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Procès « Thomas Sankara et douze autres » : Un témoin donne l’identité des deux soldats qui ont abattu Sankara

8 décembre 2021, 08:17, par HORUDIAOM

Cette réflexion est du Journaliste d’investigation Abdoulaye LY du journal Mutations au Burkina Faso.
Par Abdoulaye Ly

Publié dans le journal Mutations N°87 du 15 octobre 2015

Il y a comme une malédiction qui frappe les commanditaires et exécutants de l’assassinat du président Thomas Sankara. Ils tombent les uns après les autres dans la déchéance et le déshonneur alors que l’aura du chef de la Révolution burkinabè ne fait que croitre davantage.

Les tombeurs de Sankara tombent un à un. Après les petits couteaux gênants éliminés sous le régime de Blaise Compaoré, c’est au tour des « majors du crime » de tomber dans les filets de la« malédiction Sankara ». On peut dire que la « capture » du général Gilbert Diendéré le 1er octobre dernier inaugure une nouvelle phase dans la disgrâce des tombeurs du chef de la révolution burkinabè, à savoir celle de la justice. Jusque-là en effet, certains responsables directs ou indirects du drame étaient réduits au silence par des méthodes extrajudiciaires, par peur qu’ils ne dévoilent les dessous de l’affaire. Dès les premiers moments de l’installation de leur régime, Blaise Compaoré et son carré de fidèles, pour consolider leur pouvoir, ont dû d’abord se débarrasser des « compagnons encombrants ». Parmi ceux-là, les deux autres chefs historiques de la Révolution, le commandant Jean- Baptiste Boukary Lingani et le capitaine Henri Zongo. Pour y parvenir, il leur sera collé « un complot contre le président du Front populaire » Blaise Compaoré. Dans la nuit du 18 au 19 septembre 1989, pendant que Blaise Compaoré rejoignait le palais présidentiel après un séjour en Chine, les hommes de Diendéré conduisaient Lingani, Zongo et leurs compagnons d’infortune à Kamboinsin (une dizaine de km au nord de Ouaga) où ils seront passés par les armes. On se demande jusqu’aujourd’hui quel a été le degré de participation de ces deux compagnons de Sankara dans le complot du 15 Octobre 1987. Peut-être qu’on en saura davantage avec l’instruction et le jugement du dossier Sankara. Mais déjà, la vérité historique retient qu’ils ont accompagné la forfaiture de Blaise Compaoré sans broncher. En effet, dès le soir du 15 Octobre, Lingani a fait allégeance à Blaise Compaoré devant le corps de Sankara au Conseil de l’Entente. Henri Zongo va rejoindre les rangs quelques jours plus tard. Ils continueront d’occuper les mêmes postes ministériels qu’ils avaient sous le Conseil national de la révolution (CNR). L’histoire retient qu’ils ont payé très cher cette compromission.

La purge ne concerne pas seulement les chefs historiques, elle touche aussi l’aile civile qui a préparé « intellectuellement » l’assassinat de Sankara. C’est ainsi que le journaliste Watamou Lamien, une des figures de proue de l’Union des communistes du Burkina (UCB), trouvera la mort en 1988 sur la route de Ouahigouya, officiellement par suite d’accident.,Watamou était connu pour ses prises de position radicale sous la Révolution. A ce titre, il faisait partie de ceux qui ont théorisé sur une prétendue « déviation idéologique » de Sankara en 1987, un argument largement brandi pour justifier l’avènement de la Rectification. Certaines indiscrétions au sein de l’UCB disent même qu’il était un des farouches défenseurs de la ligne « anéantissement à tout prix de Sankara » lors du coup car pour lui, le régime de la Rectification ne pouvait s’installer durablement si Sankara était vivant. Celui-ci est tellement populaire que ses partisans feront tout pour le réinstaller au pouvoir. L’épisode du 17 Mai 1983 était encore frais dans les mémoires.

Ce n’était donc pas une surprise pour Watamou et ses camarades (Gabriel Tamini et autres) quand ils ont appris la mort de Sankara. Ils n’étaient nullement affectés par la disparition de Sankara et de ses 12 compagnons, selon plusieurs sources journalistiques. Est-ce parce que Watamou savait beaucoup plus que ses camarades qu’il a été rapidement éliminé ? On sait que de tous les « intellectuels civils » de l’UCB membres du CNR, il était le plus proche de Blaise Compaoré pour avoir longtemps assurer la liaison entre l’UCB et l’Organisation militaire révolutionnaire (OMR).

