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Burkina : Un nouvel espoir pour les langues nationales

Publié le lundi 1er avril 2019 à 20h00min

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Burkina : Un nouvel espoir pour les langues nationales

En sa séance du 20 mars 2019, le Conseil des ministres a décidé, au titre du ministère de l’Education nationale, de l’alphabétisation et de la promotion des langues nationales, de l’adoption d’un projet de loi d’orientation portant modalités de promotion et d’officialisation des langues nationales du Burkina Faso. Selon le gouvernement, « ce projet de loi définit les orientations permettant de doter les langues nationales de notre pays de statuts plus valorisants, propices à la dynamique du développement durable et respectueux des principes du multilinguisme et du multiculturalisme qui ont toujours caractérisé le Burkina Faso ». Cette mesure est saluée par l’auteur de la réflexion ci-dessous, qui s’en explique.

Cet article est une réflexion d’un polyglotte détenteur d’un master professionnel en traduction-interprétation et un master de recherche en Acquisition des langues et Cultures Secondes et leurs méthodes d’acquisition. Ce polyglotte c’est moi.
Mon mémoire de master a porté sur l’identité linguistique et culturelle des étudiants internationaux ; donc des bilingues ou polyglottes : alors j’estime que le moment est venu de partager quelques idées avec les parlementaires burkinabè qui voteront le projet de loi d’orientation sur les modalités de promotion et d’officialisation des langues nationales du Burkina.

Je suis convaincu que nous sommes ce que sont nos langues et nous deviendrons ce que deviendront nos langues. Ma recherche sur les étudiants internationaux a démontré que les langues, de façon générale, sont des passerelles vers des systèmes de pensée, vers de nouvelles perspectives, nouvelles philosophies, et nouvelles visions. J’ai aussi découvert que l’accès aux valeurs des autres peuples ne peut être bénéfique à l’étudiant international et surtout à son pays ou communauté d’origine que s’il/elle partage toujours les valeurs clés de son peuple et arrive à contextualiser les nouvelles valeurs acquises et emportées. Il en est de même pour les lettrés africains et leur frères et sœurs illettrés.

L’échec de la plupart des projets et politiques dans les anciennes colonies est souvent dû à un problème linguistico-culturel. Pour le cas du Burkina, ou disons les pays francophones en général, le rejet de soi a été l’objectif principal de l’école coloniale. Donc l’administration était toujours vue comme une machine d’exploitation et quand les peuples colonisés avaient l’occasion de l’exploiter, ils ne s’en privaient pas. Après les indépendances, le colon est ‘’parti,’’ tout en prenant le soin de laisser le système. Ainsi, le comportement du peuple face au bien public demeure le même. La restauration identitaire à travers la promotion des valeurs nationales et la valorisation des langues nationales pourraient changer beaucoup de paradigmes. Le paradigme de l’intellectuel pourra changer. Le paradigme du savant pourra changer. Le paradigme du succès serra redéfini.

Bien parler le français était et demeure un critère d’intellectualité et ma conviction est qu’un changement viendra avec la promotion des langues locales. Le colonisé était obligé de bien parler la langue du colon, bien prier le Dieu du colon, et bien promouvoir toutes les politiques sociales et économiques du colon. Je me rappelle en 1994, on nous faisait porter des cranes d’ânes à l’école chaque fois qu’on parlait nos langues. Nos prénoms en langue première étaient appelés « noms botaniques » et les pratiques spiritualistes de nos parents considérées comme des pratiques diaboliques.

Je n’ai pas fréquenté l’école coloniale. Je parle ici de l’école assimilée qui continue la mission assimilationniste de l’administration coloniale. Après 59 ans d’indépendance, les paradigmes linguistiques et culturels n’ont pas changé au Burkina et dans tous les pays francophones. On trouve normal qu’un Mossi, Dagara ou Kassena ajoute des mots français ou anglais dans une phrase en dagara, mooré, ou kassena, c’est d’ailleurs une preuve d’intellectualité. Mais quand un locuteur instruit ajoute un mot dagara, mooré, ou kassena dans une phrase française ou anglaise, il est vu comme un ignorant, un moins intelligent. On juge normal qu’un instruit fasse des fautes dans sa langue maternelle, mais il est inconcevable qu’il fasse des erreurs en français. Du point de vue culturel, nous préférons cacher nos vrais prénoms spirituels pour faire valoir nos prénoms religieux : Somé K. Jean de Dieu, Ouédraogo R. Rufin, Lankoandé D. Ramata, etc.

