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AFRIQUE : Les pouvoirs de la baïonnette

Publié le mardi 30 décembre 2003 à 13h15min

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La justice mauritanienne a prononcé un verdict à la Pyrrhus
contre Mohamed Khouna Ould Haïdala. L’opposant le plus
redouté du président réélu, Maaouiya Ould Taya, a écopé d’une
peine de cinq ans de prison avec sursis. Même si le condamné
perd ses droits civiques, force est de reconnaître que ce verdict
tranche par son extrême clémence, au regard de la gravité du
chef d’accusation. Il ne reste plus, au président, qu’à prononcer
une grâce, par magnanimité, comme les chefs d’Etat africains
se plaisent à le dire.

Le dénouement de cette affaire a de quoi
susciter des interrogations sur la réalité des accusations dont
est l’objet M. Haïdala, un opposant qui a accepté de jouer le jeu
de la démocratie en se présentant à l’élection présidentielle du
7 novembre dernier. Visiblement, le camp présidentiel, encore
sous le choc du putsch avorté de juin, avait trouvé là le moyen
d’écarter un candidat gênant. Une vieille recette bien connue des
dirigeants africains qui, curieusement, est remise au goût du
jour. En effet, la psychose du putsch s’est emparée des palais
présidentiels africains. Fondées ou pas, les accusations de
complot semblent avoir le même objectif : réduire la capacité de
"nuisance" de l’opposition et créer un courant de sympathie
autour d’un pouvoir usé par le temps. L’ennui, c’est que cette
instabilité politique provoquée à dessein a un effet boomerang.

Les incessantes rumeurs de complot font fuir les investisseurs
qui, comme on le sait, ne supportent pas de travailler dans un
environnement peu sûr. Pour le cas mauritanien, il est curieux
de constater que la véritable tentative de putsch, marquée par
des affrontements, n’a pas encore fait l’objet d’un procès.
Comme si, paradoxalement, le pouvoir avait plus à craindre
d’une opposition démocratique que d’une insurrection armée.
Certes, il existe des opposants qui prêtent le flanc à la
répression, car faisant eux-mêmes fi des règles démocratiques.
Le pouvoir, en ce cas, a beau jeu de dire que ses adversaires
n’entendent que le discours de la force. D’où cette tendance à
ériger la répression systématique en système de gouvernance.

Avec les risques de dérives que l’on sait.
Un peu partout, en Afrique, la complotite est en vogue. Soit
parce qu’un dirigeant l’a imaginée pour se maintenir au pouvoir
même de façon anticonstitutionnelle, soit parce qu’une frange
de l’armée a voulu mettre fin à des dérives dictatoriales. Car les
processus de démocratisation engagés depuis la Baule n’ont
pas encore atteint les niveaux espérés. Nouveaux ou anciens
maîtres reconvertis, tout en s’affublant du manteau de
démocrates, ont, en réalité, créé les conditions du pouvoir à vie.

Aucun changement de régime n’est envisageable dans un
contexte où les textes de la république sont tripatouillés,
l’opposition muselée et les populations tenaillées par la misère.
Le coup de force devient, dès lors, pour beaucoup, la seule
alternative pour l’alternance. Comment mettre un coup de frein à
cette psychose du complot ? Bien des remèdes ont été
expérimentés dont cette fameuse décision des chefs d’Etat de
mettre en quarantaine ceux de leurs homologues qui
prendraient le pouvoir par la force. Un serment qui a fait long feu
quand on sait que les conditions de son respect ne sont pas
réunies. Ces déclarations d’intention seront des voeux pieux tant
qu’une véritable démocratie ne sera pas instaurée.

Le seul
remède aux ruptures institutionnelles violentes, c’est
l’avènement d’un Etat de droit. Des pays africains s’en sortent
bien. Et le Sénégal, le Mali ou le Bénin - pour ne parler que de
l’Afrique de l’ouest-sont à l’abri des déboires que connaissent
d’autres pays parce que leur classe politique, malgré ses
limites, a compris que des institutions consensuelles sont la clé
de la stabilité. Quand ce minimum démocratique est acquis, le
reste ne pose plus de véritables problèmes. C’est pourquoi ces
pays, en dépit des difficultés socio-économiques auxquelles ils
font face, tracent sûrement les sillons vers un meilleur ancrage
démocratique.

La paranoïa de dirigeants en perte de vitesse,
telle que constatée dans certains pays, traduit le caractère
imperméable de certains hommes d’Etat aux idéaux de la
démocratie. Sans autre argument pour justifier leur longévité au
pouvoir, ils cultivent et entretiennent la psychose du
"pronunciamento" permanent. Mais ce mode de gouvernement,
qui est très souvent le reflet d’un régime aux abois, ne peut
mener loin. Car le pouvoir de la baïonnette porte les germes de
sa propre perte. Il tient seulement le temps d’un feu de paille.
Tôt ou tard, il faudra servir au peuple une recette plus digeste,
au risque d’être balayé par un vrai putsch.

"Le Pays"

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