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De la contribution des sciences sociales à lutte contre le Covid-19 au Burkina Faso !

Publié le mercredi 22 avril 2020 à 22h10min

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De la contribution des sciences sociales à lutte contre le Covid-19 au Burkina Faso !

L’Afrique, au Sud du Sahara a été le théâtre de grandes épidémies dévastatrices. De la maladie du sommeil, au VIH et au sida, en passant par la tuberculose, la méningite, la grippe aviaire, la fièvre jaune, la maladie à virus Ebola (MVE). Celles-ci ont mis à l’épreuve les systèmes de santé de ces pays et fait de nombreuses victimes. Si certaines sont en passe d’être maitrisées, d’autres par contre sont en train d’émerger en occurrence le Covid-19.

Apparu en Chine en Décembre 2019, la maladie s’est vite propagée dans le monde amenant l’Organisation mondiale de la santé à déclarer l’épidémie comme une urgence de santé publique de portée internationale le 30 janvier 2020. Elle a atteint le Burkina Faso depuis le 9 Mars 2020 et le nombre de cas confirmés et de villes touchées ne cessent de croitre.

Au 15 avril 2020, 546 cas confirmés, 32 décès et 15 villes touchées ont été notifiés. Pour lutter contre cette pandémie, les autorités sanitaires du pays ont élaboré un plan national de préparation et de riposte à une éventuelle épidémie de Covid-19 (Ministère de la santé, 2020) ainsi que des directives nationales de prise en charge des cas de maladies (Ministère de la santé, 2020).

Dans un tel contexte, quelle pourrait être la contribution des sciences sociales tant dans la prévention que la prise en charge des cas suspects/confirmés ? Par sciences sociales, il s’agit d’un ensemble de disciplines qui étudient les aspects sociaux et culturels de l’’homme et de la société. Cette réflexion est le fruit d’une recherche documentaire, des observations directes ainsi que de nos expériences en tant que socio-anthropologues dans la lutte contre certaines pandémies (Konaté et al, 2016).

I- Des représentations sociales du Covid-19 à l’acceptabilité des mesures barrières

Il n’existe pas à ce jour de vaccin, ni de traitement spécifique efficace contre le Covid-19 bien que plusieurs essais soient en cours un peu partout dans le monde. La prévention demeure par conséquent le moyen le plus efficace pour lutter contre cette pandémie. C’est ainsi qu’au Burkina Faso, comme dans tous les pays affectés, des messages de prévention individuelle et collective sont diffusés en direction de la population afin de provoquer le changement de comportement.

Sur le plan individuel, il s’agit entre autre de se laver régulièrement les mains avec du savon ou utiliser du gel hydroalcoolique ; de couvrir la bouche et le nez avec le pli du coude ou avec un mouchoir lorsque l’on tousse ou éternue et jeter le mouchoir dans une poubelle ; d’éviter de cracher à terre ; de saluer avec les mains, de se donner des accolades, garder une distance d’au moins un mètre les uns des autres ; réduire les déplacements tant que possible.

Au niveau collectif, il s’agit de la fermeture des lieux de cultes (églises, temples et mosquées), des établissements (primaires, secondaires et supérieurs), des marchés, interdiction de regroupement de plus de 50 personnes, de grands rassemblements socioculturels comme la Semaine nationale de la culture, des cérémonies de mariage, de baptême, de funérailles, de voyager en transport en commun, la mise en quarantaine des localités touchées, du couvre-feu de 19 heures-5 heures.

C’est l’expression de ce que Foucault (1976) appelle « le biopouvoir », c’est-à-dire la gouvernementalité de la vie. Il permet au pouvoir gouvernemental d’éviter tout procès de délaissement du pouvoir biomédical mais aussi de prévenir les débordements au regard des faibles capacités d’accueil des services de soins.

Ces différents messages sont adressés à des populations qui vivent dans un environnement socio-économique particulier, ont une culture, une religion, une histoire, des ressources pour interpréter et se réapproprier les messages transmis. Cette interprétation peut entrainer des tensions entre les populations réceptrices et les divers groupes d’émetteurs. Ces malentendus peuvent se traduire sous forme de respects partiels ou de non respects de ces mesures voire de conflits ouverts.

C’est ainsi que des attitudes de défiances et de résistances à ces mesures sont constatées çà et là. Alors on peut se poser la question : comment adapter ces stratégies de prévention du covid-19 (le plus souvent importées) au contexte local ? Pour répondre à cette question, les sciences sociales proposent de prendre en compte les représentations du Covid-19 des différents groupes sociaux qui orientent leurs pratiques, leurs comportements.

