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Interdiction de couverture médiatique des activités politiques : « Je reproche au CSC d’avoir mal interprété la loi », lance le journaliste-éditorialiste Lookmann Sawadogo

Publié le mercredi 5 août 2020 à 22h20min

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Interdiction de couverture médiatique des activités politiques : « Je reproche au CSC d’avoir mal interprété la loi », lance le journaliste-éditorialiste Lookmann Sawadogo

S’appuyant sur le Code électoral, le Conseil supérieur de la communication (CSC) a interdit aux médias publics et privés du Burkina Faso, de couvrir les activités politiques 90 jours avant le début officiel de la campagne électorale. Mais le constat est que la pilule a du mal à passer chez certains journalistes et patrons de presse. Ainsi, dans cette interview, Lookman Sawadogo, journaliste-éditorialiste, directeur de publication du quotidien « Le Soir », confie que l’interprétation que le CSC fait du code électoral est erronée. Lisez plutôt !

Lefaso.net : Qu’est-ce que vous reprochez au Conseil supérieur de la communication (CSC) ?

Lookmann Sawadogo : Je reproche au CSC non pas de mettre en application une disposition qui concerne les médias qui se trouvent dans le Code électoral, mais plutôt d’interpréter cette disposition dans un sens qui porte atteinte aux droits des professionnels des médias, qui porte atteinte à la liberté d’expression et de presse. Et de façon globale, le droit à l’information du citoyen burkinabè qui se trouve dans la Constitution. Le reproche tient au fait que l’article 68 du Code électoral interdit, durant les 90 jours avant l’ouverture de la campagne, toute couverture de campagne déguisée.

Cette interprétation porte préjudice aux médias, aux partis politiques et à d’autres entités comme par exemple ceux qui font la communication. Le CSC prétend que les médias ne peuvent pas couvrir les évènements politiques, les émissions produites dans les médias notamment les éditoriaux, les débats entre journalistes et analystes.

Tout ce qui porte sur la politique est frappé d’interdiction. On demande aux journalistes de traiter l’information cette fois-ci selon leur entendement. Ce qui est très difficile, parce qu’on ne peut pas demander aux hommes de médias de faire leur propre loi. Je pense qu’on devrait leur demander de respecter la loi. Pour ce faire, la disposition doit être claire et sans ambages.

Dit autrement, les journalistes doivent se substituer au CSC pour s’auto-discipliner. Et dans l’autodiscipline, on n’est pas dans la loi. En principe, la loi donne des procédures à suivre. Et quiconque enfreint la loi mérite une sanction. Toutefois, si la loi devient du libre arbitre de chaque journaliste, on est plus dans le domaine de la loi. Alors, comment juger les règles de X, de Y ?

Il est bon de savoir que cette loi a été voulue dans un contexte précis. En fait, on a constaté que les autorités utilisaient les moyens de l’Etat à l’orée des élections pour faire de la campagne « déguisée ». Donc, il y avait une sorte de compétition déloyale. Prendre une route qui est un bien public pour faire de la campagne politique, c’est tromper la conscience des citoyens, c’est conditionner les esprits en fonction des votes à venir.

Aujourd’hui, l’interprétation que fait le CSC de cette loi est erronée. Avec la nouvelle interprétation, on se retrouve à ne plus être ni dans la déontologie, ni dans l’éthique, encore moins dans un texte qui encadre. Nous sommes dans un autre texte qui pose un véritable problème.

Je pense que cette loi devrait rester strictement dans le contrôle de la campagne qui ne doit pas être « déguisée ». Et mieux, elle ne devrait concerner que ceux qui gèrent le bien public. Le problème fondamental est d’empêcher les gouvernants d’user des biens et services publics pour leur fin.

Sinon, je pense que le citoyen lambda qui est même candidat à une élection peut organiser, s’il a les moyens, ses activités, offrir un forage à une collectivité. Puisqu’il le fait à ses frais ! Or, ce n’est pas une question de moyens, mais plutôt le fait qu’on utilise son autorité, le bien public pour faire sa campagne. C’est pourquoi, on parle de campagne « déguisée » ; c’est de la tromperie.

Je pense que c’est là que le CSC doit centrer la loi : qu’on interdise aux autorités de faire des réceptions de routes, de parrainer des coupes, etc. Sinon demander aux médias d’aller faire des couvertures médiatiques d’activités politiques et de venir extraire la pomme pose un problème. Pour la presse écrite, ça va encore parce qu’on peut prendre la photo et faire l’article ; ce qui est impossible au niveau de la télévision et de la radio. Il ne faut pas dénaturer le métier.

Je reproche au CSC d’avoir mal interprété la loi. S’il n’a pas la compréhension de la disposition, il peut demander l’interprétation auprès du Conseil constitutionnel qui est l’institution garante de la loi. Je pense que le CSC aurait dû demander une interprétation pour mieux comprendre l’esprit de cette disposition, dans l’intérêt de tout le monde.

Je trouve que cette loi est caduque, parce qu’il y a les réseaux sociaux, il y a la presse étrangère et quand on fait souvent les études d’audience au Burkina, des médias comme Radio France internationale (RFI) viennent en tête. Du coup, on se rend compte que RFI est plus écoutée que la presse burkinabè. Aussi, elle n’est pas tenue de respecter cette interdiction. Finalement, cette loi interdit quoi ? Rien. C’est une loi à double vitesse, or une loi doit être de portée générale. Elle doit concerner tout le monde.

