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Chronique de la métamorphose du Burkina Faso de Blaise Compaoré (14)

Publié le samedi 1er octobre 2005 à 09h15min

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B. Compaoré et M. Ousmane lors de la signature de l’accord de paix avec la rebellion touarègue

La dévaluation du franc CF A, au début de l’année 1994, a changé la donne économique et politique au Burkina Faso. Le président Blaise Compaoré a remplacé Youssouf Ouédraogo par Roch Marc Christian Kaboré au poste de Premier ministre.

Kaboré va former un gouvernement où les "libéraux" l’emportent sur les "pragmatiques" qui avaient assuré le passage de la "révolution" à la "rectification", acceptant de jouer la règle du jeu international (Pas, privatisations, déréglementation, etc.) sans pour autant abdiquer toute approche sociale et souverainiste de la gestion des affaires publiques.

Zéphirin Diabré, tenant d’une ligne "sado-fatalisto-réaliste" ("La dévaluation est difficile comme l’était l’esclavage, comme l’était la colonisation... car il s’agit d’épreuves que le destin réserve toujours aux peuples qu’il a choisi d’aimer"), a été nommé ministre de l’Economie, des Finances et du Plan. C’est lui qui, les 9,10 et 11 mai 1994, va être sur le devant de la scène lors des Deuxièmes assises nationales sur l’économie (cf LDD Burkina Faso 0 74/Mardi 13 septembre 2005) qui réuniront, pendant soixante-douze heures, plus de deux mille participants.

Les Deuxième assises nationales ne tiendront pas leurs promesses. Les syndicats, qui prônent "la voie de la concertation et du dialogue social [...’] qui n’exclut point les autres formes de lutte,’ bien au contraire", ont "la triste impression que les autorités et le patronat ne comprennent pas bien [leur] philosophie syndicale". Ils font état d’une "baisse vertigineuse du pouvoir d’achat des travailleurs", de "la perte de conscience professionnelle", des "effets négatifs de la dévaluation conjugués avec ceux du Pas" en matière de santé, d’éducation, de transport, etc., de "la flambée des prix des produits de première nécessité (riz, carburant, médicaments, etc.)", des "pertes d’emplois, le chômage et la détérioration du climat social" consécutifs aux restructurations et aux privatisations.

Le patronat n’est pas moins critique. Il "constate que décidément le secteur privé n’est pas au centre des préoccupations" du gouvernement. Il dénonce, à juste titre, "une simple compilation statistique, suivie d’un chapelet de voeux pieux. Il n y est fait allusion à aucune mesure concrète, avec définition des objectifs et identification des moyens".

Les patrons iront même jusqu’à poser la question du maintien du Burkina Faso au sein de la zone franc. "Le Burkina Faso, soulignent-ils, a été le seul pays africain de la zone à n’avoir jamais été déficitaire au compte d’opérations. Tout s’est passé jusque-là comme si la rigueur de gestion (le Burkina Faso a été le pays africain le mieux géré de la zone) du Burkina servait à payer le manque de rigueur chez les autres, particulièrement ceux considérés comme les plus nantis (Côte d’Ivoire, Sénégal, Gabon, Cameroun) et qui ont connu des déficits constants et vertigineux [...] Devons-nous rester liés à une aventure qui nous conduira à d’autres dévaluations, s’il n y a pas de changements de comportement chez les autres partenaires ?".

Du côté de l’opposition politique, le jugement est plus sévère encore. C’est le principe même des "assises" qui est remis en question. L’Union de la gauche démocratique (UGD) souligne qu’elles furent initiées "en période d’Etat d’exception [’..] pour remplir les fonctions d’un Parlement encore inexistant" et, qu’aujourd’hui, dans "un Etat de droit démocratique", c’est à l’Assemblée des députés du Peuple, au Conseil économique et social, de débattre de ces questions.

Compaoré prend conscience que "cela ne fonctionne pas". A l’issue des "assises ", il annoncera la tenue d’un Forum national sur la production pour le 2 juin 1994. Il s’agit, selon lui, de démontrer que les travailleurs ne sont pas seulement "ceux qui travaillent dans les villes et sont dans des syndicats ". "Il faut, dit-il, voir la société dans sa globalité avec les producteurs, les éleveurs, les exportateurs, les orpailleurs... C’est la promotion de tous ceux-là qui va nous permettre, dans un court terme, de voir l’amélioration, parce que la société c’est un tout".

