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Dr Awalou Ouédraogo, Directeur général de l’ENAM : « Aucun énarque ne sera remis à la Fonction publique pour intégration sans avoir validé le stage militaire »

Publié le vendredi 23 août 2019 à 23h59min

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Dr Awalou Ouédraogo, Directeur général de l’ENAM : « Aucun énarque ne sera remis à la Fonction publique pour intégration sans avoir validé le stage militaire »

A la tête de l’Ecole nationale d’administration et de la magistrature (ENAM) depuis mars 2018, Dr Awalou Ouédraogo semble bien imprimer un nouvel élan à l’institution. En tout cas, beaucoup de choses se disent sur sa politique, dont l’une des incarnations est le stage militaire obligatoire pour tout pensionnaire de l’ENAM (le premier contingent est au Groupement d’instruction des forces armées depuis le 11 août 2019). Pour en savoir davantage sur cet « anglo-saxon », sa vision pour cette institution de formation de cadres, nous l’avons rencontré en cet après-midi de mardi, 13 août 2019 à son bureau à l’ENAM. Au-delà de son institution, il a été question de la vie du pays. Tout dans cette interview !

Lefaso.net : Qui est le nouveau Directeur général de l’ENAM ?

Dr Awalou Ouédraogo : Avant tout propos, permettez-moi de remercier Lefaso.net pour l’occasion que vous me donnez de communiquer sur les activés de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (ENAM), que j’ai le privilège de diriger depuis un peu plus d’un an.

Revenant à votre question, disons que je me nomme Awalou Ouédraogo ; titulaire d’un PhD en droit international de l’Institut des hautes études internationales et de développement de l’Université de Genève (Suisse). Juste après ma thèse, le destin m’a conduit à Toronto, précisément à l’Université York où j’enseigne les relations internationales, le droit international, la sécurité, la guerre et la paix depuis 2010.

Depuis environ un an et demi, les nouvelles autorités de notre pays m’ont fait appel pour apporter ma petite contribution à l’édifice de cette prestigieuse école. A travers une approche anglo-saxonne basée sur le pragmatisme, j’essaie d’imprimer une nouvelle dynamique à l’ENAM. 

En général, ceux qui ont duré à l’extérieur, notamment dans les pays anglo-saxons, éprouvent des difficultés à s’adapter une fois de retour au pays. Comment avez-vous vécu votre intégration dans l’administration publique burkinabè ?

Il faut même dire que le processus est en cours, il n’est pas encore terminé. Le véritable problème en Afrique, et au Burkina en particulier, c’est le modèle franco-français. Ce modèle n’a jamais marché nulle part. C’est un modèle qui empêche l’individu de laisser éclore son potentiel. Tout doit venir du haut. On se satisfait des grands titres ronflants. Quand on est nommé à un poste de responsabilité, on se croit le centre du monde et on écrase ses collaborateurs. Avec un tel état d’esprit on ne peut pas avancer.

La principale difficulté que je rencontre, est comment faire la synthèse entre le pragmatisme et la lourdeur institutionnelle et administrative de notre modèle actuel. Dans notre modèle français, tout problème doit trouver sa solution dans un texte. Or, il n’y a aucun texte au monde qui saisit le fait social dans toute sa complexité.

C’est pour cela que les anglo-saxons mettent l’accent sur les grands principes et laissent l’acteur utiliser le simple bon sens pour décider. Notre modèle administratif nous empêche d’aller vite et cela fait 60 ans que nous tournons en rond. Je pense que la principale difficulté se situe à ce niveau ; comment adapter le pragmatisme anglo-saxon à un environnement où on considère les étiquettes, les titres, les rangs...

C’est donc cette nouvelle approche que vous voulez imprimer à l’ENAM !

Oui bien sûr. Il est incontestable qu’il y a un changement substantiel dans le système de la gouvernance et le leadership à l’ENAM. C’est désormais un management participatif. La période des étiquettes est finie. Chaque collaborateur est valorisé et impliqué dans le processus décisionnel. Nous devons travailler deux fois plus pour rattraper notre retard.

