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Allemagne : Culture(s), développement et enjeu de la diaspora africaine

Publié le mercredi 5 juin 2019 à 17h00min

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Allemagne : Culture(s), développement et enjeu de la diaspora africaine

Munich, 4 mai 2019. Il est 9h et on penserait communément à une file de touristes à la découverte du marché aux victuailles de Munich « Viktualienmarkt ». Cet ancien marché fermier d´environ 140 stands dans l’ambiance d’un village bavarois très convivial fait partie des plus grands marchés à ciel ouvert d’Allemagne. Munich, une ville où développement, modernité, technologie, recherche, tradition et culture se complètent harmonieusement. Et le dernier terme, notamment « culture », est le maître-mot de la journée de réflexions et de festivités socioculturelles interafricaines et allemandes qui s´est tenue le samedi 4 mai dans l´immeuble Kustermann en face du marché aux victuailles. L´évènement s’est tenu de 10h à 17h sous le thème « Deutsch-Afrikanischer Kulturevent : Begegnung auf Augenhöhe ».

Après un mot de remerciement à tous les participants, les conférenciers, les amis et collègues venus à cet évènement adressé par Dr Clément Compaoré, secrétaire et co-fondateur de l´organisation interafricaine « Giving Africa a New Face e.V. », la parole est donnée à maître Edith Odiente-Lawini, présidente et co-fondatrice de ladite organisation. Madame Odiente-Lawani, Kenyane, avocate formée et résidente à Munich, déroula le programme de la journée et assura la modération des différents points dans une ambiance pleine de raison, d´humour et de convivialité.

Notons en passant que GAaNF e.V. est une organisation associative officiellement reconnue en Allemagne depuis avril 2018. Elle est essentiellement formée d´étudiants, d’anciens étudiants et de professionnels africains en Allemagne.

Peter Grochol pianiste, compositeur et artiste peintre a inauguré l’évènement avec une ballade musicale qui relève de l’impressionnisme marocain. Il est un habitué du dialogue interculturel et ses œuvres l´ont d´ailleurs conduit aussi bien en Afrique du nord qu’au Kenya, aux pays d’Europe du sud et au Sir Lanka.

Comment l’histoire a-t-elle influé sur la culture contemporaine allemande ? C’est à cette question que s’est intéressée la première conférencière de la journée, Dr Renate Bürner-Kotzam. Soulignons qu’elle a eu à enseigner l’histoire, la germanistique, la littérature, l´art et la culture entre autre à l’Université militaire de Neubiberg/ Munich, à l’Université nationale de la Namibie, à l’Université de Astana/ Kazakhstan.

Et pour commencer, elle a rappelé que le cinquième congrès fédéral allemand sur la politique culturelle qui s’est tenu en juin 2009 à Berlin avait pour thème « kultur.macht.geschichte geschichte.macht.kultur ». Autrement dit, « la culture fait l’histoire, l’histoire fait la culture ou encore culture, pouvoir et histoire ».

Il en ressort particulièrement que c’est à travers l´histoire que les êtres humains trouvent sens et orientation. La culture est historique puisqu’elle nait dans un contexte historique. L’histoire est culturellement transmise dans des textes, images, monuments, etc. La conscience de l’histoire se construit dans un contexte culturel.

Culture et histoire, histoire et mémoire. L’Allemagne d’aujourd’hui n’existait bel et bien pas au temps de Goethe, Schiller, Kant, Fichte, Schelling, Hegel ou Schopenhauer. Il y régnait plutôt plus de 300 petits et moyens états absolutistes. La richesse culturelle actuelle de l´Allemagne est en grande partie liée à l´autonomie dont disposaient les différents princes dans la gestion du patrimoine culturel dans leurs régions respectives avant la création de la première république.

L’Allemagne a su préserver ce précieux héritage. Et même de nos jours chaque région dispose d’une souveraineté dans la gestion des affaires culturelles, éducatives et artistiques. Dr Bürner-Kotzam a tenu à évoquer également l’histoire désastreuse du national-socialisme pour compléter la mémoire historique allemande.

Quelle culture de développement avec et pour l’Afrique ? C’est sur ce thème qu’a porté la présentation du conférencier Dr Kocra L. Assoua. Il est depuis 2018 chargé d´évaluation à la Fondation Drosos basée à Zurich en Suisse. Il s’agit là d´une fondation indépendante sur le plan idéologique, politique et religieux. Auparavant, Il a travaillé à l’Agence allemande de la coopération internationale (GIZ) en tant que conseiller en évaluation et monitoring au Burkina Faso.

