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Issaka Sawadogo, comédien burkinabè : « Le jeu d’acteur a perdu sa valeur et les acteurs se fabriquent comme des produits chinois… »

Publié le lundi 14 janvier 2019 à 23h39min

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Issaka Sawadogo, comédien burkinabè : « Le jeu d’acteur a perdu sa valeur et les acteurs se fabriquent comme des produits chinois… »

A l’occasion du cinquantenaire du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO), nous avons rencontré Issaka Sawadogo, acteur émérite burkinabè de renommée internationale. Entré dans le cinéma depuis son jeune âge, il est aujourd’hui âgé d’une cinquantaine d’années et a joué dans plusieurs films comme Hotêl César, Taxi brousse, Diego Star, Envahisseur, Guyane, République des corrompus, etc. Il est également lauréat de plusieurs prix sur le plan national et international.

Lefaso.net : Vous êtes connu sur plusieurs plateaux cinématographiques à travers le monde. D’où est née cette passion du cinéma ?

Issaka Sawadogo : Ma passion du cinéma est née à partir de ma passion du théâtre. Tout a commencé par le théâtre depuis le lycée, je dirais même depuis l’école primaire avec les activités culturelles dont j’étais passionné. Mais le théâtre professionnel proprement parlé, je l’ai débuté avec le Pr Jean Pierre Guingané qui m’avait accepté dans sa troupe qui était la seule à l’époque. Une troupe qui m’a ouvert les portes de la Norvège et c’est dans ce pays que j’ai fait mes premiers pas dans le cinéma en 2004 avec un court métrage « Exoticore » qui a connu un grand succès. C’est donc à travers ce film que la grande porte du cinéma s’est ouverte à moi.

Lefaso.net : On sait que vous êtes de l’ancienne génération. Quelle appréciation faites-vous des acteurs de votre époque par rapport à la génération actuelle ?

Je pense que chaque génération d’acteurs du cinéma, surtout dans le cœur de l’Afrique, vit avec la situation du moment. Il y a 20 ans en arrière, il n’y avait pas de cinéma numérique, c’était du cinéma tourné avec les pellicules. Aujourd’hui, on parle de cinéma numérique et même avec un smartphone, on peut faire du cinéma. C’est-à-dire que chaque génération à ses avantages.

Toutefois, il faut reconnaître que dans le passé, les acteurs étaient beaucoup plus naturels et le jeu d’acteur se faisait à travers le physique et le corps. Et aujourd’hui, avec la technologie, les choses sont devenues plus faciles pour les acteurs. Mais dans cette évolution, le jeu d’acteur a perdu sa valeur et les acteurs se fabriquent comme des produits chinois où on a la première, deuxième, troisième qualité, etc.

C’est un peu méchant ce que je dis mais les acteurs doivent comprendre qu’ils doivent travailler à se rapprocher plus du naturel en faisant des recherches complémentaires ou en regardant des anciens films pour comprendre comment les anciens jouaient. Même si le cinéma est devenu une industrie beaucoup développée et plus économique qu’il l’était, il faut travailler à retrouver la pureté du jeu d’acteur si l’on veut faire une carrière dans ce métier.

Lefaso.net : Il nous revient qu’il y a un lieu au Pays-Bas où vous avez été le seul acteur africain à y avoir posé les empreintes. Est-ce que vous confirmez cela ?

Oui j’ai eu la chance d’avoir le « Veau d’or » au Pays-Bas et dans l’histoire du cinéma mondial néerlandais, je suis le premier africain à avoir remporté ce prix. C’est un prix qui équivaut à poser ses empreintes dans l’une des célèbres rues du Pays-Bas complètement dédiée aux lauréats de ce prix et pour le moment, je suis le seul africain à y poser mes empreintes.

C’est un fait marquant de l’histoire du cinéma africain en général et burkinabè en particulier. Et ce prix m’a ouvert beaucoup de portes ; parfois quand je suis à l’extérieur, je suis surpris de voir comment je suis accueilli et lorsque je reviens chez moi, je passe inaperçu mais cela ne me gêne pas, parce qu’il est écrit quelque part qu’on est jamais prophète chez soi.

Lefaso.net : Vous avez été lauréat de plusieurs prix internationaux. Quel est le prix dont vous êtes le plus fier aujourd’hui et pourquoi ?

Je suis très fier de tous les prix que j’ai obtenus dans ma carrière, parce que ce sont les fruits des efforts consentis, de la recherche permanente, du travail bien fait, etc. Tout cela pour dire que tous les prix ont eu chacun une histoire qui m’a marqué d’une manière ou d’une autre, donc ils sont tous des fiertés pour moi.

