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Innovation : Etudiant en droit, Jonathan Ouédraogo invente du carburant à base d’huile usagée de moteur

Publié le dimanche 20 janvier 2019 à 23h55min

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Innovation : Etudiant en droit, Jonathan Ouédraogo invente du carburant à base d’huile usagée de moteur

Jonathan Ouédraogo est un étudiant en Sciences juridiques et politiques à l’Université Aube nouvelle de Bobo-Dioulasso. Passionné de lecture et particulièrement de science, il a réussi à transformer l’huile usagée des moteurs (l’huile de vidange) en carburant. Une découverte inédite, impressionnante et surtout très prometteuse. A l’en croire, le prototype est déjà concluant sur les moteurs de groupes électrogènes. En tant que jeune et citoyen engagé dans la cause du développement des populations et de sa communauté, notre jeune étudiant veut démontrer l’étendue de son talent et ambitionne de tester, dans les jours à venir, le fruit de ses recherches sur les moteurs à 4 temps. Il estime que ce carburant pourrait être vendu à 350 F CFA le litre. Pour comprendre le concept de la découverte, nous vous invitons à livre cette interview.

Lefaso.net : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Jonathan Ouédraogo : Je m’appelle Jonathan Ouédraogo, je suis étudiant en sciences juridiques et politiques à l’Université Aube nouvelle, en Master.

Parlez-nous de votre projet. Comment avez-vous eu l’idée de transformer l’huile des moteurs en carburant ?

L’idée de ce projet a pris naissance lorsqu’il y a eu la hausse du prix du carburant au Burkina Faso qui est consécutive à la hausse du prix du baril de pétrole sur le marché international. J’ai réfléchi à la possibilité de palier cette situation complexe, d’apporter une solution concrète à ce problème concret. J’ai réfléchi à la possibilité de synthétiser de manière scientifique un carburant palliatif à partir de ce qu’on peut appeler un déchet.

Ce déchet, c’est tout simplement les huiles de vidange que l’on utilise dans nos moteurs, dans nos engins et qu’après la révision, on se contente de verser ou de laisser chez le mécanicien. Moi, je me suis dit que c’est de la science. En chimie, il y a ce qu’on appelle le tableau périodique de classification qui est constitué de 118 éléments qui sont classés suivant leurs chiffres et suivant leur composition électronique.

Tout corps de la planète Terre et même de l’univers est constitué de ces 118 éléments du tableau périodique de classification que la nature s’est contentée d’organiser et de réorganiser suivant certains schémas qui font que ça donne une table, une chaise ou moi qui vous parle en ce moment, et il en va de même pour l’huile de vidange. Ce n’est qu’un composé qui obéit à un schéma moléculaire, à un schéma atomique.

Ce schéma atomique c’est l’organisation de certaines particules, de certaines molécules qui donnent le pétrole. Et après avoir utilisé le pétrole, l’usage fait que ces particules seront quelques fois fractionnées, brisées ; il y aura des liens qui seront brisés et d’autres liens qui seront récréés, donnant une matière différente de la matière originelle parce que les conditions de température et de pression auront varié à l’intérieure du moteur.

Comme le dit Antoine Lavoisier dans sa belle formule « Rien ne se perd, rien ne se crée : tout se transforme », j’ai pensé que c’était un grand gâchis de perdre ainsi nos huiles moteurs ; et j’ai pensé à la possibilité de rétropédaler, chimiquement parlant, en créant à partir de ce déchet-là, un carburant qui puisse permettre à un moteur de fonctionner à nouveau et c’est ce que j’ai fait. En principe, toute huile qui répond à certaines conditions peut être utilisée dans le processus chimique de transformation d’une huile en un carburant utilisable. Le processus peut non seulement utiliser l’huile de jatropha mais aussi le beurre de karité.

Expliquez-nous comment se fait le processus de transformation de cette huile usagée en carburant…

De manière très concrète, il y a un processus chimique qui se passe. Et vous savez que les processus chimiques ont plusieurs étapes. Il y a aussi des composantes chimiques qui doivent entrer en jeu ; c’est ce qu’on appelle une réaction chimique. Le premier composé dans notre cas, c’est l’huile usagée des moteurs. C’est ce qu’on appelle la base. Le second composé est un réactif qui va réagir avec la base. Dans notre cas, moi j’ai utilisé l’éthanol.

Je l’ai utilisé en faisant une distillation par mes propres moyens. Ensuite, j’y ai adjoint ce qu’on appelle un catalyseur. C’est le troisième élément de la réaction chimique qui va accélérer le processus de transformation non seulement, mais qui va aussi permettre au réactif et à la base, d’interagir chimiquement parlant et de créer les recombinaisons moléculaires nécessaires à la création du carburant nouveau. Ce catalyseur, c’est l’hydroxyde de potassium dont la formule chimique est KOH. Et la formule chimique développée de l’éthanol est CH3CH2OH.

