LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Bonne gouvernance : Et si on ouvrait le bal des audits ?

Publié le mardi 13 septembre 2005 à 08h31min

PARTAGER :                          

Mathieu Ouédraogo

« Les gouvernants d’aujourd’hui sont des serviteurs de l’Etat qui lui, est permanent. » Affirmait le candidat Blaise Compaoré le 10 août dernier à Ziniaré. En décidant par décret n° 2005-464/PRES/PM de remanier le gouvernement du Burkina Faso, il a certainement voulu donner la preuve que les ministres - ou du moins certains ministres - sont des serviteurs passagers de son dispositif gouvernemental qui lui, est « permanent. »

Ainsi donc, le président et le Premier ministre viennent de remercier trois de leurs collaborateurs en fin de matinée du lundi 05 septembre 2005. Trois ministres éjectés à la suite de ce remaniement à l’image des trois autres qui avaient quitté le gouvernement de S.E.M. Yonli le samedi 17 janvier 2004 dans un contexte marqué alors par une affaire de tentative de coup d’Etat.

Le chiffre « 3 » serait-il lui aussi entré dans l’univers numérologique des maîtres de céans comme l’est déjà le chiffre « 13 » ? En attendant d’en savoir davantage, intéressons nous d’abord aux « leçons de choses » de ce remaniement qui a quelque peu surpris sans étonner pourtant.

Un remaniement ministériel était plus ou moins attendu. L’évolution de l’actualité politique le rendait presqu’inévitable. Mais là où certains analystes semblent avoir été pris de court, c’est le sort réservé à l’alliance pour la démocratie et la fédération/Rassemblement démocratique africain (ADF/RDA) de Me Gilbert Ouédraogo lors de ce remaniement.

Après la décision historique de son congrès des 2 et 3 juillet dernier de soutenir la candidature du président sortant, Blaise Compaoré, d’aucuns pensaient qu’en attendant la mise en œuvre éventuelle du programme quinquennal de l’intéressé, certains éléphants allaient être conviés dans le gouvernement pour un stage pratique avec le développement solidaire finissant. Histoire d’affronter l’avenir avec plus d’atouts et d’enthousiasme. Nous n’y sommes pas encore. L’ADF/RDA qui entend battre campagne de manière autonome pour le candidat Blaise, observe comme des joueurs au banc de touche.

Ceux qui ont quitté le navire battant pavillon Yonli sont les ministres Alphonse Bonou, Toudoum Sessouma et Mathieu R. Ouédraogo. Ils ont été remplacés à leurs postes respectifs par les ministres Tiemoko Konaté (Ressources animales), Mori Aldjouma Jean Pierre Palm (sports et loisirs), Mme Odile Bonkoungou / Balima (enseignement de base et de l’alphabétisation). Le poste de secrétaire de gouvernement qui restait vacant de fait suite au départ de Mme Bonkoungou a échu à Pêgdwendé Clément Sawadogo, directeur de cabinet du Premier ministre.

Le ministre Adama Fofana, porte parole du gouvernement explique qu’il s’agit d’un ajustement de l’appareil exécutif pour deux motifs essentiels qui peuvent donner une grille de lecture de l’ensemble du contenu de cette décision. « Ces motifs sont d’ordre politique, d’un côté, et technique de l’autre ».

Histoire d’une coopération gouvernementale

Deux des trois ministres sortants à savoir Bonou et Toudoum Sessouma sont issus du parti africain de l’indépendance, PAI de Soumane Touré. Ce parti depuis novembre 2000 et ce jusqu’au 05 septembre dernier a toujours participé au gouvernement de Paramanga Ernest Yonli (I et II). De novembre 2000 à juin 2002 avec Alphonse Bonou et Théodule Da dans le cadre du gouvernement du protocole d’accord.

Lorsqu’en juin 2002 au lendemanin des législatives les autres signataires du protocole d’accord tels l’ADF/RDA de Hermann Yaméogo, la CPS de Nongma Ernest Ouédraogo, les verts de Ram Ouédraogo etc. ont été laissés en rade, le PAI nouait une « coopération » gouvernementale qui a permis à Bonou de conserver le maroquin des ressources animales et à Toudoum Sessouma d’y occuper celui des sports et des loisirs. En contre partie ( ?), les députés PAI qui (sauf erreur) sont au nombre de 5 se sont positionnés dans la majorité parlementaire à l’Assemblée nationale.

