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Yirgou dans les relations internationales

Publié le dimanche 6 janvier 2019 à 22h25min

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Yirgou dans les relations internationales

Un paisible visible, inconnu, par des faits dramatiques devient subitement l’objet d’attention de la communauté internationale. Si Ouagadougou, capitale de la Haute-Volta puis du Burkina Faso, attaquée successivement en janvier 2016, juillet 2017 et mars 2018 a été projetée sur la scène internationale, la ville doit surtout son aura mondiale à des événements comme le FESPACO, le SIAO, la CAN 98, entre autres. Une réflexion sur l’invitation du village de Yirgou dans le débat international se situe à trois niveaux : les canaux d’information, les faits évoqués et les parties prenantes.

Yirgou est un village de la commune de Barsalogho, dans la province du Sanmatenga (Région du Centre-Nord). Il est situé à 100 km de la ville de Kaya, chef-lieu de la région. Des recherches sur les moteurs Internet n’ont pas permis de disposer d’une monographie du village. Le village est presqu’inconnu jusqu’à ce jour 1er janvier 2019 où il est fait état d’une attaque contre le chef et ses proches ayant causé la mort de six personnes. Perpétrée par des « individus armés non identifiés », la suite des événements projeta le village dans les relations internationales.

Le premier facteur de cette intégration de Yirgou dans les relations internationales est le recours aux canaux modernes de communication pour diffuser l’information dans les quatre coins de la planète. La première alerte de l’attaque est venue des réseaux sociaux et principalement de Facebook. Des activistes et des journalistes ont annoncé et relayé l’information sur l’attaque du village. De manière instantanée, les utilisateurs de WhatsApp ont pris le relais et le village planétaire était au courant de ce qui se passe à Yirgou. Des messages, des images et des vidéos ont permis de se rendre compte de l’ampleur du drame.

Des médias internationaux comme la Voix de l’Amérique et la Radio France Internationale ont traité de l’actualité à Yirgou. Par Internet et les médias internationaux, Yirgou devient malgré lui, objet des relations internationales. Des plateformes plus professionnelles comme celles du WANEP et de la CEDEAO relaient cette actualité. Cette attention de la communauté internationale sur Yirgou se justifie par les faits évoqués.

Deux faits majeurs justifient l’intérêt de l’international à ce qui s’est passé à Yirgou. Le premier est la nature terroriste de l’attaque et le second concerne le conflit intercommunautaire issu du premier incident. L’attaque qualifiée de terroriste entraîne le village dans l’environnement sahélien de lutte entre les Etats et les groupes extrémistes. Phénomène mondial, le terrorisme touche à la fois l’Afrique, l’Europe, l’Asie et l’Amérique. Le Burkina Faso, depuis 2015, fait l’objet d’agression par des groupes extrémistes du Sahel, conséquences de l’éparpillement des mouvements armés chassés de l’Algérie depuis 2007 renforcés par la création d’autres groupes consécutifs à la crise libyenne de 2011 et la crise malienne en cours. L’attaque du village de Yirgou n’est donc pas la première. Les régions du Sahel, de l’Est, du Nord et de la Boucle du Mouhoun connaissent des attaques récurrentes. La nature terroriste de l’attaque a certes joué dans la visibilité de ce village inconnu mais c’est le conflit intercommunautaire qui a contribué à la focalisation de l’attention de la communauté internationale sur Yirgou.

Accusée de complicité avec les terroristes, la communauté peulh de Yirgou a été la cible d’une chasse à l’homme ayant causé la mort d’une quarantaine de personnes, l’incendie de domiciles et bien d’autres dégâts. Ce conflit fait écho à ce qui s’est passé le 1er janvier 2019 dans le village de Koulogon, Cercle de Bankass dans la région de Mopti au centre du Mali où 37 personnes de la communauté peulh ont été tuées par des chasseurs traditionnels dozos. Les observateurs attirent l’attention des gouvernants sur le danger du basculement du terrorisme vers une crise intercommunautaire grave et dont les communautés peulh de l’espace ouest africain seraient les premières victimes.

Il faut souligner que le terrorisme n’est qu’un récent phénomène qui se superpose à des conflits intercommunautaires récurrents en Afrique de l’Ouest et dans la bande sahélo-saharienne. Plusieurs études mettent en évidence des conflits sanglants qui ont opposé les agriculteurs et les éleveurs dans l’espace concerné pour l’accès aux ressources, notamment la terre, le pâturage et l’eau. Des initiatives nationales, régionales et internationales de gestion de ces crises existent. Il importe d’œuvrer à éviter une connexion entre certains protagonistes de ces conflits anciens et les terroristes qui tentent de contrôler le Sahel.

