LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Un homme d’affaires condamné pour avoir exploité un Burkinabè durant 12 ans

Publié le jeudi 8 janvier 2004 à 10h09min

PARTAGER :                          

Un homme d’affaires a été condamné mercredi à Marseille (sud) à 4 mois de prison avec sursis et 10.000 euros d’amende, pour avoir employé au noir, durant 12 ans, un Burkinabè sans papiers, qui lui servait d’homme à tout faire pour un maigre salaire.

Un homme d’affaires condamné pour avoir exploité un Burkinabè durant 12 ans

Colette Michel, substitut du procureur, avait requis 4 mois de prison et 5.000 euros d’amende à l’encontre de Gérard Blohorn, poursuivi pour "travail dissimulé", concluant : "Ce n’est pas de l’esclavagisme, mais on n’en est pas loin".

En l’absence du prévenu, le tribunal a doublé le montant de l’amende requise et décidé que le jugement serait publié dans un quotidien national, Le Figaro, à ses frais. M. Blohorn devra en outre verser 4.500 euros de dommages et intérêts à son ancien employé, 1.500 euros pour les frais de justice, ainsi que 2.300 euros à la sécurité sociale.

De 1990 à 2002, Alphonse Kima avait fait le ménage, la cuisine, le jardinage ou le bricolage pour la famille de M. Blohorn, dans ses propriétés de la région marseillaise (Cassis, Aix-en-Provence) et celle de Lausanne (Suisse). Rémunéré 3.000 francs (450 euros) par mois pour une dizaine d’heures de travail quotidien, selon son témoignage, il s’occupait également de l’entretien de la piscine et du bateau de son employeur fortuné.

L’association nationale Esclavage Tolérance Zéro avait dénoncé début 2003 le cas de ce Burkinabè de 45 ans.

AFP


Esclavage. Il travaillait depuis douze ans en situation irrégulière.

Alphonse Kima, esclave évadé à Marseille

C’est l’histoire trop banale d’un employé parfait, sur-utilisé et sous-payé qui depuis douze ans servait une riche famille de manière clandestine. Un esclave moderne qui aujourd’hui se rebelle.

Marseille (Bouches-du-Rhône),

correspondance particulière.

" Je travaillais de 7 heures du matin à 1 heure du matin, sans m’arrêter, surtout l’été. Au départ, j’avais été embauché pour faire le ménage. Mais, très vite, ça a été la cuisine, servir dans les réceptions, le repassage et le jardinage. J’étais aussi gardien de la propriété. "

Alphonse Kima est actuellement pris en charge par une famille de bénévoles de l’association marseillaise Esclavage Tolérance Zéro. Durant douze ans, depuis 1990, il affirme avoir été employé clandestinement dans la propriété de la famille Blohorn, située dans la station balnéaire de Cassis, toute proche de Marseille. Selon l’association, ce Burkinabé de quarante-cinq ans et père de cinq filles laissées au pays a été employé dans des conditions qui relèvent exactement de la définition de l’esclavage moderne.

" C’est un compatriote qui m’a fait entrer en contact avec Gérard Blohorn à Abidjan, où je m’étais installé avec ma famille, se souvient Alphonse Kima. Il cherchait quelqu’un pour s’occuper du ménage de sa propriété de Cassis. Une semaine plus tard, j’étais dans l’avion pour la France avec un visa de tourisme de six mois. "

Ce fils de tirailleur durant la Seconde Guerre mondiale a immédiatement commencé à travailler sur la Côte, après un bref passage dans la propriété genevoise de la famille Blohorn. Pour 3 000 francs versés de la main à la main - la somme atteindra progressivement les 6 000 francs à partir de 1998 - Alphonse Kima va devenir l’homme à tout faire de la maison. Pour les réceptions où la bonne société locale aimait à se retrouver, Alphonse va servir dans une propriété camarguaise, un château près d’Aix-en-Provence, et une résidence à Pra-Loup, dans les Alpes, appartenant à la famille Blohorn.

Le fondateur de la dynastie des Blohorn, Joseph, a fait fortune en créant en 1932 sa société qui exploitait l’huile de palme en Côte d’Ivoire. Le savon Lux était né, avant son rachat à 90 % par Unilever.

Durant douze ans, en compagnie d’autres compatriotes selon ses dires, Alphonse Kima va travailler sans se ménager dans la vaste demeure cassidaine, ne rentrant voir sa famille que tous les deux ans et bénéficiant de visas de tourisme sans cesse renouvelés. Parfois, il demandera à ses patrons sa régularisation. Durant quatre ans, son ancien passeport va lui être pris par ses employeurs, " afin qu’une avocate amie de la famille lui obtienne un titre de séjour ". Bien entendu, il n’en sera rien.

La situation aurait pu durer encore longtemps si Jérôme, un neveu d’Alphonse Kima, aujourd’hui âgé de vingt-deux ans, n’était pas venu lui aussi travailler chez les Blohorn. En l’absence d’Alphonse, rentré au pays voir sa femme et ses filles, le jeune homme a pulvérisé, sans protection, des produits chimiques sur des arbres fruitiers.

" Il a été très malade, raconte Alphonse. Mais la patronne lui disait de rentrer en Afrique s’il ne pouvait pas travailler. À mon retour, j’ai expliqué à mon neveu que c’était en France qu’on soignait le mieux. Finalement, la patronne a accepté qu’il aille à l’antenne de Médecins du monde à Marseille. C’est en s’y rendant qu’il s’est fait arrêter, sans papiers, dans un contrôle de police. " Jérôme va alors tout déballer aux enquêteurs, qui se rendront immédiatement à la résidence cassidaine des Blohorn, alors absents. Interrogé par les policiers, Alphonse va confirmer les dires de son neveu et expliquer que lui-même travaille illégalement depuis douze ans.