C’est dans cette perspective que vont s’inscrire les "Six engagements nationaux du président Blaise Compaoré" adoptés au Stade du 4 août à Ouagadougou en présence de 8.000 délégués venus de tous les villages du Burkina Faso. "Je pense, dira Compaoré quelques jours plus tard à l’envoyée spécial du quotidien ivoirien Fraternité Matin, que ce meeting va servir à galvaniser, à redonner confiance à nos populations. Car elles étaient traumatisées par le phénomène de la dévaluation, mais elles voient maintenant qu’il est possible d’en sortir, par le travail, par la mobilisation. L ’homme sera à l’avenir au centre de la production dans notre pays ".

Roch Marc Christian Kaboré va rebondir sur les "Six engagements nationaux" du chef de l’Etat. C’est trois mois après sa nomination au poste de Premier ministre, le vendredi 24 juin 1994, qu’il prononcera son discours de politique générale devant les députés. En une heure, il va développer les points essentiels du "Programme de large rassemblement pour le développement et la démocratie de son Excellence Blaise Compaoré, président du Faso ". Economie, dépenses publiques, Pas, agriculture, irrigation, barrages, élevage, transports, information, santé, éducation, culture, etc. tout y passe. Avec un rappel au "sens du devoir historique dont s’imprègne chaque jour davantage la génération des décideurs à laquelle a été transmis le flambeau du développement [qui] commande résolument que soient réhabilitées, par notre action quotidienne, les valeurs de base qui ont fait la grandeur des civilisations dont nous sommes les héritiers.. Travail, Probité, Solidarité et Patriotisme ".

Le premier semestre 1994 sera exceptionnel pour l’Afrique. Dévaluation du franc CFA annoncée à Dakar (mercredi 12 janvier 1994) ; obsèques de Félix Houphouët-Boigny à Yamoussoukro (lundi 7 février 1994) ; déclenchement du génocide à Kigali (mercredi 6 avril 1994) ; investiture de Nelson Mandela à la présidence de la République à Pretoria (mardi 10 mai 1994) , opération "Turquoise" au Rwanda (vendredi 24 juin 1994), etc.

C’est aussi au cours de ce premier semestre que Ouagadougou va nouer des relations diplomatiques avec Taïwan et que, déjà, les relations vont se détériorer avec la Côte d’Ivoire qui ne cesse de chercher querelle au Burkina Faso pour de multiples raisons (télégramme de condoléances, lors de la mort du "Vieux", adressé à Alassane Ouattara, Premier ministre, et non pas à Henri Konan Bédié, successeur constitutionnel ; visite à Ouaga de Laurent Gbagbo, alors leader de l’opposition ; débat sur le vote des Burkinabè vivant en Côte d’Ivoire ; assassinat d’un burkinabè dans le train par un policier ivoirien, etc.).

A noter encore que Compaoré a été médiateur dans le conflit des Touareg du Niger et du Mali, qu’il a accueilli les "islamistes de Folembray", etc. En établissant sa "feuille de route" avec la définition des "Six engagements nationaux ", Compaoré a fait oublier le relatif "coup pour rien" des "Assises nationales" et repris la main. Les objectifs sont fixés, "l’effet dévaluation" est oublié, le jeu politique est calmé, le gouvernement peut travailler.

Hormis mon séjour au Burkina Faso à la mi-janvier, je n’ai pas remis les pieds en Afrique tout au long du premier semestre 1994. Le Brésil, où j’ai séjourné à plusieurs reprises, a retenu mon attention. Le deuxième semestre 1994 s’annonce tout autant" Out ofAfrica ". Enfin presque. Je séjourne au Zaïre, à Gbadolite, fief du président Mobutu, à la mi-octobre 1994, avant de m’envoler avec lui pour la République populaire de Chine via le sultanat d’Oman. Je le retrouve, en novembre 1994, au sommet France-Afrique de Biarritz. Occasion, également, d’y cotoyer Compaoré. II va y vivre un moment essentiel. A sa demande, une motion de remerciement à François Mitterrand (souffrant, il assiste à son dernier sommet) a été adoptée. C’est Ouaga qui accueillera la XIXème conférence franco-africaine.

A suivre
Jean-Pierre Béjot

La Dépêche Diplomatique

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