! c’est encore plus fort. Professeur, je vous félicite de ce travail, faites en quelques sorte que tout le monde soit sensibilisé et qu’on arrive de façon consensuelle à mettre en place des institutions fortes avant les votes. Bon courage professeur.


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