Justement parce que la principale ressource d’un pays c’est sa ressource humaine ! Chaque Burkinabè, chaque individu-collaborateur, a une intelligence, un potentiel qui lui est propre. Le responsable, simple chef d’orchestre, doit réussir à fédérer tout cela pour atteindre la finalité de l’institution. Le responsable n’est rien tout seul. C’est ce modèle anglo-saxon qui marche actuellement.

Des titres ronflants dans lesquels semblent se complaire certains qui en abusent même !

Hélas, oui ! Paradoxalement, ils ne le font pas lorsqu’ils sortent d’ici, mais une fois rentrés au pays ils se comportent ainsi. C’est cela le drame. Un directeur général, quand il arrive en occident il fait comme tout le monde. Par contre, quand il est à Ouagadougou, il devient inaccessible et il exige des autres un traitement spécial, comme s’il était plus important que les autres. C’est un état d’esprit qu’il faut forcement revoir, si on veut avancer. Un responsable est, avant tout, au service des autres. Il a un devoir de reddition de comptes envers le peuple burkinabè.

L’ENAM va donc être un prétexte pour transformer radicalement notre fonction publique et, partant, la société burkinabè toute entière. La formation à l’ENAM contribuera à façonner un nouveau type d’agent public qui est conscient que nous devons travailler ensemble pour augmenter la richesse nationale.

Il faut revenir aux fondamentaux de l’action publique et l’agent public est au service de la nation peu importe le salaire qu’il a. C’est un privilège d’être un serviteur de l’Etat. On ne vient pas à la Fonction publique pour être riche.

La relecture des curricula était donc l’une des priorités que vous aviez identifiées !

Exactement. Il fallait changer radicalement les choses. Comme vous le savez, chaque institution doit avoir une vision ; où est-ce qu’on veut être dans dix, vingt, trente ans, etc. A partir de là, vous clarifiez les actions stratégiques à développer pour atteindre l’objectif. Pour l’ENAM, il fallait une refonte totale des curricula pour intégrer les outils pédagogiques fondés sur le modèle anglo-saxon. C’est ce que nous avons fait.

Les futurs cadres du pays ne viendront plus à l’ENAM pour réapprendre des théories déjà apprises à l’Université. Il faut du pragmatisme. C’est désormais la formation expérientielle. Vous venez apprendre un métier et développer une expertise dans un domaine. Quels sont les outils techniques que vous devez avoir pour être meilleur dans votre domaine ?

C’est pour cela que j’ai étendu le stage sur quatre mois, sanctionné par une note attribuée par le maître de stage et un rapport évalué par un enseignant (le stage compte pour 30% de l’évaluation finale de l’élève). Le stage ne se fera plus au mois d’août où les stagiaires n’apprennent pas grand-chose puisque l’administration elle-même est en vacance ; mais plutôt aux mois d’octobre à février. Si vous ne le validez pas, vous échouez et l’ENAM en tire les conséquences.

Ensuite, tous les cours comptent pour 40% dans l’évaluation finale. Si vous vous absentez, c’est votre problème, on vous attend à l’examen unique de sorti. Avant, les gens sortaient de l’ENAM et ils se plaignaient qu’ils n’avaient rien appris. C’est une aberration qu’il fallait corriger !

Le problème de ce pays, c’est la qualité dans la formation des ressources humaines. Formons bien les agents publics. Si nous avons des agents bien formés, ils vont savoir que nous n’avons pas deux pays. Ils sauront également que mieux vaut avoir des services publics de qualité que d’avoir de gros salaires ; parce que si vous avez un bon service public de santé, un bon service public de l’éducation, de l’eau potable, d’énergie, de route, votre salaire de 200 mille vous suffit. Mais vous pouvez avoir un salaire de quelques millions et envoyez votre enfant malade à l’hôpital qui va mourir parce qu’il n’y a pas un simple bon scanner !

Il faut revenir aux fondamentaux de l’Etat et expliquer la destinée collective que nous constituons. Si nous perdons nos valeurs, si nous ne respectons pas les principes de la gouvernance politique, économique et sociale, personne ne gagnera et c’est tout le monde qui perd. J’ai le cœur meurtri, lorsque je vois cette jeunesse qui pense que chacun doit tirer la couverture sur lui.

