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Youssouf Ouédraogo : "Le rôle du Burkina Faso en Afrique et ailleurs, c’est d’aider à créer et à approfondir la démocratie"

Publié le jeudi 8 janvier 2004 à 10h32min

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Du 27 au 30 novembre dernier, s’est tenue à Ouagadougou la IXe conférence des ambassadeurs et consuls généraux du Burkina Faso. Une occasion pour nos diplomates de faire un bilan des actions passées et de repartir sur de nouvelles bases à même de maintenir haut le flambeau du Burkina Faso à l’extérieur.
"Société civile et relations internationales", était d’ailleurs le thème de cette rencontre biennale. Plus que quiconque, le ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, M. Youssouf OUEDRAOGO nous a semblé le mieux placé pour en faire le bilan.

Nous en avons profité pour aborder avec lui d’autres questions non moins importantes sur la crise ivoirienne (tout naturellement), la santé diplomatique de notre pays et nos relations avec les Etats-Unis d’Amérique d’où il revenait justement.
Une interview exclusive qui répond fort à propos aux insinuations de ceux qui affirment sans honte que le Burkina Faso serait isolé au plan international.

Monsieur le ministre d’Etat, à quoi tient la conférence des ambassadeurs et consuls généraux dont la dernière édition vient d’avoir lieu à Ouagadougou ?

Youssouf Ouédraogo :
Comme vous le savez, les ambassadeurs sont les représentants personnels du chef de l’Etat dans les différentes régions du monde. Ils représentent aussi le gouvernement et l’Etat burkinabè. Ainsi, ils sont chargés de défendre les intérêts du Burkina Faso et de promouvoir son image. Ils doivent faire de sorte que dans les relations d’amitié et de coopération, notre pays puisse tirer le meilleur profit.
Nous avons au total 28 ambassadeurs et consuls généraux qui couvrent le monde. Malgré la modestie de nos moyens et à cause de cela, ces représentants couvrent de nombreux pays à la fois et se déploient autant qu’ils peuvent pour remplir leurs missions. Ce qui veut dire que ces personnalités ont besoin de temps en temps de venir au pays pour se ressourcer au contact de leur ministère, celui des Affaires étrangères.

Voyez-vous, le ministère des Affaires étrangères a une spécifié qui est que son activité quotidienne est orientée sur le traitement des questions internationales mais en même temps pour être capable de traiter ces questions, il faut qu’il ait la connaissance la plus précise des réalités du Burkina, de ses ambitions et de ses orientations politiques dans tous les secteurs d’activités de la nation burkinabè et de ce qu’elle souhaite exprimer et recueillir comme relations à travers le monde.
C’est pourquoi la conférence a vocation de permettre aux ambassadeurs de se ressourcer auprès des ministères et des institutions et leur offre l’opportunité de recevoir les orientations et les hautes instructions du président du Faso.

C’est par ailleurs l’occasion de leur faire le point de l’évolution de la situation politique, économique, sociale et culturelle au plan national, de la sous-région, de l’Afrique mais aussi des relations du monde qui évoluent vite. C’est donc un avantage certain que de pouvoir les réunir régulièrement. Nous avons fixé une périodicité qui est d’une conférence tous les deux ans. C’est vrai que la dernière conférence s’est tenue il y a trois ans en 2000, mais cela s’explique par le vaste mouvement des ambassadeurs qui a eu lieu en 2002 et qui a concerné 18 ambassadeurs.

Nous avons considéré qu’il était préférable d’attendre que ceux-ci occupent d’abord leurs postes et qu’ils aient une connaissance des réalités de leurs juridictions avant que se tienne la conférence. C’est pourquoi on a décalé l’édition de l’an passé en 2003.

Cette périodicité n’est-elle pas trop courte ?

Y.O. :
Pas du tout et bien au contraire ! je dois dire que si on avait vraiment les moyens, tenir la conférence chaque année serait la périodicité optimum parce que toutes les situations évoluent rapidement dans le monde. Ce qui est considéré comme une vérité aujourd’hui peut ne plus être le cas dans un mois ou deux. Donc le monde étant en perpétuelle évolution, ceux-là qui sont chargés de veiller au quotidien sur les intérêts du Burkina Faso doivent nécessairement connaître les réalités du pays pour pouvoir peser le plus efficacement dans leurs relations avec les gouvernements étrangers et les institutions multilatérales.

