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Présentation du projet « Mobilisation communautaires et enjeux sociaux face au covid-19 au Burkina Faso et au Sénégal »

Publié le mercredi 15 juillet 2020 à 10h00min

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Présentation du projet « Mobilisation communautaires et enjeux sociaux face au covid-19 au Burkina Faso et au Sénégal »

Le projet multi-site de recherche intitulé « Mobilisation communautaires et enjeux sociaux face au covid-19 au Burkina Faso et au Sénégal (CORAFMOB) » part du constat que les associations ont acquis en Afrique de l’Ouest une expertise reconnue dans la participation à la riposte contre les épidémies et particulièrement l’infection à VIH. La récente flambée de la covid-19 au Burkina Faso a révélé à travers la presse et les réseaux sociaux, de multiples difficultés de communication entre les équipes de prise en charge de cette pandémie d’une part, et les patients de l’autre.

Dans les actions de riposte face à la covid-19, l’implication des acteurs communautaires a été circonscrite à la sensibilisation des populations sur les mesures barrières. Et pourtant, les équipes de prise en charge semblent plutôt démunies face aux besoins autres que médicaux des patients covid confinés dans leurs services, bien souvent avec un minimum de contacts avec leurs familles. Ces exigences particulières de la prise en charge covid font des soignants déjà assez démunis face au virus en termes de réponse thérapeutique claire, les seuls responsables, non seulement de la santé de leurs patients, mais aussi de leur alimentation, de leur hygiène (pour les plus affaiblis) et parfois, de la gestion de fin de vie dans des services qui ne sont pas préparés pour remplir ces tâches supplémentaires. Ainsi, la presse et les réseaux sociaux relatent d’incessantes récriminations de patients covid et de leurs familles sur les conditions de leur prise en charge médicale.

Accusation de rétention de l’information, de séquestration et de maltraitance de malades dont certains seraient morts sans soins et dans la solitude totale, sont les maîtres mots de d’une ambiance de soins délétère dès les premiers cas covid reçus dans les centres de santé de référence. Il en a résulté une perte de crédibilité des équipes de riposte, avec ses corollaires au niveau de la population : remise en cause de la qualité des traitements offerts par ces équipes ; résistance aux mesures barrières (couvre-feu, port du masque, distanciation physique, notamment). Le constat est que ces équipes placées en première ligne de la riposte covid sont exclusivement constituées de cliniciens, médecins et psychologues/ psychiatres. Une approche sans aucun doute bien ciblée, vue l’extrême transmissibilité du virus, la complexité de la prise en charge médicale et l’importance d’appliquer de manière rigoureuse des mesures barrières rébarbatives et presque toujours décalées par rapport aux pratiques locales de sociabilité.
La nature de l’épidémie caractérisée par un virus invisible à l’œil nu (trivial pour le scientifique mais complexe pour le citoyen ordinaire, particulièrement pour celui analphabète), par sa grande facilité de transmission avec une vitesse de propagation inégalée, par la masse de l’information en circulation dans les presses, les réseaux sociaux, marque fortement les communautés et suscite finalement la peur. Peur d’une part de contracter la maladie et d’en subir la prise en charge médicale sur une approche biomédicale tâtonnante et incertaine ; d’autre part, peur d’avoir la maladie ou d’être suspecté comme tel, et de subir la stigmatisation dans la communauté.

Dans ces conditions de grande incidence sociale de la pandémie, l’approche purement et systématiquement clinique des équipes de prise en charge soulève deux questions centrales au cœur de la riposte covid :
- Tout malade ou cas suspect covid-19 est-il un cas clinique qui appelle exclusivement une réponse médicale ?
- La seule approche clinique et individuelle permet-elle d’appréhender la dimension sociale et communautaire du covid-19 ?

L’hypothèse d’une réponse négative à ces deux questions suppose un questionnement sur la place des acteurs communautaires dans la réponse sociale et dans l’assistance aux équipes de prise en charge médicale.

