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Chronique de la métamorphose du Burkina Faso de Blaise Compaoré (3)

Publié le lundi 12 septembre 2005 à 08h25min

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1989. J’étais au Zaïre en janvier, au Sénégal en février, au Cameroun en mars et en avril, en Côte d’Ivoire en mai. En juin, je retrouve le Burkina Faso. Ce n’est pas, économiquement, le mieux loti des cinq pays oùj’ai séjourné au cours de ce premier semestre, loin de là. Ce n’est pas le plus agréable pour y vivre ; ni le plus facile pour y travailler.

C’est le seul où l’on perçoit le changement et plus encore la volonté de changement. A Kinshasa, qui n’est déjà plus "la belle" qu’elle a été, Mobutu dit "non à la perestroika" et pense que son parti unique, tout comme son pouvoir, est éternel ; à Abidjan, Félix Houphouët-Boigny a fait le mauvais choix : il est englué dans sa "bataille du cacao" qu’il va perdre et qui va le perdre ; à Dakar, Abdou Diouf est, déjà, à bout de souffle ; à Yaoundé, Paul Biya laisse dire et laisse faire comme à son habitude, abandonnant à ses "businessmen" le rôle d’illusionnistes afin de donner aux institutions internationales l’impression que le pays se développe quand il ne fait que se dévorer lui-même.

Le Burkina Faso est un pays enclavé et démuni de ressources naturelles. Trois priorités ont été définies : l’équipement, pour construire des routes et produire de l’énergie ; l’eau, pour abreuver les hommes et les animaux ; le plan, pour coordonner les actions de développement. Le commandant Daprou Kambou ; qui est le ministre de l’Equipement, me l’affirme d’emblée : "Notre révolution a ceci de particulier, c’est que nous entendons ne pas nous limiter à des
paroles. Il ne s’agit pas seulement de crier des slogans, il faut réaliser quelque chose sur le terrain. Et ce que nous réalisons sur le terrain doit refléter ce que nous disons. C’est sur cette seule base que nous devons travailler ".

Ce n’est pas qu’un slogan. Les Burkinabè sont au travail, partout, sur des chantiers modestes mais qui changent la physionomie du pays et, en tout premier lieu, de la capitale Ouagadougou. On y achève le siège de la BCEAO et celui du Conseil burkinabè des chargeurs (CBC) - qui sont sans doute les deux premiers "buildings" du pays. Les ministres sont au bureau ou sur les chantiers. Le barrage de Kompienga a été inauguré le 4 avril 1989 ; celui qui en a été le patron de la maîtrise d’ouvrage n’est autre que Pascal Zagré, par ailleurs ministre du Plan et de la Coopération (qui, malheureusement, va décéder brutalement quelques années plus tard avant d’avoir pu exprimer toutes les énormes potentialités opérationnelles que cet homme - qui était aussi mon ami - pouvait receler et qui étaient parfois difficiles à cerner tant il était un foisonnement d’idées et de réflexions sur tous les sujets).

Zagré me disait que la réussite du Burkina Faso tenait à une option fondamentale : celle de la
"décrispation" qui avait permis, me disait-il, "la création de conditions favorables à l’exercice des activités des opérateurs économiques". Pour le reste, les atouts étaient" le sérieux dans la gestion ", "une volonté réelle de développement", "un esprit de coopération ".

Je passe juillet 1989 au Congo, au Mali et au Gabon. Je suis de retour au Burkina Faso en août. Je parcours le pays ; je fais un aller de Ouaga à Bobo-Dioulasso par le train ; je reviens dans la capitale par le bus (la fameuse compagnie X9). Le secteur public est encore omniprésent dans tous les domaines d’activité. Le Burkina Faso s’est même attelé à mettre en place une compagnie aérienne pour évacuer vers les marchés européens ses productions agricoles de contre-saison : Naganagani ("La petite hirondelle ") a alors pour directeur général Alain Yoda, aujourd’hui ministre de la Santé.

Je quitte le Burkina Faso, à la fin de l’été 1989, avec la sensation que que ce pays explose de toutes parts comme si son énergie avait été trop longtemps contenue au cours des années de la "Révolution". Le discours n’a pas fondamentalement changé ; ce sont les comportements qui ont évolué. Avec le retour de la propriété privée (qui avait été abolie, y compris en matière immobilière), même si le secteur d’Etat tend encore à tout contrôler (avec, survivance du passé et ce n’était ni la meilleure, ni la pire des choses - la participation des syndicats à la gestion des entreprises), il est évident que la "Révolution", même "rectifiée", est un cadre trop étroit pour que toutes les potentialités des Burkinabè puissent s’y exprimer.