En plus de représenter, nos ambassadeurs ont aussi une mission de défendre avec des connaissances les plus précises possibles les intérêts du Burkina en tenant compte de l’évolution de l’environnement sous-régional et régional. Les conférences permettent cette nécessaire remise à niveau et de ressourcement de même qu’elles permettent de réfléchir sur des questions majeures, de faire des prospectives et d’échanger des informations et des expériences.

Cette année, le thème de la rencontre a été "Société civile et Relations internationales". Qu’elle lecture la conférence en a faite ?

Y.O. :
Nous avons d’abord choisi en 2000 le thème de la Communication. Avec l’arrivée des Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), il s’agissait d’ouvrir aux acteurs de notre action diplomatique la nécessité pour eux de coller aux mutations des systèmes de communication pour pouvoir à la fois les utiliser mais aussi se cultiver. Parce qu’aujourd’hui, c’est la capacité de réagir en temps réel qui compte dans le monde. Nous sommes dans un monde qui va vite avec des instruments qu’il faut nécessairement maîtriser. Voilà pourquoi nous avions choisi ce thème et nous sommes toujours en train de mettre en œuvre les recommandations issues de cette conférence.

Cette année et dans le prolongement de l’esprit qui a guidé au choix de coller aux grandes mutations en cours, nous avons décidé de réfléchir sur la société civile en corrélation avec nos missions. Vous l’aurez constaté, depuis une dizaine d’années, il y a un phénomène nouveau qui est devenu de plus en plus prépondérant c’est bien celui de la société civile.

Sans rentrer dans les détails de ses manifestations, on est obligé de reconnaître que la société civile est devenue incontournable en tant qu’organisation multipolaire agissant sur le vécu quotidien des communautés humaines que nous constituons. Ainsi, elle influe de plus en plus fortement sur les décisions qui se prennent au niveau des Etats, des structures intergouvernementales et des instances internationales. On voit cela par exemple à travers le phénomène des associations qui aujourd’hui travaillent dans la sphère du développement local. Il y a par exemple des associations ou des ONG qui aident à faire des périmètres irrigués, à monter des micro-projets de développement villageois, etc. Mais il y a aussi des questions liées aux nouvelles dimensions telles que les questions de paix, de lutte contre le sida, de résolution des conflits de droits humains, etc. où ces associations sont parvenues à se faire entendre. Il n’est pas maintenant rare de constater qu’il ait très peu de sommets internationaux que ce soit le G8 ou l’OMC qui se tiennent sans que les organisations de la société civile n’exercent des pressions qui jouent sur les décisions qui sont prises par les représentants des gouvernements.
Alors, de deux choses l’une : ou, on n’en tient pas compte et se serait une erreur parce que c’est une réalité fondamentale qui s’impose ; ou alors on en tient compte en disant que nous devons d’une part réfléchir sur la portée de ce mouvement et réfléchir sur d’autre part avec elle comment la diplomatie étatique peut œuvrer et travailler en partenariat. Bien entendu chacun définissant ses lignes de responsabilité, ses rôles et ses marges de manœuvre parce qu’il n’est pas question que la politique gouvernementale soit dictée par des acteurs non gouvernementaux. Mais ces derniers peuvent être écoutés et leurs préoccupations intégrées dans l’action.

Nous avons voulu que les ambassadeurs et consuls généraux dans leurs juridictions puissent être conscients de ce phénomène et se réunissent ensemble pour en parler.
Ce que la conférence en tire c’est premièrement que ce mouvement est une réalité ; deuxièmement que nous ne devons pas fermer les yeux sur les capacités ou le rôle grandissant des mouvements de la société civile et troisièmement que nous devons définir un type de partenariat intelligent sinon civilisé entre l’esprit diplomatique de l’Etat et ces acteurs non gouvernementaux ...

Mais généralement ces organisations de la société civile se considèrent comme des contre-pouvoirs. Ce qui n’est pour faciliter les rapports ?

Y.O. :
Effectivement ce sont des contre-pouvoirs puisque tout ce qui par définition n’est pas mis en œuvre dans le sillage de l’action du pouvoir est un contre-pouvoir. C’est-à-dire qu’elles se définissent comme ayant des visions qui ne sont pas gouvernementales.

