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5e anniversaire de l’insurrection populaire : « Les évènements des 30 et 31 octobre 2014 auraient pu être évités si… », Aziz Sana, coordonnateur du Mouvement ça suffit

Publié le mercredi 30 octobre 2019 à 21h42min

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5e anniversaire de l’insurrection populaire : « Les évènements des 30 et 31 octobre 2014 auraient pu être évités si… », Aziz Sana, coordonnateur du Mouvement ça suffit

Cinq années après les manifestations ayant conduit au départ du président Blaise Compaoré, certains acteurs reviennent sur le rôle qu’ils ont joué. Ils jettent également un regard sur le parcours du pays après ces évènements. Est de ceux-là, Aziz Sana, économiste-financier de profession, coordonnateur du « Mouvement ça suffit » né en juin 2014.

Lefaso.net : Quel rôle avez-vous joué pendant les événements des 30 et 31 Octobre 2014 ?

Aziz Sana : Notre rôle a été un rôle de sensibilisation et de mobilisation pour demander aux uns et aux autres de ne pas modifier l’article 37 en son temps qui devait permettre à Blaise Compaoré de briguer un nouveau mandat.

Le « Mouvement ça suffit » était l’un des quatre mouvements qui, dès le 21 octobre 2014, ont lancé la désobéissance civile. Depuis sa création en juin 2014, le mouvement a participé à l’ensemble des marches organisées par la coalition de la société civile et de l’opposition d’antan. Egalement, nous avons animé différentes conférences de presse. Nous avons en son temps écrit à l’ancien président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, Guillaume Soro, qui est un de nos leaders estudiantins, pour lui demander de conseiller le président Blaise Compaoré, de ne pas s’accrocher au pouvoir.

A la suite de cela, nous avons eu plusieurs échanges avec les partis politiques regroupés au sein du Chef de file de l’opposition politique et le parti au pouvoir, dans l’optique que Blaise Compaoré accepte de quitter le pouvoir ; mais en retour, que sa sécurité pourrait être garantie au pays. Nous avons fortement sensibilisé les populations, que ce soit dans les quartiers, dans les arrondissements ; nous avions des sections dans les universités de Bobo, de Ouagadougou, de Koudougou. Nous avons mis en place des sections qui ont permis de mobiliser le peuple pour dire non à la tentative d’une personne de s’éterniser au pouvoir. Cela, nous l’avons fait dans le sens républicain, dans le sens du respect des droits de tout le monde.

Cinq ans après, quels regards portez-vous sur les évènements des 30 et 31 octobre 2014 ?

Après 5 ans, nous disons que les évènements des 30 et 31 octobre 2014 auraient pu être évités, si le président Blaise Compaoré avait entendu en son temps les cris de la société civile et de l’opposition que nous étions. Cela n’a pas eu lieu ; ce qui a amené son départ précipité en 2014. Or nous aurions voulu que ce soit un départ organisé, ce qui nous permettre de mieux conserver une certaine architecture de l’Etat.

Vous savez, lorsque les forces de l’Etat se détruisent en une journée, le désordre s’installe forcément. Si Blaise Compaoré avait accepté volontairement son départ, je pense qu’il y a un minimum de choses que nous connaissons aujourd’hui qui auraient pu être évitées. Notamment en ce qui concerne le désordre en matière de grèves et de terrorisme.

Vous savez que depuis que le Burkina existe, il n’a jamais connu une telle tendance à la grève généralisée et tous azimuts. Sur le plan sécuritaire, on n’a jamais été un si mauvais élève. Chaque jour, nous déplorons des décès à travers le territoire. Mais nous mettons tout cela dans le contexte du départ non consensuel de l’ancien régime qui n’a pas su transférer pacifiquement le pouvoir à une nouvelle génération. Voilà ce qui a entraîné tous ces soubresauts et dégâts collatéraux.

Au-delà de ces aspects négatifs, il y a quelques éléments satisfaisants. Les questions judiciaires ont beaucoup avancé. Avant, il était difficile de voir une certaine catégorie de personnes poursuivie juridiquement et que cela aille jusqu’au bout. La justice est aujourd’hui indépendante, même s’il y a quelques améliorations à faire pour qu’elle soit parfaite. La transparence gouvernementale y est, la bonne gouvernance est meilleure.