On a perdu notre vivre-ensemble. On a perdu ce qui fait de nous un peuple unique, exceptionnel. Quand vous sortiez du Burkina et que vous êtes Burkinabè, vous étiez respecté. Notre mythe fondateur de l’homme intègre était bien connu surtout à l’étranger !

Certains de vos prédécesseurs ont au moment de leur départ, confié et même déploré que le milieu est réfractaire aux changements. Quel a été votre constat et comment avez-vous réussi à mettre en route le processus des réformes ?

Tout est dans la manière. Si vous ne mettez pas la manière dans ce que vous faites ; ça ne marche pas. Et cette attitude, c’est à tous les niveaux qu’on doit l’avoir ; du plus grand boss au plus petit boutiquier du quartier.

Personne n’aime le changement et c’est normal, c’est naturel. Mais lorsque vous expliquez l’intérêt du changement, son urgence et son importance, tout le monde adhère. Les gens ne sont pas des idiots ! Tout le monde sait qu’au Burkina, d’une manière générale, notre système éducatif est en panne.

Ce n’est pas moi qui le dis, c’est un constat synchronique dans nos écoles, nos lycée et centres de formation professionnelle, nos universités. Ce sera un véritable désastre collectif, si nous n’avons pas le courage de réinventer l’école burkinabè. Ce n’est pas une question de politique politicienne, c’est la survie même de notre notion dont il est question.

Aux confins de la crise du système éducatif, se trouve un sérieux problème de palification stratégique. Je vous donne un seul exemple. L’ENAM est entrée depuis 2010, dans une politique de déconcentration. On a créé six IRA (Institut régional d’administration : Bobo, Fada, Dédougou, Ziniaré, Ouahigouya, Gaoua).

Conséquence, le budget qui est alloué à l’ENAM pour son fonctionnement (sans connaitre une augmentation particulière) doit être divisé entre l’ENAM Ouaga et ses six IRA (il faut y nommer des directeurs régionaux, avoir une administration ; sans compter les frais de vacation qui passent de 83 à plus de 450 millions). C’est donc normal que l’ENAM n’ait plus d’argent pour investir dans les infrastructures ! Quand vous entrez à l’ENAM, avez-vous l’impression qu’on a affaire à un centre d’excellence ? Faites un tour à la GIMPA d’Accra.

Allez-y voir le sérieux avec lequel ils ont construit leur école d’administration. Mais, si vous allouez à l’ENAM un budget constitué de 90% de paiement des présalaires et des frais de vacation, et que vous démultipliez les charges sans aucune stratégie de développement sur le temps long, il ne restera plus rien pour investir.

Je peux donc dire que mes prédécesseurs ont fait ce qu’ils pouvaient. J’estime qu’il n’y pas pire folie que de faire la même chose, d’agir de la même manière et s’attendre à des résultats différents ! Nous avons décidé de rationnaliser la politique de déconcentration de l’ENAM par la fermeture de de quatre IRA.

On a suspendu leurs activités académiques parce que je n’en vois pas la pertinence. Au contraire, on a fait du tort à ce pays en formant des agents dans ces conditions. On a gardé deux IRA : Bobo et Fada ; parce qu’il y a des infrastructures réalisées à Fada grâce à la coopération allemande et à Bobo-Dioulasso sur le budget de l’Etat.

Ces deux IRA sont spécialisés, ils accueillent les élèves des cycles B et C tandis que les A sont à Ouaga. En restructurant les IRA, en changeant le contenu des curricula (les volumes honoraires ont été réduits pour aller à l’essentiel) on passe de 62 900 heures par année à 15 600 heures. Ce qui permet d’économiser environ trois quarts des frais de vacation.

Ces économies vont nous permettre de construire progressivement des infrastructures modernes pour les IRA. Il faut redonner à tous les élèves la fierté d’être un énarque c’est-à-dire un agent public bien formé qui aime sa patrie, qui a un langage et une attitude soignée et qui est au service de la nation. Il faut façonner un nouvel agent public depuis l’ENAM, telle est notre ambition.

En juillet 2018, lors d’une cérémonie officielle de sortie de promotion, vous vous adressiez en ces termes aux autorités (le Premier ministre) : « Je profite de l’occasion pour dire aux plus hautes autorités que plus rien ne sera comme avant à l’ENAM ». N’était-ce pas très ambitieux ?