Les francophones ont beaucoup perdu sous la colonisation et continuent de perdre le peu qui leur reste après les indépendances. Toute mesure qui vise à restaurer la dignité des peuples francophones ne peut qu’être salutaire. Je ne suis cependant pas du côté des linguistes nationalistes qui prônent le rejet complet de tout ce qui est affilié aux langues étrangères. La colonisation et les langues coloniales ont été un mal pour l’Afrique, mais si nous investissons sur les langues nationales, nos anciens colons se seront faits du tort en n’ayant pas appris nos langues. En promouvant nos langues et en les adoptant comment langues nationales, nous allons toujours avoir accès à toutes leurs valeurs et tous les systèmes de pensées du reste du monde alors que nos anciens colons n’auront plus accès aux nôtres et seront obligés de nous payer ou nous étudier pour nous comprendre.

Aujourd’hui, l’Afrique est le seul continent où chaque individu parle au moins quatre langues. Imaginez un instant que tous les pays africains adoptent des langues nationales comme langues officielles ! Tous les pays du monde seront obligés d’embaucher des jeunes polyglottes chômeurs pour leur traduire l’actualité africaine. Toutes les organisations internationales seront obligées d’embaucher des jeunes africains pour faciliter la transmission des messages des dirigeants africains. Nos savants africains jusque-là exploités, intellectuellement, par leurs propres fils et par des chercheurs étrangers, seront enfin maitres de leurs œuvres. Ces savants « illettrés » pourront finalement être auteurs de leurs savoirs et vivre de leurs philosophies, spiritualités, et connaissance de la nature. Il ne sera pas mauvais de repousser le français derrière les langues nationale dans les écoles et de l’enlever progressivement des bureaux de l’administration publique. C’est inadmissible que la fonction publique reste exclusivement réservée aux instruits (paradigme de l’intellectualité).

Je soutiens entièrement ce projet de promotion des langues premières. Je suis surtout partant pour qu’une des langues maternelles du Burkina soit la langue officielle du Burkina. Je prévois déjà la résistance des uns et des autres pour le choix d’une langue au détriment d’une autre pour en faire une langue officielle. Pour tous ceux qui seront pris dans ces raisonnements ou arguments ethnocentriques, je les invite à réfléchir sur l’enjeu économique, politique et social de ce projet et surtout les enjeux identitaires de la non-adoption d’un tel projet.

Les vrais défis identitaires nous attendent demain. Les raisons sont simples. Les communautés linguistiques burkinabè sont plus ouvertes aujourd’hui qu’hier et la probabilité que des familles ne parlent que le français dans les années à venir est très élevée. Quand un jeune Dagara de l’Ouest croise une jeune Gourmantché de l’Est à Dakar et les deux décident de s’unir pour la vie, ils n’ont aucune langue en commun que le français. S’ils fondent une famille à Dakar, leurs enfants reviendront au Burkina avec le français comme première langue et le wolof ou une autre langue sénégalaise comme deuxième langue. Une fois au Burkina, ces enfants auront une audience limitée et un champ de valeurs très restreint. Par contre, si les deux parents partagent une langue nationale apprise à l’école, ils pourront toujours parler le français, le wolof, et une langue burkinabè qui leur donnera accès à plusieurs valeurs nationales.

Je ne suis donc pas du côté de ceux qui évoquent la pluralité linguistique et le dilemme du choix d’une langue nationale au détriment d’une autre pour préférer le français comme langue officielle. Je ne suis donc pas du côté de ces assimilés qui raisonnent généralement sur le court terme en négligeant le souci identitaire de la non-promotion des langues nationales. Je ne rejette aucune langue parce que je suis convaincu que chaque langue est un pont vers un système de pensée, une projection de la vie et une certaine organisation sociale. Je suis tout simplement un aculturé qui puise ses valeurs de plusieurs cultures pour améliorer sa culture, un aculturé qui croit que l’adoption d’une langue nationale comme langue officielle aidera à démystifier certains mythes coloniaux et prévenir une crise identitaire. Ce projet mérite une attention particulière et ne doit pas être uniquement analysé sur le plan linguistique. Il a une dimension politique et économique aussi importante que sa dimension sociale.

Somé Kountiala Jean de Dieu
Traducteur-Interprète

Bénéficiaire du programme américain Fulbright
Master en Acquisition des langues et Cultures Secondes et leurs méthodes d’acquisition
University of Southern Indiana
Email : jeandedieusome87@yahoo.com

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Vos commentaires

  • Le 1er avril 2019 à 16:04, par Yelwingtiil En réponse à : Burkina : Un nouvel espoir pour les langues nationales

    Baark Woussgo !
    Le reste se fera par mail mon frère.
    Bilfou !

  • Le 1er avril 2019 à 16:33, par AMKOULLEL En réponse à : Burkina : Un nouvel espoir pour les langues nationales

    @ Kountiala, merci et très belle analyse. Je suis entièrement d’accord avec ton point de vue, qu’il ne faut pas, au nom du dilemme du choix d’une langue nationale au détriment d’une autre pour préférer le français comme langue officielle. C’est tellement juste, cher frère. Lors des débats sur la nouvelle constitution, j’ai proposé que soit inscrit dans la constitution, le Mossi, Fulfuldé, Dioula et Français comme langues officielles du Burkina. J’espère de tout coeur que ce projet de loi sera voté et consacrera nos 3 langues nationales comme langues officielles au même titre que le Français. Chaque élève pourra choisir entre Mooré, Fulfuldé et Dioula, une langue pour l’apprendre. Même la france est passée par ce genre d’initiative pour imposer le français aux bretons, aux alsaciens, aux corses, ... Pareille en Inde, Chine où il y a des milliers de dialectes différents mais tous ces peuples parlent et écrivent une langue nationale devenue officielle. 60 ans que le colon est parti mais nous, intellectuels colonisés africains, continuons à agir en droite ligne de la sauvegarde des intérêts du colons au détriments de nos propres intérêts. Ce genre de décision, aussi souveraine que stratégique, le président RMCK devrait prendre un décret présidentiel et comme le président Thom SANK l’a fait le 3 Août 1984 pour changer le nom du pays. Pour moi, si ce projet de loi abouti comme nous l’imaginons, ce sera la plus grande action que le président RMCK aura posé dans mon mandat, à mon avis.

  • Le 1er avril 2019 à 22:22, par SO Roland Alex En réponse à : Burkina : Un nouvel espoir pour les langues nationales

    Très précis et clair comme d’habitude. Le vote de ce projet sera un immense pas. Cependant je suis convaincu que la difficulté de ce vote ne sera rien en comparaison à la mise en oeuvre du projet. Les premiers opposants seront ceux là meme qui ne s’expriment qu’en langue nationale.

  • Le 2 avril 2019 à 08:16, par Nongma En réponse à : Burkina : Un nouvel espoir pour les langues nationales

    Bravo !
    Merci pour cet article.
    A bien réfléchir, on arrive au résultat que la maîtrise de nos langues nationales est une source de richesse. Les polyglotes pourraient gagner leur salaire mensuel par la traduction. Et nos enfants pourrons mieux assimiler les matières scientifiques dans les écoles, donc on avancera mieux dans tous les domaines. Comme Einstein disait, on a seulement bien compris une chose que si arrive à expliquer cette chose dans sa propre langue maternelle.

  • Le 2 avril 2019 à 08:22, par SOME En réponse à : Burkina : Un nouvel espoir pour les langues nationales

    Mon frere tu touches au fondement meme de notre probleme philosophique et existenciel. « au commencement était le verbe » ! la parole est un monde disent les manding ! alors quand ce monde n’est pas le tien, tu n’existe pas. Ce n’est pas pour irien que la aprole est au fondement de la civilisation africaine.
    Alors qu’en est-il quand je vois des dagara venir parler a ses parents dagara en francais pour etre interpreté en dagara par un interprete a ses parents dagara (parfois meme dans son propre village) comme au temps du blanc colon ?! quelle misere !!!

    La dimension ethnocentriste a toujours marqué ce debat de langue nationale car justement le colon a su l’utiliser pour garder le francais situation qui fait de la France une puissance mondiale et nous africains ses vassaux

    Et pourtant la solution est toute indiquée : non pas seulement une langue nationale, mais meme une langue internationale toute indiquée : le dioula. Cette langue est internationale et tres vehiculaire : elle est parlee dans toute la sous region de l’afrique occidentale : guinee, cote d’ivoire, mali, burkina, senegal, gambie, sierra leone, liberia. On veut quoi encore ?

    Il faut un debat depassionné des relents et calculs tribalistes : tout notre probleme se trouve là. Et un choix par decret presientiel ne resoudra pas le probleme, sinon risque meme de l’exacerber. Il faut un debat objectif, un think tank objectif delesté de tout autre calcul, mais cela j’en doute tres fort tellement nous autres intellectuels sommes restés ethnicistes.

