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M. Bernard Lédia Ouédraogo, président de la Fédération des groupements "Naam" et des "Six S"

Publié le lundi 5 septembre 2005 à 08h00min

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M. Bernard Lédéa Ouédraogo est le président de la Fédération des groupements Naam et des "Six S". Les groupements "Naam", c’est six cent mille adhérents au Burkina Faso, particulièrement en milieu rural.

Ces derniers mois, la crise alimentaire frappe sévèrement les producteurs du Burkina, ceux encadrés par les associations Naam.
Sidwaya a rencontré le président-fondateur des groupements Naam et des "Six S" pour échanger sur la crise alimentaire, les activités des "Naam" et le développement.

Sidwaya (S.) : Est-ce que la situation qui prévaut actuellement dans le Nord du Burkina peut être assimilée à une situation de famine ?

Bernard Lédia Ouédraogo (B.L.O.) : C’est une situation de famine qui prévaut actuellement dans le Nord du Burkina parce que ce n’est pas la première fois d’ailleurs. Ici, les pluies viennent maigres ou insuffisantes. Autant elles viennent sous forme de grosses tornades, elles tombent drues et elles passent aussitôt.

Elles provoquent ainsi l’érosion qui dégrade le sol, déracinent les arbres et les plantes qui existent. Cela contribue à aggraver l’érosion. Nous savons tous que l’érosion appelle le phénomène de la désertification. Nous avons une diversité de moyens pour lutter contre l’érosion mais l’érosion est telle que nos petits moyens ne sont pas à mesure de faire face au fléau.

Néanmoins, nous ne nous décourageons pas. Nous allons continuer à lutter contre ce fléau. Tous ces aspects montrent qu’il y a une famine chronique et cette année la situation est pire parce qu’il y a non seulement la sécheresse mais aussi les criquets qui ont tout dévasté. Du moment que la saison a trouvé une situation dégradée sur tous les plans amenant ainsi une autre situation catastrophique. Nous ne manquons pas de le dire. Nous ne savons pas si ailleurs, on peut essayer de la réparer dans l’immédiat. En attendant, ici, vraiment l’heure est grave. Par exemple, dans notre centre Basnéré, il y a des femmes qui pèlent les mangues pour les faire sécher. Les enfants viennent du village chercher les pelures pour manger. Cela fait vraiment mal au cœur et on n’y peut rien. Cet exemple nous indique que la famine se pose avec beaucoup d’acuité.

Pour les causes comme je l’ai déjà dit, il y a la dégradation de la situation depuis plusieurs années, et cette année, elle s’est compliquée davantage parce qu’il n’a pas du tout plu l’année passée.

On s’attendait à cette situation mais on ne peut rien contre la faim et la famine que nous sentons venir. Les membres de notre association se sont préparés pour la circonstance mais c’est vraiment insuffisant. A l’heure où nous sommes, le gouvernement lutte pour nous aider mais son effort est insuffisant. Il faut le dire franchement.

Nous ne savons pas au juste où nous allons partir. Dans le Nord, les populations travaillent beaucoup et ils savent inventer des techniques pour faire face aux causes de l’érosion. Ils inventent également les retenues d’eau, environ dix-huit (18) retenues pour pratiquer la maraîchéculture en saison sèche afin de faire face à la famine. Il y a un paysan membre de nos groupements, aujourd’hui décédé qui le disait "...6S est un grenier de la saison sèche. En hivernage, on cultive, on remplit les greniers et en saison sèche, on fait beaucoup de légumes, de pommes de terre. En ce moment, ton grenier se repose pour attendre l’année suivante". Mais malheureusement, de nos jours ce n’est plus le cas. Nous avons beau produire en saison sèche, les céréales que nous avons eues en hivernage ne suffisent pas du tout pour quoi que ce soit.

S. : Est-ce que le déficit pluviométrique ou l’invasion acridienne suffisent vraiment à justifier cette situation après tout ce que vous avez cité comme travail accompli en saison sèche. N’y a-t-il pas quelque chose de décourageant ?

.L.O. : Ce qu’on peut aussi ajouter, c’est la démographie. Elle est galopante.

Ici, à plusieurs reprises, j’ai été décrié parce que je dis aux uns et aux autres de réguler les naissances. Il y a des familles qui ont au moins vingt, trente enfants, ...