La séparation avec les « théoriciens du 15 Octobre » va se poursuivre après le retour au multipartisme en juin 1991. Un autre intellectuel membre de l’UCB, le Professeur Oumarou Clément Ouédraogo, est pulvérisé à la grenade le 9 décembre 1991 à Ouagadougou. Courant 1990, il avait été démis de son poste de secrétaire général du parti présidentiel. Quelques mois après, il va créer avec des camarades, le Parti du travail du Burkina (PTB), rejoignant ainsi le camp de l’opposition à Blaise Compaoré. Dans la crise qui couvait au sein du CNR, le Professeur Clément Ouédraogo était aussi considéré comme un faucon, partisan de la Rectification de la Révolution. Il va y œuvrer corps et âme. Après la réalisation du coup, il se retrouve aux premières loges du pouvoir. Secrétaire général de l’Organisation pour la démocratie et le progrès/Mouvement du travail (ODP/MT), le premier parti de Blaise Compaoré créé en avril 1989, Oumarou Clément fera office de n°2 du régime entre 1989 et 1990.

Après s’être débarrassé des figures historiques de la Révolution et de certaines têtes pensantes du complot, le pouvoir de Blaise Compaoré s’est attaqué aux membres du commando qui a exécuté le coup. Au nombre de sept selon plusieurs témoignages, trois ne sont plus de ce monde. Tous sont morts dans des conditions très suspectes. Les survivants sont depuis longtemps à la retraite. Tous sont aujourd’hui inculpés dans le dossier en instruction. Trois séjournent déjà à la Maison d’arrêt et de correction de l’armée (MACA). Le chef du commando meurtrier, Hyacinthe Kafando est quant à lui en fuite après deux convocations infructueuses du juge d’instruction. Il aurait craint pour sa vie. Maintenant que la situation a changé avec l’arrestation de Diendéré, il se peut qu’il revienne répondre à la convocation du juge comme il l’avait laissé entendre avant sa fuite. En attendant son retour, on peut dire que Sankara a pris une revanche sur « le chef Kaf », lui qui se vantait d’avoir éliminé le chef de la Révolution. L’homme le plus craint durant une décennie (entre 1987 et 1996) a fui le pays à deux reprises (entre 1996 et 2001 ; et juin 2015). C’est un déshonneur pour un militaire.

Mais le grand déshonneur est à mettre à l’actif des commanditaires de la tragédie du 15 Octobre, à savoir Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré. Blaise Compaoré, après 27 ans de règne, a été obligé de fuir en plein midi pour gagner, grâce au soutien extérieur, son pays d’exil, la Côte d’Ivoire. Cette destination est source de raillerie dans le milieu populaire parce que dans beaucoup de sociétés burkinabè, on ne se refugie jamais chez des beaux quel que soit le danger. C’est une question d’honneur. Surtout que quelques jours auparavant, le futur fugitif avait proclamé à la face du monde qu’il était un « homme fort » qui comptait bâtir des « institutions fortes » pour son pays. Finalement, on retiendra de lui deux choses : l’assassinat de Sankara en octobre 1987 et sa fuite en octobre 2014. Le dossier Sankara en instruction va alourdir ses peines car probablement, un mandat d’arrêt international sera émis à son encontre si la coopération judiciaire avec son pays hôte ne marche pas.

Quant à Diendéré, il est tombé comme une mouche dans une toile d’araignée. Cerveau opérationnel du coup d’Etat sanglant du 15 octobre 1987, Diendéré s’est offert en spectacle au monde entier durant une semaine. Ce qu’il avait su cacher pendant 27 ans, son caractère hautement criminel, il l’a dévoilé au monde en perpétrant son coup d’Etat idiot du 16 septembre dernier. Après la phase des règlements de comptes internes entre commanditaires, exécutants ou bénéficiaires de l’assassinat du président Sankara, c’est le temps de la justice pour solder le lourd passif du régime Compaoré.

Abdoulaye Ly


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