Il a été professeur assistant en politique du développement à l’Université de Bayreuth (Allemagne). La complexité de la problématique de la coopération au développement est selon lui liée à ce que l´on met derrière le terme de développement qu´il convient de considérer dans toute sa complexité. La nature du développement varie en fonction de l´espace et du temps des individus et sociétés et surtout en fonction de leurs valeurs propres.

La culture de développement peut se définir selon Dr Assoua comme la somme de comportements par rapport à un changement visé. Rôle de la culture dans le développement, voici bien un sujet très souvent traité avec négligence ou soigneusement évité. Pourtant, poursuit Dr Assoua, la culture est une composante essentielle à la base de laquelle toute société se construit. Pour reconnaitre l´importance de la culture, il suffit d´énumérer certaines de ces fonctions. Elle sert :

(1) à réveiller la conscience identitaire d´un peuple. C’est à travers elle qu´une société se positionne et établie ses relations avec d´autres peuples
(2) à organiser la vie communautaire à travers laquelle une société définit ses attentes envers les autres
(3) à trouver des solutions endogènes aux problèmes d’une société donnée
(4) à construire l’avenir d´une société se basant sur son identité.
(5)

Du reste, la culture donne aux sociétés leur capacité d’adaptation, de renaitre après avoir été mises à genoux économiquement telle l’Allemagne actuelle, le Japon et le Rwanda. Tout peuple qui perd sa culture, sa personnalité et sa confiance en soi perd sa propre dynamique de développement, la capacité à réfléchir sur elle-même et par-là à forger des plans pour son propre développement. Elle n´est plus en mesure de faire la différence entre ce qui la nuit ou pas. Le conférencier a sonné l´alarme : certains pays africains seraient déjà à ce stade.

A travers la présentation et la lecture de son œuvre autobiographique « Der lange Kampf mich selbst zu finden », Clara Meierdierks a ensuite peint l´expérience parfois pleine d´embuches socio-structurelles auxquelles certains migrants font face à l´étranger. Elle n´a pas cessé d´exprimer sa reconnaissance spécialement à sa famille allemande qui a toujours été à ses côtés. Notons qu´elle est également coauteure de l’œuvre « The perfect Migrant ».

Des ateliers réalisés dans trois sections ont ensuite permis aux participants de décortiquer en petits groupes les thèmes suivants :

• Influence de la culture sur la coopération au développement
• Education biculturelle
• Diversité culturelle et intégration/ inclusion.

Tant attendue était évidemment la table ronde, réunissant des experts de professions divers. Les participants à ce débat ont été : (1) Caroline Mwangi, PDG et cofondatrice de l´organisation « Kenyan Germany Career & Entrepreneurship Network ». Diplômée en Management International. Elle est également cofondatrice de « mitafrika », une initiative basée en Allemagne qui œuvre dans le rapprochement d´entrepreneurs africains avec les PME (Petites et Moyens Entreprises) allemandes.

(2) Häfner-Becker, pasteure à l´église évangélique de la commune de Haar, elle est coordonnatrice d´un partenariat entre Tanzanie avec la région-est de la ville de Munich. (3) Providence Tuyisabe, ingénieur économiste, préside actuellement entre autre le réseau mondial des rwandais de la diaspora créé en 2002 en Allemagne et sous la dénomination « Ruanda Diaspora Global Network (RDGN) ».

Le NDGN œouvre dans la promotion de l´échange interculturel. Il soutient activement des activités culturelles et économiques au Rwanda dans une démarche de développement économique durable. (4) Dr Bürner-Kotzam et (5) Dr Assoua.

Il a été question d’internationalisme culturel, des défis dans la communication inter- et transculturelle, de différences culturelles régionales en Allemagne, du management des diversités culturelles dans le travail, du hasard d’être né dans un pays donné.

Et ce qui s´emble être paradoxale se confirme selon l´expérience des intervenants : c´est à l´étranger que l´on découvre au mieux ses particularités culturelles d´origine. Au lieu de regarder autrui à travers des préjugés, des images, on s´habitue au bien des cas à relativiser, à normaliser et tolérer les différences. Un constat est cependant qu’aussi bien en Afrique et qu’en Europe des sociétés d´ignorance mutuelle persistent.

Il a été souligné l´importance de la langue/ des langues dans le développement des nations. Le développement dépendrait en ce sens surtout du mindset.

L’Allemagne est un état de droit et nul n’est censé ignorer la loi. Pour permettre aux participants de mieux exposer leurs soucis juridiques et d’éclaircir de façon préventive les zones d’ombre une séance questions-réponses est offerte et dirigée par les deux avocats allemands Matthias Löchel et Jürgen Madl. Les questions ont surtout portée sur le droit de la famille (en prenant par exemple le cas des couples biculturels), le rapport entre le droit du travail et les lois sur l’immigration, le dédouanement à l’aéroport de produits importés.

