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« Radiographie » de l’économie burkinabè

Publié le jeudi 4 août 2005 à 08h20min

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L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et la Banque africaine de développement (BAD) publient chaque année, un rapport sur l’état de l’économie africaine. Intitulé « Perspectives économiques en Afrique » (PEA), l’édition 2004-2005 offre un vaste aperçu de l’économie de 29 pays dont le Burkina Faso.

Selon les auteurs du rapport, les performances économiques de nombreux pays africains se sont nettement redressées, grâce principalement à l’envolée des cours des matières premières, du relèvement du niveau de l’aide, et aussi de la poursuite de l’amélioration de la gestion macro-économique.

Pour le Burkina Faso, on pouvait craindre le pire en raison de la crise ivoirienne et ses conséquences sur les pays de la sous-région ouest-africaine. Mais en dépit de cette crise, le Pays des hommes intègres a, contre toute attente, enregistré un taux de croissance élevé de 8% en 2003. Certes, la bonne saison pluviométrique y est pour quelque chose, mais d’après le rapport, cette croissance s’explique surtout « par la capacité des autorités et des opérateurs burkinabè à s’adapter à la situation. Ils ont su mettre en œuvre des stratégies adaptées et jouer la carte de la coopération régionale ».

Cependant, pour 2005, la croissance devrait retomber à 3,3% car non seulement l’économie burkinabè est très peu diversifiée, mais son dynamisme dépend de facteurs externes que le pays ne maîtrise pas, tels le climat, les parasites ou encore les cours de l’euro et du dollar. « Le défi demeure pour ce pays de diversifier son économie pour réduire sa vulnérabilité tout en mettant encore davantage la croissance au service de la réduction de la pauvreté ».

Le secteur agricole et le secteur marchand jouent un rôle majeur dans la croissance de l’économie, le premier représentant 31% du Produit intérieur brut (PIB) en 2003, dont 19% pour l’agriculture, 9% pour l’élevage et 3% pour la sylviculture et la pêche, et occupant entre 80 et 90% de la population, et le second 30%. Suivent à égalité, les services publics et le secteur des mines et manufactures (17%) et enfin le BTP (5%). Or, en 2004 le secteur primaire a connu une baisse de 14% alors qu’elle avait augmenté de 16,3% l’année précédente, baisse due à la mauvaise pluviométrie et en partie aux destructions provoquées par les criquets.

Officiellement en situation céréalière excédentaire

Mais, même en recul, la production céréalière en 2004 a atteint 3,1 millions de tonnes pour des besoins estimés à 2,45 millions de tonnes. Dans une interview accordée au journal Le Pays du 18 juillet 2005, le directeur général des prévisions et des statistiques agricoles, Mahama Zoungrana est catégorique : « Je confirme qu’il se dégage un excédent céréalier, contrairement à certaines sorties médiatiques parlant de déficit céréalier au BF ».

Pour une fois, et contrairement au Niger, la nature ne s’est donc pas comportée comme une marâtre envers le Burkina. La famine qui sévit dans plusieurs localités depuis des semaines ne s’explique que par l’incapacité des autorités à organiser rationnellement le marché des céréales à l’échelle du pays. « De manière générale, le secteur des céréales souffre d’un déficit d’organisation de la filière et de valorisation de la production ».

La récolte de coton, principal produit d’exportation, a été satisfaisante en 2003-2004 avec 480 000 tonnes au terme de la campagne, avant d’atteindre 630 000 tonnes en 2005, propulsant le Burkina en tête des pays africains producteurs d’or blanc. Malgré la fermeture de la frontière avec la Côte d’Ivoire, la Société des fibres textiles (SOFITEX) a quand même pu écouler la production, et profitant de la bonne tenue du cours du coton, a pu proposer aux paysans un prix intéressant de l’ordre de 210 F le Kg, contre 185 F un an plus tôt.

La privatisation de la filière que les paysans ne voyaient pas d’un bon œil, n’a pour l’instant pas provoqué les conséquences sociales tant redoutées. Mieux, les deux sociétés nées de cette cession, la Société cotonnière du Gourma (SOCOMA), une filiale du Groupe français DAGRIS, et Faso Coton, une filiale du Suisse Paul Reinhart n’ont pour l’instant pas annoncé de suppressions d’emplois et leur performance semble bonne pour leur première saison.

