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Burkina Faso : Le « Badya », spécificité culturelle en pays bôbô, a désormais son rendez-vous annuel

Publié le mardi 17 décembre 2019 à 10h30min

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Burkina Faso : Le « Badya », spécificité culturelle en pays bôbô, a désormais son rendez-vous annuel

Les 21 et 22 décembre 2019, le village de Kofila, dans la commune de Léna, région des Hauts-Bassins, va vivre au rythme du « Badya », spécificité culturelle de ladite localité. Portée et nourrie par Gaoussou Ouattara, artiste-musicien plus connu sous le nom de Watt Millo, qui en a fait un concept à travers ses opus, l’initiative se veut à la fois un creuset de promotion de cette richesse culturelle bôbô, de cohésion sociale et du vivre-ensemble. C’est d’ailleurs dans cet esprit que les Peuhls (parents à plaisanterie des Bôbô) sont à l’honneur à cette édition inaugurale. Pour en savoir davantage sur ce désormais festival Badya (il sera annuel), nous avons rencontré son ‘’ambassadeur’’, Gaoussou Ouattara.

Lefaso.net : Le « Badya » a désormais son cadre d’expression… ; un rêve qui se réalise pour vous, peut-on dire ?

Gaoussou Ouattara : Effectivement, c’est une initiative longtemps portée et nourrie par l’association Badya musik (ABM), dont je suis le président, en vue de valoriser un pan de notre patrimoine culturel, notamment en pays bôbô. Nous avons effectivement décidé de lancer un festival dédié à cette culture : le Badya. La première édition se tient dans quelques jours, les 21 et 22 décembre 2019, dans le village de Kofila, commune de Léna. Dans la dynamique de cette première édition, nous avons mis en place un comité d’organisation, qui est en train de s’affairer pour la réussite de l’évènement. A ce jour, tout se passe bien pour une première édition de festival Badya reussi.

Pouvez-vous nous en dire plus sur « Badya » ?

Le « Badya », c’est un rythme guerrier de la localité des Hauts-Bassins, précisément du village de Kofila. Le Badya est à l’origine une lutte atypique, qui a sa spécificité. Elle a la spécificité de ne pas faire intervenir les mains comme les luttes qu’on voit jusque-là. Le Badja se fait avec les pieds, les adversaires se combattent et se terrassent donc avec les pieds. Il comporte aussi un volet danse. Donc, le Badya, c’est à la fois une lutte et une danse. Dans la première partie, on bat le tam-tam, les adversaires sortent, font des acrobaties, des accrochages et après, ils esquissent des pas de danse. Puis, ils s’affrontent dans la lutte à proprement dite. Dans cette partie de confrontation, il est interdit d’en venir aux bras, donc pas d’accrochage à travers les bras ; c’est seulement avec les pieds jusqu’à ce qu’un vienne à bout de son adversaire.

Le festival Badya, dont la première édition se tient les 21 et 22 décembre 2019, vise à donner plus de visibilité à ce pan de notre culture (aux rythmes bôbô en général) pour permettre non seulement sa promotion au niveau local, mais également au plan national, voire international.

Il faut souligner qu’avant la naissance du festival, j’avais déjà fait du Badya un concept musical à travers mes albums. Mon premier album sorti en 1999 a été intitulé « Puissance Badya », le deuxième sorti en 2006, je l’ai baptisé « Ambiance Badya ».

Pensez-vous aujourd’hui que c’est un pan de la culture qui tend à perdre du terrain avec la génération actuelle ?

C’est un aspect culturel qui tend à disparaître. Avant, le Badya se dansait généralement pendant les vacances et il y avait tout un engouement autour de ce rythme. Mais aujourd’hui, quand on parle de Badya, on ne sent vraiment pas l’engouement. A peine certains savent même ce que ça veut dire. Alors qu’il véhicule des valeurs sociales qui pouvaient bien nous aider aujourd’hui dans bien de difficultés que nous connaissons. D’où la création d’abord de l’association Badya musik, pour encore donner plus de rayonnement de ce rythme à travers des initiatives comme le festival.

Quelles sont les valeurs culturelles que véhicule le Badya ?

