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Mali : La transition riposte aux sanctions de la CEDEAO et l’UEMOA

12 janvier 2022, 11:29, par Fasovision

@Internaute SOME,
J’ai lu vos posts avec beaucoup d’intérêt, particulièrement votre appréciation de ce qui se passe où se joue au Mali.
Je partage votre point dans les lignes qui suivent :

Tous ceux qui estiment que les autorités de transition au Mali sont des plaisantins ou qui les traitent de tous les autres noms ne connaissent pas suffisamment le Mali et donc n’ont pas la pleine compréhension des enjeux qui se jouent dans ce pays, depuis maintenant près d’une décennie.
Quand tu n’as le loisir d’apprécier une situation qu’à distance ou en ligne, tu ne peux qu’être parfois dans des préjugés et dans des approximations.

Certes la durée d’une transition peut être sujet à débats pour éviter toujours d’être dans des excès. Celle de 5 ans proposée par les assises nationales maliennes n’est toutefois pas sortie du néant, faut-il le rappeler. Elle pourrait éventuellement être revue, rien n’étant intangible.

Certes aussi, le classique est vite sorti par les gardiens d’une certaine orthodoxie selon lequel des autorités militaires ne pourraient pas conduire des réformes. Ce n’est pas un postulat que je rejetterais a priori.
Quid toutefois de notre transition où le Lieutenant-colonel Isaac Zida (conseillé ou guidé en cela par une main extérieure, je n’en sais rien ?) s’est déchargé de l’étoffe passagère de Chef d’État, pour s’installer à la Primature et conduire le gouvernement de transition ainsi que tout le processus à bon port ? On ne lui enlèvera pas l’intelligence politique ou "transitoire" d’avoir su écouter la voix de la sagesse pour accéder à cette volonté du peuple tout en ne manquant pas de s’entourer de civils aux compétences indéniables, dont le travail ne fait pas, aujourd’hui, l’objet de reproches particuliers.

N’oublions pas, en effet, les diverses mesures salutaires prises par cette même transition, dont celles relatives à la lutte contre la corruption, au statut de la fonction publique, au code électoral, au secteur minier, au domaine de l’information, etc. Ceci pour dire que, face à tout processus de transition, on peut prendre le risque d’être dans un schéma figé qui est "les militaires aux casernes et les civils dans l’arène politique." Ce qui est logique et défendable.
En même temps, quand on est déjà dans une situation comme celle que vit le Mali, une situation assez complexe (comprendront ceux qui connaissent vraiment ce pays, et non ceux qui ne l’appréhendent qu’à distance !), on ne peut pas ou ne devrait pas faire dans la précipitation encore moins dans les sautes d’humeur. Cela, que ce soit au niveau des acteurs maliens, eux-mêmes, ou de toutes les instances qui s’engagent à accompagner le pays, en l’occurrence la CEDEAO, le plus proche parent.

Sur la durée de la transition ou comment faire preuve de compréhension vis-à-vis des Maliens :
On peut bien spéculer sur le point spécifique de la durée de 5 ans proposée par les assises nationales. On ne pourrait cependant pas se soustraire à la question essentielle suivante :

Comment se fait-il que, HUIT (08) ans durant, soit depuis 2013, la MISMA devenue MINUSMA (avec plus de 13 289 militaires et 1920 policiers sans compter donc les civils), que la MISAHEL (qui représente l’Union Africaine), que la Force Barkhane (avec 4800 militaires, 20 hélicoptères, 430 blindés, 350 véhicules de logistique, 7 avions de chasse, 6 drones et 5 à 8 avions de transport) la mission européenne EUTM (environ 1000 instructeurs aidant à la formation des des militaires maliens), sans compter la kyrielle d’ONG internationales, tous venus au chevet du même malade, on en soit encore là avec ce lot de morts, de souffrances des populations, ces tâtonnements aux plans politique et sécuritaire ?
Huit ans de présence de ces amis du Mali à ses côtés pour l’aider à se relever, à se stabiliser et à se construire. Le geste de solidarité est louable et à saluer, à sa juste valeur.

Cependant, ne pas vouloir qu’on pose cette question fondamentale, quitte à se refuser à interroger l’efficacité des instruments, mécanismes et procédés aussi bien sous-régionaux qu’internationaux, serait tout simplement vouloir continuer à marcher, indéfiniment, sur les parties intimes d’un aveugle, tout en lui disant de continuer aussi à chanter vos louanges !