Mais à ne pas avoir les lignes de communication avec elles, amène à créer des distorsions tellement grandes que cela peut entraîner des incompréhensions. Alors qu’en s’écoutant, en se parlant, en discutant avec ces organisations, on peut essayer d’écraser les différentiels qui sont sources d’incompréhensions ou de divergences d’opinions ou de visions. Même si chacun a ses positions, au moins qu’il y ait une compréhension mutuelle. C’est en cela nous avons dit qu’il vaut mieux dans certaines conditions ne pas simplement les écarter mais de pouvoir créer un partenariat.

Sur certaines actions, les positions que notre pays a défendues ont été soutenues par ces acteurs non gouvernementaux. Ils l’ont fait simplement au nom d’un certain idéal. Mais si nous n’avions pas de lignes de communication avec eux, peut-être qu’ils n’auraient même pas compris nos ambitions ni la justesse de nos positions. A titre d’exemple, notre bataille pour qu’en Europe on accepte 5% de beurre de karité dans la fabrication de chocolat, n’a été soutenue que par les seules institutions de la société civile. Je peux vous fournir beaucoup d’autres exemples. Par ailleurs lorsque sur les droits de l’homme nous sommes par exemple interpellés par des institutions qui se prévalent de la défense de droits de l’homme, nous répondons.

J’ai répondu systématiquement à toutes les lettres qui nous ont été envoyées par des associations de la Société civile qui représentent la défense des droits de l’homme. Il y a franchement des acteurs qui sont honnêtes et qui veulent réellement la vraie information. Si, par contre, nous nous fermons à ces acteurs de la société civile, on peut faire grandir les incompréhensions alors qu’en se parlant, on se rend compte qu’on peut toujours avoir des divergences, mais cela permet de diminuer les différentiels, c’est-à-dire l’écart qu’il y a entre leur vision et la nôtre.

D’autant que les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux étant des hommes et des femmes qui veulent un monde meilleur, il vaut mieux un continium de réflexions communes par moment, chacun gardant ses lignes sans pour autant oublier l’inter-dépendance qui est leur. Autrement dit, chacun sachant ses limites ou ses prérogatives, on devrait pouvoir discuter.

L’Etat défend la souveraineté et il est évident que les acteurs non gouvernementaux ne doivent pas vouloir remettre celle-ci en cause. Par contre, ils peuvent continuer à réfléchir et essayer de faire passer leurs idées tout en s’ouvrant, eux aussi, aux gouvernements, parce que ceux-ci tiennent leur légitimité de leurs les peuples pour diriger leurs affaires. Dans ces conditions, je pense qu’il faut que dans notre pays, il y ait une meilleure appréhension du problème, parce que la Société civile est très compliquée, d’autant que ses acteurs et les associations ne sont pas les mêmes. Il faut que nous continuions de travailler à mieux les connaître, leurs motivations et leurs ambitions, afin de leur permettre de mieux contribuer dans le développement harmonieux de notre pays.

Y. Ouédraogo et R. Hariri

Certains acteurs de la scène politique nationale affirment que notre pays et ses dirigeants seraient isolés au plan international. Que répondez-vous, vous qui êtes justement chargé de nos affaires étrangères ?

Y.O. :
En vérité, c’est peut-être une méconnaissance de leur part, ou tout simplement, ils ne regardent pas ce qui se passe devant eux. Déjà dans notre sous-région, le Burkina Faso a toujours été sollicité pour aider à créer un meilleur climat de paix et de stabilité politique. Beaucoup d’acteurs politiques de la scène sous-régionale se rendent au Burkina Faso pour cela. C’est la même chose sur le plan continental.

Souvenez-vous seulement que nous avons abrité le 28 novembre 2002, la réunion des ministres des Affaires étrangères d’Europe et d’Afrique. Cette réunion était le prolongement du premier Sommet Europe-Afrique qui a scellé un célèbre partenariat stratégique entre l’Afrique et l’Europe. Nous sommes membre du Conseil de paix de sécurité de l’Union africaine. Dans toutes les régions, le Burkina Faso a les meilleures relations possibles avec les Etats. Le calendrier du chef de l’Etat est tellement chargé d’invitations qu’il reçoit pour effectuer des visites officielles qu’on ne sait pas comment agencer tout cela. Tenez ! je viens de rentrer de Beyrouth, au Liban, et de Washington, aux Etats-Unis d’Amérique, et le Chef de l’Etat, lui-même, vient aussi de rentrer de l’Ethiopie, etc.

