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Cancers féminins : « Il faut 900 000 F CFA en moyenne pour la prise en charge d’un cancer du sein non avancé », Dr Aboubacar Bambara, oncologue médical

Publié le lundi 24 février 2020 à 14h05min

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Cancers féminins : « Il faut 900 000 F CFA en moyenne pour la prise en charge d’un cancer du sein non avancé », Dr Aboubacar Bambara, oncologue médical

En 2018, ce sont 11 643 nouveaux cas de cancers qui ont été enregistrés dans les formations sanitaires du Burkina Faso. Sur ces cas, 7 515 étaient des femmes et 4 127 des hommes, avec à la clé 5 795 décès chez l’autre moitié du ciel. Les femmes sont donc les plus touchées par le cancer dans notre pays. Quels sont les types de cancer les plus fréquents chez les femmes ? Quels sont les facteurs de risques ? Comment se fait la prise en charge ? Autant de questions auxquelles a bien voulu répondre Dr Aboubacar Bambara, oncologue médical, chef de service oncologie et hématologie clinique au Centre hospitalier universitaire de Bogodogo et aussi enseignant à l’Université Joseph-Ki-Zerbo.

Lefaso.net : Qu’est-ce que le cancer ?

Dr Aboubacar Bambara : Le cancer, c’est une multiplication anarchique des cellules avec possibilité d’aller ailleurs pour donner ce qu’on appelle la localisation secondaire ou métastase. Tous les organes de notre corps peuvent être atteints par le cancer, des cheveux jusqu’aux orteils.

Quels sont les cancers les plus fréquents au Burkina Faso ?

Il faut dire que les cancers les plus fréquents au Burkina sont fonction de l’âge et du sexe. C’est ainsi que nous nous occupons du cancer de l’adulte, c’est-à-dire chez les sujets qui ont plus de 15 ans. Chez les femmes, les cancers les plus fréquents sont, en première position, le cancer du sein suivi du cancer du col de l’utérus.

Pour ce qui est des hommes, c’est le cancer de la prostate. Mais le cancer qui est le plus fréquent au niveau des deux sexes, c’est le cancer primitif du foie, le plus souvent dû à l’hépatite B.

Quel est le taux de prévalence du cancer dans notre pays ?

Nous avons des problèmes au niveau du recueil des données en ce qui concerne le cancer, ce qu’on appelle le registre de cancer. Mais ce qu’on peut dire, selon les estimations de l’Organisation mondiale de la santé, en 2018, il y avait près de 11 000 nouveaux cas de cancer au Burkina Faso. C’est énorme. Dans ce service, en deux années, nous avons hospitalisé 594 cas de cancer en 2017 et 2018. C’est dire que c’est un problème de santé publique et que le cancer existe au Burkina Faso.

Parlons spécifiquement des cancers féminins. Y a-t-il des causes ou quels sont les facteurs de risques de ces cancers ?

En fonction du cancer, que ce soit le cancer du sein ou le cancer du col de l’utérus, il y a ce qu’on appelle les facteurs de risques. Pour le cancer du sein par exemple, il y a la puberté précoce. Le fait que les jeunes filles voient leurs menstrues très tôt.

A 10 ans, 11 ans, si on est déjà « réglée », il faut faire attention. Il y a aussi la ménopause tardive. Dans la vie d’une femme, à un moment donné, les règles doivent cesser. Mais si ça continue, il faut s’inquiéter. Il y a bien sûr la cause familiale qu’il ne faut pas négliger. Si dans la famille, il y a déjà des cancers de sein qui existent, il y a un risque de faire un cancer. A cela, il faut ajouter la première grossesse tardive. Les femmes qui font leur première grossesse après 35 ans sont des femmes à risque.

Pour le cancer du col de l’utérus, il faut dire que c’est essentiellement la sexualité précoce, les rapports sexuels précoces. Il faut une maturité de la muqueuse au niveau du col de l’utérus qui doit permettre à ce qu’on ait des rapports. Et lorsqu’on a des rapports qui sont précoces, il y a un fort risque. Il y a aussi les rapports sexuels non protégés. A cela, il faut ajouter qu’il y a un virus qui est responsable, le Human papilloma virus, qui est responsable dans près de 98% des cas de la survenue du cancer du col de l’utérus. Il y a aussi le fait d’avoir de multiples partenaires sexuels. Enfin, lorsqu’on a l’infection à VIH, c’est aussi un facteur de risque de survenue du cancer du col de l’utérus.

