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Tests du Covid-19 : « Depuis le 6 avril, nous avons analysé 1 009 échantillons », Pr Jacques Simporé du Centre de recherche biomoléculaire Pietro-Annigoni (CERBA)

Publié le mercredi 13 mai 2020 à 12h30min

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Tests du Covid-19 : « Depuis le 6 avril, nous avons analysé 1 009 échantillons », Pr Jacques Simporé du Centre de recherche biomoléculaire Pietro-Annigoni (CERBA)

Dans le cadre de la lutte contre la maladie à coronavirus, le Centre de recherche biomoléculaire Pietro-Annigoni (CERBA) a été retenu par le ministère de la Santé pour effectuer des tests de Covid-19. Quels sont les types d’échantillons analysés ? Est-il possible de faire des tests sanguins ? Les résultats sont-ils fiables ? Ce sont autant de questions auxquelles a bien voulu répondre Pr Jacques Simporé, docteur en génétique moléculaire et directeur du CERBA.

Lefaso.net : Professeur Jacques Simporé, en consultant votre curriculum vitae, on remarque qu’à votre actif, vous avez deux masters et deux doctorats PhD. Vous êtes docteur en génétique moléculaire et également docteur en bioéthique-éthique. Vous êtes professeur titulaire de génétique moléculaire et de biologie moléculaire à l’Université Joseph-Ki-Zerbo (UJKZ), recteur de l’Université Saint-Thomas d’Aquin (USTA) et directeur du Centre de recherche biomoléculaire Pietro-Annigoni (CERBA). Et enfin, vous dirigez le Laboratoire de biologie moléculaire et de génétique (LABIOGENE) de l’UJKZ, reconnu Centre d’excellence par l’UEMOA. Professeur, votre CV est très riche en responsabilités et en expérience universitaire de haut rang. Parlez-nous de votre parcours, de vos travaux et de vos résultats.

Pr Jacques Simporé : Je vous remercie pour l’opportunité que vous m’offrez d’évoquer mes centres d’intérêt qui sont aussi des préoccupations scientifiques et sociales. Après le baccalauréat, j’ai d’abord fait six ans de philosophie et de théologie au Grand séminaire. Ensuite, j’ai repris les études biomédicales pour dix ans à l’issue desquelles, j’ai soutenu ma première thèse de doctorat en génétique moléculaire appliquée aux sciences médicales à l’Université de Brescia, en Italie, en 2001.

Après cela, je ne sais pas quelle mouche m’a piqué, je me suis mis à faire un autre master en éthique-bioéthique, suivi de la deuxième thèse de doctorat (PhD) en bioéthique-éthique à l’Université Regina Apostolorum à Rome, toujours en Italie.

Pour ce qui est de la recherche, je travaille dans plusieurs domaines, surtout au niveau des maladies génétiques. Les champs d’investigations sont nombreux. Je citerai la drépanocytose, le glaucome, la Glucose-6-phosphate déshydrogenase (G-6-PD), la Dystrophie musculaire de Duchen (DMD), les gènes humains qui régulent l’infection, la clairance, l’amplification de l’ADN viral, la pathogénicité des Virus de l’hépatite B (VHB), des Virus du papillome humain (VPH), des Virus de l’immunodéficience humaine (VIH), les gènes qui induisent ou régulent les pathologies cardiovasculaires, le cancer du sein, le cancer de la prostate, etc.

En plus de cela, mes équipes et moi-même effectuons des travaux de recherche au niveau de la parasitologie en lien avec le paludisme et la toxoplasmose ; au niveau de la bactériologie, notamment les résistances génétiques bactériennes aux médicaments ; au niveau de la virologie allant du VIH, VHB, VHC, HHV6, HHV8, HPV, rotavirus, norovirus au virus de la dengue sans oublier les résistances virales aux médicaments. A cela s’ajoutent nos recherches scientifiques sur les alicaments à savoir la spiruline et le moringa et les phyto-médicaments en collaboration avec les tradipraticiens.

Les résultats scientifiques engrangés sont aussi nombreux. Nous comptons 346 publications scientifiques dans de nombreuses revues comme Nature, Sciences, Nature Genetics, Nature Communication, Lancet Haematologies, Genes and immunity, etc., dont plus de 200 de ces publications sont indexées dans PubMed avec H index de 42 dans Google Scholar.

En sus, plus de 415 séquences d’ADN qui portent nos noms sont déposées dans Genbank internationale. Enfin, dans le passé, nous avions déposé deux brevets d’invention à Genève : le premier avec l’équipe du Pr Luc Montagnier sur le VIH et le second avec une équipe italienne de l’Université de Rome Tor Vergata sur le virus de l’hépatite C (VHC).

Vous êtes également le directeur du CERBA. Que fait ce centre ?

