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Chronique de la métamorphose du Burkina Faso de Blaise Compaoré (6)

Publié le vendredi 16 septembre 2005 à 13h53min

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Une Constitution (2 juin 1991), un gouvernement d’ouverture (25 juillet 1991) qui laisse une large place à l’opposition, le Burkina Faso de Blaise Compaoré, en 1991, tient ses promesses. Mais partout en Afrique noire francophone, et tout particulièrement dans la sous-région (Bénin, Mali, Niger, Togo), c’est la conférence nationale qui est dans l’air du temps.

Tout le monde veut participer au grand déballage pour exorciser sa peur. L’opposition, rassemblée au sein de la Coordination des forces démocratiques (CFD), va donc tenter d’occuper la rue pour imposer la tenue d’une conférence nationale souveraine avant la présidentielle prévue pour les 1er et 15 décembre 1991 et les législatives du 12 janvier 1992.

Compaoré, en congé de l’armée depuis le 15 septembre 1991 pour pouvoir se présenter à la présidentielle, s’en tient à sa ligne : la Constitution, qui garantit les libertés fondamentales, a été adoptée par référendum : c’est la loi suprême, elle s’impose à tous et, en premier lieu, à ceux qui ont participé à son élaboration et voté pour son adoption. Et c’est le cas de beaucoup de ceux qui, alors, réclament une conférence nationale.

Sur le terrain, la situation va se tendre ; le mardi 29 octobre 1991, des manifestations violentes accompagnées de pillages et de saccages vont se dérouler à Ouaga. Compaoré est à Yamoussoukro où il participe au sommet de la Cédéao sur le Liberia. Du même coup, le 1 er décembre 1991, il va être le seul candidat à se présenter à la présidentielle.

S’entêtant dans une revendication (conférence nationale préalable à la présidentielle) sans fondement légal (ni même social), Pierre-Claver Damiba, Hermann Yaméogo (qui a quitté brutalement le gouvernement avec ses deux compagnons-ministres le 18 août 1991), Ram Ouédraogo et Gérard Kango Ouédraogo ont jeté l’éponge. Compaoré est donc élu avec 86,19 % des suffrages exprimés mais 25,28 % seulement des électeurs sont allés voter.

C’était la première élection libre organisée dans le pays depuis 1978 (si l’on ne tient pas compte du référendum constitutionnel). La presse et les observateurs ne manqueront pas de souligner que le scrutin s’est déroulé dans" des conditions de transparence". Patrick Girard, de Jeune Afrique (11-17 décembre 1991), s’en fera le témoin.

Compaoré est "mal élu" certes, mais l’opposition, en s’excluant d’un jeu politique qu’elle n’a cessé de réclamer, ne gagne rien dans l’affaire. Pour Compaoré, qu’importe : le 24 décembre 1991, il prête serment devant la Cour suprême "de faire respecter et de défendre la constitution et les lois, de tout mettre en oeuvre pour garantir la justice à tous les habitants du Burkina Faso".
Il est le premier président de la IVème République. La métamorphose a été totale en l’espace de quatre années.

Le jeudi 13 février 1992, après un séjour à Dakar et à Abidjan, je débarque à nouveau à Ouaga après deux années d’absence. La capitale du Burkina Faso est méconnaissable. Cette ville au ras du sol s’élève désormais vers le ciel. Le siège de la BCEAO, qui était encore en chantier à mon dernier passage, est achevé ; tout comme le siège du Conseil burkinabè des chargeurs (CBC). De nouveaux immeubles ont été érigés : le siège de la Caisse de péréquation des prix, le building des Nations unies, l’immeuble-siège de l’Office national du commerce extérieur (Onac) et celui de la Caisse autonome d’investissement (CAl) sans compter les sièges sociaux des entreprises : Union des assurances du Burkina (UAB), Société nationale de transit du Burkina (SNTB), Union révolutionnaire de banques (Uréba), etc.

Le reconfiguration architecturale de Ouaga ne manque pas de susciter mon enthousiasme. Ce n’est pas une urbanisation anarchique ou spéculative ; c’est une action maîtrisée qui est en correspondance avec l’évolution politique, économique et sociale du pays. Ouaga explose de vitalité ; la ville se modernise sans perdre de son charme. Les plus vieilles réalisations, la cathédrale, la grande mosquée, la maison du peuple, etc. d’un seul coup, se révélent dans toute leur beauté dès lors que de l’ordre a été remis dans l’urbanisation de la capitale.