Quel qu’en soient les efforts des parents, ils n’arriveront pas à nourrir tous ces enfants. Ce n’est pas possible. Il y a aussi des familles qui ont quatre, cinq ou six femmes, des enfants, des petits-fils, ... Comment arriver à nourrir toute cette population ? Cela aussi est un fléau que les gens refusent d’aborder et veulent même expressément ignorer. Quand un problème est difficile, il faut le regarder en face et essayer de le résoudre comme l’on peut. Mais ce n’est pas le cas, on essaie de dire communément que Dieu va les nourrir. Il faut faire un effort pour que Dieu vous appuie. C’est difficile de nourrir plusieurs femmes et une vingtaine d’enfants avec une superficie de 2 ou 3 hectares. Il faut tenir compte de ces enfants en se demandant qui cultivera pour ces petites bouches ?

S. : On remarque que le Nord est celle où les gens immigrent plus ?

B.L.O. : C’est le problème de démographie. Il n’y a plus de place pour tout le monde et pour cela, il faut immigrer. Cela s’explique car c’est un problème auquel on n’a plus besoin de réfléchir car de nos jours les problèmes d’espace et de pauvreté des sols se posent. Notre région est la seule où on a inventé beaucoup de technologies adaptées à l’agriculture mais néanmoins, elles ne marchent pas. De nos jours, tout le monde sait faire une fosse fumière et en plus nous plantons l’acacia albida, tellement on recherche le fumier, on recherche aussi la nourriture du sol.

S. : Après plusieurs décennies de lutte, apparemment la situation ne s’améliore pas. Est-ce que ce n’est pas finalement un combat perdu d’avance ?

B.L.O : On ne perd jamais de combat même s’il va durer. C’est un combat qu’on ne perdra jamais, peut-être après moi. C’est une victoire que nous aurons tôt ou tard parce que d’abord c’est petit à petit qu’on pourra arriver à diminuer le nombre d’enfants et de femmes par famille. Ensuite, si nous administrons les technologies agricoles, nous ne payerons plus beaucoup d’engrais. Les paysans de nos jours connaissent les méfaits des engrais chimiques sur les sols.

S. : Que pensez-vous de cette politique au niveau national qui veut qu’on aille à la spécialisation régionale, c’est-à-dire qu’on cultive selon chaque région ?

B.L.O : C’est une bonne chose car c’est le climat, l’écologie qui le veulent. En exemple, dans notre région, on ne peut pas cultiver du coton. On est obligé de s’adapter à la loi de la nature. On peut y cultiver du mil, des arachides, du sésame, ... A l’Ouest du pays, on peut y cultiver mieux le coton par rapport au Nord. Chaque région doit produire en tenant compte des facteurs écologiques et climatiques de sa zone. Personnellement, je suis d’accord avec cette optique parce que ce n’est pas partout qu’on peut tout produire. Il faut vraiment tenir compte de la spécificité de chaque région. Nous les hommes, nous demandons à la nature et au bon Dieu la pluie afin de pouvoir nous autosuffire sur le plan alimentaire.

S. : N’est-il pas nécessaire de trouver des semences qui s’adaptent à chaque région ?

B.L.O : Cela est tout à fait juste et normal. Cela est évident et de bon sens. Des recherches ont été faites et continuent de se faire dans ce sens.

Nous travaillons beaucoup avec l’INERA et beaucoup d’autres organismes de recherche agronomique qui font même des expériences dans nos terroirs. Nous avons en exemple une espèce de haricot appelée "haricot 6S" parce que nous avons été les seuls à l’essayer dans la région.

Ce haricot produit beaucoup et très rapidement.

Au bout de trois mois, ce haricot est prêt dans les champs et tant qu’il y a de l’eau et du fumier, il continue sa production.

En dehors de ce haricot, il y a du mil précoce que nous essayons aussi. Ce mil suit un peu le cycle de la saison. La mousson fait que nous recevons la pluie tard et elle nous quitte aussi très tôt.

Pendant qu’il pleut toujours au Sud du pays, le Nord n’a plus de pluie. Cela fait qu’il nous faut des semences précoces afin de faire face à la situation qui est indépendante de notre volonté.