Le président de la Commission européenne, dans le cadre d’une tournée dans trois pays de la sous-région, a séjourné dans notre pays où il a eu des mots très forts sur la gouvernance, la démocratie, la qualité de la gestion de notre pays, la capacité et le rôle que le Burkina Faso joue pour apporter des solutions à la paix régionale. C’étaient des propos sincères et non des paroles en l’air !

C’est, entre autres, des réalités dont il faut tenir compte. Et on ne peut pas dire que notre pays est isolé.
Je sais que certains peuvent manquer d’informations, mais il n’est pas juste de dire que le Burkina Faso est isolé.

Mais selon certains analystes, vous avez beau avoir toutes les relations du monde, si vous ne vous entendez pas avec les puissants du moment, c’est peine perdue. Or, notre pays serait en froid avec le "plus puissant" de tous : les Etats-Unis d’Amérique. Qu’en est-il ; surtout que vous en revenez ?

Y.O. :
(Rires). J’ai l’habitude de dire qu’en politique ou en diplomatie, il faut se méfier des faits du genre qu’on raconte et qui ne s’appuient pas sur du concret. Parfois l’action diplomatique que nous menons n’est pas portée au grand jour. On peut très bien avoir de bonnes relations sans être obligé de le crier sur tous les toits.

Y. Ouédraogo et C. Powell

Comme je vous le disais, je viens de rentrer de Washington où j’ai été reçu par le Secrétaire d’Etat Colin Powell pendant très longtemps. A cette occasion, nous avons fait le tour des questions allant des problèmes de sécurité régionale à ceux relatifs à la coopération économique et financière et à la coopération militaire. Les prévénances dont j’ai été entouré sont des signes qui parlent d’eux-mêmes ... Avant le Secrétaire d’Etat Colin Powel, j’ai eu une séance de travail très enrichissante avec l’Assistante spéciale du Président BUSH pour les Affaires africaines au Conseil National de Sécurité de la Maison Blanche, Mme Jendayi FRAZER. J’avais auparavent rencontré M. Molly WILLIAMSON, Sous-Secrétaire d’Etat Chargé de l’Afrique au Département du Commerce, etc.

En vérité, nous avons de bons rapports avec les Etats-Unis mais nous continuons de travailler pour qu’ils soient renforcés. Et avec Colin Powell, nous avons décidé d’activer le processus de concertation entre nos deux gouvernements de telle manière que ce soit dans notre sous-région en Afrique et ailleurs dans le monde, que nos deux gouvernements parviennent à définir des positions communes que nous allons défendre ensemble. En d’autres termes, nous allons mener des convergences, des synergies plus renforcées pour l’action diplomatique conjuguée entre les Etats-Unis et le Burkina Faso.

On renforce nos relations avec les Etats-Unis d’Amérique ; mais qu’en sera-t-il avec la France, notre premier partenaire dont les intérêts ne convergent pas toujours vers ceux des Etats-Unis.?

Y.O. :
Sur la scène internationale, la convergence des idées et des intérêts n’est pas statique. Chaque Etat défend d’abord les intérêts de son pays. Ensuite, on se profile vers une recherche d’orientation commune qui est par exemple un monde de liberté, de progrès, de démocratie où on doit résoudre les conflits par le dialogue ... Mais sur ce chapitre, les visions peuvent diverger et c’est dans cette optique que nous devons asseoir des mécanismes de dialogue qui interviennent à un moment ou à un autre pour résorber ces divergences. Il n’est même pas intéressant de voir que les pays n’ont pas de temps en temps des divergences d’opinions. Ça ne veut rien dire. Il faut absolument que les pays, en ayant des divergences de visions, discutent pour se comprendre mutuellement.

avec Jendayi Frazer

Voyez par exemple les pays membres de l’Union européenne, qui est considérée comme un des exemples de coopération les plus achevés au monde ; ils se sont réunis à Bruxelles pour adopter la constitution, mais ils n’y sont pas encore parvenus. Cependant, cela ne veut pas dire que ces pays ne sont pas amis. Ils sont même très proches mais du fait qu’ils veulent se mettre ensemble pour faire quelque chose de meilleur, cela demande des exigences.