Je ne dis pas qu’elle est parfaite mais elle est mieux que sous le régime Blaise Compaoré. Il y a plus de participation citoyenne aussi. Avant, si vous n’étiez pas un acteur proche, un acteur collatéral de la famille présidentielle, vous ne pouviez pas entreprendre. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Regardez par exemple la composition du gouvernement. Elle est diversifiée. Il y a des acteurs indépendants qui ne font pas partie du parti au pouvoir. Il y a une certaine transparence, une certaine amélioration de la gouvernance.

Sur la question de la richesse nationale, on pourrait dire qu’aujourd’hui il y a de plus en plus une meilleure distribution de la richesse nationale ; mais le côté sombre, c’est la question sécuritaire à laquelle jusqu’aujourd’hui nous cherchons la solution appropriée.

Pour quoi milite Aziz Sana de nos jours ?

J’ai une formation d’économiste. Et chez nous, on a toujours dit que tu peux avoir les meilleures idées mais tant que tu ne fais pas la politique, c’est quasiment impossible pour toi de mettre cette manne d’idées au profit de toute la génération, de tout le public. C’est pourquoi nous avons fait le choix des actions publiques. Même si j’allais reprendre le combat, je dirais trois choses : je travaillerai toujours pour l’amélioration des droits humains, pour le raffermissement de l’Etat de droit et pour l’amélioration des conditions de vie de nos concitoyens dans un esprit de républicain et de démocrate convaincu.

C’est vrai qu’en tout combat, il y a souvent des soubresauts, souvent il y a certaines déceptions ; mais les difficultés ne doivent pas nous empêcher d’avancer. C’est en restant combatif que nous apporterons notre pierre édificatrice à notre nation. S’il fallait recommencer, nous le recommencerions mais peut -être avec de l’amélioration dans la gestion des choses en tenant compte des faiblesses que nous avons constatées. Le combat serait le même mais simplement réajusté à notre manière d’appréhender la chose, de conduire la démocratie ; cela en vue de limiter un peu les dégâts collatéraux.

On ne peut pas revenir en arrière, ce qui importe aujourd’hui c’est que nous avons une situation à améliorer. Une situation où nous devons fortement réfléchir, proposer et améliorer la vie de nos concitoyens. Ce qui doit être notre principale préoccupation aujourd’hui, c’est comment améliorer les conditions de vie de nos concitoyens. Le passé reste le passé, on ne peut pas y revenir. Mais si nous nous projetons dans l’avenir avec la situation présente, nous pourrons trouver des solutions meilleures pour les générations futures.

Que devient le Mouvement ça suffit ? Cela fait quelque temps qu’on ne le sent pas sur les questions relatives à la vie de la nation.

Vous avez parfaitement raison. En fait, nous avons fait le choix de nous adapter au contexte pour mieux survivre ; autrement dit, il y a un proverbe qui dit que la survie réussit à ceux qui savent s’adapter aux changements. Sous la Transition, nous avons créé la Coalition pour l’avancée du peuple (COPAP). Nous avons initié quelques propositions dès l’entame du pouvoir actuel et nous avons continué à le faire soit avec le Collectif 3D soit avec la Coalition pour l’avancée du peuple.

Mais aujourd’hui, nous sommes dans une position où il faut tenir compte des réalités, et proposer mieux aux Burkinabè. On ne peut pas continuer à agir comme sous Blaise Compaoré ou comme sous la Transition. Car aujourd’hui, nous avons des défis sécuritaires, de tentative de recul de la démocratie. Il faut donc arriver à s’y adapter. Ce sera un réseau, une coalition qui va tenir compte des réalités actuelles.

Nous sommes toujours dans les propositions. Ce sont les conférences de presse qui faisaient défaut. C’est la forme d’action qui a changé. Nous restons dans le conseil. La preuve, c’est qu’à chaque moment que le pays est victime d’une difficulté majeure, nous sommes toujours sortis sur les réseaux sociaux pour donner notre position bien tranchée sur la situation.

Notre organisation reviendra encore plus forte en début 2020 avec une nouvelle architecture, avec des attributions améliorées qui tiennent compte des défis actuels. Je peux dire que notre silence n’est pas synonyme de l’abandon de la lutte, mais plutôt une adaptation aux réalités que nous vivons aujourd’hui.


A LIRE AUSSI : Les héros de l’insurrection populaire (n°10) : Aziz Sana


Propos recueillis par Mariam Ouédraogo
Lefaso.net

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