Ce parti qui connaît des démêlés judiciaires pour des questions administratives qui opposent ses ex-premiers responsables vient d’investir son secrétaire général Soumane Touré comme candidat à l’élection présidentielle du 13 novembre prochain.

Alors que peu pariaient pour une telle option, l’ancien leader syndical a décidé d’affronter Blaise Compaoré, le candidat du partenaire du PAI, le CDP.
Cela a t-il irrité l’autre partie ? Rien n’est moins sûr. Toujours est-il que la coopération a été rompue presque de manière brutale le lundi 05 septembre. Certaines indiscrétions, laissent entendre que ce n’est que ce jour là dans la matinée, soit à quelques heures du communiqué que la nouvelle du décagnotage a été portée au premier responsable du PAI... par téléphone.

S’il s’avérait que les choses se sont effectivement passées ainsi, il y a lieu de dire que les « marxistes-léninistes » et « les sociaux-démocrates » se sont séparés en queue de poisson. Et cela ne manquera pas de se ressentir au parlement dès l’ouverture de la session parlementaire de ce mois.
Comme on peut bien s’en rendre compte, les ministres PAI qui ont servi de souffre douleur ont été remerciés pour des raisons politiques (pour le moment !)

Mais quid du ministre Mathieu Rakiswiligri Ouédraogo ?

Ce dernier depuis juin 2002 était le premier responsable du ministère de l’enseignement de base et de l’alphabétisation (MEBA). Celui qui avait fait du concept d’ « éducation pour tous » son slogan a succédé à ce poste, du ministre Fidèle Kiethéga de la CPS. Ce ministère hautement stratégique a la charge de veiller à l’application de la politique de l’éducation du gouvernement. De reformes en reformes, cette politique gouvernementale en matière d’éducation était réduite au fameux plan décennal de développement de l’éducation de base (PDDEB).

Ce PDDEB, appliqué au forceps faut-il le rappeler, a enregistré beaucoup de critiques et de réserves de la part de certains partenaires sociaux notamment les syndicats d’enseignants. Ces derniers dont les préoccupations portaient principalement sur le contenu des programmes et la pertinence de la méthode (passage automatique et systématique en classe supérieure quelque soit la moyenne) étaient loin de se douter que celui-ci allait connaître des dysfonctionnements liés à des problèmes de gestion.

Mais le constat est que très vite, la machine du plan financé à coup de milliards allait se gripper. Outre les considérations pécuniaires qui ne sont pas du goût des enseignants PPTE, la réalisation des infrastructures n’avait pas un niveau satisfaisant. « Nous reconnaissons que la machine du PDDEB n’a pas fonctionné. Nos complexes à titre d’exemple qu’on a programmés n’ont pas été réalisés, les livres que nous avons commandés ne sont pas arrivés etc. » confessait le ministre Ouédraogo déjà en juin 2004 au journal « Le Pays ».

Certaines écoles déjà construites ne résistent pas aux intempéries à l’image de ces classes de la région du nord qui ont perdu leurs toitures si elles ne se sont pas simplement effondrées. Les chantiers piétinent et les entrepreneurs ont du mal à percevoir leur dû. Toutes ces irrégularités ont contribué au blocage du PDDEB sous le regard ahuri des nombreux partenaires techniques et financiers qui le soutiennent.

Sur la base de certaines révélations plus ou moins vérifiées de la presse, l’opinion a vite fait de porter le chapeau de la responsabilité au ministre Mathieu R. Ouédraogo. « Il est bon de reconnaître (...) que l’opinion nationale s’est émue et s’est faite l’écho de nombreuses supputations sur des dysfonctionnements qui se sont manifestés dans l’exécution des programmes dans ce ministère. » déclare le porte parole du gouvernement. Et de confesser que c’est « pour assurer une maîtrise plus marquée des actions inscrites au programme de ce département et insuffler une plus grande confiance entre le gouvernement et les partenaires techniques et financiers. Le remaniement intervenu a l’ambition d’apporter les réponses attendues par l’ensemble des parties qui interviennent dans l’exécution du PDDEB. » Les faiseurs de ministres voudraient arrêter le massacre en cours dans cette baraque qu’ils ne s’y prendraient pas autrement.

En effet, ce ministère en lui même était devenu un cas. Pendant que les braves instituteurs trimaient dans les campagnes, le ministère de l’enseignement de base et de l’alphabétisation (réputé pour être une boite à projets) était devenu une véritable caverne d’Ali Baba pour certains.