Le Centre de recherche biomoléculaire Pietro-Annigoni (CERBA) qui est une œuvre des Camilliens a été construit en 2006. Au début, c’était le ministère de la Santé qui voulait ériger ce centre de recherche de phytothérapie, parce que dans les années 1998-1999, le VIH/Sida qui battait son plein et les antirétroviraux (ARV) qui coûtaient extrêmement cher à l’époque, n’étaient pas encore disponibles au Burkina Faso.

Certains tradipraticiens qui prenaient en charge des personnes infectées par le VIH se sont approchés du ministère de la Santé et ils ont signé un protocole d’accord pour la recherche et la validation de leurs expériences thérapeutiques en phytothérapie. C’est dans cette optique que le département de la santé nous a demandé de suivre scientifiquement ce que font ces tradipraticiens.

Selon le protocole établi, avant que les tradipraticiens ne donnent leurs phyto-médicaments aux malades du Sida, chaque patient devait subir des examens cliniques et biologiques (numération du taux des CD4 et CD8, charge virale du VIH, créatinémie, transaminases).

Durant le traitement, tous les trois mois, les patients subissaient les numérations des CD4 et CD8, la créatinémie et les transaminases ; et tous les six mois, en plus des examens ci-dessus cités, ils avaient à faire la charge virale du VIH. Depuis 1998 jusqu’aujourd’hui, certains de ces malades n’ont pas pris des antirétroviraux et ils vont bien jusqu’à présent. Malheureusement, le Dr Joseph Dabogo Sia, qui s’occupait d’eux, est décédé. Et depuis sa disparition, nous n’arrivons plus à bien suivre ces patients sous phytothérapie.

Pour revenir au parcours du Centre, comme le ministère de la Santé n’arrivait pas à le construire, il avait demandé à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de le faire. L’OMS tardant à réagir, une dame italienne, connaissant le problème, se proposa de construire le centre à condition qu’on donne le nom de son regretté époux à cette institution de recherche.

On s’est dit : « Mais si ce n’est que ça, c’est bon à prendre ; on donnera son nom et son prénom au centre ». C’est ainsi qu’elle construisit le centre qui s’appelle alors « Centre de recherche biomoléculaire Pietro-Annigoni » (CERBA).

Plusieurs équipes travaillent au sein du CERBA. On y effectue également le Forensic, c’est-à-dire les empreintes génétiques, en d’autres mots, des tests d’ADN dans le cadre de la recherche. Ces tests d’ADN peuvent se faire à partir des cheveux, des ongles, du sperme, de la cyprine, d’une goutte du sang d’un individu, etc.

On peut le faire également à partir d’un vêtement, d’un objet ayant appartenu à une personne sur laquelle on cherche à identifier une cellule. En effet, dans des scènes de crime, ces techniques d’empreintes génétiques sont employées pour identifier le coupable. Ces mêmes techniques sont utilisées également pour les tests de paternité.

Votre laboratoire a été retenu pour faire les tests de détection du Covid-19. Combien d’échantillons recevez-vous par jour ?

Je ne peux pas parler par jour. Mais depuis le 6 avril 2020, date de démarrage des analyses, à ce jour 8 mai 2020, nous avons analysé 1 009 échantillons.

Ce sont quels types d’échantillon ?

Ce sont des échantillons naso-pharyngés (prélèvement à travers le nez) ou oro-pharyngés (prélèvement à travers la bouche).

Existe-il des tests sanguins ?

Il y a des tests rapides avec lesquels on utilise le sang total, le sérum ou le plasma. Mais la technique que nous utilisons est un système d’examen -appelé dans notre jargon en anglais « Polymerase Chain Reaction » (PCR)- en temps réel qui utilise les échantillons d’ADN extraits. C’est une technique très fiable par rapport aux tests rapides (immuno-enzymatique en ELISA) utilisant les anticorps ou les antigènes.

Quand vous recevez les échantillons, au bout de combien de temps on a les résultats ?

Jusqu’à présent, quand on reçoit les échantillons le matin à 8h, les résultats sont disponibles le soir au plus tard à 21h, selon le nombre d’échantillons reçus.

Vous attestez de la fiabilité des résultats ?

Oui, parce que dans le système en PCR en temps réel, il y a le contrôle positif et le contrôle négatif. En sus, tout est automatisé : l’extraction de l’ADN, son amplification et sa quantification. Les résultats sont automatiquement lus et interprétés par un logiciel incorporé à l’appareil. Nous avons également des contrôles externes.

Certaines personnes trouvent que le Burkina Faso, contrairement à d’autres pays, n’effectue pas beaucoup d’analyses. Du coup, on passe à côté de personnes potentiellement malades. Quelle est votre lecture ?

Je pense qu’on fait l’effort de faire de plus en plus de tests pour détecter les personnes atteintes du coronavirus. Désormais, on fait des tests non seulement aux personnes symptomatiques, mais aussi à leurs contacts récents. Au regard de l’importance de la demande des réactifs PCR pour le dépistage du SARS-Cov-2 à travers le monde et de la capacité de les produire, leur disponibilité ne nous permet pas de couvrir tous nos besoins.

