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Gouvernance judiciaire : De la « détention provisoire » à la « détention abusive », il n’y a qu’un pas !

Publié le samedi 3 octobre 2020 à 23h55min

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Gouvernance judiciaire : De la « détention provisoire » à la « détention abusive », il n’y a qu’un pas !

La « détention provisoire » inspire de nombreuses interrogations au sein de l’opinion. Bien que légale, elle doit également demeurer une « mesure exceptionnelle », sinon elle devient « abusive ». Or, le constat fait par des acteurs est que la « détention provisoire » concerne davantage les justiciables les plus démunis, avec un très faible accès à la justice. Ce qui a fini par exacerber la défiance de la population vis-à-vis de la justice. C’est pour mener la réflexion sur les mécanismes de renforcement de la protection des droits des personnes en détention provisoire, que le Centre pour la qualité du droit et la justice (CQDJ), en partenariat avec l’ambassade royale du Danemark et Oxfam/Intermon, organise, les 2 et 3 octobre 2020 à Ouagadougou, un atelier avec les acteurs-clés de la chaîne pénale.

Selon le président du Conseil d’administration du CQDJ, Sosthène Ouédraogo, par détention provisoire, il faut entendre une détention avant jugement ; c’est-à-dire lorsqu’un juge d’instruction…, un procureur, prend la décision de déposer dans une maison d’arrêt en attendant qu’une juridiction se prononce sur le sort de l’intéressé.
Une trentaine de participants ont pris part à cette réflexion. Ils sont constitués de directeurs et services greffes des Maisons d’arrêt et de correction, de juges d’instruction, de procureurs ou substituts de procureur, de membres de la Chambre de l’instruction, d’avocats, d’acteurs de la société civile et de dix juristes chargés de l’assistance juridique au sein des Maisons d’arrêt et de correction.

Par cet atelier, il s’agit donc, principalement, de réviser la feuille de route sur les mécanismes juridiques, administratifs et institutionnels de protection des droits des personnes en détention provisoire abusive afin de prendre en compte les changements et innovations apportés par le nouveau Code de procédure pénale et favoriser leur appropriation par les acteurs de la chaîne pénale.

Pour mieux cerner la préoccupation, et outre les présentations individuelles inter-actives de modules par des praticiens du droit et défenseurs des droits humains, des séances de travaux en groupes, l’activité se déploie autour de deux communications. D’une part, « les innovations et changements apportés par le nouveau Code de procédure pénale en matière de détention provisoire et de mesures alternatives » et, d’autre part, « les blocages, les bonnes pratiques et les solutions d’ordre juridique, administratif et pratique afin de lever tous les goulots d’étranglement en matière de détention provisoire ». Le tout, dans une démarché d’échanges et de partages d’expériences et d’opinions entre les participants.

Un état des lieux interpellateur !

Selon les organisateurs, un regard sur la composition de la population carcérale montre que la détention provisoire est un facteur de l’inflation carcérale. « Ainsi, à la date du 3 août 2020, la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou comptait 59,74% de personnes en détention provisoire, celle de Bobo-Dioulasso 57,28% et celle de Koudougou 52,57% », révèle-t-on dans les termes de référence.

Sosthène Ouédraogo (à gauche) et Adama Zim représentant de l’OXFAM ont, à l’ouverture des travaux, situé sur les enjeux de ces réflexions.

« La détention provisoire est donc un levier important sur lequel il est pertinent d’agir pour juguler la surpopulation carcérale. Théoriquement, la détention provisoire constitue en soi une atteinte à la présomption d’innocence. C’est pourquoi, la loi ainsi que les instruments juridiques internationaux ont voulu qu’elle reste une mesure exceptionnelle, c’est-à-dire de dernier ressort, la plus brève possible, et respectueuse tant des droits substantiels que procéduraux du détenu », expliquent les organisateurs.

Selon le CQDJ, la détention provisoire devient ainsi abusive, lorsque le recours à cette mesure est excessif ou exagéré, sa durée est anormalement longue, les droits (droits substantiels et procéduraux) de la personne en détention provisoire sont violés et que la détention se fait dans des conditions ne respectant pas les règles minimales en matière pénitentiaire.

« L’autre constat est que la détention provisoire concerne davantage les justiciables les plus démunis, avec un très faible accès à la Justice. Ce qui a fini, au fil des années, par exacerber la défiance de la population vis-à-vis de la Justice », posent-ils. C’est fort de cette réalité que le CQDJ, en partenariat avec l’ambassade royale du Danemark et Oxfam, déroule le « projet de lutte contre les détentions provisoires abusives et de réduction de la surpopulation carcérale » dans les cinq Maisons d’arrêt et de correction les plus surpeuplées du pays, à savoir celles de Banfora, Bobo-Dioulasso, Fada N’Gourma, Koudougou et Ouagadougou. Les réflexions devront donc permettre de prendre en compte les innovations introduites de la nouvelle loi dans la conduite de la procédure pénale. En clair, il s’agit de revenir sur un travail qui avait été préalablement fait par les acteurs, mais qui mérite d’être réajusté par le fait de l’adoption, en juillet 2019, du nouveau Code de procédure pénale.