Non pas du tout ! Vous convenez avec moi qu’effectivement plus rien n’est comme avant à l’ENAM. Il faut que les gens se rendent compte de la culture du résultat. Vous avez été à tel poste pendant tel nombre d’années, qu’est-ce que vous avez fait ? Rendez-nous compte. C’est le Burkinabè qui doit, in fine, décider. Mais on ne le fait pas. C’est plutôt la culture de la médiocrité, du travail bâclé, du folklore. En un an, nous avons changé substantiellement l’ENAM. 

Il faut que les jeunes soient meilleurs que nous ; c’est ce que les gens n’ont pas compris. Le progrès d’un peuple, c’est de faire en sorte que la nouvelle génération fasse mieux que l’ancienne. Il faut donc donner les instruments aux jeunes pour qu’ils soient meilleurs que la génération précédente. Donner à la nouvelle génération, les clés pour qu’elle innove, pour qu’elle soit performante. Nous sommes dans un grand ensemble mondialisé, un monde d’excellence où il n’y a pas de place pour les médiocres.

Bientôt, nous allons ouvrir un centre de langue, de sorte qu’à la sortie, l’énarque soit bilingue. Est-ce trop ambitieux de rêver grand ? Je pense que c’est parce qu’on rêve petit qu’on demeure de piètres acteurs. Quand on dit que nous sommes faits à l’image de Dieu, qui a déjà fait un selfie avec Dieu ? Personne !

C’est une image. S’il y a un architecte habile, qui a pu faire que le soleil se lève de façon extraordinairement régulière depuis la nuit des temps, et qu’on est à l’image de cet être-là, c’est que le génie de l’humain est potentiellement illimité. Mais ce qui arrive, c’est que nous, Africains, nous rêvons tout petit.

Avez-vous l’accompagnement nécessaire (politique, administratif, financier et humain) à même de faire en sorte que « plus rien ne soit comme avant à l’ENAM » ?

Il y a incontestablement un alignement des astres et cette situation facilite ma tâche. J’ai l’appui des plus hautes autorités du pays à commencer par le ministre de la Fonction publique. De toute façon, on n’a plus le choix et c’est ce que j’ai dit aux autorités. Soit on continue de faire la même chose et on aura les mêmes résultats, soit on accepte de reformer notre système pour de meilleurs résultats. S’il n’y avait pas l’accompagnement nécessaire, on n’allait pas atteindre le résultat déjà engrangé.

Comment votre décision d’instaurer un stage militaire de 45 jours, a été accueillie par les énarques ? Ne fait-elle pas doublon avec le SND ?

L’idée est née d’une discussion avec le Pr Séni M. Ouédraogo, Ministre de la Fonction publique et nous avons décidé de la mettre en application. J’ai aussitôt pris rendez-vous avec le directeur général du SND. Je lui ai exposé l’idée. Il m’a dit que sous la transition, un décret avait même été pris pour permettre à tous les jeunes de faire la formation militaire.

Cinq cent jeunes ont été formés, mais le processus n’a pas continué parce qu’il y avait un problème. Vous prenez des jeunes dans les quartiers, vous leur donnez une formation militaire et après, ils sont dans la nature. Cela peut être un couteau à double tranchant. Il fallait donc revoir les textes.

J’ai décidé d’aller voir l’Etat-major général des Armées et j’ai demandé au ministre de prendre rendez-vous pour moi. Il l’a fait et je m’y suis rendu avec mes collaborateurs. On a exposé l’idée que nous avions. Ils ont adhéré à notre vision. On a reprogrammé une deuxième réunion, puis une troisième réunion à laquelle ont pris part le directeur général du SND et son équipe.

Il s’est dessiné deux tendances : la première consiste à réviser tous les textes qui existent et à arrimer le SND avec ce que nous voulons faire. Ce qui signifie que le processus peut durer deux à trois ans. L’autre option, que j’ai suggérée, c’est qu’on va laisser comme tels le SND et ses textes, et faire du stage militaire un module à part entière. J’ai donc dit que nous allons proposer des Termes de références à soumettre à leur validation. C’est ce qu’on a fait. Ainsi, le stage miliaire ne remplace pas le SND. C’est un module de l’ENAM qui est délocalisé au camp.

