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Chronique de la métamorphose du Burkina Faso de Blaise Compaoré (10)

Publié le lundi 19 septembre 2005 à 07h38min

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Maurice Yaméogo

"Tout ce qui est organisé est bureaucratique". C’était au temps du Conseil national de la révolution (CNR). Avant que le Front populaire ne vienne bousculer la vie politique, économique, culturelle et sociale du Burkina Faso.

Bien avant que le pays ne se dote d’une constitution, d’institutions démocratiques (dont une Assemblée des députés du peuple) et n’élise au suffrage universel un président de la République.

Six années ne s’étaient pas encore écoulées depuis le 15 octobre 1987 qui allait permettre de mettre en oeuvre la politique de "rectification" voulue par Blaise Compaoré. Six années intenses. Une autre révolution. Le pragmatisme politique et économique était à l’ordre du jouer. En rupture totale avec le dogmatisme au jour le jour des années précédentes.

Compaoré me disait alors : "Notre ambition, aujourd’hui, c’est la démocratie pour le développement. Cela suppose de larges libertés, de larges initiatives afin de permettre à ceux qui le souhaitent d’entreprendre". Il ajoutait : "L’avantage, c’est que cette perception que nous avons eue d’une nécessaire évolution a été relayée par le mouvement international" .

Pour un peu, je pouvais penser, en ce mois de juin 1993 où je séjournais alors au Burkina Faso, que la démocratie libérale entendait tenir les promesses de la Révolution. Le fait, unique dans les annales de l’Afrique contemporaine, que ce soit les mêmes hommes qui aient autrefois, été les promoteurs de l’Etat d’exception et, aujourd’hui, de l’Etat de droit, était, plus qu’une source d’inquiétude, la certitude d’un savoir-faire politique et d’une absence de naïveté en matière économique. Du passé, il n’était pas question de faire table rase tout de suite.

"Tout ce qui est organisé est bureaucratique". En 1993, les vieux slogans du mitan des années 1980 sont bien oubliés. Le Burkina Faso s’est, au plan économique, engagé dans une vaste politique de privatisation de ses entreprises. Pas grand chose : une bonne vingtaine d’entreprises pour le premier lot dont aucune n’est de "service public". Mais des entreprises qui existent et qui tournent. C’est Zéphirin Diabré, docteur en économie, député, enseignant à l’université avant de rejoindre le secteur privé (groupe Castel), un "libéral", qui est alors ministre de l’Industrie, du Commerce et des Mines (il est aujourd’hui administrateur associé du Pnud et vient de créer à Ouagadougou l’Institut Afrique moderne, le premier think-tank d’Afrique francophone).

La privatisation, ici, sera menée sans drames. "C’est une politique économique, m’expliquait alors Jean-Hubert Yaméogo, président de la Commission de privatisation. Ce n’est pas une revendication de qui que ce soit. A un certain moment, l’Etat a joué un rôle aussi bien qu ’il le pouvait. Mais on a pris conscience qu’il assumait moins bien certaines actions que ne le
faisaient les opérateurs économiques privée. Aujourd ’hui, nous considérons que l’Etat, qui ne dispose pas de beaucoup de moyens, a d’autres missions à mener à bien.. construire des routes, ouvrir des écoles et des dispensaires... Son rôle n’est pas de fabriquer des vélos ou de produire des savons. Il s’agit donc, désormais, de recentrer l’Etat dans son rôle traditionnel pour lui
permettre d’assumer correctement ses tâches prioritaires".

Tener R. Eckelberry, conseiller technique auprès de la Commission de privatisation, me confiera : "La politique menée ici est exemplaire d’une démarche sereine et bien construite. Tous ceux qui sont concernés par le processus considèrent qu’effectivement c’est le bon exemple".

Je fais le tour des privatisables. J’ai vu certaines d’entre elles se créer et se développer dans les années 1970 ; elles sont des filiales de groupes "africains" français : la Somdiaa des Vilgrain père et fils ; la CFAO désormais dans l’escarcelle de François Pinault ; la Scoa de Jacques Marcellin ; la CFDT ; le groupe Castel ; le groupe Bolloré, etc.

Je rencontre le premier "repreneur". C’est une femme, Alizéta Ouédraogo (dont la famille se retrouvera, par la suite, alliée par mariage, à celle du président Compaoré), qui a repris la Société burkinabè des cuirs et peaux (SBCP).

A Ouaga et ailleurs, je rencontre principalement des politiques et des hommes (et femmes) d’affaires. La classe dirigeante est encore jeune ; le chef de l’Etat, son premier ministre, les principaux animateurs du gouvernement ont tout juste la quarantaine. La libéralisation des énergies consécutive à la démocratisation de la vie politique et au libéralisme économique profite à tout le monde. Pour le meilleur et pour le pire.

Le pire, c’est l’affairisme avec ce qu’il implique de compromissions politiques et de malversations ; c’est la montée en flèche de la prostitution dans sa version "deuxième bureau" certes mais, également, la plus sordide : celle du trottoir ou, plus exactement à Ouaga, des terrains vagues ; c’est une jeunesse qui a perdu d’un seul coup ses pôles de référence.

Après les années de fer et de sang, les Burkinabè ont besoin de respirer. Parfois un peu trop goulûment ; l’ivresse de l’altitude guette ceux qui veulent aller trop vite, trop haut. Il y avait trop d’interdits. Il n’y a plus de repères. "Je fais du profit ; on profite". Et puis, malgré l’amélioration générale de l’économie, la situation demeure difficile pour les plus démunis. Les services de santé sont encore quasi inexistants ; les médicaments sont chers et plus encore rares ; l’analphabétisme est une donnée générale.

Si Ouaga parvient à faire illusion dans certains domaines, dans les provinces la pauvreté et le dénuement restent la règle. Quelques très riches ne font pas oublier qu’il y a une large majorité de pauvres et, plus encore, de très pauvres. Ceux qui ont espéré en une révolution redistributrice ont été frustrés ; mais n’ont pas tous abandonné, pour autant, leur idéal "social".

Naissance et mort d’une Révolution. Dix ans après le 4 août 1983, le pouvoir fera l’impasse sur cet anniversaire ; six ans après le 15 octobre 1987, même silence. Heureusement, Maurice Yaméogo "père de l’Indépendance", le fameux "Monsieur Maurice" (par ailleurs père de Hermann Yaméogo, ministre d’Etat dans le gouvernement de Youssouf Ouédraogo), est mort le 15 septembre 1993. Le Burkina Faso se souvient qu’il a une histoire : celle de la Haute-Volta.

Le 17 septembre 1993, donc, dans l’après-midi, à Koudougou, capitale de la province du Bulkiemdé, il y avait là Blaise et Chantal Compaoré, le couple présidentiel, Alassane Ouattara, Premier ministre de Côte d’Ivoire, Laurent Dona Fologo, secrétaire général du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA), Joseph Kokou Koffigoh, Premier ministre du Togo (Compaoré s’implique beaucoup, à cette époque, comme médiateur dans la crise politique togolaise), Robert Dossou, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération du Bénin. La France, qui a la mémoire courte, n’avait pas jugé utile de dépêcher un de ses représentants. Il y avait aussi le "trio" présidentiel : Aboubacar Sangoulé Lamizana, Saye Zerbo et Jean-Baptiste Ouédraogo, qui furent chefs de l’Etat voltaïque de 1966 à 1980, de 1980 à 1982 et de 1982 au 4 août 1983. Trente-trois années d’indépendance étaient ainsi reconstituées à travers ces hommes.

Quand les cors mossi, les flûtes et les tambours se furent tus, c’est à Bougouraoua Ouédraogo, le seul Mossi ayant participé à la fondation du RDA, que reviendra l’honneur de prononcer l’éloge funèbre au nom des" anciens". Youssouf Ouédraogo prendra la parole pour rappeler que "sa réhabilitation [celle de Monsieur Maurice], intervenue en 1991, n’aura été que justice rendue à celui qui a consacré la plus grande partie de sa vie à lutter pour le bonheur et la prospérité de son peuple".

L’ombre de Thomas Sankara, sans doute, devait planer à proximité du cercueil ; même si les rapports entre les deux hommes ne furent pas les meilleurs. Il faudra encore du temps pour que le Burkina Faso se réconcilie avec son passé récent !

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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