" J’ai alors averti mon patron qui était aux États-Unis, se souvient Alphonse Kima. Il a dit à Jérôme : "Tu fous le camp de chez moi, je ne te connais pas !" C’est à ce moment-là que j’ai compris que nous étions exploités et que les Blohorn ne feraient rien pour nous aider. "

Alphonse est alors rapatrié en Suisse, au prétexte d’une réception, où on lui demande de rentrer à Abidjan. " On m’a dit que là-bas on me donnerait un cadeau et que je pourrai revenir plus tard, reprend Alphonse. Mais je savais qu’un Marocain avait déjà été embauché à ma place. J’ai accepté de rentrer, mais à condition qu’on me paye ce qu’on me devait. Mes patrons ont refusé. " Alphonse parvient alors à se réfugier chez un cousin grenoblois avant de revenir à Marseille déposer une plainte le 12 juin dernier pour " aide au séjour clandestin d’un étranger en situation irrégulière et travail dissimulé ". Depuis, il attend que la justice se manifeste.

" L’enquête préliminaire diligentée par le parquet de Marseille semble arriver à son terme, même si je prends note de l’impatience de mon client, constate Me Anne Bouillon, le conseil d’Alphonse Kima, partie civile depuis le 21 novembre dernier. Soit un juge d’instruction va être nommé, soit, plus probablement, l’affaire fera l’objet d’une citation directe à l’audience. En ce qui concerne son titre de séjour, qu’il n’a toujours pas obtenu, on ne peut que constater un traitement désinvolte de la part de l’administration préfectorale. "

Toujours sans papiers et sans argent pour alimenter sa famille, Alphonse espère depuis six mois chez sa famille d’accueil. " Il est désespéré et a traversé de grandes périodes de découragement ", racontent Karine et Gilles, qui l’hébergent. " Parfois, il a des attitudes typiques de quelqu’un qui a été esclave, restant debout à l’office ou nous appelant Monsieur et Madame. Nous avons alerté la CIMADE au centre de rétention d’Arenc pour qu’il ne soit pas expulsé en catimini. "

De son côté, Gérard Blohorn affirme qu’il " n’est pas au courant de cette histoire. Je connais très bien Alphonse et sa famille. Je suppose qu’il raconte tout cela pour avoir des papiers. Pour le reste, je ne souhaite répondre qu’aux questions de la justice, qui doit travailler sereinement. "

Pour l’heure, la justice est sereine, mais un peu lente aux yeux enfin décillés d’Alphonse Kima.

Marc Leras
(L’Humanité du 12 février 2003. http://www.humanite.presse.fr/journal/2003-02-12/2003-02-12-258040)

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 2 février 2004 à 18:17, par Nicolas Blohorn En réponse à : > Un homme d’affaires condamné pour avoir exploité un Burkinabè durant 12 ans

    Permettez moi de faire exploser ma honte et ma colère.

    A ma grande honte je suis malheureusement un cousin de ce Gérard Blohorn qui a été condamné.

    N’ayant aucun rapport avec lui je n’étais evidemment pas au courant de ses agissements inqualifiables.

    J’aime le Burkina Faso. C’est un pays qui m’a accueilli à plusieurs reprises et ou j’ai rencontré mon épouse. Je suis très peiné qu’un de mes parents ait pu causer du tort à un burkinabé, surtout de cette manière.

    Je trouve d’ailleurs la condamnation plutôt légère compte tenu de la gravité et de la durée des faits.

    L’esclavage est une chose inadmissible.

    • Le 16 avril 2010 à 17:24, par Lilie En réponse à : Il faudrait m’expliquer...

      J’ai du mal à suivre votre façon de penser ...
      Si, comme vous le dites, vous être un cousin de Gérard Blohorn, pourquoi n’avez vous pas contacté ce dernier pour avoir SA version des faits ?
      Nous savons tous que les médias ont tendances à envenimer les choses et à les déformer.
      Je trouve scandaleux de ne pas prendre un point de vue neutre à savoir :
      L’employé n’était il pas majeur ?
      N’était il pas conscient d’être dans un pays où il n’avait pas sa place légalement ?
      Avant de parler, tournez donc votre langue 7 fois dans votre bouche...

      • Le 6 septembre 2011 à 10:30, par Lalet En réponse à : reaction bizarre

        Bizarre votre réaction.
        cet homme exploité aurait du avoir droit comme tout employé en France à une protection sociale. point.
        Il était "invité" à venir travailler chez de riches employeurs qui n’ont pas hésité à l’exploiter comme cela se pratique couramment en Afrique.Honte sur eux qui n’ont pas hésité à s’en "débarrasser" le jour ou il est devenu gênant.
        je trouve scandaleuse l’attitude de ces employeurs de sans papiers, c’est sur ce sont des employés dociles qui ne risquent pas de se plaindre !!!

  • Le 20 février 2013 à 09:33, par l’amer michu En réponse à : Un homme d’affaires condamné pour avoir exploité un Burkinabè durant 12 ans

    Ce n’est pas rare comme situation que "le travail dit,dissimulé" Pasqua et son employée philippine, Ségolène Royal condamnée aussi, et d’autres comme ces "deux ancien ministre socialistes et cet autre du centre où encore celui là de droite.

    C’est le bal des tartuffes. Sauf que pour ce Monsieur Blohorn "on en fait tout un flan.
    D’ailleurs "l’employé" était libre de repartir au pays si son sort ne lui convenait pas. Il est "exploité" le gentil garçon et il fait venir son neveu pour qu’il puisse lui aussi "profiter de son infortune" !!!
    Faut pas prendre TOUS les gens rien que pour des c°ns !

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique