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Godefroy Bazié, journaliste à la retraite : « Un journaliste, c’est la reconnaissance du public, et non celle de l’autorité ou des politiciens »

Publié le mercredi 13 mai 2020 à 23h30min

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Godefroy Bazié, journaliste à la retraite : « Un journaliste, c’est la reconnaissance du public, et non celle de l’autorité ou des politiciens »

Il est sans doute l’un des présentateurs de journal télévisé qui ont laissé leurs empreintes dans leur domaine. Admis à faire valoir son droit à la retraite, il y a une année, Godefroy Bazié, c’est de lui qu’il s’agit, a bien voulu revisiter sa vie professionnelle avec Lefaso.net, à travers cet entretien à bâtons rompus qu’il nous a accordé en cette matinée de mercredi, 6 mai 2020.

Lefaso.net : De quoi est faite une journée du journaliste à la retraite, Godefroy Bazié ?

Godefroy Bazié : La journée d’un retraité, il faut dire qu’il n’y a pas grand-chose ; on reste à la maison ou on va rencontrer des amis. Si on veut continuer dans le cadre professionnel, on peut toujours le faire. Si non, on reste tranquillement à la maison, on profite du calme, loin des angoisses professionnelles avec le stress des présentations, des reportages, des commentaires. Alors que là, tout est calme, c’est comme un long fleuve tranquille : pas de stress, on gère le quotidien. En tout cas, je me sens dans cette nouvelle vie-là, je suis moins stressé et angoissé.

Vous êtes parti à un moment où des téléspectateurs estiment que vous avez encore beaucoup à donner dans le domaine ; ce qui fait dire que le journaliste se bonifie avec le temps. Dès lors, le journaliste doit-il aller à la retraite ?

En réalité, c’est le journaliste fonctionnaire qui va à la retraite, sinon le journaliste n’a pas de retraite. Quand vous prenez les exemples des autres chaînes, vous verrez les journalistes de 60, 70 ans qui présentent toujours le journal. Ils sont appelés à servir leur public, leurs téléspectateurs. Mais c’est le journaliste fonctionnaire qui va à la retraite. C’est un métier libéral qui n’appelle pas une retraite quelconque, seule la mort peut mettre fin à ce métier-là.

En tant que fonctionnaire, j’ai fait un engagement décennal, qui est de travailler et de partir à la retraite. Sinon, je peux toujours continuer à servir. Quand j’ai même pris la retraite, j’ai été appelé par plusieurs chaînes pour continuer à travailler. Mais j’ai dit que pour le moment, je vais me reposer un peu, voir qu’est-ce que je peux faire ; si je dois repartir dans le même train-train, avec les mêmes angoisses, le même stress, les mêmes pressions. Voilà, je me tiens pour le moment à carreau.

Sinon, j’ai été contacté par des chaînes, pas des moindres ; j’ai échangé avec des responsables de certaines d’entre elles. Je remercie toutes ces chaînes qui m’ont demandé de venir continuer à travailler, parce qu’elles estiment que je peux toujours donner quelque chose de bon aux téléspectateurs. Mais, pour le moment, je prends un peu de temps pour me reposer et après, je verrai. Même si ce n’est pas pour forcement présenter le journal, mais pour animer une émission que j’aimerais bien animer.

En dehors de la présentation (journalisme), aviez-vous un goût pour d’autres domaines ?

J’ai toujours aimé faire le cinéma. J’ai beaucoup travaillé avec ceux qui font le cinéma. J’ai participé à plusieurs festivals. J’ai fait des émissions à la radio avant de venir à la télé, où j’ai pris une émission ciné. Quand j’étais à la radio, j’animais le Desk culture, parce que j’aimais le cinéma, la musique, la littérature… C’est d’ailleurs pour cela j’ai côtoyé pas mal de grands artistes. Depuis 1985, j’ai couvert tous les FESPACO. J’ai aussi participé à des festivals à l’étranger ou fait des émissions.