Quel est le contenu de la formation ?

Il faut préciser que ce stage n’a pas pour objectif de former des militaires. Il vise à développer les valeurs essentielles d’une nation notamment l’ordre, la discipline, l’amour de la patrie, la loyauté. Son contenu est structuré autour de trois axes : une initiation aux métiers des armes (hygiène et secourisme, sécurité militaire, topographie, instruction sur le tir, armement…).

Cette partie du stage militaire fait 139 heures. La deuxième partie est consacrée à la formation civique et connaissance des armes (38 heures). La dernière partie vise la formation à l’esprit de corps (40 heures). Sur les 45 jours de stage militaire, les élèves auront seulement 20 heures d’éducation physique et sportive (EPS).

Il y a une visite médicale en amont. Un examen médical d’incorporation (pour voir si vous êtes aptes non seulement psychologiquement, mais aussi physiquement). A ce jour 27 sont déclarés inaptes définitivement tandis que 44 sont déclarés temporairement inaptes et pourront prendre part à certaines activités.

L’objectif final, c’est d’avoir des fonctionnaires qui ont la conscience du vivre-ensemble et agissent dans l’intérêt général. Je pense que c’est une grosse réforme qui va inspirer plusieurs autres écoles.

Pour le stage militaire de 45 jours, qu’est-ce qui est réservé aux recalés ?

Il y a deux catégories : ceux-là qui sont totalement inaptes ; parce que leur état de santé est tel qu’ils doivent suivre un traitement. Ceux-là suivront un séminaire en lieu et place de la formation de 45 jours. C’est un séminaire qui va se tenir ici à l’ENAM. La deuxième catégorie, ce sont ceux-là qui ont une incapacité passagère (une femme qui allaite ou qui est enceinte) ; ils sont exemptés cette année. Mais l’année prochaine, ils vont suivre la formation.

Faut-il comprendre que tout pensionnaire de l’ENAM est désormais soumis à ce passage au Groupement d’instruction des forces armées (GIFA) ?

Affirmatif, pour parler comme les militaires. Aucun énarque ne sera remis à la fonction publique pour intégration sans avoir validé le stage militaire. Au moment où je vous parle, ils sont 783 stagiaires au camp. Et il en sera ainsi les années à venir. Il faut que l’élève qui sorte de l’ENAM mérite le titre d’énarque.

Pensez-vous qu’à cet âge, l’objectif recherché à travers ce stage militaire sera réellement atteint ?

Votre préoccupation implique qu’on doit être fataliste. Je le refuse, parce que malgré tout, on a toujours des valeurs. Si le Burkina est toujours debout, c’est qu’il y a toujours des gens dans ce pays qui travaillent au quotidien, qui se soucient de son avenir.

Heureusement d’ailleurs ! Heureusement qu’il y a des Burkinabè qui sont toujours dignes, qui pensent au bien-être collectif et qui sont fiers d’être Burkinabè. Ils sont nombreux. C’est pourquoi vous avez 783 qui sont fiers d’aller faire les 45 jours de stage militaire. Il faut bien que le changement tant voulu commence quelque part. L’ENAM est fière d’être au cœur de cette renaissance. Il n’y a rien d’impossible pour un peuple. Je n’ai jamais cru au peuple burkinabè que maintenant.

Dans vos réformes, vous avez décidé d’impliquer désormais les acteurs du secteur privé burkinabè (hommes d’affaires) dans la formation des stagiaires. Quels seront les mécanismes et modalités d’intervention de cette catégorie d’intervenants appelés professeurs associés de l’ENAM ?

Effectivement, cela fait partie de ma vision de la formation expérientielle. Quand on regarde l’ENAM, les infrastructures ne sont pas de qualité ; il n’y a pas de terrain de sport digne de ce nom ; quand vous entrez dans les salles, ce ne sont pas celles d’un centre d’excellence. Dans notre modèle franco-français, on attend tout de l’Etat.