Nous avons de très bonnes relations avec la France, nous avons un partenariat excellent basé sur des relations politiques, économiques et financières. Cela ne devrait pas nous empêcher d’avoir de très bonnes relations avec les Etats-Unis d’Amérique. Bien au contraire. D’ailleurs, puisque les deux pays, la France et les Etats-Unis d’Amérique, travaillent ensemble, ils ont des politiques communes, ils s’organisent pour travailler en Afrique tout comme en Europe. Même s’il y a des divergences sur certains points, cela ne veut pas dire qu’il doit avoir une séparation entre ces deux pays.

A vous écouter, on peut dire que l’os "libérien" entre le Burkina Faso et les Etats-Unis a été digéré. Est-ce que c’est le cas réellement ?

Y.O.
 :
Oui. Tout à fait ! En vérité, nous avons toujours travaillé pour les mêmes choses. Parfois les voies de communication n’ont pas permis de comprendre cela. Lorsqu’il est arrivé un moment où nous avons demandé à ce qu’il y ait la vraie démocratie dans ce pays, les Etats-Unis ont compris que nous travaillions toujours dans la même direction. Et souvenez-vous que le Burkina Faso a organisé une réunion en juillet 2002, de l’opposition libérienne et de la Société civile avec des représentants américains. C’est à partir de ce moment que nous avons permis de créer les conditions pour travailler à l’ouverture démocratique dans ce pays.

Nous considérons que le rôle que le Burkina Faso peut jouer aussi bien en Afrique qu’ailleurs c’est d’aider les pays à créer et à approfondir la démocratie. De ce point de vue, les Etats-Unis reconnaissent plutôt le rôle que nous avons joué pour permettre au Libéria de créer les meilleures conditions d’asseoir une démocratie beaucoup plus solide et irréversible.

On ne saura pas évoquer avec vous la crise ivoirienne qui n’en finit pas de finir. Quelle est votre lecture ou vos sentiments au jour d’aujourd’hui par rapport à cette situation notamment avec les dernières escarmouches qu’il y a eu à Abidjan ?

Y.O. :
Nous avons soutenu qu’il faut œuvrer à l’instauration de la démocratie dans nos pays africains. A chaque fois qu’un pays est installé dans une démocratie stable, les conflits divers qui surviennent peuvent trouver des voies de solutions rapides et efficaces. Concernant la crise ivoirienne, étant donné que les forces politiques ivoiriennes elles-mêmes se sont réunies à Marcoussis et ont signé un accord politique qui leur permet de résoudre les grands problèmes que rencontre leur pays, la position de notre pays a toujours été qu’il faut tout faire pour aider ce pays à appliquer cet accord.

Et le discours que nous tenons vis-à-vis de l’ensemble des acteurs c’est de développer la meilleure volonté, la meilleure détermination possible pour appliquer l’accord de Linas-Marcoussis. C’est un accord qui a d’ailleurs fait l’objet d’une résolution du Conseil de sécurité. De même, le mini-sommet d’Accra, tenu dernièrement, a suggéré que l’on installe les casques bleus. Cette idée est de créer le meilleur environnement de sécurité pour permettre à la fois aux acteurs d’être à l’aise dans la mise en œuvre des résolutions issues de l’accord et de sécuriser les populations sur l’ensemble du territoire.

C’est pour cela d’ailleurs qu’une délégation est allée au Conseil de sécurité pour expliquer le souhait des chefs d’Etat de la CEDEAO.
Nous pensons que si le Conseil de sécurité accède à cette demande, comme cela a été le cas pour la République démocratique du Congo, cela permettra de mieux créer un environnement de sécurité profitable à tous les acteurs. Je pense que cela va permettre à la fois au gouvernement de réconciliation nationale d’œuvrer pour la mise en place de l’accord Linas-Marcoussis, aux populations et aux investisseurs d’être en sécurité. Mais tant qu’il n’y a pas certains éléments qui permettent de créer la confiance, les choses vont toujours rester compliquées. C’est pourquoi les chefs d’Etat de la CEDEAO ont eu raison de demander cela au Conseil de sécurité.

Malheureusement, chaque fois que l’espoir grandit, des phénomènes interviennent pour retarder encore la résolution de cette crise. Avez-vous vraiment espoir qu’on va en finir prochainement ?

