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Prise en charge des personnes âgées : "Des fissures dans notre édifice de solidarité"

Publié le vendredi 23 septembre 2005 à 07h01min

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Daouda Traoré

Daouda Traoré est directeur général du Laboratoire national de santé public.
A ses heures perdues, il milite dans l’Association génération solidaire (AGS),
dont il est le président. Nous l’avons rencontré la veille d’une campagne
nationale que mène son association au profit des personnes âgées. Une
occasion de faire un tour d’horizon des problèmes du troisième âge dans
notre pays.

Le Pays : Pouvez-vous présenter l’AGS ? Il nous semble qu’elle n’est pas bien
connue, quoiqu’ayant 13 ans d’existence.

Daouda Traoré : L’ AGS existe depuis 1992. Son but est d’oeuvrer au
bien-être sanitaire, social, économique et culturel de la personne âgée. Sa
spécificité, c’est qu’elle a une approche générationnelle dans la mesure où
elle regroupe des jeunes, des adultes et des personnes âgées autour de
questions liées au vieillissement. L’AGS est donc un cadre d’échanges et
d’actions.

Donc, ceux qui sont surpris de voir un "jeune" comme vous à la tête d’une
association qui s’occupe de "vieux" ont une explication, désormais ?

Je crois qu’ils ont l’explication. Mais, il faut préciser que les Nations Unies
interpellent de plus en plus les consciences, à travers ce slogan qui dit :" Il faut
agir assez tôt pour agir à temps". Cela veut dire que dès le ventre de la
maman, de par l’alimentation, par exemple, le foetus commence un bon ou
un mauvais vieillissement. Pour bien vieillir, il faut faire un investissement aux
plans sanitaire, de l’hygiène de vie, et économique.

Quel sens donnez-vous à la présente campagne de l’AGS ?

Cette campagne s’inscrit dans le cadre de nos actions afin d’attirer l’attention
des gens sur la situation des personnes âgées dans notre pays.
Au-delà de la sensibilisation, il s’agit pour nous de mobiliser des moyens à
travers cette campagne pour financer les projets de l’association. Un certain
nombre d’activités est prévu et nous comptons sur la générosité des
Burkinabé pour avoir les moyens nécessaires.

Des activités sportives et des
exercices corporels sont prévus au profit des personnes âgées, jusqu’en
décembre. Ce sont des activités de maintien et de santé. Il s’agit de leur
apprendre des comportements qui vont améliorer la qualité de leur vie.
Il y a surtout le gala que nous organisons pour rendre hommage aux
personnes âgées.

Ce gala vise donc à recueillir de l’argent ? Que comptez-vous en faire ?

L’objectif visé à travers cette manifestation est de recueillir des contributions
afin d’alimenter un fonds qui va financer les activités rémunératrices des
personnes âgées. En collaboration avec les personnes âgées, des projets
prioritaires ont été identifiés pour cela. Mais celui qui nous tient à coeur est le
CARPAS (coopérative d’appui aux activités des personnes âgées et de
solidarité).

Vous savez que l’âge est devenu un handicap pour obtenir un
crédit dans les banques, alors que les personnes âgées sont des forces de
développement qui ont besoin de soutien pour produire et partager leur
expertise.

La situation des personnes âgées est- elle alarmante au Burkina ?

Il y a eu des enquêtes sur le sujet, au niveau du ministère de la Santé. Il en
ressort qu’il existe des difficultés au niveau de la prise en charge sanitaire,
des problèmes de revenus, et une image de la personne âgée qui se
détériore de plus en plus.
Ces problèmes rejoignent un peu ceux de toute la population.

Près de 46%
des Burkinabè vivent en dessous du seuil de pauvreté, et cela complique la
situation des personnes âgées. Par ailleurs, il est avéré que les personnes
âgées et les femmes sont les plus pauvres parmi les pauvres. Ils subissent
de façon plus sévère les problèmes précités. Vous savez, il n’ y a pas de
gériatrie chez nous, et tous les tabous liés à l’alimentation et la sexualité,
l’incontinence urinaire...