L’élevage, a également été perturbé par la fermeture de la frontière

Deuxième poste d’exportation derrière le coton, l’élevage, qui procure près de 20% des recettes de l’Etat a également été perturbé par la fermeture de la frontière.
Privés du marché ivoirien, destination de 60% du bétail burkinabè, les professionnels du secteur se sont rabattus sur des marchés de moindre importance, notamment au Ghana, au Niger et au Bénin.

Avec une croissance de l’ordre de 2,5% en 2004, les activités liées à l’élevage ont certes permis d’amortir en partie, notamment dans le Nord, les pertes de revenus liées à la mauvaise récolte céréalière, mais ces revenus n’ont pas été suffisants pour éviter aux populations d’être plus qu’ailleurs, touchées par la famine.

Tout comme le coton, la bonne orientation des cours de l’or a permis de maintenir le dynamisme des activités d’exploration des ressources aurifères dans le secteur de la « grande mine » (exploitation industrielle). Au total 170 permis d’exploitation ont été attribués dont un grand nombre en 2004. Les sites de Kalsaka (Cluff Mining) et Taparko (High River Gold) sont désormais en phase de construction et la production devrait commencer au plus tard début 2006. D’autres sites dont celui de Mana (Semafo) ou d’Essakane (Orezone), potentiellement l’un des sites les plus importants en Afrique avec des ressources estimées à 55,6 tonnes d’or sont en phase d’exploration.
La privatisation lancée du Comptoir burkinabè des métaux précieux (CBMP) vise à revitaliser le secteur.

Quant au secteur secondaire, il représentait environ 22% du PIB en 2003 et est dominé par l’égrenage du coton, l’agro-alimentaire, le BTP, de nombreuses entreprise telles les grands Moulins du Burkina, la Sossuco, et SAP Olympic, ces trois sociétés ayant été fortement affectées par la crise ivoirienne. La croissance de ce secteur estimée à 6,9% en 2004 contre 9,5% en 2003, a bénéficié des activités d’égrenage, lui-même imputable à la très bonne récolte cotonnière de la saison 2003/2004.

La téléphonie mobile tire la croissance vers le haut

Le secteur tertiaire qui représentait environ 47% du PIB en 2003 est sans conteste le plus dynamique, son rythme de croissance ayant connu une légère embellie en 2004 avec 6,8% contre 6% en 2003. Un dynamisme qui repose principalement sur la téléphonie mobile, ces fameux « circulaires » et sur les transports qui ont bénéficié de l’arrêt du trafic ferroviaire.

Au plan macro-économique, le rapport indique que le Burkina ne pourra pas réaliser l’objectif de convergence au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). Comme les années passées, le gouvernement ne respectera sans doute pas le critère clé de solde budgétaire de base rapporté au PIB nominal nul ou positif. Ce non respect est imputable à la faiblesse de la pression fiscale qui oscille entre 11 et 12% alors qu’elle devrait être supérieure ou égal à 17%.

Mais on voit mal le gouvernement essayer de relever ce taux afin de se mettre en conformité avec ses engagements sous-régionaux, l’exemple du Niger plaidant pour le statu quo, d’autant que, politiquement, une telle décision semble inopportune. Le projet de budget 2005 bâti sur une prévision de croissance de 3,5% s’inscrit donc dans la continuité même s’il prévoit un élargissement du déficit (dons inclus) à 5,8% du PIB. Les dépenses devraient rester stables tandis que les recettes fiscales devraient progresser de 11,3 en 2003 à 12,2% du PIB en 2004. A condition toutefois que la collecte de l’impôt s’améliore et qu’une traque impitoyable soit engagée contre ce « cancer fiscal » qu’est la fraude.

A en croire le patron de la Coordination nationale de lutte contre la fraude, Dieudonnée Marie Compaoré, la lutte semble perdue depuis plus de 10 ans, la délinquance fiscale ayant quitté le petit commerçant de Pouytenga pour s’incruster dans les bilans des sociétés. « La fraude s’intellectualise », révèle t-il. A ce constat amer auquel s’ajoutent la corruption généralisée et l’impunité dont jouissent certaines sociétés, rien ne pousse à l’optimisme dans ce combat. Des individus épinglés par la Haute autorité de coordination de lutte contre la corruption dans son rapport de 2003 ne coulent-ils pas des jours tranquilles, narguant ainsi la justice ?

Le pétrole, le grain de sable dans l’économie ?

Cité par les Institutions financières internationales pour la rigueur dans la gestion des finances publiques, le grain de sable dans l’équilibre macro-économique du Burkina pourrait venir de l’extérieur, notamment du prix du pétrole et l’éventuelle décision de répercuter la hausse à la pompe avec les conséquences sociales que l’on peut redouter.

L’augmentation du prix du pétrole pourrait aussi pousser le gouvernement à augmenter la subvention à la Sonabel, ce qui est plus que probable car une subvention obtenue avec le soutien de la Banque mondiale avait été acquise au profit de la société d’électricité sur la base d’un baril prévu entre 40 et 45 dollars. Or depuis plusieurs mois, le prix du baril de pétrole caracole autour de 50 dollars et n’est pas près de baisser.

Dans ce contexte, on se demande comment le gouvernement burkinabè va pouvoir tenir le cap de la privatisation de la Sonabel dont le processus est lancé depuis 2001. L’audit des comptes 2002 et 2003 a déjà eu lieu, et la fin de la privatisation, qui verra la Sonabel prendre la forme d’une société fermière avec un partenaire majoritaire dans le capital, ne devrait pas intervenir avant le deuxième semestre 2006, bien après l’élection présidentielle.

La privatisation de la Société nationale burkinabè d’hydrocarbures (Sonabhy), monopole public est également au même stade d’avancement. Son capital sera ouvert mais l’Etat devrait rester majoritaire, et conservera le monopole des achats le stockage des produits pétroliers.

Grâce à la vente exceptionnelle de coton, le Burkina a pu réduire son déficit commercial de 8,5% en 2003 à 7,9% en 2004 rapporté au PIB, mais structurellement, la balance commerciale du pays est déficitaire, conséquence de la faiblesse du secteur exportateur, qui ne représente que 8% du PIB contre 26,5% en moyenne dans la zone UEMOA, composé du coton (63%) et des produits de l’élevage (13%).

C’est dire donc si le commerce extérieur du Burkina est fortement dépendant de la parité euro/dollar et du prix du coton sur le marché international, prix qui échappe au contrôle des pays africains.

Un secteur bancaire solide mais frileux

Relativement solide, le secteur bancaire dispose d’une surliquidité à court terme, mais sa participation à l’économie nationale en terme de crédit est faible, pas plus de 13% du PIB. La frilosité des banques à financer des PME locales, avec plus ou moins la bienveillante neutralité de l’Etat, est préjudiciable à la lutte contre la pauvreté.

Pourtant, au début des années quatre-vingt dix, l’Etat avait racheté les créances des banques alors en grande difficultés financières afin d’assainir leur situation. Ne pourrait-il pas aujourd’hui inventer un mécanisme, par exemple une caisse de garantie pour les inciter à prendre plus de risque dans l’octroi des crédits ? Même les quelques rares demandes acceptées sont soumises à des taux d’intérêts très élevés, entre 10 et 18%. « Il semble manquer au Burkina, une vraie politique bancaire cohérente en direction des PME, qui pourrait par exemple déboucher sur une fusion des différents dispositifs en une banque spécialisée ou en un fonds de garantie pour le financement spécifique des PME », soulignent les auteurs du rapport, ajoutant que les « autorités n’ont par ailleurs pas de position claire en direction du secteur de la micro finance, totalement pris en charge pour le réseau des caisses populaires ».

En conclusion, les experts de l’OCDE et de la BAD insistent sur le fait que la réduction de la pauvreté passe par « la réduction des disparités géographiques ainsi que celles entre milieux ruraux et urbains, notamment en matière d’accès aux services sociaux ».

A l’instar de nombreux autres pays, le Burkina affiche un retard dans la réalisation des Objectifs du Millénaire d’ici 2015. Le Pays des hommes intègres pourrait atteindre seulement deux Objectifs sur sept, la réduction de moitié de la proportion de la population qui souffre de faim, et la réduction de moitié du pourcentage de la population qui n’a pas accès de façon durable à l’eau potable.

En revanche, le Burkina recule à offrir à tous les enfants les moyens d’achever un cycle complet d’études primaires, accuse un retard important dans l’élimination des disparités entre les sexes à tous les niveaux de l’enseignement et dans la réduction de 2/3 le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans.

Pour les fruits du « Programme pour un développement solidaire » garantissant à tous « un avenir tranquille », il faudra encore patienter un peu.

Par Wahab Sidibé
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