La première étape c’est de réunir ces trois ingrédients ; ensuite il faut les mélanger dans des proportions bien définies et dans des conditions bien définies de température et de pression sinon vous allez obtenir une pâte inutilisable qui est en quelque sorte le symbole de l’échec de l’expérience scientifique. J’ai échoué plusieurs fois et je n’ai pas abandonné.

Je me suis relevé et j’ai continué à recombiner, à revoir le dosage, à revoir les conditions de température jusqu’à obtenir le ratio, l’équilibre parfait. Et c’est ce que j’ai réussi à faire présentement en obtenant ce prototype. Il faut une pression ambiante, il faut que la base (l’huile de moteur usagée) soit au préalable chauffée à une température d’environ 123,8 degrés Fahrenheit et cela correspond à 51 degrés Celsius environ.

A ce stade maintenant, il peut facilement entrer en réaction avec le réactif qui est l’éthanol. Au bout d’une attente de 30 à 45 minutes, cela donne maintenant un composé qui est composé de deux substances : la première est une substance gélatineuse qui, en principe, se dépose au fond et le carburant remonte en haut. Par filtration, on extrait le carburant et la substance gélatineuse qui reste n’est pas utilisable, c’est le déchet de la réaction chimique.

A l’étape actuelle est-ce que ce carburant est efficace ?

A l’étape actuelle, je n’ai pas encore testé le carburant dans un moteur conventionnel, mais je ne doute pas de son efficacité parce qu’il a déjà été testé dans un moteur de groupe électrogène. J’ai pu le tester et heureusement le groupe électrogène a démarré. J’ai été très ravi de ce caractère concluant de l’expérience qui ne peut que me galvaniser dans mon élan de toujours améliorer ce prototype et très bientôt, je compte l’essayer sur un moteur à 4 temps.

A quelle catégorie de combustible appartient ce carburant ?

En principe, ce carburant est conçu pour fonctionner avec des moteurs à 4 temps. Après donc l’étape du groupe électrogène, je compte l’essayer sur les moteurs à 4 temps et si ça fonctionne, on pourra le classer dans la famille des Supers. Mais pas avec l’appellation du Super parce que le Super, il y a non seulement des droits d’auteur qu’on a déposés sur ce nom, mais aussi ça ne répond pas à la même composition chimique. L’équilibre chimique n’est pas le même quand c’est du Super ni quand c’est du gasoil. Le mien a son équilibre chimique et le nom, on pourra le trouver.

Etant « un homme de droit », pourquoi avez-vous choisi de vous intéresser à la science ?

(Rires) Il y a beaucoup de mes camarades qui me charrient des fois en me disant que j’ai raté ma vocation en faisant le droit. Même souvent c’est pour me taquiner, parce qu’ils estiment que j’aurais dû faire une série scientifique. Pour ceux qui me connaissent de manière intime, ils diront que je suis un véritable mordu de science. J’aime beaucoup tout ce qui est scientifique, tout ce qui est savoir et connaissance.

Que ce soit la physique, la chimie ou encore la biologie, j’aime beaucoup cet aspect de la science et je crois que c’est avec ces sciences combinées aux autres sciences, qu’on peut réussir à atteindre le développement.

En tant que « homme de droit », je crois que le savoir n’est plus ce secret jalousement gardé par un groupuscule de personnes qui prétendaient pouvoir l’utilisé pour assoir leur domination sur un autre groupe de personnes dites ignorantes. Aujourd’hui, le savoir, il se libéralise, il est vulgarisé, il est démocratisé et notre génération n’a plus l’excuse suivant laquelle on n’a pas les moyens d’apprendre.

Aujourd’hui, nous avons tellement de moyens pour acquérir le savoir et la connaissance. La raison fondamentale en résumé qui m’a poussé à m’intéresser autant à la science, c’est d’une part le fait que je suis fermement convaincu que le développement de notre pays, et allant celui de l’Afrique tout entière, ne saura jamais se construire sur la base d’une seule voie ou sur une seule discipline scientifique.

C’est l’erreur que la plupart des scientifiques commettent. Chacun analyse la situation uniquement selon son domaine. On n’essaie pas d’avoir une vision transversale. D’autre part, je crois que la raison pour laquelle je m’y suis intéressé, c’était pour essayer de manière claire et précise d’apporter une solution concrète à un problème concret. Notamment, la hausse du prix du carburant.

Je crois que, si chacune et chacun essayait à son niveau de bâtir durablement mais surtout sainement, en essayant de manière concrète de trouver des choses concrètes, le Burkina Faso serait certainement un pays en voie de développement et en bonne voie de développement.

Quelles sont les perspectives pour le projet ?

Les perspectives pour la suite du projet… quoique le prototype soit très concluant, j’ambitionne toujours de le perfectionner. Avec les expériences futures que je mènerai sur, notamment, les moteurs à explosion à 4 temps, je pourrai savoir comment affiner davantage ce produit chimique afin qu’il soit définitivement un produit fini et que ça soit un carburant qui puisse être utilisé.