L’idéal serait d’aller plus loin comme le fait la Corée du Sud avec des dépistages de la Covid-19 tous azimuts, même au bord des rues. Mais il faut reconnaître que nous n’avons pas les moyens de la Corée du Sud. Chacun fait selon la politique de ses moyens.

Etes-vous optimiste quant à la capacité du Burkina Faso à venir à bout de cette épidémie de Covid-19 avec le relâchement des mesures restrictives que l’on constate ces derniers jours ?

Je suis convaincu que si les mesures restrictives sont en train d’être levées, c’est que l’évolution de la pandémie au niveau local a été analysée et appréciée par les autorités en charge de la santé publique. On peut aussi se tromper en analysant la réalité. Le cas du Ghana sert d’exemple. Après le déconfinement, ils ont multiplié le nombre de cas par deux. On espère que ce ne sera pas le même scénario ici. La chaleur aussi nous aide.

Dans une zone fraîche, le temps de survie du virus à l’air libre est plus long, contrairement à une zone chaude où il vit moins longtemps. On espère que le virus sera éradiqué. Cependant, il n’y a que le respect des mesures barrières, surtout le port du masque, la distanciation et le lavage des mains, qui nous permettra de contenir et d’éradiquer la maladie.

Revenons au CERBA. Quelles sont les activités qui y sont menées ?

En plus de ce qui a déjà été dit en réponse à votre première question, nous avons une file active de près de 400 malades du Sida que notre équipe suit au CERBA avec les ARV.

Depuis l’ouverture du CERBA en 2006, combien d’étudiants avez-vous formés ?

Depuis 2006, on a eu beaucoup d’étudiants de l’Université Joseph-Ki-Zerbo, de l’Université Saint-Thomas d’Aquin (USTA), de l’Université Nazi-Boni de Bobo-Dioulasso (UNB), de l’Université catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO), même de l’Université de Lomé au Togo, des universités du Congo-Brazzaville et du Gabon. Ces étudiants viennent pour leur mémoire de master/DEA ou leur thèse de doctorat.

On a également reçu des étudiants provenant des Etats-Unis, de l’Europe (Italie, Suisse, France) qui sont venus faire des stages. Mais ceux qu’on a encadrés comme étudiants qui ont fait le doctorat (PhD) sont 39 ; pour le doctorat en médecine ou en pharmacie, ils sont 25.

Donc, si on cumule les deux doctorats (PhD et les doctorats dits d’exercice), il y a 64 étudiants au total qui ont été encadrés pour leurs thèses au CERBA. En outre, il y a 102 étudiants qui ont fait leurs travaux de recherche de master au CERBA. C’est un laboratoire de référence de l’UEMOA et en même temps, c’est un laboratoire de référence nationale pour les Virus du papillome humain (VPH).

Nous sommes au terme de l’entretien, professeur. Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez ajouter ?

Je voudrais féliciter le Dr Cyriaque Paré, notre cher « esclave ». Il fait de belles choses. Son site web est excellent et bien animé. Nous le félicitons pour son professionnalisme. Il faut qu’il aille de l’avant !

En tant qu’observateur et acteur de la scène sociale au Burkina Faso, je voudrais me permettre de dire ceci à l’endroit de mes compatriotes : « Jouons balle à terre et cartes sur table ». Faute de quoi, nous évoluerons tous vers la dérive. On ne va pas réinventer la roue ; on peut l’améliorer, mais pas la réinventer. Il faut que nous tenions compte de la tradition pour évoluer.

Actuellement, pour la moindre chose, on conteste. Même les cheveux blancs ne sont plus signes de sagesse dans le pays des Hommes intègres ! Soyons positifs et non négatifs. La vie ne s’inscrit pas au brouillon pour être transcrite au propre : c’est du direct. Arrêtons de toujours pleurnicher : « Ça ne va pas, ça ne va pas » ! C’est vrai que ça ne va pas, mais ça pourrait être pire. C’est vrai aussi que ça pouvait être mieux !

Mais je demande qu’on voie positivement les événements, soyons des gens optimistes et non des individus qui critiquent à tout bout de champ en ignorant bien souvent les sources. On pense que chacun connaît tout, connaît plus que Arias qui a tout lu, tout vu, tout entendu, tout touché en ce monde des vivants. Personne ne viendra du dehors du Burkina Faso pour travailler sans nous pour notre propre développement.

Il faut donc des compromis et des concessions. Il faut qu’il y ait l’unité et qu’on combatte ensemble le bon combat contre le coronavirus, contre l’ignorance, contre la pauvreté, afin de bâtir notre chère patrie.

Entretien réalisé par Justine Bonkoungou et Mariam Sagnon
Lefaso.net

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