D’abord, toute initiative qui réunit des hommes est déjà bonne en soi ; parce qu’elle permet aux gens de se retrouver, se parler, se connaître, se découvrir davantage, de fraterniser, etc.Le festival Badya étant d’abord un cadre de retrouvailles des filles et fils de la localité, puis des populations burkinabè, c’est pour nous un pas à ne pas négliger. Ensuite, on a beaucoup de manifestations à travers l’Afrique qui s’apparentent au Badya ; au Sénégal, la lutte est toute une culture de référence parrainée par de grandes sociétés. Il en est de même au Niger. Pourquoi pas un jour le cas au Burkina avec le Badya ?

Parlant de valeurs, on peut dire que le Badya est aussi un moment où les jeunes générations sont en contact avec les sages, qui leur apprennent des valeurs sociales qu’en tant que jeunes, souvent loin de leur terroir natal, ils igorent. Les Anciens ont beaucoup à nous apprendre et à nous léguer, il faut trouver les canaux pour les approcher, les écouter. Beaucoup de conseils de ces sages peuvent nous aider à résoudre beaucoup de difficultés. Nous avons assez de richesses, mais il me semble que nous ignorons cela.

Nous souhaitons par exemple, avec le temps, que cette activité soit inscrite à la Semaine nationale de la culture (SNC) comme discipline de compétition.

Pensez-vous que la culture peut être un guide de développement pour un pays comme le Burkina ?

Quand vous observez la marche du monde…, on peut dire qu’en Afrique, on a pratiquement tout perdu. Ce qui nous reste, c’est notre identité culturelle. Il faut donc savoir en faire usage. Et cela se fera par ce genre d’initiatives. Il ne faut pas se flatter, c’est par notre culture africaine que les autres viendront vraiment à nous respecter. Tant qu’on n’a pas d’identité, ça va être difficile. Les autres se sont appuyés aussi sur leur propre culture pour aller vite au développement.

Malheureusement, nous sommes en train d’oublier notre culture pour celles des autres. De la sorte, on n’a pas d’identité et les autres ne peuvent pas nous respecter. La culture des autres doit nous aider à enrichir la nôtre, pas nous pousser à oublier la nôtre.

Sous quel thème se tiendra cette première édition du festival Badya ?

Je dirais que le thème est imposé par le contexte. Quand vous regardez notre pays, il y a des tensions un peu partout ; même à l’intérieur d’un même village, il y a parfois des conflits entre les individus, des familles... C’est pourquoi nous avons décidé de placer cette édition sous le thème de la cohésion sociale. La cohésion sociale commence d’abord au sein de nos familles, nos communautés, notre société, le village, puis au niveau national. C’est pourquoi nous avons choisi ce thème pour appeler et interpeller chacun à être un messager de cohésion sociale au sein de sa propre famille, dans sa communauté, son village, son quartier, son voisinage, puis au plan national. C’est ce que nous voulons marquer et faire passer comme message avec le festival Badya.

Sentez-vous une implication des personnes-ressources, des populations, au plan local ?

Nous avons rencontré les personnes-ressources du village ; le chef de canton, les chefs coutumiers et nous avons tenu plusieurs rencontres avec d’autres acteurs et au sein de l’association sur le sujet. C’est une première édition, il fallait donc prendre toutes les dispositions, avoir la caution et les bénédictions des sages. Les populations sont vraiment intéressées, au plan local et même les ressortissants vivant ailleurs, notamment à Ouagadougou.

Quelles sont les activités qui vont garnir le festival ?

Dans la journée, il y aura bien des activités comme des communications et sensibilisations autour du thème de la cohésion sociale, une kermesse durant la période, un match de football et la danse peuhle. Puis, à partir de 19 h, on passe au Badya à proprement dit. Nous aurons aussi le Zarakiré, qui est un rythme aussi prisé, le Danbadya (qui est un rythme réservé aux femmes, le Badja est réservé aux hommes). La soirée va se poursuivre avec le Djombènè qui est un rythme prisé dans cette partie du pays et qui se tient généralement une fois par an et où les femmes se parent de leurs plus belles parures accompagnées d’une tenue traditionnelle atypique. Donc, c’est un grand rendez-vous culturel qui va réunir beaucoup de volets et de composantes de la culture. Au cours de ces 48 heures, il y aura également un plateau artistique, mais avec des artistes locaux (pour cette première édition). Je présenterai au cours de ce plateau, mon nouveau « single » intitulé Chérie coco, en prélude à la sortie de mon album prévue courant de l’année 2020.

En principe, le Badya se tient généralement au clair de lune, mais avec la période et les réalités, nous allons utiliser des projecteurs pour éclairer à suffisance l’espace.