Pourquoi pas à l’échelon industriel, nous puissions avoir un jour notre propre central de production de carburant. La seconde perspective, c’est que l’objectif central pour moi ce n’était pas de créer un carburant qui allait servir aux personnes qui sont en ville. C’était plus pour mettre cela à la disposition des personnes qui sont dans les zones rurales. Voilà pourquoi j’ai fait mon premier test sur un groupe électrogène.

Parce que je comptais, dans les jours à venir, avec l’aide de certaines personnes, parvenir à mettre en place un moteur qui puisse utiliser ce carburant. Donc un moteur avec lequel ce carburant est parfaitement en harmonie. Et ce moteur à pour objectif d’être placé en réalité sur des engins permettant notamment de cultiver les sols, les tracteurs ou mini-tracteurs pour pouvoir permettre à nos paysans, à nos agriculteurs de ne plus avoir à se courber sous un soleil de plomb avec la daba, du matin au soir, pour ne cultiver qu’un demi-hectare ; mais pour permettre à ces derniers d’avoir à leur disposition une machine simple, fiable et facile d’utilisation qui n’est pas coûteuse et qui leur permettra de cultiver 10 hectares en une journée. C’est mon ambition et ce carburant n’est que le premier pas d’un long escalier qui est progressivement en train d’être bâti avec sérénité et calme.

Pour l’aboutissement du projet, avez-vous bénéficié d’une aide quelconque ?

Non, pour l’aboutissement de ce projet, j’ai été la seule personne à avoir réfléchi sur ce projet. A l’avoir conçu, à l’avoir ensuite mis en œuvre. J’ai eu à mener plusieurs recherches (documentaires), donc s’il y a des personnes que je dois remercier, ce serait certainement des auteurs en physique, en chimie et peut être la bibliothécaire du Centre, auprès de qui je vais emprunter les documents de manière très régulière.

Comment arrivez-vous à gérer votre emploi du temps entre vos temps d’études à l’université et celui de vos recherches scientifiques ?

En effet, si l’on ne fait pas preuve d’un minimum d’organisation, cela peut facilement créer l’ébranlement dans les études et transformer finalement votre quête de l’excellence en une quête perpétuelle de la médiocrité. Il faut à tout moment avoir un programme fixe et défini.

C’est à travers cette technique de chronogramme journalier que j’essaie de concilier mes études en droit et mes recherches scientifiques parallèles que je fais car il faut savoir faire la part des choses. La science, c’est ma passion et c’est un moyen à moi de me distraire.

Quel est votre mot de fin ?

Le dernier mot que je veux lancer à l’endroit de la population, des autorités et aussi à l’endroit de mes camarades, c’est d’oser. De tout simplement oser parce que quand j’ai parlé de ce projet à des proches, ils ont dit « Ah ! Encore toi ». « Tu viens avec tes idées folles encore et tu vas te disperser inutilement et tu ne pourras pas réussir parce que ce n’est pas ton domaine ». Nous sommes dans un contexte social dans lequel il faut, selon la société, être nécessairement un expert dans un domaine pour pouvoir avoir droit au chapitre.

Mais moi je crois fermement et je suis convaincu, qu’il est vrai qu’être un expert est louable et qu’il faut apprécier à sa juste valeur ; je crois aussi qu’un expert qui n’arrive pas à trouver de manière concrète, des solutions à des problèmes concrets, n’a pas encore achevé son expertise. Il est vrai qu’on peut avoir de grandes connaissances dans la théorie, avoir un colossal bagage intellectuel ; mais ne pas appliquer ça dans la réalité pratique, il y a un hiatus en quelque sorte entre la théorie et la pratique.

Donc je lance un appel aux experts, on en a beaucoup au Burkina, ils sont compétents, ils ont le talent, ils ont la connaissance, ils ont le savoir, je les appelle à essayer de faire au moins une découverte ou l’amélioration d’une découverte précédente pour permettre ici au Burkina Faso, à l’instar de la Chine et des autres dragons d’Afrique, de percer dans le domaine de la révolution scientifique.

Je crois fermement que s’il y a beaucoup de jeunes, hommes et femmes comme moi, qui veulent essayer à leur niveau de bâtir durablement un développement en initiant des actions concrètes, se serait un grand progrès pour le Burkina Faso, et une grosse épine qu’on retirera du pied de notre nation. Pour terminer, je voulais dire qu’en créant ce carburant qui m’a beaucoup touché en termes de fierté personnelle, j’ai pensé que ce serait égoïste pour moi d’être un individu qui ne cherche qu’à se mettre sous le feu des projecteurs seul.[ Cliquez ici pour lire l’intégralité ]

Propos recueillis par Romuald Dofini
Lefaso.net

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