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Daniel Kablan Duncan : Métamorphose d’un vice-président en électron libre (2è partie)

Publié le mercredi 22 juillet 2020 à 22h00min

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Daniel Kablan Duncan : Métamorphose d’un vice-président  en électron libre (2è partie)

En 1990, Alassane D. Ouattara a sorti de l’ombre Daniel Kablan Duncan, ingénieur commercial passé par la BCEAO. Il en fait son bras droit, alors qu’il était Premier ministre de Félix Houphouët-Boigny, avec le titre de ministre délégué auprès du Premier ministre en charge de l’Economie, des Finances, du Commerce et du Plan. Une subordination qui était, aussi, une intronisation dans la sphère du pouvoir même si les deux hommes sont de la même génération (Kablan Duncan n’est le cadet de Ouattara que de dix-huit mois).

Trois ans plus tard, alors que Henri Konan Bédié avait accédé à la présidence de la République, Kablan Duncan sera nommé Premier ministre. Au nom de la continuité de l’action économique et financière voulue par Paris (dévaluation oblige) mais dans un contexte de rupture radicale politique et sociale. Quand Robert Gueï va prendre la suite de Bédié puis Laurent Gbagbo celle de Gueï, Kablan Duncan va disparaitre de la scène politique ivoirienne. Pour dix ans !

Qui, au printemps 2011, se souvenait de Daniel Kablan Duncan en Côte d’Ivoire ? Pas grand monde. A l’étranger, même chose ! Pourtant, Laurent Gbagbo capturé et emprisonné, Alassane D. Ouattara installé à la présidence de la République, Kablan Duncan va réapparaître sur la scène gouvernementale ivoirienne. Je dis bien la scène gouvernementale, car il avait été totalement absent de la scène politique pendant toute la décennie précédente. En charge des affaires étrangères, il était alors le troisième des cinq ministres d’Etat. Il avait 68 ans et avait été Premier ministre, détenant un record de longévité dans la fonction ; ses « collègues » ministres d’Etat avaient 46 ans, 49 ans et, pour deux d’entre eux, 60 ans. Quant au Premier ministre, également ministre de la Défense, il n’avait pas encore 40 ans !

Le retour au gouvernement de Kablan Duncan était symbolique : c’était la continuité des années 1990. Kablan Duncan l’avait dit dès le 21 avril 1994 (entretien avec Jeune Afrique) : « Ouattara est un ami. J’étais un de ses collaborateurs. Sous l’autorité de Félix Houphouët-Boigny, il a entrepris une politique de retour à la croissance […] Cette politique est confirmée par le président Henri Konan Bédié. Le chef de l’Etat a indiqué que l’on poursuivait, en l’approfondissant, ce qui a été entrepris ». Près de vingt ans plus tard, Ouattara entendait rappeler cette continuité (qui se sera concrétisée dans la fondation, en 2005, du RHDP, le rassemblement des houphouëtistes). Ouattara n’avait jamais caché que, pour lui, les années Gbagbo n’avaient été qu’un « accident de l’Histoire » !

Et puis, en 2010, Ouattara a gagné la présidentielle parce que Bédié a permis de faire perdre Gbagbo ; il fallait donc ne pas oublier le PDCI dans la composition du gouvernement. Or, Kablan Duncan a été, incontestablement, le plus grand dénominateur commun entre Ouattara et Bédié. Nul ne doutait d’ailleurs que Kablan Duncan était appelé à être Premier ministre dès lors que la période post-présidentielle serait révolue et qu’il conviendrait de faire oublier sinon le leader des Forces nouvelles tout au moins les Forces nouvelles, leurs dérives et leurs exactions. En attendant, Kablan Duncan devra se contenter du portefeuille des affaires étrangères, pas vraiment son domaine de prédilection. L’international ne le passionnait pas. C’est en tant que chef de la diplomatie ivoirienne qu’il découvrira la Chine et se dira, à ce moment-là, « véritablement impressionné ». Nous étions alors en 2011 !

*

Mais tout ne sera pas simple pour Daniel Kablan Duncan. Il avait été absent de la scène politique et d’autres s’étaient imposés sur le terrain. A commencer par Jeannot Ahoussou-Kouadio. Un « politique ». Député PDCI, il avait été aussi, avec Amadou Gon Coulibaly, le co-directeur de campagne d’Alassane D. Ouattara, candidat RHDP au second tour de la présidentielle 2010. Cet avocat avait été, véritablement, l’homme qui avait ressuscité politiquement Henri Konan Bédié. Peut-être même l’avait-il un peu trop ressuscité… ! Le 1er juin 2011, il avait été nommé au premier rang des ministres d’Etat avec en charge la justice. Le 13 mars 2012, il sera promu Premier ministre et, le 14 novembre 2012 soit huit mois plus tard, il sera brutalement dégagé en touche. C’était le moment, pour Kablan Duncan, d’entrer à nouveau en scène avec le premier rôle. Premier ministre, son gouvernement, à quelques exceptions près (liées à des fusions de portefeuille), reprendra l’équipe sortante.

Le Premier ministre, quant à lui, s’octroyait, une fois encore, le portefeuille de l’économie et des finances. Le message était clair : un « politique » cédait brusquement la place à un « technocrate ». C’était rappeler que le pouvoir était à la présidence ; pas au gouvernement et encore moins à l’Assemblée nationale. La nomination de Kablan Duncan à la Primature était l’expression du rapport de force que Ouattara entendait instituer avec Bédié et les autres : la présidentielle 2010 était une affaire classée et le patron c’était lui ! Même si, pour sauver les apparences, Bédié avait été consulté. Kablan Duncan l’avait rappelé : « Vous me permettrez aussi de remercier le président Henri Konan Bédié, le président du PDCI-RDA, d’avoir accepté qu’on puisse me nommer premier ministre après des discussions avec le président Alassane Ouattara ». C’était aussi l’opportunité pour Kablan Duncan de rappeler qu’il était issu des rangs du PDCI-RDA.

En 2015, réélu à la présidentielle, Alassane D. Ouattara va reconduire Daniel Kablan Duncan à la Primature. « J’ai décidé de continuer avec la même équipe. Le gouvernement est maintenu en fonction » déclarera-t-il le 4 novembre 2015. Mais sa décision sera remise en question le mercredi 6 janvier 2016. Kablan Duncan présentera la démission de son gouvernement avant d’être reconduit à la Primature. Le débat portait alors sur le parti unifié qu’il devait être formalisé avec le RDR de Ouattara, le PDCI de Henri Konan Bédié, l’UDPCI d’Albert Toikeusse Mabri et quelques autres. Alors que certains voyaient dans ce maintien à la Primature de Kablan Duncan la volonté de Ouattara de ne pas céder la présidentielle à un PDCI après deux mandats du RDR, la démission acceptée du gouvernement et la reconduction de Kablan Duncan se voulait un message clair : le PDCI n’était pas un parti d’opposition. Pas encore. D’autant plus que les tensions avec le président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, ne manquaient pas à la suite de « l’affaire burkinabè » du 16-23 septembre 2015 dans laquelle il était nommément mis en cause.

Kablan Duncan demeurait donc un Premier ministre « technocratique » : il conservait le portefeuille de l’Economie, des Finances et du Budget et avait pour mission « l’émergence ». Mais il n’y avait plus qu’un seul ministre d’Etat : Hamed Bakayoko, en charge de l’intérieur et de la sécurité. Un proche parmi les proches de Ouattara.

Un an plus tard, le lundi 9 janvier 2017, Daniel Kablan Duncan sera une nouvelle fois démissionnaire. Dans un contexte nouveau : la IIIè République. La nouvelle Constitution avait été adoptée par référendum le 30 octobre 2016. Elle renforçait le pouvoir exécutif et particulièrement la présidence de la République (qui, notamment, nommait un tiers des membres du Sénat nouvellement créé) tandis qu’un poste de vice-président était institué. Par ailleurs, une nouvelle Assemblée nationale résultant des législatives du 18 décembre 2016 entrait en fonction. Le RHDP l’avait emporté largement avec 167 sièges, mais perdait 40 sièges par rapport à la précédente consultation du fait, notamment, de la montée des « indépendants » qui en remportaient 76. Quant au taux de participation il n’atteignait même pas 35 % !

A l’occasion de ces législatives, Kablan Duncan sera élu, pour la premier fois, député de la circonscription de Grand-Bassam. Du même coup, affirmant « l’incompatibilité d’être membre du gouvernement et d’être présent à l’Assemblée nationale », il donnera sa démission de Premier ministre qui sera acceptée par Ouattara le lundi 9 janvier 2017. Dans le même temps, le chef de l’Etat mettrait fin aux fonctions d’Amadou Gon Coulibaly, secrétaire général de la présidence, et d’Ibrahima Tené Ouattara, son frère cadet, ministre à la présidence de la République. Dès le lendemain, Gon Coulibaly sera nommé Premier ministre dans une conjoncture difficile : revendication des militaires, grève des fonctionnaires, etc. Quant à Kablan Duncan, il obtenait le poste de vice-président de la République. Une grande première… ! A noter qu’au secrétariat général de la présidence, c’est Patrick Achi qui prenait la suite de Gon Coulibaly.

Vice-président de la République, cela ne saurait « se limiter à inaugurer les chrysanthèmes », pour reprendre la fameuse expression du général De Gaulle en 1965. Daniel Kablan Duncan ayant été ministre délégué, ministre d’Etat, Premier ministre à deux reprises sous le règne de deux présidents ayant été des adversaires politiques, se retrouvait vice-président de la République et pouvait ainsi espérer « être vizir à la place du vizir » en 2020 dès lors que l’alternance à la tête de l’Etat devait passer du RDR au PDCI dans le cadre informel du RHDP, d’un Nordiste à un Sudiste. Kablan Duncan pouvait penser avoir tous les atouts en main : la proximité avec les deux leaders politiques historiques, Bédié et Ouattara ; une démarche plus technocratique que politique ; une longue expérience des arcanes du pouvoir ; et désormais, depuis son élection comme député RHDP, l’onction des électeurs (il a été élu avec près de 88 % des voix !).

Sauf qu’Alassane D. Ouattara avait une autre vision de ce qu’il fallait à la Côte d’Ivoire. Lors du sommet de l’UA, à Addis Abeba, au début du mois de février 2020, il décidera de ne pas être candidat à sa succession pour un troisième mandat. Quelques jours plus tard, séjournant en France, il sera conforté dans sa décision. Ses proches savaient ce qu’il en était : non seulement son retrait mais, plus encore, un retrait au profit d’Amadou Gon Coulibaly, son Premier ministre. Il annoncera officiellement sa décision de ne pas être candidat devant les parlementaires ivoiriens réunis en congrès à Yamoussoukro le jeudi 5 mars 2020. Et le jeudi suivant, le 12 mars 2020, il officialisera la candidature, au titre du RHDP, de Gon Coulibaly. Il s’agissait, dira-t-il, de « confier la destinée de la Côte d’Ivoire à une nouvelle génération ». Gon Coulibaly avait 61 ans ; Kablan Duncan a 77 ans.

Dès qu’il a été informé de la décision prise à Addis-Abeba et confortée à Paris (où, « ami fidèle de la France », Gon Coulibaly aura reçu l’agrément du chef de l’Etat français), Kablan Duncan remettra sa démission au président de la République. Nous étions le jeudi 27 février 2020. Au lendemain du « Mercredi des Cendres », jour de pénitence qui ouvre la période du Carême. Ce qui ne saurait être neutre pour le fervent catholique qu’est Kablan Duncan qui aime à citer Mathieu : « Il nous faut entrer par la porte étroite. Large est la porte et spacieux le chemin qui mène à la perdition et nombreux sont ceux qui s’y engagent ; combien étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la vie et peu nombreux ceux qui le trouvent ». Kablan Duncan, après trente années passées à baisser la tête pour « entrer par la porte étroite », a dû penser qu’il était temps d’envisager de franchir une porte plus « large »… !

Il faudra plus de quatre mois – et de multiples entretiens avec Ouattara – pour que sa démission soit acceptée et officialisée. La mort de Gon Coulibaly et l’effacement de Kablan Duncan de l’ordre protocolaire dans les présentations des condoléances auront crédibilisé la rumeur. Il fallait dire les choses. Cependant, l’impact politique de la mort brutale de Gon Coulibaly – et de la nécessaire désignation d’un « candidat-remplaçant » – reléguera au second rang cette démission. Qui, finalement, ne peut qu’arranger le président de la République qui se retrouve, ainsi, les mains libres pour la suite du programme. Tandis que Kablan Duncan va se métamorphoser de vice-président de la République à électron libre. Sans que l’on sache, aujourd’hui, ce qu’il fera de cette liberté.

[Alors que j’achevais la rédaction de ce papier, l’AFP nous informait que l’ancien Premier ministre de Robert Gueï d’abord, de Laurent Gbagbo ensuite, venait de mourir. C’est dire que la Côte d’Ivoire ne cesse, en ce moment, de tourner des pages de son histoire… !]

Jean-Pierre Béjot
La Ferme de Malassis (France)
20 juillet 2020

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