De même, à l’endroit de nous tous qui parlons de ce que nous ne connaissons pas en profondeur, une question et, ce n’est ni du nationalisme ni du populisme :
Qui, plus que les Maliens eux-mêmes connaît le Mali et recherchera son bien suprême plus que les Maliens ? Qui, plus que les Maliens eux-mêmes, peut dire aux amis (au grand coeur débonnaire) du Mali, ce qui répond, le mieux, aux aspirations réelles des Maliens, surtout après une consultation nationale ? Toutes les couches n’y ont pas pris part ? C’est un classique là aussi ? La transition au Burkina n’a pas emporté l’adhésion de tout le monde !

M. Assimi GOITA et ses frères savent bien des choses que nous ne connaissons pas et ils savent aussi, eux qui se sentent touchés dans leur dignité de fils et filles de ce grand pays, ce qu’ils veulent. Ils ont pris toute la mesure des enjeux, non pas seulement pour eux, militaires et civils qui animent la transition, mais aussi et surtout pour toute la nation malienne. M. GOITA n’est que victime, quelque part, d’un délit de faciès. Autrement dit, c’est parce qu’il est militaire, qui dirige ou préside la transition, que certaines choses sont d’office considérées comme intolérables de sa part, surtout quand elles sont ramenées (à juste titre, certes) aux cadres normatifs qui encadrent les processus politiques. En même temps, faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ? Si tant est qu’on se préoccupe réellement du sort de ce bébé, qui serait entrain de courir un danger sans qu’il s’en rende, lui-même compte ?

Pour terminer, soutenir cette démarche de la transition malienne ne signifie pas que l’on veuille que soit consacré un précédent de situations anticonstitutionnelles ou autres troubles ou anarchies dans nos pays, loin s’en faut !

Le fait est que le cas du Mali va au-delà du bout du nez. Il s’élève bien au-dessus des préjugés et autres suspicions que l’on peut entendre ici ou lire là. Il faut le vivre pour mieux comprendre...
Un malade, même dans un état critique, serait prêt à se passer de votre compassion, s’il se rend compte qu’elle n’est que de simulacre. C’est ce qu’on appelle la dignité !

Bref. Le cas du Mali est assez complexe et cela, même notre Président l’a relevé dans son discours d’ouverture du sommet extraordinaire de l’UEMOA qu’il a convoqué avant la réunion de la CEDEAO et les décisions qui l’ont sanctionnée.
Qui dit complexe dit, normalement, prendre du recul, de la hauteur, du temps aussi, pour apprécier avant de parler, avant d’agir. C’est en cela que ces sanctions, qui font couler beaucoup d’encre et agitent bien des milieux, sont questionnées au plus haut point quant à leur pertinence au regard de la spécificité du cas malien. Spécificité par l’histoire ancienne, récente et par le contexte actuel, notamment les dynamiques de cette dernière décennie.

Ceci étant, il n’est jamais trop tard pour bien faire. Quand on voit l’effet produit sur l’opinion malienne (aiguisement de la fibre patriotique) par ces sanctions, on est en droit de se demander si on ne pouvait pas faire autrement. Sachant qu’il y avait, non seulement le cadre pour le dialogue, mais aussi et surtout une volonté manifeste, de part et d’autre.

Dieu que les uns et les autres aient la bonne inspiration pour contribuer à trouver les meilleures réponses à cette crise, qui, ne l’oublions pas, nous concerne tous autant que nous sommes, au Sahel.

A retenir :
Il n’y a ABSOLUMENT aucun intérêt ni pour le Niger, ni pour le Burkina Faso ni pour tout le Sahel en général, à ce que le Mali demeure dans la position qui a été la sienne, ces dernières années.
C’est cette situation qui explique, on en convient tous, tout ce que nous avons pu vivre jusque-là au Niger et ici, dans notre pays.

C’est en cela aussi que les élans de soutien au peuple malien, observés çà et là, ne sont pas à voir comme des convulsions d’un panafricanisme béat ou de mauvais aloi. Non !
Cela relève plutôt du geste d’intuition de peuples qui sentent venir le danger et, en conséquence, laissent parler leur instinct de survie. Du moins c’est sous cet angle que, personnellement, j’apprécie la situation actuelle.


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