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Plaidoyer pour une dépolitisation de la chefferie traditionnelle

mardi 4 mars 2014.

 

La chefferie traditionnelle est l’une des institutions les plus anciennes et les plus fortes du Burkina Faso. Elle a une grande utilité sociale entant que lieu de rassemblement et de perpétuation des valeurs culturelles. Cependant, le tiraillement dont elle est l’objet dans la conquête du pouvoir politique moderne risque de conduire à sa perte.

Brève histoire des rapports chefferie traditionnelle-administration moderne
La chefferie traditionnelle a toujours été présente dans les débats politiques au Burkina Faso depuis la rencontre avec la puissance colonisatrice. Elle a entretenu des rapports fluctuants avec les différents pouvoirs qui se sont succédé depuis le début de la colonisation : souvent combattue, souvent considérée comme partenaire de la mobilisation des populations. Ainsi, elle a accompagné l’administration coloniale et collaboré avec les régimes du Général Lamizana. Sa proximité avec l’administration coloniale a fait d’elle une cible naturelle des nationalistes ; certains allant même à demander sa suppression.

Dès l’accession à l’indépendance, Maurice Yaméogo qui n’a pas digéré la tentative de coup d’Etat du Moogh Naaba Kugri , a pris des décrets supprimant ses privilèges et interdisant le remplacement des chefs défunts (Claudette Savonnet-Guyot, 1985). La période la plus difficile de l’institution cheffale au Burkina Faso a été la période révolutionnaire (1983-1987). Pendant cette période, Thomas Sankara et le CNR qui voulaient bâtir une « société nouvelle », débarrassée de ses « archaïsmes » et de ses « féodaux », tenus responsables de l’état « d’arriération économique et culturelle » du pays se sont lancés dans un combat sans merci contre la chefferie (Basile Guissou, « La chefferie traditionnelle est politique » in L’Observateur Paalga n°6868 du 18 avril 2007). La fin de la Révolution change la nature des rapports entre la chefferie et le pouvoir politique moderne.

Dans leur recherche de base sociale et surtout d’alliés pour les élections à venir après le renversement du Capitaine Thomas Sankara, Blaise Compaoré et le Front Populaire tendent la main à la chefferie. Elle est désormais considérée et Albert Ouédraogo (« Les chefferies traditionnelles du Burkina Faso » in Les Grandes conférences du ministère de la culture et de la communication, 1999) dit même que certains de ses membres font office de conseillers officieux du Président du Faso. La chefferie a résisté à l’adversité et le secret semble être la solidité de ses fondements philosophiques et institutionnels, son acceptation au-delà des clivages politiques et surtout son ancrage dans l’âme africaine. La chefferie est donc une institution solidement ancrée dans le subconscient des Africains. Ce qui explique qu’elle fait l’objet de convoitise quand l’avenir de ceux qui gèrent le pouvoir moderne devient de plus en plus incertain.

Incertitudes politiques et course vers la chefferie

Le 15 janvier dernier, à la suite de Rock, Salif et Simon (RSS), le Laarle Naaba Tigre annonce sa démission du CDP, de la FEDAP/BC et de l’Assemblée nationale. Cette démission a fait l’objet de plusieurs commentaires et de prise de position surtout qu’elle a été accompagnée de révélations faisant état d’injures de la part de François Compaoré homme fort du CDP et quelqu’un à qui on prête des ambitions présidentielles, sur la personne du Laarle Naaba (www.lepays.bf/?DEMISSION-DU-LARLE-NAABA).

Plusieurs analystes ont considéré ce départ comme le début de l’émancipation de la chefferie vis-à-vis du CDP, sinon la fin de la main mise du parti au pouvoir sur cette institution. Pour les partisans de cette thèse, si le CDP perd le soutien de la chefferie surtout sur fond d’insultes, il perdra aussi le pouvoir car non seulement l’expérience politique du Burkina Faso montre que tous ceux qui ont fait de la chefferie leur ennemi n’ont fait qu’un bref séjour au palais présidentiel, mais aussi parce que wende pa ninguidi nam gnand ye .

Mais le CDP n’a pas dit son dernier mot : le 27 février, son secrétariat exécutif réunit plus de cinq cents (500) « bonnets rouges » (www.lefaso.net/spip.php?article58117&rubrique2) avec pour objectif de montrer à qui veut le savoir qu’il a toujours avec lui, cette institution qui a toujours une aura forte auprès de la population. Ce qu’il faut retenir de cette course des politiques vers la chefferie traditionnelle, c’est le fait que l’institution soit toujours considérée comme un faire-valoir par les politiques en quête de suffrages. Cette situation peut entrainer un « déchirement » de la chefferie dont les conséquences peuvent être colossales non seulement pour l’institution, mais aussi pour tout le pays.

La « perte » de la chefferie peut être dommageable pour le pays, car en dépit des mutations sociales que connaissent les sociétés burkinabè et les critiques dont elle fait l’objet, la chefferie reste une référence pour une grande partie de la population. Bien d’autres personnes pensent qu’en se plaçant au dessus de la mêlée, elle peut jouer un rôle de conciliatrice et de gardienne de la paix dans les périodes troubles. C’est ce qui légitime ce plaidoyer pour la neutralité politique de la chefferie.

Le devoir de neutralité politique de la chefferie

Une maxime mooaga dit que le chef est une poubelle. Ce qu’on peut retenir de ce dicton, c’est le fait que le chef est celui qui rassemble, qui ne rejette personne, qui reçoit tout le monde sans référence aucune. Egalement, à chaque fois que le pays traverse une crise sociopolitique profonde, elle est sollicitée pour apaiser les cœurs et ramener la paix. Voilà pourquoi, la nécessité de garder la chefferie traditionnelle hors du cambouis politique est un combat de premier ordre. Etant sollicitée pour rapprocher les positions, la chefferie doit rester impartiale. Pour cela, elle doit éviter toute prise de position politique officielle.

Eviter une prise de position n’est pas un déni de droits aux chefs ; ils continuent librement d’accomplir leur devoir citoyen à travers le vote entant qu’acte citoyen individuel. Ce qu’ils doivent éviter, c’est de transformer leur palais en des lieux de rencontres de partis et de se constituer parrains de candidats aux élections. Ils doivent éviter l’inféodation aux partis politiques qui peut les amener à trier ou à se faire rejeter par une partie de leur population.

L’engagement politique peut discréditer le rôle des chefs traditionnels en tant que gardiens de la tradition et lieu de rassemblement de l’ensemble des fils et filles d’une contrée donnée (Zakaria Soré, Démocratie et renouveau des chefs traditionnels ; analyse des déterminants de l’engagement politique des nanamsé et des perceptions des populations du Sanmatenga, Mémoire de Maîtrise de Sociologie, Université de Ouagadougou, 2008). En effet, un chef traditionnel ayant un parti pris ou une affiliation politique officielle ne peut assurer efficacement pour longtemps le rôle de rassembleur. L’engagement politique désacralise la chefferie et expose les chefs à des injures de militants zélés de partis politiques adverses. La chefferie, dans toutes ses dimensions sociologiques, sert mieux le Burkina Faso en restant en marge de l’arène politique moderne, qu’à y faire un engagement politique problématique.

Réorienter les rapports chefferie-pouvoir moderne pour un développement sans heurt

« Extraire » la chefferie de la politique exige de lui trouver un espace d’expression. Le champ qui apparait le plus naturel est celui du développement et de la promotion de la culture. Les chefs peuvent jouer un important rôle au niveau local. Dans ces arènes, ils sont à même d’épauler et d’être des personnes ressources pour la mise en œuvre du développement. Ils peuvent dans une situation où la population se méfie de l’Etat et de ses organes comme l’a largement décrit Basile L. Guissou (Burkina Faso, un espoir en Afrique, 1995), offrir des alternatives au déficit de l’Etat. Leur prise en compte dans le processus du développement local ne peut qu’engendrer une meilleure réception de ces programmes. L’association des chefs traditionnels donne une coloration socioculturelle locale aux programmes de développement et partant, donne confiance à la population qui ne marchandera plus sa participation. Ceci est fondamental quand on sait qu’aujourd’hui les programmes de développement qui réussissent le mieux sont ceux qui jouent la carte endogène dans le sens de Joseph Ki Zerbo.

Aussi, Mahmoud Amin El Alem (1992) relève-t-il qu’aujourd’hui, le développement ne consiste plus uniquement en un processus économique, mais constitue un plan politique, économique, social, historique et d’évolution dans le domaine de la civilisation. L’argumentaire d’El Alem sonne comme une invite faite à l’Afrique à replacer la personne avec ses droits au centre du développement. Parmi ces droits, le respect de la culture est en pôle position. Dans ce contexte, la nécessité de sauvegarde des pratiques culturelles n’est plus à démontrer. Et les chefs sont les mieux indiqués en ce que la chefferie constitue des lieux de la mémoire vitale des communautés.

La cohabitation avec les institutions républicaines ne pose aucun problème. Contrairement à certaines littératures qui présentent la chefferie comme une institution ringarde, celle-ci est capable d’adopter des postures conciliatrices pour montrer que « tradition » et « modernité » ne s’excluent pas radicalement.

Cette réalité commande que des débats qui permettent de trouver un espace d’expression à la chefferie dans l’Etat républicain soient engagés, étant donné que la course effrénée des partis politiques actuellement observée vers l’institution ne peut persister encore longtemps sans mettre en péril tout le système de la chefferie. L’urgence du débat s’impose.

Zakaria Soré
sore_fils@yahoo.fr



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