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Et si la xénophobie actuelle en France tenait sa source du mépris de celle-ci envers le rôle des tirailleurs Sénégalais ?

9 juin 2014, 15:13

4e et dernière tentative, merci donc de publier cette contribution, quoiqu’un peu longue...
Étant professeur d’Histoire en France depuis plus de 20 ans,je me permets d’intervenir ici pour sans réserve déplorer le sort qui fût celui des soldats de l’ex-empire colonial et dénoncer "l’oubli" coupable à célébrer leur mémoire et reconnaître leurs mérites, qui a officiellement prévalu y compris jusqu’à cette manifestation du 70e anniversaire du débarquement allié que F. Hollande voulait précisément et à juste titre internationaliser. Je regrette vivement en effet que les autorités françaises n’aient pas, à leurs frais, saisi cette occasion pour inviter les quelques survivants vétérans tirailleurs qui avaient également leur place dans le cadre de cette célébration-hommage. Et c’est, me semble-t-il, encore une erreur et encore une douleur que cette mémoire tronquée dont nous pâtissons tous aujourd’hui, Noirs et Blancs, pour aller de l’avant.
A cet effet, et par honnêteté intellectuelle,que l’on soit Blanc ou Noir, mieux vaut éviter les amalgames, les simplifications et les erreurs d’analyse qui nourrissent l’incompréhension, l’intolérance, le racisme ou la xénophobie. Je dois dire que certaines expressions empreintes de haine "assumée", ici comme ailleurs, humainement me heurtent profondément !
Aussi, je veux témoigner de ce qui peut être source d’espoir et de combat légitimes et partagés. Rétablissons une vérité d’une part : les programmes de l’Éducation Nationale française au collège comme au lycée, comprennent les questions de l’esclavage, des peuples colonisés, et de leur participation aux deux guerres ; hélas, si cet enseignement que nous dispensons est utile et nécessaire, il ne peut à lui seul neutraliser toutes les dérives ou bêtises.
D’autre part, pour ne citer qu’eux, des universitaires français travaillent à cette vérité historique, ainsi ce courrier récent d’un Maître de conférences en Histoire contemporaine Université de Bretagne-Sud envoyé au Président de la République, M. François HOLLANDE, que je vous invite à lire...Merci
"Lorient, le 27 mai 2014,
Objet : massacre de Thiaroye (Sénégal, 1er décembre 1944)
Monsieur le président,
Historienne, j’ai engagé une recherche de longue haleine sur les prisonniers de guerre « indigènes » de la Seconde Guerre mondiale. J’ai été très sensible au discours que vous avez prononcé le 12 octobre 2012 à Dakar, dans lequel vous évoquiez la répression sanglante à Thiaroye (Sénégal, 1er décembre 1944) et la nécessaire restitution des archives de cet événement au Sénégal.
Je poursuis actuellement ce long travail de collecte d’informations aux Archives nationales américaines. Des militaires américains ont, en effet, pris de nombreux clichés inédits du massacre du 1er décembre 1944, preuve supplémentaire, s’il en était besoin, de la véracité accablante des faits. Celles-ci devraient m’être communiquées très prochainement afin que je puisse les produire.
Cependant, il me semble important, à ce stade, de vous transmettre la synthèse de mon travail de recherche, jointe à ce courrier. En effet, le général Leroi, directeur du Service historique de la Défense, m’a informée qu’un projet d’exposition sur Thiaroye avait été récemment commandé par vos soins à la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives du ministère de la Défense.
Cette exposition est une belle initiative. Sa tenue risque, toutefois, de perpétuer les nombreuses dissimulations et falsifications entourant le massacre de Thiaroye. En effet, la France peut-elle exposer une circulaire du 4 décembre 1944 prouvant la spoliation dont les rapatriés ont été victimes, sans reconnaître au préalable ce fait délictueux ? La France peut-elle, encore, exposer des rapports, dont nous savons à présent qu’ils ont été écrits pour camoufler le massacre, et faire croire que les ex-prisonniers de guerre étaient armés et dangereux, sans reconnaître au préalable le massacre et les mensonges qui l’entourent ? La France peut-elle, enfin, exposer les minutes du procès, sans reconnaître au préalable que celui-ci a été mené à charge pour condamner des innocents ?
La restitution solennelle des archives numérisées est une première étape indispensable. Elle demeure, toutefois, incomplète. En effet, les archives nécessaires à la compréhension de Thiaroye ne se situent pas seulement au Service historique de la Défense (Vincennes) : des documents essentiels sont conservés aux Archives nationales d’Outre-mer (Aix-en-Provence), aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine (Rennes), au Dépôt central des archives de la Justice militaire (Le Blanc), aux Archives nationales britanniques (Londres) et à College Park (États-Unis).
Ne serait-il pas plus juste de saisir dès à présent la commission de révision de la Cour de Cassation afin de réhabiliter pleinement les ex-prisonniers de guerre de Thiaroye ? Ces derniers ont, en effet, été condamnés pour un crime qu’ils n’ont pas commis afin de camoufler la spoliation financière dont ils ont été victimes. Les Sénégalais et ressortissants de l’ancienne Afrique occidentale française savent pertinemment que la vérité n’a jamais été dite sur Thiaroye. Ils attendent aujourd’hui un geste fort de la France.
J’espère très sincèrement que la synthèse ci-joint motivera votre volonté politique forte, afin que Thiaroye soit enfin reconnu par la France comme un massacre et comme un procès mené à charge pour faire condamner des hommes innocents, conformément à votre vœu présidentiel d’une société plus juste.
Je reste bien entendu à votre entière disposition pour toute précision que vous pourriez souhaiter sur ce dossier.
Je vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur le président, l’expression de ma plus haute considération."


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