La prévention, comme la prise en charge de la maladie à caractère épidémique s’inscrit toujours dans un système de représentations sociales dont il faut avoir la pleine mesure pour optimiser les résultats en termes de prévention des infections et de guérison des personnes touchées (Zerbo, 2018).

Sur cet aspect, la littérature surtout socio-anthropologique africaniste distingue les représentations « magico-religieuses », surnaturelles ou à agent personnalisé et celles « naturelles ». Les premières souvent qualifiées de « persécutives » sont l’œuvre de l’homme, des génies, de satan, de l’esprit des ancêtres, des animaux ou du comportement humain notamment du respect de certains interdits etc.

Elles sont par conséquent dues à une agression en sorcellerie (anthropophagique ou instrumentale), à une malédiction paternelle, à l’adultère ou à la mésentente des parents, à la vengeance des ancêtres ou encore au non- respect des valeurs traditionnelles (Zempléni, 1968 ; Augé, 1984). A ces représentations, on peut ajouter ce qu’on appelle la « théorie du complot ».

Quant aux secondes, elles sont qualifiées de « maladies naturelles », c’est-à-dire dues à des vecteurs pathogènes identifiés (Olivier de Sardan, 1999). L’analyse des représentations liées au Covid-19, telle que proposée par les sciences sociales permettra de mettre en relief les différentes étiologies du Covid-19 et de contextualiser les messages diffusés.

De nombreux écrits de spécialistes en sciences sociales évoquent plusieurs interprétations liées au Covid-19. Il s’agit d’abord d’une interprétation qu’on pourrait qualifier de « naturelle » ou de « biomédicale » considérant le Covid-19 comme une maladie virale, transmis donc par un virus (Covid-19), ensuite d’une interprétation « persécutive » qui fait du Covid-19 tantôt une création des grandes puissances pour dominer le monde, tantôt une « punition divine » pour mettre en garde les hommes.

La cohabitation de ces différentes interprétations montre que le Covid-19 n’est pas seulement un problème médical, mais également socio-culturel. La prise en compte de ces représentations permettra d’adapter les messages de sensibilisation au contexte locale.

En plus des représentations, un autre aspect à prendre en compte est l’analyse de l’acceptabilité des stratégies de prévention. En effet, les mesures de prévention édictées par le ministère de la santé sont entre autres l’interdiction des salutations à la main, des accolades, des grands rassemblements (funérailles, baptêmes, semaine nationale de la culture etc.), le confinement des cas suspects et confirmés à domicile ou dans les centres de santé, la distanciation sociale, la fermeture des lieux de cultes, des marchés etc.

Ces mesures, comme on peut le constater heurtent la sociabilité quotidienne, les pratiques culturelles et religieuses d’où l’importance de les étudier, les ajuster afin qu’elles soient socialement, culturellement et religieusement acceptables et médicalement protectrices. En ce qui concerne le Covid-19, ce type d’étude n’a pas encore fait l’objet d’investigation au Burkina Faso à notre connaissance, mais en ce qui concerne d’autres épidémies comme la MVE, plusieurs anthropologues (Hewlett et Amola, 2003 ; Desclaux et Anoko, 2017) ont mené ou rapporté des enquêtes dans des régions touchées par des épidémies d’Ebola dont les résultats ont permis d’adapter au contexte local les stratégies de lutte.

II-Analyser les rumeurs liées au Covid-19 pour recadrer les interventions

Le Covid-19, jusque-là méconnu dans notre contexte fait l’objet de nombreuses rumeurs dont les conséquences peuvent être désastreuses d’où l’importance de leur prise en compte dans la lutte contre cette pandémie. Elles doivent donc être bien identifiées et bien gérées afin d’adapter les messages. Elles portent à la fois sur la prévention et le traitement, les acteurs locaux, internationaux.

En tant que processus social d’échange d’une nouvelle (c’est-à-dire une information en prise avec l’événement) non vérifiée (Aldrin, 2003), les rumeurs, surtout en période d’épidémie ont fait l’objet d’analyse par de nombreux spécialistes en sciences sociales. Du VIH et du sida (Stadler, 2003) au Covid-19 en passant par la MVE (Decaillet, 2015), les spécialistes en sciences sociales ont identifié des rumeurs, déterminé leurs causes et conséquences ainsi que les modalités de leur gestion.

Ce qui a permis sans doute de rectifier certaines stratégies de préventions. Sans toutefois épuiser la contribution des sciences sociales au succès des activités de prévention contre le Covid-19 ou d’autres épidémies, voyons ce qu’elles peuvent apporter à la prise en charge des malades du Covid-19.