Si les journalistes peuvent couvrir une campagne politique et extraire la propagande, en quoi offrir un forage est une propagande ? On ne peut pas vouloir une chose et son contraire. Soit on interdit la campagne politique totalement tout en contredisant la constitution en son article 13, ou bien on autorise la campagne et on interdit aux autorités politiques d’utiliser les biens publics à d’autres fins. Et puis permettre aux médias de faire leur job.

Il ne faut pas donc que le CSC, qui a une mission de régulation et de promotion des médias, consacre l’arbitraire des medias. Je pense que cela peut privilégier certains et pénaliser d’autres médias. Car cette loi pose aussi un problème chez les médias et chez les acteurs politiques. Il faut savoir que la presse est un pilier du pluralisme démocratique.

Mais, si on lui porte préjudice dans ses fonctions, le pluralisme démocratique prend un coup de même que les partis concernés. J’imagine que certains partis politiques voudraient avoir une possibilité de faire les activités normalement, afin que le public les voie et les entende.

Aujourd’hui, au Burkina, le modèle économique est basé sur la publicité. Si par exemple vous interdisez à un site comme lefaso.net de ne plus montrer d’image, comment ils vont faire de la publicité ? Donc notre modèle économique fait que cette loi est une entrave à la survie économique des médias.

Pour vous, comment les médias doivent-ils se comporter aujourd’hui ?

Pour moi, les médias doivent se comporter en médias responsables, c’est-à-dire exprimer ensemble qu’ils ne sont pas d’accord. Parce que cela enfreint le développement du métier et le droit constitutionnel d’informer la population et de contribuer à une société démocratique.

De ce point de vue, ils doivent signifier au CSC de remodifier son règlement et de faire en sorte que ses discussions n’entravent pas le métier. D’une rédaction à une autre par rapport à un même évènement, il y aura des traitements différents. Si les dispositions sont laissées à la merci des médias, ce sera aux médias de traiter leur information au regard de leur appréciation.

La loi est en vigueur, mais elle ne semble pas partagée par tous. Que peut-on faire aujourd’hui ?

Je pense que le code électoral est introduit à l’Assemblée nationale. Je sais que les députés peuvent se prononcer sur l’ensemble de la loi parce qu’il y a des modifications qui sont apportées au niveau de certaines éléments de loi. Si la loi est soumise, je pense que les députés pourraient opérer d’autres types de relectures. C’est une piste. Si dans la procédure législative c’est possible, je propose qu’on relise cette loi rapidement et prendre une loi concernant les campagnes « déguisées ».

Aussi, qu’on cite nomment les activités concernées et les auteurs concernés. Les acteurs qui ne sont d’autres que les autorités publiques. Ceux qui sont en position du service public. Ce n’est pas le citoyen lambda, ce ne pas le politique. Je pense qu’il s’agit de campagne « déguisée ». Le CSC doit faire attention pour ne pas tomber dans un abus excessif du droit des gens, du droit politique et citoyen des gens. Il s’agit là de réguler un processus de compétition.

Je pense que le CSC peut prendre des règlements pour mieux préciser les choses. Je lance un appel aux démocrates, aux républicains et aux professionnels des organes de presse, à ne pas laisser cet acte passer. D’abord, ils doivent signifier au CSC leur désaccord face à cette disposition ; et s’il n’y a pas satisfaction, il y a ensuite une possibilité d’attaquer le règlement de cette loi devant le Tribunal administratif ou bien demander une procédure au niveau du Conseil constitutionnel.

Parce que le CSC n’est pas à sa première fois de faire des abus. En rappel, il a eu à auditionner des invités qui se sont exprimés sur des plateaux des médias. Même étant un journaliste, si je commets un impair, je suis justiciable devant les tribunaux de droit commun, mais pas devant le CSC car cela dépasse ses compétences.

Cependant, il peut entendre le média qui a fait la diffusion parce que sa mission est de réguler les médias et non les individus. Il ne faut pas faire croire aux gens que le CSC travaille pour le pouvoir en place, de peur à perdre la crédibilité de l’institution.

Quelles peuvent être les répercutions et les conséquences de cette loi ?

Les répercutions sont évidemment négatives. On voit déjà les différentes réactions. Je crains que ce soit un moment qui sera difficile pour le CSC car les politiques vont s’y mettre. Je crains que, dans une volonté de réguler les médias, le CSC se retrouve à affronter les acteurs politiques. Cela va poser un problème parce que, quand on entre dans une campagne et que l’organe qui est chargé de réguler les informations, de permettre l’accès égal à l’information est en butte à ses acteurs, je crains la suite.

Pour les médias, c’est regrettable que le CSC soit aujourd’hui à expliquer difficilement un texte de régulation. Il y a également les conséquences économiques déjà évoquées ci-dessus, parce que je ne vois pas un opérateur économique qui viendra vous payer pour un travail que vous n’avez pas bien fait.

Doffinitta Augustin Khan (stagiaire)
Lefaso.net

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