C’est vrai que c’est un peu difficile sur des chaînes privées, parce que les productions sont lourdes, on a besoin de plus de moyens financiers ; mais c’est intéressant qu’on puisse faire ce genre de productions. On peut aussi faire des enquêtes ; parce que j’ai remarqué que chez nous, ça manque. Dans les journaux, il y en a, mais dans les télévisions, il n’y en a pas. Il n’existe aucune émission d’enquête sur nos chaînes de télévision ici.

Les émissions en télé, c’est plus prégnant, ça prend du temps, plus de moyens, etc. Ici, seuls les journaux le font ; parce que dans la presse écrite, c’est encore moins lourd ; un seul journaliste prend son dictaphone, il peut réaliser son enquête. Alors qu’à la télé, il faut l’intervention de plusieurs personnes et beaucoup d’étapes, et ce sont des mois et des mois. Voilà ce que j’aimerais faire : une émission d’enquête. J’ai déjà fait des propositions à ce sujet, j’attends.

A cette étape de votre vie professionnelle, qu’est-ce que vous tenez comme goût d’inachevé dans la pratique du métier ?

C’est de n’avoir vraiment pas réussi à amener les gens à ne pas avoir peur de s’exprimer. Moi, je me suis exprimé, quel que soit le régime ; que ce soit sous Thomas Sankara, Blaise Compaoré, Michel Kafando ou Roch Kaboré. Je m’exprime, et quand j’ai quelque chose à dire, je le dis à l’antenne. C’est vrai que ça peut te poser quelques soucis, mais je dis : il ne faut pas avoir peur de dire ce que vous pensez dans vos reportages. J’ai vu que souvent, les gens se retiennent, quand bien même ils ont des choses à dire.

Non ! Moi, quand j’ai quelque chose à dire, je le dis à l’antenne, quitte à ce que ce soit mal vécu ou mal reçu, mais je le dis ; c’est ce que je pense. Par exemple, même dans la présentation du journal, par détour d’une phrase, je peux dire quelque chose. J’ai remarqué que les gens ont des choses à dire, mais ne se lâchent pas.

Vous connaissez le slogan du canard enchaîné : la liberté de la presse ne s’use que quand on ne s’en sert pas. Alors, si on vous donne la liberté, utilisez-la. Maintenant, il y a des choses qu’on peut censurer soi-même, parce que cela peut créer des conflits ou tensions communautaires, etc.

Quelle est la grande satisfaction que vous tirez de tout cela ?

J’ai reçu ce qu’on appelle la reconnaissance du public. J’étais à la radio, où j’ai fait seize ans ; quand je quittais, les gens disaient : vous y êtes bien, ne quittez pas la radio, etc. Quand je suis parti à la télé, où j’ai passé quatorze ans, j’ai vu encore que c’est le public. Quand je vais quelque part, on me dit : monsieur Bazié, vous êtes parti pour nous laisser. Je dis non, je reviendrai bientôt faire plaisir à tout ce public.

Je me dis donc que c’est la reconnaissance. Un journaliste, c’est la reconnaissance du public, et non la reconnaissance de l’autorité ou des politiciens. La reconnaissance de l’autorité, des politiciens est, elle, éphémère et n’est pas sincère, elle est entachée de sous-entendus. Le politicien, c’est quand vous faites son affaire qu’il est content de vous ; alors que le public, lui, est sincère : ou il vous aime ou il ne vous aime pas.

C’est vraiment ce que je retiens. J’ai été vraiment (agréablement) surpris par le public et j’ai toujours fait en sorte que je ne puisse pas être critiqué par le public. Quand je suis venu au métier, j’ai eu des gens qui m’ont bien encadré, des anciens qui étaient là, qui m’ont dit : ta vie professionnelle, c’est elle qui est plus importante ; ta vie sociale, ce n’est pas ce qui importe ton public. Socialement, tu ne pourras jamais empêcher qu’on te critique.

Mais si professionnellement, tu fais bien ton travail, c’est cela qui est essentiel. Donc, j’ai toujours travaillé pour le public ; j’ai présenté le journal pendant plus de 30 ans, je ne suis jamais venu en retard, je n’ai jamais raté une édition, je ne suis jamais venu avec mon journal incomplet. Donc, j’ai tout fait pour que cet aspect soit respecté. Après ça maintenant, je suis un autre personnage, hors antenne, vous allez me confondre à un prolétaire et je suis bien dans ma peau.