III-Du vécu des cas suspects et confirmés au risque de stigmatisation

Le Covid-19 est une maladie sans vaccin, ni traitement efficace homologué, très contagieuse parmi les membres de l’entourage et fait très peur. Toute personne contact d’un cas confirmé, appelé cas suspect est mise en quarantaine (confinement ou auto-confinement) à domicile pendant deux semaines en respectant les mesures barrières. Les cas confirmés après examen biologique sont confinés à domicile ou dans des centres de santé dédiés à cet effet.

La peur liée à cette maladie, la distanciation sociale consécutive à la mise en quarantaine dans notre contexte où la promiscuité domiciliaire est telle que s’écarter des autres est très difficile, soulèvent la problématique du vécu des cas suspects ou confirmés : Comment ces cas vivent l’expérience du confinement dans les familles, le voisinage et les services de santé ?

Pour d’autres épidémies comme le VIH et le sida, ce vécu a été largement documenté par des spécialistes des sciences sociales. En effet, les auteurs ont décrit le choc psychologique dû à l’annonce des résultats (Atta, 2012), la souffrance somatique et psychologique (Hassoun, 1999), la stigmatisation associée à l’infection à VIH (Ky-Zerbo et al., 2014). Le vécu associé à la MVE (Sylla et Taverne, 2015).

En ce qui concerne le Covid-19, les contributions des sciences sociales pourraient analyser ce vécu à travers les traumatismes causés par l’annonce des résultats, les perceptions des cas /suspects, des membres de leur entourage sur le dispositif mis en place pour la gestion/prise en charge des cas, les itinéraires thérapeutiques. Ce qui permettra d’améliorer la prise en charge des patients du Covid-19 aussi bien dans leur famille que dans les centres de soins.

IV-Du recours aux acquis antérieurs dans la lutte contre certaines pandémies

En sciences sociales, les spécialistes insistent sur le recours aux acquis antérieurs car comme le reconnaissait Simon (1991), il faut éviter de succomber aux complexes de Christophe Colomb et de Pénélope. C’est ainsi que les enseignements tirés de la lutte contre l’épidémie du VIH et/ou la de MVE pourraient s’appliquer à la lutte contre le coronavirus. Par exemple, plusieurs leçons de la riposte au VIH peuvent être utilisées dans la lutte contre le Covid-19.

Il s’agit d’abord de la participation communautaire. Ainsi les organisations de jeunes, de femmes, de personnes âgées, les associations de patients, les artistes, les leaders religieux et coutumiers doivent être fortement impliqués dès le début dans la réponse nationale. Cet implication/engagement communautaire est nécessaire pour la compréhension et l’acceptation des mesures barrières contre le Covid-19.

Il y a ensuite l’approche multisectorielle qui implique tous les départements ministériels (santé, éducation, sécurité, agriculture, la recherche etc.) et autres institutions dans la réponse nationale. Ce qui facilite la mobilisation de toutes les ressources (humaines, matérielles, financier). Enfin, le leadership au plus haut niveau c’est-à-dire l’implication des chefs d’État, de gouvernement ou des « premières dames » dans la réponse au Covid-19 facilite la participation de tous départements ministériels et les institutions dans la réponse.

Pour conclure

La pandémie du Covid-19, comme d’autres épidémies, bien que souvent présentée comme problème biomédicale, présente des aspects socio-culturels dont la prise en compte est déterminant pour la réussite des activités de prévention, de la prise en charge. Les sciences sociales, en privilégiant les approches compréhensives et participatives permettent d’adapter les messages de prévention contre le Covid-19 aux contextes locaux et d’améliorer la prise en charge des malades à travers l’analyse des représentations associées à cette pandémie, de l’acceptabilité des réponses, des rumeurs, du vécu des cas suspects ou confirmés.

- Dr KONATÉ Blahima, Attaché de recherche à l’Institut des Sciences des Sociétés/Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique, chercheur associé au Centre MURAZ, Email : kobla70@hotmail.com

- Dr BERTHÉ Abdramane, Assistant à l’Université de Dédougou, Chercheur associé au Centre MURAZ, Email : aberthe56@yahoo.fr

- Dr ZERBO Roger, Maître de Recherche à l’Institut des Sciences des Sociétés/Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique, Membre du LARISS / UFR SH Université J. KI-ZERBO, Membre de l’UMI-3189 : "Environnement Santé et Sociétés", Email : roger.zerbo@gmail.com


Quelques références bibliographiques

Aldrin, P. 2003. « Penser la rumeur une question discutée des sciences sociales », Genèses, vol. 1, no 50, p. 126-141.