Et l’Etat lui-même se tourne souvent vers les partenaires techniques et financiers. Un tel système ne peut nous mener au développement. Quand vous partez dans les Universités de référence les grandes infrastructures ne sont pas construites par l’Etat mais le privé.

Vous convenez avec moi que nous avons des milliardaires dans ce pays. Qu’on les aime ou pas, le constate est là. Tel monsieur ou telle dame est parti de rien, il y a à peine trente ans, mais aujourd’hui il/elle est à la tête d’un empire financier aujourd’hui.

C’est un génie ! Alors, pourquoi voulez-vous que ce personnage ne puisse pas partager son expérience aux énarques ? Ce d’autant que, in fine, l’administration est au service du privé ! Quand les gens viennent demander les documents administratifs, c’est pour aller faire leurs business.

Nous avons monté un projet, intitulé « la valorisation des champions nationaux », inspiré du modèle anglo-saxon. Nous avons approché les uns et les autres. Evidement tout est dans la manière. Accompagné du ministre de la Fonction publique, nous nous sommes déplacés pour rencontrer les différents acteurs et nous leur avons exposé l’idée.

Le projet a deux volets : financer les infrastructures (construction, rénovation), qui vont porter le nom du champion. Comment pouvez-vous imaginer qu’une école comme l’ENAM ne dispose pas d’une bibliothèque digne de ce nom or, la science se trouve dans les livres. Un des champions va financer la bibliothèque d’une valeur de 640 millions.

Elle sera connectée à toutes les grandes revues savantes. L’infrastructure va porter le nom de celui qui va la financer. Il y aura également un amphithéâtre moderne, un complexe sportif avec tribune, un restaurant où chacun peut manger selon sa bourse. Quand on met le tout ensemble, ça fait presque deux fois le budget de l’ENAM, mais sans 1 franc de l’Etat.

L’autre volet du projet est académique. En tant que professeurs associés, les champions viendront enseigner ici. J’ai développé quatre modules que chacun va venir dérouler. Ceux qui sont chargés de piloter la politique économique et sociale de ce pays sortent de l’ENAM. 

Mais, ils sont très peu à savoir que l’administration est au service du privé et que l’Etat ne se confond pas au Gouvernement. Quand ils vont écouter ces hommes et femmes, ils vont se rendre compte des exigences contemporaines du monde des affaires et de l’importance du secteur privé dans le développement économique d’un pays.

Quel est votre mot de la fin ?

Ma vision dans le moyen et long terme est que L’ENAM sera un centre d’excellence et d’innovation en administration publique. Dans cette dynamique, l’ENAM doit donc redevenir l’institution qui développe les compétences requises et les talents uniques de chaque élève, nourrit leur capacité à penser de manière critique, et les inspire à devenir apprenants à vie en quête continuelle de connaissances et de performance.

Elle doit repousser les limites et les structures du savoir, du savoir-faire et du savoir être ; et éduquer nos agents publics à devenir des citoyens intègres, informés, motivés et courageux qui ont l’humilité de travailler ensemble pour le bien commun et la volonté de montrer l’exemple pour bâtir une société plus juste et pacifique.

Notre fonction publique aujourd’hui est à bout de souffle. Ceux qui mettent ce pays en retard, ne cherchez pas loin, ce n’est pas le cultivateur de Wara ou Soumousso, ce sont nos intellectuels. L’intellectuel burkinabè est co-responsable du piètre état de notre pays. On n’est même pas capable de réfléchir par nous-mêmes. On n’a plus la fierté d’apprécier nos propres valeurs culturelles. Nos sociétés n’avaient rien à envier à l’Occident.

Tant que nous ne reviendrons pas à nos assises culturelles, sociologiques et être décomplexés dans nos têtes, à commencer par nos dirigeants, il n’y aura point de développement. J’ai toujours martelé cette vérité simple à mes étudiants occidentaux : le Burkina Faso a tout ce que les autres peuples n’ont pas ! Ce qui nous manque, ce sont des hommes et des femmes décomplexés à tous les niveaux pour nous tirer vers le haut et nous faire rêver en grand. A force de mimétisme scandaleux, nous ne deviendrons jamais les autres, mais cesserons certainement d’être africains.

L’ENAM va contribuer à cette prise de conscience individuelle et collective.

Interview réalisée par Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net

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