Quel a été le petit secret de ce succès ?

Le journal, c’est toute l’équipe. C’est avec les reporters, les techniciens, etc. C’est une entente avec tout ce monde. Si vous vous entendez bien, c’est déjà quelque chose de gagné. Moi, je m’entendais avec tous les journalistes, tous les techniciens, j’étais ami avec eux, on s’amusait, on rigolait. Quand vous venez nous trouver en train de préparer le journal, vous n’y croyez pas. Mais à l’heure pile, tout le monde se met au sérieux et on passe aux choses sérieuses.

Donc, un peu de la bonne humeur, mais côté professionnel, on travaillait. En tout cas, moi, j’ai toujours procédé ainsi ; pas de stress, on ne s’insulte pas. Sauf si tu viens avec un papier qui, à mon avis, n’est pas de bonne qualité. Là, je t’appelle et te dis de reprendre. Et dans la présentation du journal, je ne lis jamais le lancement (introduction, ndlr) de quelqu’un in extenso, non ! Je réécrivais systématiquement tout ce qu’on m’emmenait, j’essayais de mettre un peu d’humour dans les papiers, je parlais terre-à-terre, comme ce que le public voulait. J’ai remarqué que ça intéressait les gens que de temps en temps, tu lâches des mots, des phrases, etc.

Donc, un peu de bonne humeur, un peu de sérieux dans la présentation et, surtout, reprendre avec ta propre touche, tout ce que le journaliste t’emmène ; parce que le journaliste peut faire de longues phrases, alors que toi, ton souffre ne te permet pas de lire de longues phrases. Je reprenais donc avec mon propre style. Chacun a son style qu’il peut défendre, on ne peut pas vouloir copier le style de l’autre. J’ai toujours dit aux journalistes, vous avez votre propre style, gardez-le, défendez-le, ne copiez pas le style des autres ; parce que vous n’allez pas pouvoir être à leur auteur, vous serez une pâle copie.

Des faits vous ont certainement marqués … !

Le fait qui m’a le plus marqué, c’est quand j’ai auto-stoppé le président Thomas Sankara. Je ne pourrai jamais oublier cela, en tant que journaliste. Auto-stopper le président de la République, c’est un fait qui n’est pas anodin. C’était sur la route de son village, à Téma-Bokin. On partait, en 1986, à la pause de la première pierre du CEG (Collège d’enseignement général) de Téma-Bokin, présidée par Thomas Sankara, président du Faso.

Alors, on était trois : le journaliste qui était le reporter, John Tassembédo (John Abdoul Wahab Tassembédo), le technicien Kiéma et moi, qui venais d’arriver (j’étais accompagnant, je n’étais pas le reporter attitré). On est tombé en panne à Dapélogo. On s’est dit, comme c’est une cérémonie présidée par Thomas Sankara, si on arrive en retard, on est sanctionné ; si on n’arrive pas, on est sanctionné.

Donc, on s’est mis au bord de la route, notre véhicule était déposé, on attendait. On a vu trois véhicules qui arrivaient, ils se suivaient. Donc, on a levé nos mains et les véhicules se sont arrêtés. Le deuxième véhicule dans le rang, c’était Sankara, qui a descendu sa vitre et il a demandé : oui, c’est quoi ? On a dit : non, il n’y a rien. Il dit : mais, il n’y a rien et puis vous m’arrêtez ! On a dit : camarade président, il n’y a rien. Il dit, mais pourquoi vous m’avez arrêté alors ? On dit qu’il n’y a pas de problème. Le cortège a redémarré.

Quand ils sont partis, j’ai dit à John que si on avait dit qu’on était en panne, ils allaient nous amener. John me dit mais, on allait entrer où, dans le véhicule du président ? Notre chance, quand ils sont partis, même pas dix minutes, il y a un autre véhicule qui arrivait, on l’a arrêté, un monsieur d’une ONG, qui partait d’ailleurs à Téma-Bokin pour la même cérémonie.