Atta, K. 2012. « Approche psychoqualitative du VIH/sida en contexte africain : cas du vécu de l’infection chez des patients du Service des maladies infectieuses et tropicales (SMIT) d’Abidjan », Recherches qualitatives, vol. 31, no 1, p. 130-151.
Augé, M. 1984. Ordre biologique, ordre social : la maladie forme élémentaire de l’événement, dans le sens du mal, Anthropologie, histoire, sociologie de la maladie, sous la dir. de de M. Augé et C. Herzlich, Paris, Edition les Archives contemporaines, p. 35-91.

Berlinier, D. 2004. « Perception des fièvres hémorragiques à virus Ebola sur la frontière congogabonaise », Civilisations, no 52-1, p. 117-120.

Decaillet, M. 2015. Ebola face à la rumeur. Etude des rumeurs et de leur gestion par l’organisation Médecins Sans Frontière durant l’épidémie à virus Ebola 2013-2015. Mémoire de Master I, Lille 1, Université des Sciences et Technologies
Desclaux, A. 2006. « Anthropologie des fièvres hémorragiques virales », Bulletin Amades, no 68, p. 1-4.

Desclaux, A et J. Anoko. 2017. « Anthropologie engagée dans la lutte contre Ebola (2014-2016) », Santé publique, vol. 29, no 4, p. 477-485.
Foucault M, 1976, La volonté de savoir, Paris, Gallimard.
Hassoun, J. 1999. « Quelques silences sur la douleur des femmes malades du sida en Côte d’Ivoire », Socio-anthropologie [en ligne] https://journals.openedition.org/socio-anthropologie/51.

Konaté, B., Ouattara, C., Berthé, A., et al. 2016. Motifs d’acceptation et de refus de participation à l’essai Ebovac2 à Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso, 18ème JSSB ; 3-6 mai ; Bobo-Dioulasso (Burkina Faso).

Konaté B, Ouattara C, Berthé A et al. 2017. Rédaction d’un protocole de recherche sur les connaissances, attitudes et pratiques à propos de la dengue au Burkina Faso, 1ères Journées Scientifiques du CERMES ; 14-16 novembre ; Niamey (Niger).
Ky-Zerbo, O. A. Desclaux, K. El Asmar et al. 2014. « La stigmatisation des PVVIH en Afrique : analyse de ses formes et manifestations au Burkina Faso », Santé publique, vol. 26, no 3, p. 375–384.

Olivier De Sardan, J. P. 1999. « Les représentations des maladies : des modules ? », dans La construction sociale de maladies : les entités nosologiques populaire en Afrique de l’Ouest, sous la dir. de Y. Jaffré et J.-P. Olivier De Sardan, Paris, PUF, p. 15-40.

Simon, J. P. 1991. Histoire de la sociologie, Paris, PUF
Zerbo, R. 2018. Question d’épistémologie pour une anthropologie pratique de la santé publique en Afrique, Les Nouvelles Éditions Balafons, Abidjan.

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Vos commentaires

  • Le 22 avril 2020 à 20:45, par Fils En réponse à : De la contribution des sciences sociales à lutte contre le Covid-19 au Burkina Faso !

    Bonsoir Dr, Félicitations pour votre contribution. On voit que vous êtes spécialiste. Car certains sont venus nous parler de la qualité du gel hydroalcoolique et d’autres en citant Wikipedia comme référence bibliographie. C’est vraiment dommage quand on n’est pas du domaine. Il faut laisser la place au spécialiste.

  • Le 23 avril 2020 à 16:40, par Mi-sôm En réponse à : De la contribution des sciences sociales à lutte contre le Covid-19 au Burkina Faso !

    Félicitation aux porteurs de cette réflexion/analyse socio-anthropologique du Covid-19 qui permet de situer la contribution des sciences sociales à la lutte contre cette pandémie. Au-delà de votre analyse scientifique, j’espère que le commun comprendra que les sciences s’accompagnent et se complètent dans la vie. Des disciplines d’obédience quantitative à celles plus qualitatives, toutes les compétences et tous les profiles sont invités à la lutte anti-convid-19.

  • Le 27 avril 2020 à 12:38, par Lossi En réponse à : De la contribution des sciences sociales à lutte contre le Covid-19 au Burkina Faso !

    Félicitations aux socio-anthropologue pour cette brillante intervention qui invite a la réflexivité agissante. Participation communautaire et interventions multisectorielles ont fait leur preuves par le passé, pourquoi vouloir réinventer la roue ?

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