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« À Son Excellence, Monsieur le Président Blaise Compaoré : arrêtez le processus de révision de l’article 37 de notre Constitution consensuelle ! » dixit Etienne Traoré

16 décembre 2013, 15:04, par Mamadou Djibo

Lettre ouverte au Professeur Etienne Traoré,
Vous m’avez donné mes premières armes d’argumentation de 1985 à 1987 à L’U.O. Ecrire à son maître pour le contester est philosophiquement une œuvre de maturité intellectuelle. Humainement, étant encore sous le charme de votre engagement politique courageux et constant, cela s’avère rude. Mais, cher maître, vous m’avez appris avec vos collègues François Varin, A. Badini, D. Gampiné à argumenter et à affectionner la pensée critique. Alors, voici ma lettre pleine d’affection pour vous. Vous excuserez mes audaces puisque je sais compter sur votre indulgence.
Très cher Professeur,
J’ai lu avec intérêt votre lettre ouverte au Président du Faso l’invitant à arrêter le mécanisme de consultation populaire de l’article 37 de notre Constitution. Consulter n’est point synonyme de modifier même si l’intention peut-être celle-là. La démocratie de type occidental est électorale et représentative. Elle se fonde sur le vote libre et universel de tous ceux qui jouissent de leurs droits civiques. Citoyens libres et égaux, la démocratie électorale représentative exige que l’on consulte le peuple dès le moment où, sur un sujet majeur, un consensus au sein de la classe politique est introuvable. D’où’ l’impératif pour les défenseurs de la République, quels qu’ils soient de recourir au peuple souverain, détenteur ultime du pouvoir, pour départager, trancher. Est démocrate et vous l’êtes, celui qui souscrit à ce principe fondateur. C’est ainsi que consulter le peuple est supérieur aux tractations, compromissions, manipulations et intrigues des professionnels de la politique. Il est donc inacceptable de secouer le chiffon rouge des « urnes éventuellement corrompues » pour refuser le socle fondateur des règles du jeu démocratique. Le Sopi de Wade a vaincu la machine électorale du socialiste Diouf en 2000 ? Comment ? L’opposition officielle burkinabè a la réponse ou ne l’a pas. Non, cher professeur, il ne s’agit point au moyen de la consultation du peuple souverain, de rechercher une nouvelle légalité en rupture, dites-vous, avec la légitimité. Le recours au juge suprême n’est jamais désir de nouvelle légalité. Elle est au contraire la réaffirmation nette que seul le pouvoir appartient au peuple, ce en quoi, ce recours s’auto-référencie comme légitimité confirmée. Je ne vois pas de divorce dans l’exacte mesure où toute légalité est une donation originelle d’un pouvoir légitime. Les autorités de la IV République sont-elles légitimes ? Votre préoccupation n’est point celle de la légalité mais plus celle relative à la légitimité de l’autorité en charge de la question référendaire et accessoirement, si cet appel au peuple, au lieu de renforcer la démocratie directe, viole au passage la Constitution. Non seulement notre loi fondamentale autorise cet appel au peuple puisque c’est ce même peuple dans sa volonté majoritaire exprimée qui en est la pierre architectonique. Au surplus, l’article 37 autorise sa propre modification sans rupture ni de la nomenclature légale encore moins de la légitimité. Nous parlons des principes. Il s’ensuit que le moment de divorce que vous redoutez est imaginaire sinon machiavélique. Pourquoi ? Parce que précisément votre déni de la consultation populaire envisagée sous prétexte que les urnes sont possiblement corrompues coîncide avec le dicton vieux de 500 ans dérivant de Machiavel voulant que seul compte la fin. Les moyens, on se les donne comme on peut et comme on veut en rupture avec les valeurs. Où sont vos moyens qu’accrédite l’éthique politique si jamais le Président Compaoré renouvelle son souhait de mettre ses ambitions au service du peuple ? Puisque ses ambitions ne sont pas illégales, alors la seule façon de lui notifier le rejet, dans la paix et avec l’élégance républicaine qui sied, c’est de l’inviter à hâter ses pas pour qu’on aille aux urnes. Laisser penser que de nouvelles négociations doivent être lancées pour bâtir un nouveau consensus ou s’en tenir à l’ancien, c’est dénier au peuple son droit inaliénable de dire son mot sur la marche de la cité au profit du clientélisme politique. Où est votre sincérité, cher professeur, lorsque sciemment, jouissant de votre droit constitutionnel à l’opinion libre, vous confondez légalité et légitimité pour mieux accréditer les ultimes transactions du marché politique ouagalais ? Venant de vous, je n’ose pas écrire imposture intellectuelle car vous m’avez appris la rigueur mais aussi la décence. Aussi, permettez-moi de parler, philosophe comme vous m’avez formé, de moment machiavélique. Je vous fais remarquer que la volonté consensuelle est d’ordre procédural- il existe des droits procéduraux- lors même que le prononcé de la volonté majoritaire est fondamental puisqu’il est d’essence démocratique. Vous voyez bien que le consensus est un cas constructiviste que les vécus sociaux, à un moment historique donné, présentent à la conscience populaire.
On construit les consensus et on les déconstruit comme le mathématicien E. Kronecker construit les ensembles suivant les circonstances. Mais il arrive que certains ensembles construits n’appartiennent pas à eux-mêmes. Par exemple, l’ensemble des petites cuillères n’est pas une petite cuillère comme le démontre le logicien Russell en 1902, engendrant ainsi une crise des ontologies fondationnelles en mathématiques. Votre théorie de la volonté consensuelle hypostasiée en est une probablement. Contre le moment machiavélique, j’appelle au moment démocratique car alors, les conflits d’interprétation, d’intérêts divers, connaîtront le jour de leur jour comme on dit à Nouna. Ce jour s’appelle le moment délibératif ou moment démocratique ou consultation populaire. Le régime démocratique n’aime pas les consensus bancals, les conciliabules. Les Ségoviens disent : les conciliabules ont construit Ségou, les conciliabules ont détruit Ségou. Ruineuse tautologie ! En démocratie, on lave le linge sale en public et ce de façon contradictoire : l’aîné Etienne peut laver le col ; le précoce Mamadou le bras droit tandis que la belle Poko voudra laver les culottes. Mais personne ne détricote le linge car les intérêts de paix et de sécurité de la famille exigent qu’on laisse toutes les opinions vraies ou fausses, les ambitions s’exprimer. C’est dire que nos options doivent exclusivement être démocratiques. Les marches violentes et autres arrière-pensées révolutionnaires ou putschistes ne le sont pas et surtout pour notre génération post-révolution du 4 août. Allons avec détermination mais aussi dans l’allégresse au référendum. Construisons nos arguments pour ou contre et exposons-les au peuple souverain. L’audace d’espérer arrive comme dirait le Président Obama. Un référendum révocatoire du leadership du Président Compaoré ou plébiscitaire arrive. Un rare moment de fraternité et de patriotisme arrive. Jaloux et défenseurs de nos droits constitutionnels, préparons-le pour mieux le célébrer.
Respectueusement,
Mamadou Djibo, Ph.D
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