Avec Wango Pierre Sawadogo et Modeste Rasolodera, deux architectes locaux (Modeste est, lui, originaire de Madagascar) dont le cabinet (AAED) est à l’origine de la conception de nombreux projets, je passe de longues journées à discuter et à visiter les nouvelles réalisations ; pendant des heures, nous arpentons les chantiers du campus universitaire, nous y visitons la cité de toute beauté, en terre stabilisée, mais également un grand nombre de projets "habitations".

J’écris alors : "Le chef de l’Etat, le président Blaise Compaoré, a souhaité que le centre de la ville soit" densifié" , que l’habitat individuel, précaire ou spontané, soit remplacé par des immeubles modernes afin de faire de Ouagadougou une capitale à la hauteur de ses ambitions. Il fallait rompre avec une image de pauvreté. Trop longtemps portée comme un drapeau. Blaise Compaoré a des ambitions pour son pays et pour son peuple. Ses ambitions sont non seulement politiques, mais aussi économiques et sociales. Ce qui est entrepris dans la ville capitale est, avant tout, un outil de travail. Ce sont, ici, quasi essentiellement des investissements privés qui ont permis les grandes réalisations [...] Le chef de l’Etat a voulu que ceux d’entre les burkinabè qui sont les plus actifs et les mieux lotis investissent désormais dans leur propre pays, plutôt qu’à l’étranger. Il a voulu aussi que les étrangers s’installent ici".

De nouveaux hôtels et de nouveaux restaurants sont ouverts ; des boîtes de nuit et des dancings. Des Mercedes, des BMW, de grosses berlines Peugeot, sans compter des multitudes de 4 x 4 japonais (et même un fabuleux cabriolet Cadillac des années soixante arrivé jusqu’ici par je ne sais quel miracle mécanique) circulent dans la ville qui a retrouvé joie de vivre et dynamisme.

Et après des années pendant lesquelles la profusion de discours tenait lieu de baillon pour tout on peuple, la rectification prônée par Compaoré a des allures de résurrection. Tellement occupé à mieux vivre, les Burkinabè ne se passionnent même plus pour l’actualité politique. Le Forum de réconciliation nationale que Compaoré a octroyé aux partis d’opposition ne fera pas recette. Le chef de l’Etat, devant la lassitude des participants, décidera d’en suspendre les travaux.

Compaoré a pris de l’ampleur. Autrefois timide, solitaire, renfermé, il est désormais conscient de sa légitimité et de l’opportunité qui lui est offerte de s’exprimer pleinement. Dans le discours qu’il prononcera, le samedi 1er février 1992, dans la salle de conférences du CBC, à l’occasion de la "cérémonie de remise solennelle du diplôme de docteur honoris causa au camarade président Blaise Compaoré" par l’Ecole des hautes études internationales (EHEI), il précisera sa vision du monde et de l’Afrique. C’est que, jusqu’à présent, Compaoré s’est préoccupé essentiellement de la conjoncture politique burkinabè. Même s’il a déjà eu à présider la Cédéao et il s’est beaucoup impliqué dans la situation au Liberia ; et qu’il n’est pas, non plus, un nouveau venu sur la scène internationale : il a voyagé en Afrique, en Europe et en Asie.

C’est, bien sûr, à travers le prisme burkinabè que Compaoré analyse la situation mondiale et africaine. Il est vrai que nous sommes alors à la veille de la tenue du Forum de réconciliation nationale et que c’est une façon de couper l’herbe sous les pieds de l’opposition et de vider de toute signification un Forum qui n’avait pas de sens avant la présidentielle et qui n’en pas plus après la présidentielle.

Le Burkina Faso n’est pas en crise ; bien au contraire. Et son chef de l’Etat n’est plus un putschiste mais un président de la République légitimement élu dans le cadre d’une constitution qui a été adoptée par la voie référendaire. On comprend qu’en ce début d’année 1992, Compaoré se sente particulièrement à l’aise dans son rôle de chef de l’Etat. D’autant plus à l’aise que partout autour de lui, en Afrique de l’Ouest comme en Afrique centrale, c’est quelque peu le tohu-bohu politique, économique et social.

A suivre

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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