Les fréquentes incompréhensions relayées dans la presse et les réseaux sociaux des patients, leurs parents d’un côté et de l’autre le personnel de santé dans le traitement de cette infection, justifie une investigation approfondie. Cette étude vise à décrire et analyser les possibilités d’une contribution plus significative des communautés dans la riposte. La médiation entre les patients et familles, la fonctionnalité des salles d’hospitalisation et de leurs commodités (toilettes notamment), l’alimentation des personnes confinées/hospitalisées sont autant de charges supplémentaires sur les personnels soignants, alors qu’elles pourraient être confiées à d’autres acteurs.

En effet, le dynamisme du tissu communautaire du Burkina Faso est connu depuis trois décennies dans toute la sous-région en matière de prise en charge globale dans le cadre de la lutte contre le VIH/Sida. Cette approche innovante de la « prise en charge globale » intégrait, et le traitement médical, et l’assistance multiforme du malade impliquant des volets de soutien psychologique, social et économique, dirigés par des bénévoles communautaires souvent constitués de personnes infectées ou affectées. Leurs expériences, si elles ne sont pas reproductibles à l’identique, peuvent au moins éclairer sur les possibilités intrinsèques et endogènes de renforcement de l’efficacité de la riposte covid par une plus grande implication des communautés.

Cependant, en inscrivant la riposte dans une approche purement « médico-technique », les ressources communautaires ne semblent pas encore avoir été intégrées dans la stratégie de contrôle de l’épidémie déployée par les autorités sanitaires. L’implication communautaire est limitée à la communication de risque, ce qui soulève des interrogations sur les articulations et interfaces entre secteurs communautaire et sanitaire dans la réponse à une épidémie covid qui a démontré ses capacités de corrosion du lien social, surtout si elle doit s’étaler dans le temps. Certaines fonctions indispensables mais non médicales de la prise en charge, si elles étaient assurées par des communautaires, permettraient probablement de libérer un temps de travail précieux aux professionnels de santé pour se consacrer à leur domaine de compétence, le traitement.

La prise en compte du rôle majeur joué par les communautaires face aux épidémies dans l’histoire de ce pays, présente les communautés comme le chaînon manquant d’une nouvelle dynamique de lutte contre la covid, notamment dans un rôle la médiation sociale pour :
- une plus grande acceptabilité des mesures barrières plutôt rébarbatives (fermeture des marchés, confinement des cas suspects, quarantaine des villes, limitation des déplacements, distanciation physique, port de masque, etc. ;
- une atténuation des effets sociaux des mesures d’isolement et de confinement (des cas suspects et des personnes en hospitalisation) souvent mal tolérées.

L’étude procédera d’abord par un état des lieux de l’action communautaire en contexte covid. Ensuite, elle s’appliquera à montrer ce que les organisations à base communautaire apportent et peuvent apporter, avec leurs contraintes et leurs limites, au travers de collaborations avec les acteurs de santé. Enfin, elle proposera des recommandations pour aider à assurer une efficacité toujours plus grande des actions de riposte avec une utilisation optimale des profils d’acteurs les plus pertinents, non seulement face à la covid, mais aussi face à tout autre risque d’épidémie.

Cette étude multi-sites est coordonnée par Professeure Alice Desclaux de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), Docteure Khoudia Sow (du Centre de recherche et de formation à la Prise en Charge Clinique de Fann (CRCF), Dakar, Sénégal et moi-même, chercheure à l’Institut de Recherche en Science de la Santé (IRSS/CNRST), pour le Burkina Faso. Enregistrée sous le numéro 2020-6-105 du Comité d’Ethique pour la Recherche en Santé (CERS), ce projet de recherche d’une durée de 12 mois va renforcer de manière durable les systèmes de santé dans les deux pays.

Blandine BILA
Anthropologue, IRSS/CNRST

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