Vous parliez de danse peuhle au cours de ce festival dédié au Badya, quelle est la symbolique que vous donnez à cette parenthèse ?

Les Peuhls sont nos parents à plaisanterie. La parenté à plaisanterie est une richesse incommensurable pour nous, pour notre pays, que nous nous devons de préserver. C’est pourquoi, les Peulhs sont une partie intégrante de ces 48 heures de promotion culturelle. On communiera non seulement ensemble, mais ils prendront également part à travers la danse peuhle. Tous autant que nous sommes, Burkinabè, nous sommes un même peuple, lié par un même destin. Les difficultés que nous rencontrons ne peuvent jamais remettre en cause cela et nous devons travailler à renforcer cette fraternité. C’est pour montrer que les ethnies s’entendent bien et que la diversité est notre force.

Une façon donc d’interpeller l’ensemble des Burkinabè et les appeler à la vigilance ?

Effectivement, que les Burkinabè ne perdent pas de vue, le fait qu’il y a des individus qui ont décidé de mettre à mal notre cohésion sociale qui est tant citée en Afrique et à travers le monde. Ces individus ont tenté de passer par les ethnies, puis les religions. Heureusement, les Burkinabè étant un peuple formidable, ils ont compris là où ces individus veulent nous amener. Ils veulent qu’on s’entredéchire, nous mettre en conflits ; ce qui va faire leur victoire. C’est à nous d’éviter ce piège et de nous donner la main pour vivre notre harmonie sociale, paisiblement.

Avez-vous des partenaires qui vous accompagnent dans cette édition du festival Badya ?

Nous n’en avons pas. Mais à ce sujet, nous disons honnêtement que c’est une première édition, les débuts sont toujours difficiles, si fait que nous n’avons pas pu déposer à temps nos projets auprès d’éventuels partenaires. On n’a vraiment pas eu assez de temps entre la finalisation des projets et le dépôt auprès des potentiels partenaires que nous avons identifiés. Donc, beaucoup ont répondu à notre demande, mais en expliquant qu’ils avaient déjà des engagements ailleurs au regard du délai. Mais nous ne doutons pas que les prochaines éditions auront l’accompagnement de nombreux partenaires.

Le seul accompagnement émane de la mutuelle (Takirifôrô, en bôbô-dioula, qui veut dire en français le bon esprit, la bonne initiative) au sein de laquelle nous évoluons ; c’est elle qui a bien voulu apporter un appui. Il y a aussi des bonnes volontés qui ont contribué en nature et c’est vraiment formidable. Nous avons par exemple un nom comme Yacouba Millogo, qui a vraiment mis la main à la pâte. Nous témoignons notre reconnaissance à tous ceux qui ont, d’une manière ou d’une autre, contribué et

Quel message aux ressortissants de Kofila, Léna, et à l’ensemble des populations burkinabè ?

Mon message à l’ensemble des Burkinabè, c’est de vraiment travailler, chacun, partout où il se trouve, à être un vecteur de cohésion sociale. D’abord autour de lui et sur le plan collectif. C’est ce message-là que nous voulons envoyer à tout le monde en choisissant le thème de la cohésion sociale. Il faut se donner la main, se parler ; éviter les querelles entre nous, celà ne sert à rien du tout. Soyons des éléments de sécurité pour nos proches, notre communauté, notre société et pour notre pays. Soyons la joie et le soutien pour nos prochains, c’est très important.
A quelques jours du festival, nous invitons les ressortissants de Kofila, Léna en général, à se mobiliser pour faire de la promotion de cette identité culturelle, des moments inoubliables. Nous invitons toutes les populations à venir communier car, c’est notre culture, c’est la culture du Burkina Faso, c’est notre fierté à tous. Le Burkina Faso a beaucoup à montrer au monde en matière culturelle.

Pour ceux qui se demanderaient la situation géographique de Kofila, il faut dire qu’il est situé sur la route nationale N°1 Ouaga-Bobo. Venant de Ouagadougou, vous avez après la commune de Koumbia, une pancarte à votre droite qui indique la direction de Léna (dont Kofila est l’un des villages). Kofila est situé à moins d’une quinze de kilomètres de la route nationale N°1.

Contacts utiles : 78 83 89 82 / 71 43 77 10 ou au mail : gaoussou_ouattara@yahoo.fr

Interview réalisée par O.L
Lefaso.net

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