Y a-t-il des signes précurseurs de ces cancers ?

Il faut dire que toute femme doit connaître son corps. Une femme qui voit une boule dans son sein, que la boule fasse mal ou pas, il faut qu’elle aille consulter. Ce n’est pas parce que la boule ne fait pas mal, que ce n’est pas grave. Si c’était un cancer, c’est justement au moment où la boule fait mal que c’est grave, on est à un stade avancé.

Pour ce qui concerne le cancer du col de l’utérus, nous aimons à dire qu’une femme qui saigne en dehors des règles doit s’inquiéter. Et pire, si une femme qui a atteint la ménopause et qui se retrouve à saigner doit s’inquiéter. Donc on ne doit pas attendre d’avoir des signes pour aller consulter. Lorsqu’on attend d’avoir des signes pour aller consulter, on se retrouve à des stades le plus souvent avancés où la prise en charge est un peu plus difficile et la possibilité de guérison est très faible.

Nous invitons chaque femme à connaître son corps. Dès que quelque chose qui n’existait pas sur vous apparaît, allez consulter ! On n’a pas dit que c’est tout signe qui constitue un cancer. Ce n’est pas toute boule dans le sein qui constitue un cancer. Mais chaque fois que vous n’allez pas dans un centre de santé parce que vous avez une boule et que vous attendez que ça fasse mal avant d’y aller, souvent on découvre des cancers du sein, à des stades vraiment avancés.

Comment se fait la prise en charge du cancer du sein et du cancer du col de l’utérus ?

Au Burkina Faso, nous avons quand même la chance d’être écoutés par les autorités du ministère de la Santé et même au niveau présidentiel. Ce qui fait que, de jour en jour, nous sentons une nette amélioration de nos conditions de travail. Pour le cancer du sein, il y a ce qu’on appelle un bilan à faire pour confirmer le cancer par des examens. Et lorsque c’est confirmé, on fait l’examen anaphase qui consiste à regarder les cellules pour confirmer que c’est un cancer. Et on va avoir le stade de la maladie. Une fois que le stade est défini, on saura si on commence par un traitement médicamenteux anti-cancéreux, ce qu’on appelle la chimiothérapie et qui existe au Burkina, ou soit la chirurgie.

C’est ce que nous savons faire, c’est notre métier, nous sommes un spécialiste dans ce domaine. En fonction du stade, on peut être amené à enlever tout le sein ou alors enlever une partie du sein, ça c’est la prise en charge chirurgicale. Et enfin, on aboutit au dernier type de traitement qui est la radiothérapie, qui est un traitement par les rayons, qui malheureusement n’existe pas pour le moment au Burkina Faso. Et donc nos patients qui doivent bénéficier de ce traitement sont obligés d’aller hors du pays.

Pour le cancer du col de l’utérus, c’est la même chose. Malheureusement, pour le cancer du col, à la différence du cancer du sein où au début on voit une boule, le cancer du col n’a pas de signe au début. Voilà pourquoi il est préconisé de faire le dépistage. Sinon, les femmes qui arrivent présentent des signes, des douleurs pelviennes, de l’eau qui coule, voire même du sang qui coule au niveau du sexe. Donc le plus souvent, c’est à un stade avancé, ce qui ne permet donc pas une prise en charge par l’intervention chirurgicale. On ne peut plus opérer et on est obligé d’aller à la radiothérapie ou à la chimiothérapie. Quand on ne peut pas faire le traitement ici, surtout la radiothérapie, on est obligé de demander à la patiente d’aller hors du pays pour ses soins.

Combien coûte en moyenne la prise en charge de ces deux cancers ?

En moyenne, il faut dire que pour le cancer du sein, il faut au minimum 100 000 F CFA par séance multiplier par six, donc 600 000 F CFA. Ce sont des séances de traitement par médicaments qu’on appelle chimiothérapie. Si on doit ajouter l’intervention chirurgicale, on peut atteindre facilement 900 000 F CFA pour la prise en charge d’un cancer du sein qui n’est pas avancé. Plus c’est avancé, plus on va allonger les traitements qui existent et ça devient plus longs et plus coûteux pour la patiente.

