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Entrepreneuriat féminin : « Aujourd’hui, beaucoup de femmes ont des activités, mais cela reste informel », déclare Aminata Touré/ Sinka

Publié le lundi 20 juillet 2020 à 21h55min

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Entrepreneuriat féminin : « Aujourd’hui, beaucoup de femmes ont des activités, mais cela reste informel », déclare Aminata Touré/ Sinka

« Il faut savoir se jeter à l’eau », dit une expression populaire. Après une licence en économie, Aminata Touré/Sinka est gagnée par le frisson entrepreneurial. Elle crée en 2016 « Lina’s Adeas », une entreprise de broderie personnalisée sur du textile. Un métier qu’elle a appris sur le tas. Dans cette interview, elle partage avec nous son expérience en tant qu’entrepreneure, ses ambitions et jette un regard critique sur la faible représentativité des femmes dans le monde des affaires.

Lefaso.net : Pourquoi entreprendre au lieu de suivre un parcours professionnel classique ?

Aminata Touré/Sinka : Depuis toute petite, j’ai été passionnée par l’entrepreneuriat parce que j’ai toujours fait de petits commerces. Une fois à l’université, j’avais toujours mon sac ou je faisais mon petit commerce. Je faisais venir des accessoires pour femmes d’Abidjan que je vendais à mes camarades. Souvent, les week-ends, je partais dans les cités universitaires aussi pour les vendre à des filles qui venaient d’autres pays et qui ne maîtrisaient pas la ville.

Pendant que je m’occupais avec le commerce en ligne sur ma page « Aminata business center », j’ai eu un boulot en tant qu’assistante de direction. Toutefois, cela ne m’a pas fait abandonner cette idée d’entreprendre. C’est pourquoi, j’ai continué à épargner de l’argent à partir de mon salaire pour un jour pouvoir avoir de quoi lancer mon entreprise. Grâce à cette épargne, j’ai acheté ma première machine de broderie pour mener mes activités et créer en 2016 Lina’s Adeas.

Quelle est la spécialité de Lina’s Adeas ?

C’est une entreprise de broderie personnalisée assistée à l’ordinaire. En effet, on dessine tout ce qu’on veut à partir de cet ordinateur grâce à un logiciel et on le transfère sur la machine qui l’imprime sur le textile. Cela nous a permis de mettre une multitude de produits sur le marché. Nous avons des layettes pour bébé, des articles d’anniversaire, de mariage, entre autres.

Est-ce que vos articles sont accessibles au citoyen lambda ?

Bien sûr. Parce que jusque-là, les clients ne se plaignent pas pour le prix que nous proposons par rapport à la qualité. Il y a des clients qui trouvent qu’on est vraiment moins cher, parce qu’ailleurs, la personnalisation coûte très cher. Souvent, il y a des gens qui restent en Europe pour commander à partir de chez nous. Je peux vraiment dire que nos produits sont accessibles.

Est-ce que vous avez une formation de base ?

Non, je n’ai pas de formation de base. J’ai appris de moi-même. Quand j’ai acquis ma machine, au départ, je ne savais pas l’utiliser. Je me suis auto-formée à travers internet et les vidéos. J’ai eu à veiller des nuits pour pouvoir me perfectionner.

Pourquoi avoir choisi d’appeler votre entreprise Lina’s Adeas ?

Lina’s Adeas vient du prénom de ma fille « Lina ». Quand j’ai donné ce nom, beaucoup de gens disaient que c’était trop compliqué mais je ne l’ai pas changé parce que c’est un nom qui me guide, qui m’inspire.

Quels sont vos projets pour la structure ?

Mon ambition, aujourd’hui, c’est de pouvoir le transformer en une école de formation en broderie numérique personnalisée pour les jeunes filles. Ça sera une première en Afrique de l’Ouest.

Quelle appréciation faites-vous de la représentativité des femmes dans le monde des affaires au Burkina Faso ?

La participation des femmes est insignifiante surtout pour ce qui concerne les jeunes femmes. Il y a ce milieu social qui dit que la femme ne doit pas trop travailler ; qu’elle ne doit pas avoir trop d’ambition au risque de ne pas pouvoir avoir une vie de foyer. On a tellement inculqué ça dans la tête des gens que ça bloque les femmes et leur avancée. J’échange souvent avec les gens, ce n’est pas l’ambition qui leur manque mais c’est la peur d’être critiqué par la société. On est 52% de femmes au Burkina Faso ; si réellement elles ne se lèvent pas pour participer au développement économique, ça sera très difficile pour elles (les femmes) de pouvoir avancer.

Nos mamans vont prendre la retraite bientôt. Qu’est-ce que nous nous faisons pour pouvoir prendre la relève ? C’est dès maintenant que ça doit commencer. De par ma propre expérience, je trouve aussi que le manque d’accompagnement adéquat n’est pas favorable au développement de l’entrepreneuriat féminin dans notre pays.

Quel est votre cri de cœur ?

Je demande aux autorités de mettre en place des dispositifs qu’il faut pour l’accompagnement de l’entrepreneuriat féminin. Ça peut être la création d’un fonds de garantie pour l’appui à l’entrepreneuriat féminin pour leur permettre d’accéder à des crédits conséquents pour pouvoir développer leur entreprise de façon grandiose. Je suggère également la tenue de formations dans le domaine de la gestion des entreprises.

Qu’avez-vous mis en place à votre niveau pour contribuer à l’épanouissement de la jeune femme burkinabè ?

Pour notre part, nous avons mis en place un centre d’incubateur 100% féminin pour aider nos sœurs à monter leur business et à débloquer des fonds. Nous souhaitons que ce centre puisse accueillir le nombre de femmes possible. Mais toutes seules, on ne peut pas. On a vraiment besoin de l’appui de nos gouvernants pour pouvoir atteindre nos objectifs.

Quelles sont les conditions à remplir pour obtenir votre accompagnement ?

Nous n’avons pas posé de garde-fous parce que notre objectif c’est de pouvoir toucher le maximum de femmes possible. Si on veut tenir compte de celles qui ont déjà le potentiel pour nous occuper d’elles ; et celles qui sont restées derrière, qu’est-ce qu’elles vont devenir ?

Donc, même celles qui n’ont pas assez de potentiel, on peut les aider à développer ce potentiel qui sommeille en elles et les accompagner à réaliser leur projet d’entreprise. Nous allons vraiment essayer de mettre en place des dispositifs nécessaires pour que les femmes non-scolarisées puissent bénéficier de notre accompagnement.

Selon vous, quelles sont les aptitudes majeures que doivent avoir une entrepreneure dans le monde des affaires ?

D’abord, il y a le courage, parce que sans courage, on ne peut pas surpasser les préjugés que la société a préparés pour nous avant notre naissance. Ensuite, il y a la détermination. La femme entrepreneure doit pouvoir convaincre les personnes qu’elle rencontre sur son chemin. Parce qu’il arrive des moments où on fait comme si elle doit donner ce qu’elle n’a pas à donner pour pouvoir avoir accès à certain nombre de choses.

Outre cela, elle doit avoir confiance en elle-même et être créative. La créativité permet de faire face à des situations imprévues qui peuvent surgir. Nous avons vu le cas de la pandémie du Covid-19. C’est une situation qui peut amener une entreprise à disparaitre alors que si on est créative ça peut nous permettre de réorienter notre entreprise pour ne pas succomber à la difficulté qui se présente à nous.

Outre la gestion de Lina’s Adeas, que fait Mme Touré ?

Je suis actuellement la présidente du Club des jeunes femmes leaders (CJFL). C’est une association de femmes qui fait la promotion du leadership entrepreneurial auprès des jeunes femmes. Dans d’autres pays, il existe pleins de femmes qui sont leaders dans leurs domaines respectifs. Ce n’est pas parce qu’on est en Afrique que ce n’est pas possible.

Mais souvent, ce sont les conditions qui manquent. Néanmoins, le CJFL est prêt à mener des actions avec l’accompagnement de la population, du gouvernement et même avec les femmes parce que si elles n’épousent pas cette envie de vouloir mettre en place des entreprises qui sont leaders dans leurs domaines, ça va être aussi difficile pour nous d’atteindre nos objectifs. Pour rappel, l’idée de la création du club est venue en 2016 mais nous avons reçu notre récépissé en août 2017.

Officiellement ça fera bientôt trois ans que l’association existe sur le terrain. Nous avons environ une cinquantaine de membres pour l’instant. Sur ce nombre, seulement une vingtaine de personnes sont actives. Ce sont les difficultés liées à la société qui font que les femmes n’arrivent pas à être très actives. Nous travaillons à résoudre ce problème.

Qu’est-ce qu’on peut retenir en termes de performance ?

Au titre des réalisations, nous avons organisé plusieurs séances de sensibilisation, des conférences, des formations et des communications web, télé et radio. Le fait de voir qu’il y a certaines femmes qui nous reviennent pour dire que grâce à vos actions aujourd’hui, elles ont pu entreprendre, cela est un motif de satisfaction pour nous.

Qui sont vos partenaires ?

Au Burkina ici, nos partenaires sont les ministères de la Jeunesse et de la Femme, la Chambre de commerce, la Maison de l’entreprise Burkina. A l’extérieur, nous avons Action fund Africa. Ce partenaire technique et financier nous a financés pour le projet de la protection de l’intimité des jeunes filles sur les réseaux sociaux. Nous travaillons pour avoir plus de partenaires possibles pour nous accompagner.

Interview réalisée par Aïssata Laure G. Sidibé
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