Ce n’est pas pour rien qu’au lendemain du licenciement du ministre Mathieu, il y planait un air de deuil. Y pense t-on que le glas des surfacturations a sonné ?
Cette pratique était devenue en l’espace d’un temps record, le sport favori dans ce milieu. Dans ce ministère, les séminaires-ateliers et autres rencontres se tenaient à une fréquence très régulière. Outre les perdiems qui sont distribués gracieusement aux participants triés sur le volet, ces manifestations offrent de belles opportunités aux adeptes du gain facile, pourvu qu’ils libèrent leur génie.

Un forum national sur l’enseignement du français tenu à Bobo en début août dernier a permis dit-on, d’octroyer des perdiems de l’ordre de 50 000 FCFA par jour et par participant durant 5 jours. Et cela, pendant que les enseignants peinent à obtenir la prise en charge des conférences pédagogiques.

Quid du Bureau des projets éducation qui a été dissout en mars dernier ? Le BPE était l’agence d’exécution de l’ensemble des programmes compris dans le PDDEB. Cette dissolution aurait-elle été décidée à dessein pour brouiller la traçabilité dans la gestion des fonds ? Cela ne manque pas d’intriguer en tout cas. Surtout qu’entre temps, le MEBA ne cachait pas sa colère face au rôle de « régulation » qu’entendait jouer le ministère de l’économie et des finances dans la gestion des fonds destinés au PDDEB.

Le ministre licencié aura donc payé pour tous ces impaires. Un audit commandité par le gouvernement viendra le clouer davantage ou le blanchir pourquoi pas. L’exécutif qui entend désormais se donner bonne conscience a jugé bon d’apporter du sang neuf à ce ministère en vue de le redynamiser. Bel exemple s’il en est, sauf qu’il serait bon de savoir si c’est le seul domaine qui demandait à être redynamisé ou qui nécessitait un audit..

Par Bangba Nikiema

----------------

Le "testament" de Mathieu

Ces jours-ci, l’une des affaires qui défraie la chronique est celle de la volonté d’un ministre (en l’occurrence Mathieu Ouédraogo, ex-ministre de l’enseignement de base) de placer une somme faramineuse dans une banque d’un pays voisin. Ce placement on le sait, n’a pas pu s’effectuer du fait de sa source non déclarée.

Passons sur le récent licenciement de ce ministre annoncé bruyamment le 05 septembre dernier, passons encore sur la joie avec laquelle il sortait des billets craquants dans le village de Temnaoré le week-end dernier, lors de la fête paroissiale de Saint-Louis pour nous arrêter sur ce qui reste du ministère qu’il quitte, ou qu’il cède à Madame Marie Odile Boukoungou, sa remplaçante.

L’éducation est un secteur clé du développement d’un pays. Sans une politique éducative efficiente, aucun développement n’est possible pour un pays. Les experts du Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) prévoient même que pour qu’un pays amorce le décollage économique, il lui faut un taux de scolarisation de 60%. Au Burkina, on estime à un taux de 40% les personnes scolarisées. Un chiffre qui est insuffisant, mais qui néanmoins, s’avoisine des 60% de quota fixé par le PNUD.

Depuis quelques années, les autorités du Fonds Monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale ont proposé à notre pays un palliatif pour le taux encore faible de personnes scolarisées dans notre pays. La panacée trouvée a été le Plan Décennal pour le Développement de l’enseignement de Base (PDDEB). Un plan qui dans les normes devrait relever le niveau de l’enseignement de base et le taux encore faible de personnes scolarisées.

Mais le PDDEB en dehors de sa course contre les meilleurs taux auquel il se consacre, n’a pas apporté selon les dires de certains acteurs du terrain (instituteurs, conseillers et inspecteurs) un plus dans le quotidien des acteurs de l’éducation.

Lorsqu’on demande à M..., enseignant dans la circonscription de Ziniaré ce qui lui déplaît dans l’application du PDDEB, il déclare : « J’ai été choqué lorsque dans ma classe, un élève doublant ayant à nouveau eu 3 de moyenne sur 10 a été autorisé a passé en classe supérieure. Le système actuel nous recommande d’envoyer ce qu’on appelle des « propositions de fin d’année » à l’inspection afin que eux ils décident de qui doit reprendre la classe ou pas. Ce n’est plus nous le dernier recours ! Hors les inspecteurs connaissent très peu les élèves et leur niveau. Par ces décisions arbitraires, l’élève atteint le secondaire et n’arrive plus à progresser dans son cursus. »

Le bilan du PDDEB selon lui est peu reluisant parce que les milliards injectés ne parviennent pas à bon port. « On n’utilise pas les fonds pour améliorer les conditions de vie des enseignants et pour pallier le manque criard de matériels didactiques », conclut-il. Aux dires de cet enseignant, on se demande bien si le PDDEB fait mieux que le cadre naguère plus humain de l’alphabétisation de masse.