Compaoré veut-il aller plus vite, plus loin ? Trop vite, trop loin ? Et veut-il y aller seul et non plus dans un cadre collégial qui, en matière politique comme en bien d’autres matières, est un frein aux initiatives ?

Le 18 septembre 1989, alors que Compaoré a été absent du pays, en visite officielle en Asie et, notamment, à Pékin et à Tokyo, pendant plus de deux semaines, il est confronté, dès sa descente d’avion, à un complot politico-militaire. Sont mis en cause deux personnalités historiques qui, avec Thomas Sankara et Blaise Compaoré, ont permis la réussite de la révolution du 4 août 1983. Le commandant Boukari Jean-Baptiste Lingani est ministre de la Défense populaire et de la Sécurité et le capitaine Henri Zongo est ministre de la Promotion économique.

Après que Gilbert Diendéré, patron des commandos de Pô, ait fait capoté leur coup de force, Lingani et Zongo sont condamnés à mort par un tribunal militaire et aussitôt fusillés (dans la nuit du 18 au 19 septembre 1989, avec le capitaine Sabyamba Koundaba et l’adjudant Anis Gnèngnè).

Ouaga n’a pas une larme pour ses anciens leaders. Je commente : "Rectification sans état d’âme". J’aimais bien Zongo qui, quelques semaines auparavant, me recevant à Ouaga avait fustigé" la France coloniale qui trouvait formidable le projet d’amener le train d’Abidjan au Niger et qui, maintenant que nous sommes indépendants, nous dit que c’est un mauvais projet". Et je ne suis pas convaincu par les arguments officiels qui me sont présentés. On y dénonce des "militaro-fascistes", des "ambitieux", des "réactionnaires, anti-démocratiques, antipopulaires"
voulant "restaurer un pouvoir fasciste".

"Tout est calme. Pas un coup de feu. La meilleure preuve en est que je suis à mon bureau en civil et non en tenue militaire" me dit au téléphone un des capitaines en vue du régime. Un ancien sankariste ayant connu ses heures de gloire au temps des CDR, est désabusé : "Ce sont des réglements de comptes entre gens au pouvoir. Mon problème à moi, désormais, comme à tous mes compatriotes, c’est de nourrir ma famille".

Au lendemain de ce coup de force, je suis à New York et à Boston avant d’aller en Côte d’Ivoire au cours du mois d’octobre 1989. C’est un de mes collaborateurs qui interrogera Compaoré sur "les événements du 18 septembre". Compaoré sera brutal dénonçant "leur conception du pouvoir [qui] était celle de la caserne. Ces hommes n’ont jamais voulu aller sur le terrain du débat politique pour faire passer un point de vue. Ils étaient très limités dans ce domaine. Depuis le début, ils ont accompagné la révolution sans y prendre part".

De son côté, le capitaine Arsène Bongnessan Yé, coordinateur national des organisations de masse, affirmera au sujet des putchistes : "En réalité, ils visaient tout simplement à mettre en place un régime militaire". Quant à l’ancien président Sangoulé Lamizana (récemment décédé, cf LDD Spécial Week-End 0178/Samedi 28-dimanche 29 mai 2005), qui avait accompagné Compaoré en Asie (c’est lui qui avait initié les premiers contacts avec Pékin), il estimait : "Cela me paraît relever tout simplement de l’égoïsme le plus aiguisé et de l’intérêt personnel. Il n y a pas d’autre explication. Si la situation était aussi catastrophique que le prétendait le commandant Lingani, il lui appartenait d’exprimer son désaccord à son collègue, le président Blaise, et de lui suggérer des rectificatifs. Or, il s’est toujours tu. Tout le monde est unanime au Burkina pour rejeter ce type d’aventure".

Même le redoutable Alidou Ouédraogo, président du Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBHP), bien que déplorant les exécutions, ne manquera pas de remarquer que "depuis le 15 octobre 1987, il y a des notables exemples de décrispation des structures politiques du pays".

A suivre

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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