Y.O. :
C’est pourquoi si on met un arsenal qui est la logistique nécessaire, c’est-à-dire efficace, tels que les Casques bleus des Nations-Unies, on parviendra à sécuriser et à apaiser toutes les difficultés. Ce n’est pas par hasard que les chefs d’Etat, réunis à Accra et après une analyse approfondie, ont demandé que le Conseil de sécurité accède à cette demande. Il faut d’abord créer les conditions qui permettent à tous les acteurs, que ce soit le président GBAGBO, le Premier ministre Seydou DIARRA ou les Forces nouvelles, de pouvoir se retrouver dans les meilleures conditions possibles pour appliquer l’accord.

Les Premiers ministres ivoirien et burkinabè

Des Tchadiens ont signé la paix au Burkina le week-end dernier. On n’avait rien vu venir. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Y.O. :
Rappelez-vous, je l’ai dit tantôt. La diplomatie des grandes déclarations n’est pas forcément l’efficacité. Lorsqu’on mène des négociations, il n’est pas toujours opportun, pour protéger les protagonistes, qu’il y ait de la communication publique. Pour permettre aux acteurs de travailler en toute sérénité et à faire un travail efficace, il est indispensable de s’entourer de discrétion. En fait un accord étant un point de consensus ne répond pas forcément à tous les besoins et à toutes les exigences de chacune des parties. C’est ce qu’on appelle le paradoxe de Condorcet, c’est-à-dire que l’agrégation des préférences n’entraîne pas une préférence collective. Chaque partie est donc obligée de retourner à sa base pour expliquer pourquoi les exigences n’ont pas été prises toutes en compte.

C’est pour cela qu’il est indispensable, et parfois bon, qu’il n’y ait pas trop de communication, pour donner aux acteurs plus de sérénité pour faire le travail. Pour ce qui est des Tchadiens, ils étaient déjà venus il y a quelque temps. Ça été un processus et tout cela ne s’est pas fait en un seul jour.

Mais je suis heureux que vous me posez la question, parce qu’encore une fois lorsqu’on dit que le Burkina est isolé et qu’un Etat de l’Afrique centrale s’en remette à nous pour faire la médiation dans un processus qui a duré 5 ans sans solution, c’est tout dire. Nous sommes donc honorés du fait qu’ils aient eu confiance au président Compaoré et au Burkina Faso pour les aider à renouer les fils du dialogue, à la fois pour permettre de cesser le combat et d’aller continuellement vers la paix.

Il y a encore plusieurs étapes à franchir. Mais nous avons confiance que la volonté politique qui animait à la fois le représentant du gouvernement et celui du Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad (MDJT) à signer cet accord va les conduire petit à petit à créer un meilleur climat au peuple tchadien pour aller de l’avant.

Monsieur le Ministre d’Etat, une fois n’est pas coutume, aussi tirons un peu : est-ce qu’il y a un seul Etat sur la planète qui n’a son opposition Ouagadougou au Burkina ?

Y.O. :
Non ! Ecoutez ! Ce n’est pas une question qui est vraiment à poser parce que normalement un Etat républicain, libre où les protections sécuritaires des libertés publiques sont assurées, ne se préoccupe pas de ça. Tout citoyen qui est en situation légale vis-à-vis de la société internationale peut circuler librement dans un pays où les droits humains sont respectés.

Les concertations vont train<BR> pour l’organisation du prochain sommet <BR>de la Francophonie<BR> à Ouagadougou en novembre 2004

Un citoyen qui n’est pas un condamné ou qui n’a pas transgressé des lois, en fait qui jouit de ses libertés, peut venir au Burkina Faso à condition aussi de respecter nos lois. Par exemple, si des opposants politiques veulent venir au Burkina Faso pour des raisons touristiques, humaines, etc., ils peuvent toujours le faire, puisque c’est un pays de liberté. Ce que nous ne tolérons pas, c’est qu’on utilise le Burkina Faso comme une base pour pouvoir faire des déclarations ou mener des actions politiques de déstabilisation d’un autre Etat. Cela, nous ne l’admettrons jamais, nous ne le tolèrerons jamais. Mais, tant qu’il respecte le droit international, tout individu peut circuler librement au Burkina Faso.

Interview réalisée par
Cheick AHMED (L’Opinion du 17 au 23 décembre 2003)

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