Il nous y a envoyés. Sankara nous a vus encore sur place (parce que les journalistes n’étaient pas nombreux à l’époque : c’était Sidwaya, la radio et la télé) et il a dit : voilà les gens qui nous ont arrêtés-là. Il nous demande, mais pourquoi on n’a pas dit qu’on était en panne ? On a dit qu’on ne pouvait pas lui dire ça. Après, je suis allé dire à quelqu’un, qu’un président qui se comporte comme cela n’a pas longue vie ; parce que tu ne peux pas arrêter quelqu’un dans la brousse, tu ne le connais pas et il s’arrête. C’est un fait qui m’a beaucoup marqué dans ma vie professionnelle.

Quelle est l’histoire qui lie Godefroy Bazié au journalisme ?

Je peux dire que j’ai vraiment eu une chance : je voulais être journaliste. Depuis l’école primaire, quand j’étais au CM2, mon papa m’a acheté une radio et je partais à l’école avec le poste. A la récréation, je sortais, écoutais les infos et je rentrais. Donc, j’ai dit à mon papa que je voulais devenir journaliste. Il m’a dit non, qu’il ne veut pas que je sois journaliste ; parce que c’est un métier qui ne rapporte rien. Soit tu deviens douanier, soit agent d’élevage, soit instituteur. J’ai dit moi, en tout cas, c’est le journalisme que je veux.

Quand je suis arrivé au lycée en 6e à Ouahigouya, j’ai continué, je faisais des reportages de matchs, j’ai même été journaliste sportif (ça me passionnait, le journalisme sportif). Et puis, les circonstances m’ont amené à me dire à un certain moment, je laisse tomber cette histoire de journalisme-là et je passe à autre chose. Puis, je suis allé à Moukassa (Collège Saint-Joseph-Moukassa à Koudougou) où j’ai fait le second cycle.

Je n’ai pas eu la chance d’avoir le Bac. Je me suis dit que je ne vais pas redoubler pour chercher le Bac, je vais passer un concours. Je suis venu donc à Ouagadougou, j’ai fait le concours d’entrée à l’ISTIC (Institut des sciences et techniques de l’information et de la communication). On voulait cinq personnes, j’ai réussi au concours avec deux autres, dont l’élevage. Il fallait choisir, et mon papa m’a dit encore de choisir l’élevage. J’ai dit non, je vais choisir le journalisme.

C’est ainsi que je suis arrivé dans le métier. Encore, ma passion, c’était la presse écrite. Et là, j’ai été dévié ; parce que quand j’ai fini à l’ISTIC, on m’a envoyé à la radio. Finalement, j’ai accepté mon sort. Mais j’ai toujours voulu être un journaliste, mais un journaliste sportif ; parce que quand j’entendais les reporters en son temps, les Gabriel Barrois, Jean-Louis Farah Touré, quand ils parlent, je suis assis dans mon village et je « vois » tous les joueurs, alors que c’est la radio.

Ma passion, c’était vraiment le journalisme sportif. Malheureusement, j’ai essayé avec Alexis Konkobo au stade, quand j’étais en formation. Mais vers la fin, j’ai dit que je ne peux pas continuer, ça m’a un peu découragé ; parce qu’on suffoquait dans les cabines en haut. Alexis, lui, a continué.

Au moment où vous marquez une pause, quel est le regard que vous portez sur le métier au Burkina ?

Quand nous avons commencé le journalisme, c’était une seule direction ; ce sont les médias d’Etat. Tous les journalistes, c’était dans ce cadre-là. C’était difficile de critiquer l’Etat, tout en prenant son argent. Mais après, il y a eu une ouverture, ça a permis un foisonnement de journaux, de radios, de télévisions, de presse en ligne. Tout cela a permis au métier de journalisme de grandir.

Quand quelque chose se passe, vous avez des avis différents et je trouve que tout cela a contribué à donner largement ses lettres de noblesse au journalisme burkinabè. C’est vrai qu’il y a eu quelques fois des manquements, parce que la formation, ce n’était pas ça ; beaucoup de journalistes sont venus sur le tas. Mais toute proportion gardée, ce que le journalisme a apporté est plus important (c’est vrai que parfois, on a intenté des procès contre des journalistes, mais c’est minime par rapport à sa contribution au développement, à l’éveil des consciences).