Ces acteurs de la chaîne pénale ont insisté sur l’esprit de la détention provisoire, qui est de demeurer une exception

Bref aperçu sur le CQDJ

Organisation non-gouvernementale créée en 2013, le Centre pour la qualité du droit et la justice se veut un creuset à la fois d’experts pluri-disciplinaires et de regroupements populaires. Il est né de la conviction qu’à un droit de qualité, s’attachent des enjeux déterminants de paix et de stabilité sociale, d’économie de temps et d’argent pour les acteurs économiques et les usagers de l’administration et de limitation de la dépense publique dite inutile. La mise en œuvre de ces enjeux a pour corolaire la promotion de la démocratie, de la bonne gouvernance, de la justice économique, de la justice sociale, bref du développement, sans oublier que de la qualité même du Droit dépend de l’efficacité de la Justice. Le CQDJ, qui s’est donné pour mission d’aider les personnes et les organisations à comprendre, faire usage et façonner le Droit, entend donc « Faire du Droit, un instrument de changement social ».

O.L
Lefaso.net

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Vos commentaires

  • Le 3 octobre 2020 à 18:05, par Weder Sy En réponse à : Gouvernance judiciaire : De la « détention provisoire » à la « détention abusive », il n’y a qu’un pas !

    Très belle initiative du CQJD. L’usage de la "détention provisoire" est devenu un instrument de la dictature du système judiciaire pour terroriser les justiciables démunis. Il ne faut pas avoir peur de dire : c’est l’outil par excellence de la corruption.

  • Le 4 octobre 2020 à 00:36, par Jupiter En réponse à : Gouvernance judiciaire : De la « détention provisoire » à la « détention abusive », il n’y a qu’un pas !

    Bravo à vous, vous faites vraiment oeuvre utile ! Comme çà ; les uns et les autres comprendront qu’à part les détentions à relent politique, aucune autre détention ne mérite ce genre d’abus sans preuves concrètes et immédiates ? Une fois encore, j’ en veux pour preuve celle du ministre BOUDA, qui n’est pour autant pas un démuni, et qui n’est ni parent, ni ami ! Seulement une question de bon sens, pour nous préserver tous !

  • Le 4 octobre 2020 à 03:23, par Maadou En réponse à : Gouvernance judiciaire : De la « détention provisoire » à la « détention abusive », il n’y a qu’un pas !

    Bravo, initiatives louables. Trop d’abus dans les détentions provisoires. Des renvois itératifs de dossiers . Trop d’abus dans le pouvoir judiciaire !!!

  • Le 4 octobre 2020 à 20:10, par Paul KÉRÉ Avocat En réponse à : Gouvernance judiciaire : De la « détention provisoire » à la « détention abusive », il n’y a qu’un pas !

    C’est une très belle initiative. C’est bien que des membres des parquets et des juges d’instruction soient associés à une telle initiative pour un meilleur fonctionnement de notre justice. Quand nous autres avocats on insiste pour dire que la détention doit rester une mesure exceptionnelle certains juges d’instruction ou certains substituts nous regardent comme si on n’avait pas fait les mêmes études de droit. Pour moi si vous permettez mon avis, la détention provisoire doit concerner les crimes de sang et de mort, les infractions économiques gravissimes et les viols avérés ou avoués. Les problèmes d’escroquerie et autres falsifications de carte grise doivent permettre aux parquetiers de convoquer rapidement ces délinquants et au besoin de leur infliger une peine d’emprisonnement avec sursis et au second récidiviste de la peine ferme. Mais voilà il n’y a aucune concertation entre les acteurs judiciaires pour mieux appliquer les textes législatifs. (Avocats-Magistrats).
    Enfin, il y a le cas de certains magistrats qui vont creuser dans leur méninge profond pour interpréter la loi à leur humeur malsain et subjectif en voulant ainsi comme un mauvais coucheur, légiférer à la place du législateur alors que le rôle du magistrat c’est se contenter d’appliquer la loi votée par le parlement. Exemple : le nouveau code de procédure pénale du 29 mai 2019 progressiste qu’il est dit que le délai de la détention provisoire est de deux ans en matière criminelle et d’un an en matière délictuelle. Alors que l’article 700-1 prescrit de manière superfétatoire que le nouveau code de procédure pénale est d’application immédiate, la chambre de l’instruction de La Cour d’Appel de Bobo-Dioulasso dans une forme de contorsion juridique inimaginable à la Pradel (qui est loin d’être une référence juridique en France devant André Vitu qui a été mon professeur de sciences criminelles en DEA) vient soutenir que les délais déjà courus ne s’imputent pas au décompte résultant du nouveau texte. Quelle hérésie juridique ! Seule la Cour de Cassation peut ramener cette juridiction au bercail qui est dans un grave errement juridique parce que la Chambre de l’instruction de la Cour d’Appel de Ouagadougou applique correctement ces dispositions légales impératives. Très souvent les textes législatifs sont bien faits, c’est leur interprétation erronée par des magistrats qui pose un gros problème de fonctionnement efficient de notre justice. Il faudrait dans ces hypothèses absurdes, accentuer la responsabilité civile professionnelle de chaque magistrat dans ses errements si nous voulons créer et promouvoir une société de responsabilité. Il faut donc avoir le courage de pointer du doigt les dysfonctionnements judiciaires pour faire avancer notre justice comme il se doit. Paul Kéré, Avocat aux barreaux de Nancy et du Burkina Faso.

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