S. : Les organismes génétiquement modifiés (OGM) peuvent-ils donc être la solution ?

B.L.O. : Pour l’instant, nous n’avons pas essayé ; je n’ai aucune réponse en ce qui concerne les OGM. Nous attendons que des chercheurs nous demandent d’essayer afin que nous nous lancions aussi dans les essais pour voir ce que cela va nous donner comme résultat.

S. : La communauté internationale a mis du temps avant de réagir face à la situation qui prévaut au Sahel. Selon vous, ce retard est-il un signe qui marque un désintérêt pour les problèmes de la région ?

B.L.O. : Je ne sais comment répondre à cette question. Tout dépend de nous ou de l’extérieur ? Le problème est là, nous devons chercher à le résoudre au lieu de chercher l’agent causal.

S. : Est-ce que les "6S" et les groupements Naam se portent aussi bien qu’il y a 10 ans ?

B.L.O. : Je peux répondre peut-être mieux. Sur tous les plans, nous avons une meilleure capacité de production qu’avant. Tout les 600 000 adhérents au Naam portent nos principes et notre philosophie dans leur cœur. Eux-mêmes, ils le disent, ils savent que c’est un gain, même moralement. Tout le monde porte un grand intérêt à nos activités, à nos principes et à notre philosophie. Tout le monde aime le groupement Naam et les "6S". Je n’ai jamais entendu et vu une déception depuis 1967. Les seules déceptions sont les intellectuels qui sont arrivés croyant qu’il y a à boire et à manger. Nous n’avons pas à manger chez nous. Nous travaillons nuit et jour. Quand ils voient qu’il y a du travail et les salaires sont peu substantiels, alors ils vont ailleurs. Les paysans sont toujours avec nous et nous avons encore des adhésions qui viennent d’autres régions.

S. : Les partenaires techniques et financiers suivent-ils toujours les groupements Naam et les "6S" ?

B.L.O. : Les partenaires nous sont fidèles. En exemple, nous avons la coopération Suisse qui est avec nous depuis 1977. Nous avons des partenaires qui continuent de nous venir en aide depuis des années. Nous avons célébré notre XXe anniversaire avec l’Association française pour le Développement international (AFDI), il y a de cela 2 ans ; il y a d’autres pays qui nous financent comme le Danemark qui a financé notre radio.

S. : La lutte contre la pauvreté est le leit-motiv un peu partout en Afrique comme au Burkina. Les ONG comme les "6S", les groupements Naam s’inscrivent dans cette dynamique ? Y a-t-il une réorientation ou avez-vous épousé cette politique ?

B.L.O. : Nous avons épousé cette politique mais nous avons des choses que les autres n’ont pas. Nous avons d’abord les technologies traditionnelles que nous trouvons sur place. Nous les améliorons en accord avec les anciennes afin d’éviter la routine. Nous leur donnons des idées afin d’améliorer les pratiques qui se font depuis des années. Ils nous félicitent et trouvent extraordinaire l’amélioration du Zaï qui nous permet d’obtenir du bon compost à partir de déchets. Ensuite, au delà de l’innovation nous créons. Nous avons créé le tapis herbacé qui est un meilleur moyen pour lutter contre l’érosion. Nous avons expérimenté ce système et il est apprécié par tout le monde. Certains même veulent qu’il soit généralisé dans tout le pays. Ce système est déjà expérimenté partout au Niger. Au niveau du Burkina, la province du Passoré en pratique de même que les cordons pierreux. Certains paysans viennent s’imprégner de l’expérience chez nous mais de retour, ils ne font rien. Nous pouvons dire que ces gens-là ont assez à manger chez eux.

S. : Dites-nous ce que c’est le groupement Naam, les "6S" ?

B.L.O. : Le groupement Naam a été créé en 1967, "6S" en 1977. Le groupement Naam est une association locale (nationale) tandis que "6S" est internationale parce qu’il existe en Guinée Bissau, la Gambie, le Sénégal, la Mauritanie, le Togo, le Mali, le Niger et le Burkina Faso. L’ONG "6S" est née d’une association des groupements Naam nationaux afin d’unir nos forces pour le bien-être du monde rural. "6S" veut dire "Se Servir de la Saison Sèche en Savane et au Sahel" (6S) appuie toute activité de développement en savane et au Sahel. Son appui dans le domaine de la formation quelle soit technique, éthique et autre.

Entretien réalisé par Tiergou Pierre DABIRE

Sidwaya

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