En moyenne, 800 000 F CFA sans tenir compte de la radiothérapie. Quand on arrive au stade où on doit compléter le traitement par la radiothérapie, la patiente est obligée d’aller hors du pays. Et cela a un surcoût, puisqu’il faut payer le transport, l’hébergement, la nourriture et bien sûr le coût du traitement. Donc en gros, nous nous retrouvons souvent à plus de deux millions de F CFA pour la prise en charge complète. Pour nos populations, c’est énorme, quand on sait aujourd’hui qu’il n’existe pas un système d’assurance fonctionnel partagé par le plus grand nombre. Ce sont seulement les assurances privées, donc ce n’est pas facile aujourd’hui de soi-même se prendre en charge quand on a un cancer du sein.

Pour le cancer du col de l’utérus, c’est encore plus dramatique. Comme on vous l’a dit, le plus souvent, au début, le cancer du col de l’utérus n’est pas symptomatique, il n’a pas de signes. Quand on a des signes, comme les douleurs pelviennes, les saignements, en ce moment, on est à un stade non opérable. Ce qui reste comme alternative, c’est le traitement par la radiothérapie. Et ce traitement n’existe pas au Burkina, donc les femmes doivent aller hors du pays et le minimum souvent, c’est autour de deux à trois millions de F CFA avec tout ce qu’on a comme tracasseries, choc émotionnel, souffrance. C’est énorme, donc nous pensons que toute femme aujourd’hui, à partir de 25 ans, doit faire son dépistage des lésions précancéreuses pour la prévention.

Normalement, pour qu’on aboutisse à un cancer du col de l’utérus, il faut un processus qui dure autour d’une dizaine d’années et qui permet donc, quand on fait son dépistage, de découvrir des lésions précancéreuses du col de l’utérus qui ne sont pas encore au stade de cancer ; et ce moment, on a des chances de s’en sortir. Lorsque vous laissez et vous aboutissez à un cancer du col et le plus souvent avancé, il est difficile de faire la prise en charge.

Quand une femme est au stade de lésions précancéreuses, combien coûte la prise en charge ?

A ce stade, il faut le dire et beaucoup de femmes l’ignorent, la prise en charge est gratuite. Depuis avril 2016, le gouvernement du Burkina Faso a décrété la gratuité du dépistage et de la prise en charge des lésions précancéreuses du col de l’utérus. Toutes les femmes qui ont plus de 25 ans devraient le savoir, malheureusement, ce n’est pas le cas. Comme ça touche un organe intime de la femme, les gens n’aiment pas en parler. Donc il faut qu’on parle et que les gens sortent de ce tabou pour aller consulter pour que ce soit un réflexe chez nos compatriotes. Toute femme doit faire régulièrement son dépistage, que ce soit pour le cancer du sein ou le cancer du col de l’utérus.

Des conseils pour éviter d’avoir ces deux cancers.

Il y a plusieurs mécanismes qui font aboutir au cancer. Donc il faut être attentif à son corps, savoir faire l’auto-examen du sein, comment on palpe les seins. Toute femme doit savoir palper son sein et aussi en fonction de l’âge faire ce qu’on appelle une mammographie.

Quand une femme a plus de 35 ans, elle doit faire au moins une mammographie qui va permettre, en fonction des résultats, de savoir s’il existe des lésions suspectes ou pas. Et en fonction des résultats que vous allez avoir de l’examen qui est un examen de radiologie, si vous n’avez pas de lésions, on peut faire un programme pour vous dire de revenir dans deux ou trois ans.

Mais une femme qui a aujourd’hui plus de 35 ans qui n’a pas encore fait sa mammographie, il y a un problème. J’insiste, il y a un problème. On ne peut pas accepter aujourd’hui en 2020, qu’une femme qui a plus de 35 ans n’ait jamais fait de mammographie.

Ensuite pour le cancer du col, c’est la même chose. Il faut que la femme fasse le dépistage des lésions précancéreuses du col, parce que si c’est au stade de lésions précancéreuses, la guérison est à 100%. Malheureusement comme c’est un cancer qui, au début, ne donne pas de signes, on arrive à un stade avancé, on ne peut plus être opéré et ça devient compliqué.

Une femme doit faire attention à son corps. Une femme qui saigne en dehors de ses règles doit s’inquiéter. Nous devons prendre un certain nombre de précautions pour lutter contre ces maladies qui sont, je le rappelle, les deux premiers cancers chez la femme au Burkina Faso.

Justine Bonkoungou
Lefaso.net

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