De plus, Il y a eu des prestations d´artistes africains (de l´Ouganda, du Nigeria). Il s´en suivit des expositions de produits vestimentaires et cosmétiques (du Burkina Faso, de l´Afrique du Sud et du Kenya). Ainsi la Burkinabè Baronne-Hatz Ouattara a présenté ses pommades naturelles Bio Sheabutter de différents types faites à base de beurre de karité importé du Burkina Faso.

En dehors des pauses-café, la grande pause de 13h a permis aux participants de se servir en mets africains comme les mandazis, samosa, chapatis et aussi européens. Le film suivant rend compte des moments forts de la journée :

Pour résumer, les thèmes suivants ont été essentiellement discutés au long de la journée à travers des présentations de conférenciers pluridisciplinaires, des ateliers, des discussions au cours de la table ronde : histoire et culture(s), culture(s) et développement, culture de développement, acculturation, inclusion vs.

intégration, communication interculturelle, diversity management, brain circulation. La culture est sans cesse changeante et surtout sous l´influence des autres. Elle est fondamentale pour tout développement durable. L´ouverture aux autres est éssentielle. Pour qu´il y ait ouverture, il faut cependant avoir et préserver une identité culturelle irréductible.

Des questions et discussions à la fois lucides et roboratives, à l´abris aussi bien de tout esprit alambiqué et éloigné du réel que des postures unilatéralistes. L´évènement s´est déroulé dans une atmosphère de dialogues pluridisciplinaires, interculturels et intergénérationnels. En bref, quand on sort de ces types de communications et débats qui ouvrent beaucoup sur l´avenir, on en sort dynamiser.

Au total, environ 70 à 80 personnes ont pris part à cette journée de réflexions et de festivités socioculturelles interafricaines et allemandes. Ils sont originaires de l´Allemagne et de 13 autres pays : de l´Afrique du Sud, du Burkina Faso, Ghana, de la Cote d´Ivoire, du Kenya, du Nigeria, de l´Ouganda, du Rwanda, de la Russie, du Sénégal, de la Somalie, la Tanzanie, et du Zimbabwe.

Une grande satisfaction qui se lisait sur les visages s’est traduite sur les fiches d´évaluation de l’évènement. Les diagrammes ci-dessous issus de l´évaluation de 38 fiches d´évaluation de la journée remplies permettent d´attester :

(Diagramme 1) que les attentes des participants en prenant part à journée ont été satisfaites,
(Diagramme 2) que les conférenciers ont été très bien à la hauteur des thèmes qu´ils ont traité,
(Diagramme 3) que les participants ont été très satisfaits de la qualité de l´organisation,
(Diagramme 4) que en tout l´évènement a été un très grand succès.

Diagramme 2
Diagramme 2
Diagramme 3
Diagramme 4

La prochaine initiative de GAaNF e.V. est présentement en phase d´implémentation à Kisumu, au Kenya. Il s´agit là d´un projet pilote dénommé « Turn your talent into occupation ! ». Ce projet vise à identifier et renforcer les talents d´adolescents et jeunes adultes avec les connaissances et compétences nécessaires pour le choix et la réalisation de leur carrière professionnel.

Les domaines ciblés sont l´agriculture, l´agro-industrie et l´artisanat/ art. Des experts de la diaspora, locaux et allemands assureront l´exécution des différents modules de formation qui durera 13 mois. Pour plus d´informations, consultez le lien suivant : https://www.gaanf.org/newpage00b966ff

GAaNF e.V. prône à travers cet évènement une rupture avec les deux ismes que sont l´afro-optimisme et l´afro-pessimisme qui sont souvent des postures hâtivement émotionnelles très souvent idéalisées ou fantasmées, dépourvues de réflexivité critique et du dessin d´un chemin de l´avenir.

Cet évènement socioculturel du 04 mai a été soutenu par la municipalité de Munich ainsi que le Fonds Catholiques « Katholischer Fonds ». Le film sur l´évènement a été réalisé avec le soutien de l´équipe de production médiatique de Triggerfilm basé à Munich.

Compte rendu rédigé par Dr Compaoré

Dr Clément Compaoré a soutenu sa thèse de doctorat à l’Université Louis-et-Maximilien (LMU) de Munich (ALLEMAGNE) sur la didactique des médias. Il s’intéresse particulièrement à l´usage des multimédias comme dispositifs d’apprentissage et d’acquisition des langues, à l’ingénierie de scenarios et modules d’apprentissage en groupe médié par ordinateur, à l’implémentation des TICE ainsi qu’à l’évaluation de leur impact sur la motivation et la performance des apprenants.

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