Vraiment, le journalisme burkinabè a fait un pas de géant. Tout cela, parce qu’il y a eu cette ouverture qui a permis d’avoir une presse diversifiée, l’arrivée de la presse privée. Il y a beaucoup de pays qui n’ont pas, même s’ils sont dits pays à démocratie, atteint notre niveau en matière de radios, de télés, etc., comme chez nous.

Je me sens vraiment là-dedans, je ne suis pas dans cette guerre où on dit tout le monde se réclame journaliste, il y en a qui n’ont pas fait l’école de journalisme, etc. C’est comme dans le monde du cinéma où on dit qu’il y en a qui font de la vidéo, le 35 mm…, que ceux qui viennent d’arriver ne sont pas des cinéastes.

C’est faux, tout le monde est cinéaste ; parce que chacun apporte sa contribution. Si vous regardez Nollywood TV, c’est la vidéo, mais est-ce qu’on bat les Nigérians en matière de cinéma ? Non. Donc, on ne peut pas faire cette guerre pour dire qu’on a amené des gens, donc on a galvaudé la profession. C’est une guéguerre qui n’a pas sa raison d’être.

Des insuffisances à prendre en compte !

Effectivement, parce que tout le monde n’a pas la déontologie du métier, la formation n’a pas été dispensée à tout le monde. Mais c’est vraiment minime par rapport à ce que ça a apporté comme contribution au développement.

Quelle est l’étape qui vous a le plus marqué dans votre carrière ?

Je peux dire que c’est la période de la Révolution qui m’a le plus marqué. En tant que journaliste, j’avais toujours de la matière. Sincèrement, au temps de la Révolution, on avait toujours de la matière.

Et c’était lié à l’animation même de la vie politique ?

Tout à fait. J’étais le correspondant de monitoring de RFI pendant plus de dix ans, mais j’avais toujours de la matière. Les responsables de la radio m’appelaient à chaque moment pour me demander un élément sur tel ou tel autre aspect, une déclaration de Sankara, etc.

C’était une période où les journalistes avaient toujours de la matière. Aujourd’hui, vous avez des périodes où on n’a rien, ce sont des ateliers, des sujets qui ne sont pas passionnants pour un journaliste, alors que le journaliste veut un sujet qui soit l’action, vivant.

Mais la liberté ne semblait pas s’exprimer comme aujourd’hui !

Elle était vraiment très encadrée. Les anciens qui étaient là depuis la troisième République n’étaient pas contents ; parce que, eux, ils étaient à un moment où ils s’exprimaient comme ils voulaient. Alors que Sankara, avec la RDP (Révolution démocratique et populaire), a redéfini les choses, on avait une auto-censure et une censure.

Ça fait que les anciens étaient échaudés, ils trouvaient que la période n’était pas favorable au journalisme. Par contre, nous qui n’avions jamais fait le journalisme, on a trouvé que c’était quelque chose de passionnant. Sinon, on n’avait pas la liberté de dire. Mais Sankara n’était pas quelqu’un qui pouvait venir s’immiscer dans le journal pour ordonner ceci ou cela, non. J’ai fait tout ce temps, je n’ai jamais vu quelqu’un du CNR (Conseil national de la révolution) venir à la rédaction pour dire de faire ceci ou cela.

C’est parce que nous-mêmes on avait peur, on faisait de l’auto-censure, on avait peur du mercredi (conseils des ministres où tu as ton nom soit dans les suspendus, soit dans les dégagés, soit dans les licenciés). C’était cela qui était la hantise de tous les journalistes. Mais, sincèrement dit, je n’ai pas en mémoire qu’un journaliste ait été emprisonné pendant la Révolution, pour fait du journalisme.

Comment avez-vous managé vos rapports avec votre hiérarchie, pour le journaliste libre que vous étiez au sein d’un média d’Etat ?

C’est vrai…, même tout récemment, avant de quitter la RTB, un jour, j’ai fait un clash avec mon chef. J’ai pris mon sac et ma veste, puis je suis parti. Je ne peux pas faire le conducteur de mon journal, et toi tu viens, tu inverses pour mettre des éléments qui t’intéressent. Je lui ai simplement dit que je m’en vais et j’ai ramassé mes affaires.