    Deja meme pour un sujet aussi important et fondamental, combien avons nous de commentaires ? Et pourtant c’est la question clé
    SOME

    • Le 2 avril 2019 à 10:37, par AMKOULLEL En réponse à : Burkina : Un nouvel espoir pour les langues nationales

      @Cher SOME, si Thomas SANKARA avait ouvert un débat pour décider de changer le nom de pays, on en sera encore aujourd’hui à discutailler et pinailler sur la question, et ce pays s’appellerait toujours haute volta. Le français tel qu’on le connait de nos jours était la langue du Paris bourgeois et si on avait attendu un débat pour savoir lequel du breton de l’alsacien ... choisir, c’était pas gagné d’avance. Suis pas contre le débat mais je trouve que y a des impératifs et préalables qui n’ont pas besoin de débat mais bon ! Aussi la marque des grands hommes et femmes d’Etat, se mesure aussi à la qualité de grandes décisions prises. Ce n’est pas tant la peur de l’ethnocentrisme qui m’inquiète comme blocage, mais en plus de cela, toute la machine de cette ogre, francophonie avec toutes ces tentacules diplomatiques et forces de pression, qui ne restera pas muette et silencieuse dans ce débat.

      • Le 2 avril 2019 à 11:13, par SOME En réponse à : Burkina : Un nouvel espoir pour les langues nationales

        Tu as totalement raison. de toute facon c’est une decision politique. Mais cela se fait avec un minimum de reflexion mais ce n’est pas cela qui nous manque ce qui nous manque c’est la volonté politique de s’affranchir de cet ethnicisme là. Le choix du nom du pays etait plus aisé que celui de la langue. Dans ce choix du nom de pays il y a eu fusion de plusieurs cultures, et je presume que c’est suite a une reflexion d’un groupe pour contourner cet ecueil du tribalisme rampant qui se leverait meme sous la revolution. Pour la langue c’est plus compliqué d’ou mon avis d’une reflexion objective a partir d’un groupe qui asseoirait un consensus et la decision prise par le politique
        SOME

  • Le 2 avril 2019 à 08:31, par Yeral Dicko En réponse à : Burkina : Un nouvel espoir pour les langues nationales

    Mon cher en 1994 le symbole( allusion au crâne d"âne)n’existait plus dans les écoles au Burkina Faso !

  • Le 2 avril 2019 à 10:04, par Nirlè En réponse à : Burkina : Un nouvel espoir pour les langues nationales

    Bonjour frère.
    Je viens de vous lire et voudrais vous dire combien je suis d’avis qu’il nous faille valoriser nos cultures au travers de nos langues maternelles, nationales.... Je vous retrouve inbox pour des échanges. J’ai un mémoire en écriture portant sur l’apprentissage des langues étrangères et donc je compte sur vos précieux apports. merci encore pour le partage.

  • Le 2 avril 2019 à 16:26, par RESANE En réponse à : Burkina : Un nouvel espoir pour les langues nationales

    Peut-être sommes-nous en train de marcher vers le but. Les différentes réactions sont toutes riches d’enseignement et, ce que je remarque, c’est l’unanimité sur la nécessité de choisir une langue qui ne signifie pas dépréciation des autres. Quelqu’un a parlé des enjeux socio-économiques qui s’y attachent, ce que je trouve pertinent. C’est pourquoi il faut même, dans le choix de cette langue penser à l’efficacité sous régionale (Mali, Guinée, Côte d’Ivoire, Burkina). Le dioula ou bambara me semblent indiqués. Cet avis est sans rapport aucun avec mon ethnie ; mais si cette langue était enseignée à l’école, je m’appliquerais à l’apprendre à partir des cahiers de mes enfants.
    Faisons campagne ! Peut-être, peut-être, peut-être qu’un jour on y parviendra.

  • Le 2 avril 2019 à 23:48, par Ouédraogo Benoît En réponse à : Burkina : Un nouvel espoir pour les langues nationales

    Merci déjà à M.Somé pour cet apport inestimable. La source de notre mal aujourd’hui c’est d’avoir duré dans nos propre s contradictions par rapport à l’officialisation d’une ou de nos langues nationales. Les enjeux sont effectivement d’ordre politique, économique et socio-culturel.Il nous faut un dépassement de soi pour arriver à ce but.En plus, ceux qui prennent la diversité comme une richesse n’ont pas tort mais l’unicité est une force sans égale. Il y a des critères pour l’officialisation mais la volonté politique joue un rôle prépondérant. Enfin, je conviens avec vous qu’aucun État ne peut survivre dans le temps en se développant dans la culture (langue) de l’autre.Il est appelé à disparaître dans ce vaste ensemble de langues du monde.

  • Le 23 avril 2019 à 11:45, par Patarbtallé En réponse à : Burkina : Un nouvel espoir pour les langues nationales

    Belle analyse. Nous devons stopper l’accul-ou la déculturation. Je suis particulièrement intéressé par cette option politique. Je travaille sur des projets d’alphabétisation où les langues locales seront valorisées.

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