La dimension internationale de la crise à Yirgou est du fait des parties prenantes. On peut identifier trois acteurs directs de la crise : les terroristes, les Moosé et les Peulhs. Les terroristes jouissent déjà d’une notoriété internationale et les actes qu’ils posent prennent immédiatement une dimension transnationale. Ils interviennent à la fois au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Ils ont des connexions à l’international et vivent de la propagande médiatique. Semeurs de la terreur, ils agissent au Burkina Faso sous l’appellation « Individus armés non identifiés » même si eux savent très bien identifier et frapper leurs cibles civiles et militaires.

Les Moosé, victimes de l’attaque du 1er janvier 2019, constituent un groupe bien connu au Burkina Faso par son nombre. Ils sont également présents en Côte d’Ivoire et au Ghana par le fait des mouvements migratoires. Très attaché à ses traditions, le peuple mooaga a une organisation hiérarchisée dont le chef jouit d’une grande importance. Ils cohabitent depuis des siècles, en harmonie, avec la communauté peulh. Yirgou en est une belle illustration car à côté des Moosé est fondé un village peulh du même nom. Il n’existe pas une famille moaaga qui n’a pas de proximité avec une famille peulh.

Selon Wikipédia, « les Peuls appelés aussi Foulani ou encore Fellata selon les pays, sont un peuple traditionnellement pasteur établi dans toute l’Afrique de l’Ouest et au-delà de la bande sahélo-saharienne, soit au total une quinzaine de pays différents. Particulièrement nombreux au Nigeria, au Niger, dans le nord du Cameroun, au Mali, au Sénégal et en Guinée, ils sont minoritaires partout à l’exception de ce dernier pays (32,1 % de la population). (…). Le peuple peul compte aujourd’hui entre 35 et 40 millions de locuteurs. Ils ont conservé une langue remarquablement homogène, quoique généralement non écrite et ce malgré la dispersion de ce peuple sur la plus grande partie du Sahel. ».

La communauté régionale dispose d’une organisation leader dénommée Tabital Pulaaku qui se veut une association internationale de promotion du pulaar (fulfulde) et de fédération des populations peules afin d’appuyer des programmes de développement socio-économique et culturel. Selon les responsables de l’association, elle œuvre « pour la promotion et la valorisation de la culture et de la langue peule ainsi que l’harmonisation de la cohabitation entre éleveurs et cultivateurs dans le but de préserver la quiétude sociale et le bon voisinage. » On comprend vite qu’une crise qui touche cette communauté prend une dimension panafricaine et internationale. Il importe de prendre les dispositions nécessaires pour éviter l’exacerbation des conflits intercommunautaires dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Les acteurs secondaires de cette crise de Yirgou sont, entre autres, les autorités communales, administratives, politiques et militaires aux niveaux régional et national. Il y a également les OSC et les médias qui peuvent contribuer à la résolution de la crise par l’alerte, l’interpellation et la médiation.

Les acteurs de l’ombre sont certainement les autres Etats de la sous-région, la CEDEAO et la communauté internationale solidaires du Burkina Faso dans la lutte contre le terrorisme. Il y a également les autres mouvements extrémistes du Sahel, de l’Afrique et du Monde qui veulent capitaliser les effets médiatiques de de telles crises.

En somme, une crise locale peut prendre une dimension internationale par l’effet médiatique, par la nature des faits évoqués et par la qualité des parties prenantes. Voilà pourquoi le monde s’intéresse à ce qui se passe à Yirgou, un village inconnu du Burkina Faso.

Zoomb-noogo SILMANDE, Analyste/IACDI

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Vos commentaires

  • Le 6 janvier 2019 à 22:57, par Mirage En réponse à : Yirgou dans les relations internationales

    Il faut à priori et même à posteriori dire les mots qui reflètent la situation réelle du village de Yirgou ou de Koulougon au Mali. On parle de conflit intercommunautaire lorsqu’il y a deux communautés qui s’opposent. Dans le cas de Yirgou, il s’agit d’une exaction ou même une extermination contre la communauté peulh et idem pour le cas du village malien. On appelle cela un nettoyage ethnique contre les peulh. Il faut une réaction ferme, très ferme car cela ne saurait être acceptable dans aucune nation dite civilisée. Il faut punir sans complaisance de telles actes qui nuisent le bien-être. Si rien est fait, demain ça sera un autre carnage humain et ça finira par de vengeance en vengeance.Pffff

    • Le 7 janvier 2019 à 15:00, par AICHA En réponse à : Yirgou dans les relations internationales

      Je suis tout à fait d’accord, c’est pas un conflit inter communautaire comme si c’est deux communautés qui s’affrontent. Ici à Yirgou les mossis ont accusés sans preuves les peuls d’être en intelligence avec les terroristes et sont aller les surprendre et les tuer par préméditation. ça s’appelle nettoyage ethnique programmé tout court.

  • Le 7 janvier 2019 à 07:49, par Horizon En réponse à : Yirgou dans les relations internationales

    Pouvez vous me situer sur la place,le rôle et l’implication des vendeurs d’armes dans ce que nous vivons présentement en Afrique de l’ouest et plus encore au Burkina ? Paix dans le monde.

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