C’est là qu’il m’a rattrapé à la porte et m’a dit de revenir faire comme je l’entendais. Donc, il y a des moments où on avait des clashs. Si je sens mon journal, le chef peut, à la limite, me suggérer et non refaire le conducteur. On a une équipe de rédaction, si c’est elle qui dit qu’on fait comme cela, il n’y a pas de problème.

Mais le chef ne peut pas venir s’arrêter sur l’ordinateur et dire voilà le conducteur. Je disais que si c’est ainsi, je ne présente pas ; s’il veut, il présente. Moi, je m’en vais. Donc, avec les responsables, il y a des moments on a eu des clashs, il y a des reportages qu’on a refusés de faire …

… la clause de conscience !

Tout à fait, cette clause de conscience nous amène à refuser certaines choses.

Aujourd’hui, tout est porté sur le coronavirus, qui a imposé l’actualité, dans un parterre de défis. Etes-vous satisfaits du traitement de l’actualité dans ce contexte ?

Comme on le dit, le monde est devenu un village planétaire, si fait que ce que nous vivons ici, c’est peut-être ce qu’on a importé de l’étranger. En Amérique, en Europe, tout le monde ne parle que du coronavirus. Alors que le sujet, c’est vrai, il doit être évoqué, mais il ne doit pas être le seul sujet ; parce qu’on a toujours les attaques terroristes qui sévissent, des maladies qui font mal aux Burkinabè.

Donc, si nous on s’est laissé embarquer, ça devient une sorte de spirale de laquelle on ne sort pas. C’est le coronavirus qui nous impose son tempo et nous, nous courons après ça. Et moi, je trouve que souvent, on en fait trop. C’est vrai que c’est l’actualité, mais elle ne doit pas nous faire perdre de vue des sujets qui impactent la vie des populations (vous verrez que dans certains quartiers de Ouagadougou, il y a de longues files devant les fontaines pour avoir de l’eau).

Je trouve qu’il y a une surmédiatisation en ce qui concerne le coronavirus. C’est vrai que c’est une pandémie, c’est sérieux, ça fait des morts, mais on ne doit pas oublier ces éléments de la vie qui intéressent nos populations. Ce n’est pas sûr que l’habitant du pays profond, le coronavirus l’intéresse ; lui, ses préoccupations sont ailleurs. J’ai l’impression qu’il y a un certain mimétisme ; parce que tout le monde fait, donc on fait.

Si on peut vous arracher des conseils pour des jeunes que vous avez fait rêver du métier, ils seraient lesquels ?

A tous ces jeunes qui veulent faire le journalisme, faites le métier avec passion, sans arrière-pensée. N’attendez pas grand-chose, ni du public, ni des pouvoirs publics, ni des politiciens. Faites-le et vous verrez que, chemin faisant, vous serez bien accueillis et vous aurez une satisfaction morale d’avoir fait quelque chose dans votre carrière et dans votre vie. Faites-le avec passion et envie.

Il y a beaucoup de gens qui sont passionnés, ils sont habités par le journalisme, ils l’ont pratiqué et ils ont réussi. Norbert Zongo était enseignant, il est arrivé dans le journalisme parce qu’il avait la passion et il a réussi (aujourd’hui, tout le monde parle de lui, des années après sa mort). Donc, c’est la passion ; c’est ce qui l’animait qu’il a exprimé. Donc, il faut pratiquer le métier avec passion, avec désintérêt.

Ce que je peux leur dire encore, c’est de ne pas trop écouter ce que les gens disent ; un journaliste ne peut pas faire plaisir à tout le monde, il fait son travail, il aura toujours des ennemis. Ne jamais chercher à plaire à tout le monde. En 34 ans de métier, si je n’avais pas de passion, ça allait être très difficile de de tenir en haleine mon public tous les jours.

Entretien réalisé par Oumar L. Ouédraogo
Cryspin Laoundiki (vidéo)
Mariam Sagnon (vidéo et montage vidéo)
Bonaventure Paré (photo)

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