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Le commerce sur les lieux de travail : quand bureaux et couloirs administratifs se transforment en boutiques

Publié le lundi 15 août 2005 à 09h11min

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A les rencontrer dans les locaux des services, l’on ne s’aperçoit pas qu’elles vendent des articles. Les commerçantes par la simplicité de leurs produits, les effets vestimentaires en particulier, font la navette dans les différents bureaux pour vendre leurs articles, selon un système d’achat propre à elles.

Le paiement par mensualité quand ce n’est pas la vente des arachides qui occupent certaines d’entre elles. Des péripéties à suivre ou à vivre.

Difficile de faire la différence entre celles-ci qui viennent occuper les lieux pour y travailler et celles-là qui y sont pour vendre des marchandises. Les vendeuses d’articles de toute nature dans nos services sont plus qu’ingénieuses. Leurs articles, bien dissimulés, les font passer donc pour les titulaires des lieux.

En dépit des notes de service, elles sont là. Et pourquoi pas, ne seront-elles pas toujours là parce qu’elles rendent service à de nombreux fonctionnaires ? Elles sillonnent les couloirs des services. Elles arpentent les bureaux administratifs pour vendre des produits divers. Des effets vestimentaires tant féminins que masculins sans oublier les "amuse-gueule" tels les arachides.

Tout y passe. Caroline Ayité, Togolaise résidant au Burkina Faso depuis 17 ans vend des pagnes guinéens et des boucles d’oreilles. Agent d’un hôtel de Ouagadougou, elle vend ses articles durant ses jours de repos ou pendant ses heures libres. Caroline vient d’entrer dans les locaux des Editions Sidwaya. Elle est en chemise manche courte lin cassé de couleur blanche. Ses lunettes pharmaceutiques qu’elle laisse coulisser sur son nez de temps à autre, sont à l’affût soit d’anciens clients pour rentrer dans ses fonds soit de nouveaux clients pour proposer des produits en sa possession.

Sa démarche et le sachet qu’elle tient en main ne révèlent pas à première vue l’activité qu’elle exerce. Et pourtant. Elle est commerçante. Du haut de son 1,68 m, Caroline vend un pagne guinéen à 4 000 f CFA payable en 2 mensualités. Ce matin, elle est à la recherche d’un client qui lui doit 2 000 F CFA le restant d’une mensualité. après des va-et-vient dans les couloirs des bureaux, elle ne verra pas l’intéressé malgré le fait qu’ils s’étaient donné rendez-vous. L’occasion faisant le larron, elle hèle sans déranger les quelques agents qui passent à côté d’elle. "Mme, s’il vous plait, je vends des pagnes et des boucles d’oreilles, n’êtes-vous pas intéressé ?". L’interpellée jette un coup d’œil dans le sachet et répond "c’est joli mais il n’y a pas d’argent". Elle referme son sachet et jette des coups d’œil furtifs comme pour s’assurer qu’elle est en "règle".

Mieux, pour se soustraire aux remontrances des autorités de la maison. "Ce n’est pas votre DAAF qui est arrêté là bas ?", interroge la commerçante en indiquant M. Onadja de dos. "Oui !". Subrepticement, elle se met à l’écart. Mais pourquoi ? "Il n’aime pas que nous vendions dans les bureaux". Si Caroline Ayité est quelque peu mesurée dans ses gestes pour se cacher des autorités administratives, Aminata Sawadogo la vendeuse d’arachide est toujours sur le qui-vive quand elle franchit le seuil du grand portail de Sidwaya.

Mme Sawadogo arrive toujours aux environs de midi. Avec un petit sac noir accroché en bandoulière, son bébé au dos, elle marche nonchalamment. A la voir, l’on ne peut savoir qu’elle vend des arachides sauf les habitués disons les "initiés". Son sac à main lui sert de sac à arachide qu’elle attache dans des sachets moyennant 50 à 100 F CFA. Sachant qu’elle peut rencontrer une des autorités administratives dans les escaliers du service, Mme Sawadogo fait escale d’abord au parking réservé aux directeurs, elle interpelle les agents selon le goût des "initiés". "Il y a bouillie moue" ou encore "il y a grillé sec ou non grillé". C’est l’heure de la descente pour certains afin d’aller casser la croûte. D’autres qui ne veulent pas manger grand chose achètent les arachides.

"Partout on fait palabre mais...

Lorsque les clients se font rares, Mme Sawadogo prend son courage à deux mains et monte dans la salle de rédaction. N’empêche que des garde-fous sont mis pour éviter de tomber sur le directeur. Avant de monter les escaliers, elle regarde d’abord si la voie est libre. Ensuite, en haut des escaliers, puisqu’elle sait que le bureau du directeur se trouve à droite alors, en retrait, elle observe la porte du "kôrô". Rien ! On peut y aller. Toute cette abnégation pour combien ? "Sur 10 plats d’arachide en raison de 500 F le plat, je peux gagner 1 500 à 2 000 F de bénéfice sur chaque plat".

Mme Ouattara née Marie Nignan vend des ensembles sénégalais. "Les grand Dakar". Chaque matin, elle sort de chez elle vers 9 h, 10 h pour placer ses articles. En plus des "grand Dakar", Mme Ouattara vend aussi des bazin de Bamako appelé "Gagni" ainsi que des pagnes. Les prix des "grand Dakar" oscillent entre 20 000 et 45 000 F.

Lorsque le client paye cash, le "grand Dakar" est vendu à 35 000 F. En mensualités, 45 000 F. Ex-secrétaire contractuel, elle s’est adonné au commerce après la fermeture de la société.

Cependant, entrer dans ses fonds, une fois la marchandise placée, relève du parcours du combattant. D’un air grave, elle explique : "placer la marchandise n’est pas un problème mais c’est le recouvrement qui pose problème". Au lieu des 3 mois réglementaires, Mme Ouattara reconnaît que certaines clientes prennent 5 , 6 mois pour payer leur crédit. Selon elle, lorsque le client paye comptant, son bénéfice équivaut à 5 ou 7 000 F. En mensualité, elle peut engranger 10 à 15 000 francs de bénéfice. Cependant elle est catégorique. "Je préfère qu’on me paye au comptant plutôt qu’en mensualités". Pourquoi ? "Je préfère cela parce qu’il est difficile d’entrer dans ses fonds lorsqu’il s’agit des mensualités. Tu peux dépenser avec les frais de déplacement plus que tu ne peux gagner comme bénéfice", détaille Mme Ouattara.

Elle explique qu’il faut souvent se palabrer pour rentrer en possession de son argent. Or, Mme Ouattara fait la navette par la route Ouagadougou-Dakar pour se procurer ses articles. Selon elle, elle peut passer 3 nuits sur la route. Et quand elle subit une telle souffrance, Mme Ouattara préfère ne pas marcher pendant 6 mois pour récupérer 10 000 F CFA. Pour elle, ce commerce est son gagne-pain. D’où sa préférence pour les effets vestimentaires féminins qui, "marchent plus que ceux masculins".

... on se cache pour vendre"

Ainsi, de services en services, des femmes placent des articles payables en mensualités. Pour les vendeuses ambulantes telle Mme Aminata Sawadogo, la vendeuse d’arachide, l’équation à résoudre pour avoir accès aux locaux n’est pas toujours facile. "Partout on fait palabre mais on se cache pour vendre", lance la bonne dame tout en incitant les clients à lui verser son argent afin qu’elle libère les lieux avant qu’il ne soit trop tard. Les commerçantes d’effets vestimentaires aussi reconnaissent cet état de fait même si elles n’en parlent pas ouvertement.

Kady Baya est une cliente qui achète de temps à autre auprès des commerçantes qui sillonnent les services. Elle prend souvent 5 à 10 boules de savons qu’elle paye en raison de 50 ou 100 F jusqu’à ce qu’elle finisse d’honorer sa facture. Pour les pagnes, Mlle Kady, selon ses moyens financiers débourse 250 F ou 500 par jour. Un système "tao raogo", dira-t-on en langue nationale moré. Les couloirs des services, les bureaux administratifs sont des espaces où des femmes gagnent leur compte en vendant des articles divers. Mme si souvent il faut jouer au chat et à la souris avec les autorités de la maison.

Daouda Emile OUEDRAOGO (ouedro@yahoo.fr)
Sidwaya

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