Il y a déjà un fonds de soutien pour les jeunes, les femmes et maintenant, un
fonds pour les vieux. Est-ce un phénomène de mode ?

Ce fonds là répond à un problème clairement posé. De plus en plus, on ne
prête plus aux personnes âgées. Que faut-il faire ? Les laisser mourir
d’inactivité alors que certaines peuvent toujours travailler, mais à leur rythme ?
Nos institutions de crédits ont calqué leurs approches sur l’Europe et sur des
critères de revenus et de rentabilité. Nous pensons qu’il y a des valeurs liées
à l’humain, ressource sociale et familiale.

La période de vieillesse correspond
à une baisse de revenus pour des gens qui ont vécu toute leur vie sur les
crédits et se retrouvent brusquement coupés du système. C’est un choc qui
vient s’ajouter à l’arrêt d’activité professionnelle. Tout cela accroît le sentiment
"d’être inutile". La CARPAS vise à combler ce vide, à maintenir une certaine
activité chez les personnes âgées et les convaincre qu’elles sont toujours
utiles à quelque chose.

Ce fonds n’est-il pas une réponse à l’échec de la politique de cohésion
sociale ?

Il faut nuancer. Une personne âgée qui a besoin de mener une activité sur le
terrain se satisferait de ce système de petits crédits pour investir dans des
projets pour valoriser son expérience. Mais, il y en a aussi qui ont vraiment
besoin de cet apport, pour subsister tout court. Cela peut traduire peut-être un
échec de notre système de sécurité sociale mais cela révèle surtout des
fissures dans l’édifice de la solidarité. Autrefois, dans nos sociétés, vieux et
jeunes vivaient ensemble et la personne âgée était le patriarche écouté et
intégré à la vie de tous les jours.

La symbiose est rompue avec la
nucléarisation de la famille, l’urbanisation galopante. Il y a une
marginalisation, voire un rejet de la personne âgée, de nos jours, qui la
confine, dans la majeure partie des cas, dans une situation de pauvreté.
Il s’agit pour nous de redonner espoir, de donner des raisons à des "vieux de
se lever pour faire du petit commerce , de l’embouche...

Vous avez parlé d’urbanisation. Est-ce que la ville africaine est faite pour les
"vieux" ?

Vous mettez le doigt sur un problème important. Les Nations Unies ont placé
l’année 1999 sous le thème d" une société pour tous les âges". Cela, parce
que les modes de vie changent avec l’urbanisation et contribuent à
l’isolement des personnes âgées et à leur mort sociale. Les villes ne sont plus
accessibles aux personnes âgées. Regardez nos bus et cars de transport ! Il
faut de l’aide pour y accéder ; la durée des feux tricolores n’est pas toujours
adaptée à la condition physique des "vieux". Ainsi, il y a de nombreux risques
d’accidents.

Dans certains pays, on a recommandé que les feux soient
adaptés à la baisse de l’acuité visuelle des personnes âgées. Il faut que la
société s’adapte aux personnes âgées, ainsi seulement, on pourra parler
d’une société pour tous les âges.
Je voudrais dire aux Burkinabé (jeunes, adultes et vieux) que la vieillesse est
une période normale. Elle succède à l’enfance et à la période adulte. Elle doit
être préparée comme toutes les autres périodes. La société doit oeuvrer pour
qu’on n’ait pas besoin d’un permis de vieillir.

L’Etat doit aussi mettre en
oeuvre des actions (cela est d’ailleurs en cours avec le ministère de l’Action
sociale et la Solidarité nationale). Il existe un conseil national des personnes
âgées" et le ministère de la Santé nous soutient chaque année. C’est bien,
mais dans ce domaine, beaucoup reste à faire pour ajouter un peu de joie
aux années ajoutées à la vie de nos aînés.

Propos recueillis par Abdoulaye TAO
Le Pays

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