Néanmoins, je peux dire que je suis plus fier du prix Sotigui Awards, parce que c’est la nation burkinabè qui m’a honoré. Et pour moi, ce prix a les mêmes mérites que les Oscars, Césars et tous les autres prix que j’ai obtenus. Je suis un peu nationaliste, donc j’aime tout ce qui vient de mon pays ; même les choses mal faites chez moi, je les trouve bien faites et c’est de cette manière que je me définis.

Lefaso.net : Vous avez, sans doute, plusieurs admirateurs au sein de la jeunesse. Quels conseils pourriez-vous leur donner ?

Seul le travail paie, il faut travailler toujours travailler, parce qu’il rien ne peut s’obtenir gratuitement dans la vie. Les jeunes doivent savoir qu’ils doivent travailler plus en sortant de leurs zones de confort pour aller à la recherche de la connaissance et se faire des challenges. Il faut essayer des choses qu’on ne connait pas et pousser ses limites, sinon on sera vite dépassé par le développement.

C’est pourquoi, je demande à toute la jeunesse de savoir que la meilleure aide que l’on puisse attendre de l’autre, c’est soi-même, parce que Dieu nous a tout donné pour réussir. Et il faut utiliser ses connaissances acquises, son intelligence, sa sagesse, etc. pour se développer, essayer des choses qui n’ont jamais existé. Et c’est ce qui manque à la jeunesse burkinabè car elle n’ose pas, parce qu’elle ne veut pas prendre des risques et pourtant, si l’on veut réellement réussir, il faut prendre tous les risques et avoir confiance en sa capacité de réussite.

Lefaso.net : En février prochain, l’on célèbrera le 50e anniversaire du FESPACO. En tant que référence dans le domaine, quel regard portez-vous sur l’évolution du cinéma burkinabè ?

Un regard très positif, parce que le cinéma burkinabè est un baobab du cinéma africain. Car tous les cinémas africains ont tiré leur source dans le cinéma burkinabè. C’est un cinéma en mutation, qui va de plus en plus se développer en explosant tous les murs de l’Afrique et du monde entier. En étant au Burkina Faso, on ne connaît pas la valeur de ce cinéma mais quand on sort, on comprend que c’est un cinéma qui est beaucoup apprécié.

Nous avons un festival comme le FESPACO qui fête ses 50 ans, c’est un jubilé d’or et chaque Burkinabè devrait en faire une fierté comme Hollywood et Bollywood le sont pour les Américains et les Indiens. De la vendeuse d’arachides au bord de la route au grand fonctionnaire assis dans son bureau, tout le monde doit faire du FESPACO une fierté nationale, parce qu’il représente une monnaie d’échange et une identité pour tous les Burkinabè.

Lefaso.net : Si tel est le cas, le Burkina Faso est-il donc bien parti cette année pour remporter son troisième Etalon d’or ?

Exactement, on est tellement bien positionné pour que l’Etalon d’or soit au Burkina Faso pour la troisième fois ; c’est une prophétie. Et ce ne sera pas seulement le premier prix, tous les trois grands prix resteront cette année au Burkina Faso et peut-être que les gens diront qu’il y a eu magouille mais ce ne sera pas de la magouille, mais plutôt la qualité du travail qui sera présenté.

Lefaso.net : Selon vous, après 50 ans de parcours, quels sont les acquis engrangés dans ce domaine et quels sont les défis à relever à court, moyen et à long termes ?

Nous avons énormément d’acquis car plus d’un tiers du travail cinématographique comme les films documentaires, séries, courts et longs métrages produits au Burkina Faso n’ont pas encore été vus ni connus. Nous avons également plusieurs sites de tournage sur toute l’étendue du territoire comme le désert, la forêt, les pics de Nahouri, les Cascades de Banfora, etc. qui ne sont pas totalement exploités.

En plus de ses sites et productions, nous avons également le savoir-faire burkinabè de tous ces spécialistes du cinéma qu’il faut exploiter. Et tout cela constitue de grands défis qu’il faut travailler à relever.

C’est pourquoi, j’interpelle le gouvernement, les personnes ressources, les opérateurs économiques à s’investir plus dans le cinéma en construisant des salles de production et des studios pour permettre à tout ce qui est dans l’ombre de sortir, d’émerger et d’être vu. Autre défi qu’il faut relever dans le cinéma, c’est d’organiser des états généraux qui permettront de regrouper tous les cinéastes, de tout genre, à se fédérer et à créer des groupes qui vont débattre, se poser des questions et faire des propositions concrètes à notre cinéma.

Aussi, il faut que le ministère de la Culture soit beaucoup structuré pour pouvoir rehausser le niveau, parce qu’il n’a aucun repère de tout ce qui se passe dans le cinéma burkinabè, car des gens font des extrapolations en défendant des budgets qui ne donnent pas de résultats.

Entretien réalisé par Yvette Zongo
Lefaso.net

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