L’essentiel dans ce programme semble être l’augmentation des taux encore bas. On « scolarise » finalement beaucoup de personnes et on les laisse sur le carreau au secondaire sans niveau et sans perspective d’emploi. Par exemple sur 83 395 admis au CEP en 2005, 22 000 ont été admis en 6ème. Le taux de réussite au CEP se chiffre à 69,01% ; 36,22% au BEPC et 32,96 au Bac.

La démission de l’Etat

Il y a des secteurs clés dans le développement d’un pays. Ces secteurs ne méritent pas d’être libéralisés ou privatisés sans des gardes fou. Parmi ces secteurs, il y a la santé, mais aussi et surtout l’éducation. Malheureusement dans notre pays, l’Etat s’est désengagé en grande partie de l’éducation. Le PDDEB qui prône l’amélioration des conditions de travail des acteurs de l’éducation a montré ses insuffisances. Ce qui a causé et continue de causer une démotivation et un ternissement de l’image de l’instituteur avec à la clé une baisse du niveau de l’enseignement.

En effet, pour mieux se désengager du secteur de l’éducation, l’Etat a trouvé un maître-mot, "la diversification des sources de financement". Ainsi, confie t- il l’avenir des acteurs de l’éducation aux financements maigres qui peuvent émaner des jumelages inter-écoles, des cotisations des associations de parents d’élèves (APE) représentants « les collectivités locales », un terme à la mode mais qui est encore vague dans l’esprit de bons nombre de Burkinabè. M. T, enseignant dans les circonscriptions de Kongoussi dit : « c’est dégradant qu’un enseignant se réfère toujours à l’association des parents d’élèves pour résoudre ses problèmes les plus intimes comme réparer son toît qui coule etc., à la longue, les villageois n’éprouvent plus du respect à votre égard, vous que le mythe de la respectabilité protégeait malgré votre maigre salaire ».

Cet état de fait a été aussi décrié par Tahirou Traoré, le secrétaire général du syndicat national des travailleurs de l’éducation de base (SYNATEB) lors de la cérémonie d’ouverture du IVè congrès de ce syndicat : « ce plan (le PDDEB) préconise la privatisation de l’école excluant de fait les enfants du peuple à travers le désengagement de l’Etat de la prise en charge financière, administrative et pédagogique des écoles sur le dos des collectivités locales et des communautés de base dans un pays où plus de 46% de la population vit avec moins de deux cents francs par jour ».

Des familles entières au Burkina n’arrivent pas à inscrire leurs enfants à l’école primaire parce que cette école est devenue un luxe (les scolarités vont de 10 000 au public à 200 000 FCFA pour certaines écoles privées). Ces familles pauvres, luttant au fil des années contre la famine finissent par se faire complices de trafic d’enfants et d’exode rurale. Conséquence, les villes sont peuplées d’enfants qui travaillent à un bas âge avec des « tuteurs » qui ne les traitent pas toujours selon leur âge.

L’Etat doit assumer ses responsabilités Il faut le dire, le système éducatif burkinabè est de plus en plus grabataire. Le peuple pauvre et appauvri, a du mal à se prêter à une école qui se présente à ses yeux comme un luxe. La démission de l’Etat de ce secteur clé (l’éducation de base surtout) handicape malheureusement la chaîne. L’élève du primaire au Burkina obtient de plus en plus le CEPE avec un niveau d’instruction et d’éveil de conscience parfois bas (avec 3 de moyenne sur 10 on passe en classe supérieure). Une fois au secondaire, c’est l’échec, les lacunes de l’école primaire qui rejaillissent.

Les élèves les plus méritants même ne sont pas encouragés du fait de la raréfication des bourses qui, il faut l’avouer stimulent les études. L’enseignement de base au Burkina a besoin de « pompiers » qui travaillent à mettre en place un système éducatif cohérent et efficient, qui permet au fils ou à la fille du pauvre de pouvoir s’épanouir dans une société où l’Etat encourage l’émulation et ne démissionne pas face à la poussée du capitalisme qui ravage comme un essaim de criquets pèlerins.

Par Roger Sawadogo
Bendré

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique