LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Droits humains au Burkina : Les médias face à la présomption d’innocence

Publié le mercredi 3 août 2005 à 08h53min

PARTAGER :                          

Promouvoir et défendre les droits humains suppose que certains principes universels qui concourent à la garantie de ces droits sont promus et connus par tous. Sont de ceux-là la présomption d’innocence.
Ne serait -il pas bon d’assortir certaines affirmations de réserves ? Mettre une bande noire sur les photos des délinquants présentés à la presse ? Qui par exemple réparerait le préjudice subi par une personne présentée par la presse publiquement comme délinquant et qu’un jugement viendrait à innocenter ?

Peut être serait- il bon de commencer par mieux appréhender la notion et les différents aspects que recouvre la présomption d’innocence.

Selon le dictionnaire "Le petit Larousse", le mot "innocence" désigne l’absence de culpabilité.

L’existence de la présomption d’innocence est assez lointaine et constitue le résultat d’un travail intellectuel mené au XVIIIe siècle par des philosophes et des juristes. Elle a été reconnue à des périodes où les droits de l’Homme d’une manière générale ont commencé à inquiéter les consciences collectives et les communautés internationales. En France par exemple, la prise en compte de ce droit s’est manifestée à travers la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 dans son article 9. Il y a aussi l’Habeas corpus en Angleterre qui garantit des libertés fondamentales et protège l’individu contre les arrestations arbitraires.

Au plan international, la présomption d’innocence est consacrée par l’ONU grâce à son insertion dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 (article 11-1). Elle a également été prise en compte par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de New York de 1966 (article 14). Au plan régional, elle a été retenue par la Convention européenne des droits de l’homme de 1950 en son article 6-2 et par la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples de juin 1981, convention ratifiée par le Burkina Faso en 1984 (voir décret 84-253 du 6 juillet 1984, Journal Officiel n°32 bis du 9 août 1984, p 23 et 28). Toutes ces considérations amènent à conclure que la présomption d’innocence est un droit non négligeable, d’origine lointaine, reconnue par un grand nombre de législations nationales et par plusieurs conventions internationales.

Cependant, quel est concrètement le contenu de la présomption d’innocence ?

Le contenu de la présomption d’innocence

La présomption d’innocence est un droit attaché à un ensemble d’autres droits nécessaires à la réalisation d’un procès équitable (droits de la défense, exemption de charge de preuve, etc.). Il s’agit d’une règle qui permet à une personne d’être, a priori, considérée comme une personne innocente, en attendant qu’une décision du juge reconnaisse ou non sa culpabilité relativement à l’infraction pour laquelle elle est accusée. La culpabilité est l’état de l’individu convaincu d’avoir violé la loi. En d’autres termes, l’individu est censé bénéficier d’un traitement qui se rapproche de celui d’un citoyen qui n’a pas enfreint la loi.

Dès lors, toute personne (juge, police judiciaire, tiers...) amenée à agir ou à réagir relativement à l’individu bénéficiaire de ce droit, quant à sa mise en cause, doit le faire en considérant qu’elle a en face d’elle un individu assimilé à celui qui n’a commis aucune infraction.

Ce comportement logique doit être observé jusqu’à l’intervention d’une décision judiciaire (il peut s’agir d’un arrêt) qui confirme (l’innocence) ou lève (culpabilité) la présomption d’innocence.

Ce droit permet de ne pas juger le justiciable de façon arbitraire. Il ne laisse aucune ouverture aux préjugés. Ainsi, la décision ne peut être rendue sans preuve ou sur la base de simples hypothèses ou de probabilité ou encore sur celle d’une simple suspicion. C’est un droit qui protège l’individu contre certains abus ou préjudices comme ceux engendrés par l’exercice du droit à l’information à travers la presse.

La présomption d’innocence a l’avantage d’éviter la condamnation d’une personne réellement innocente et celui de préserver la liberté de la personne et la dignité humaine.

Cependant, qui peut bénéficier de la présomption d’innocence ?

Qui peut bénéficier de la présomption d’innocence et quand peut-on s’en prévaloir ?

A priori, toute personne est un potentiel bénéficiaire du droit à la présomption d’innocence. Mais en réalité, seuls ceux qui sont sur le point de faire l’objet d’une poursuite pénale ou ceux qui en font l’objet, en sont les bénéficiaires. La présomption d’innocence est donc particulièrement reconnue à toute personne ayant soit la qualité de suspect, d’inculpé, de prévenu, soit celle d’accusé.

En général, le titulaire de ce droit l’invoque lorsque l’infraction visée appartient à la catégorie des délits ou des crimes. La présomption d’innocence est rarement invoquée en cas de contravention, laquelle est classée dans la catégorie des infractions les moins graves. On estime que les délits et les crimes sont des actes suffisamment graves nécessitant la mise en œuvre d’une protection particulière de la personne accusée, ce qui permet le bon déroulement des enquêtes et l’aboutissement à l’administration d’une bonne justice.

Par ailleurs, il est judicieux de protéger l’individu de sorte qu’il ait une certaine confiance et une attitude de collaboration vis-à-vis de la justice. La qualité des enquêtes aussi peut en dépendre.

En somme, toute personne officiellement mise en cause par les autorités judiciaires compétentes, en vue d’un procès pénal, est en droit de s’en prévaloir en cas de nécessité et aussi bien en cas de procédure d’infraction flagrante qu’en cas d’enquête préliminaire.

Cependant, le droit à la présomption d’innocence ne serait qu’un droit virtuel et théorique venant allonger simplement la liste de ceux reconnus par la loi et préconisés dans un Etat de droit, si aucune garantie n’assurait sa jouissance aux bénéficiaires.

Application du principe de la présomption d’innocence

Il y a deux principales règles qui garantissent l’application de la présomption d’innocence. Elles concernent la charge de la preuve et l’insuffisance de preuves.

Pour ce qui est de la charge de la preuve, il ne suffit pas d’accuser un individu d’avoir commis par exemple un vol pour lui attribuer la qualité de voleur ou de délinquant. La loi exige qu’il soit prouvé, par des éléments de preuves fiables, qu’il a effectivement commis un acte prohibé légalement. Or, si on considère que l’individu est censé avoir la qualité d’innocent jusqu’à ce qu’une décision soit arrêtée par le juge, il revient à celui qui accuse de faire la preuve de ce qu’il affirme. Le présumé innocent n’a donc pas l’obligation de faire la preuve de son innocence.

Ainsi, le principe de la présomption d’innocence commande la démonstration de la véracité de la non innocence de l’individu mis en cause par la partie poursuivante. En outre, cette dernière doit démontrer que l’infraction elle-même est constituée.

Certes, la présomption d’innocence exempte son bénéficiaire de la charge de preuve, mais elle ne met pas l’individu mis en cause à l’abri de certains traitements. En effet, l’individu n’est pas traité comme un parfait innocent, mais plutôt comme celui qui est positionné entre l’innocent et le non innocent. A ce titre, la loi tout en lui reconnaissant la qualité de présumé innocent durant toute la procédure préparatoire au jugement, permet d’ordonner des mesures à son encontre (garde-à-vue, détention préventive...).

Pour ce qui est de l’insuffisance de preuves, la présomption d’innocence confère à son bénéficiaire l’application de la règle selon laquelle le doute profite à l’accusé. Si l’accusateur ou la partie poursuivante ne parvient pas à établir clairement et sans ambiguïté que la personne présumée innocente a effectivement commis l’infraction pour laquelle elle est poursuivie, le juge ne peut conclure à sa culpabilité. Dans ces conditions, le jugement ne peut que constater le fait qu’elle ne soit pas l’auteur de l’infraction commise dans la mesure où les juges se trouvent dans l’impossibilité d’attribuer « la paternité » de l’acte prohibé à l’individu mis en cause.

Le doute peut aussi porter sur la constitution de l’infraction elle-même. En effet, si un doute existe et persiste quant à la conformité des actes réellement commis par rapport aux actes prévus par la loi fondant l’existence de l’infraction, le juge doit se résigner à déclarer la non culpabilité de l’individu, l’infraction étant inexistante en ce cas.

Mais si les faits constituent une autre infraction, il procède à une nouvelle qualification des faits.

L’impossibilité de démontrer la culpabilité de la personne mise en cause peut provenir de l’une des raisons suivantes. Premièrement, la personne mise en cause est réellement innocente, aucun élément de preuve ne contredit cette vérité d’où, en principe, l’impossibilité absolue de démontrer le contraire.

Et deuxièmement, les éléments de preuves rassemblés pour affirmer sa culpabilité sont fragiles, voire douteux, d’où une situation d’insuffisance de preuves.

En définitive, on peut retenir que la présomption d’innocence répond à un souci de prudence à l’égard de la personne présumée innocente car son image et sa dignité pourraient en prendre un sérieux coup si dès le début de la procédure judiciaire, elle est présentée comme coupable, alors qu’il est probable qu’une décision du juge la déclare définitivement innocente.

Il est plus qu’impérieux que cette disposition légale soit connue aussi bien par les citoyens que par la presse particulièrement, car il est assez notoire que celle-ci dans notre contexte n’est pas très souvent assez prudente envers les personnes présumées coupables ou innocentes.

El Hadj Ibrahiman SAKANDE
Email : ibra.sak@caramail.com
(Avec la collaboration du MPDH/REJIJ)

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique