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Sakoula : Noël avec des présumées « mangeuses d’âmes »

Publié le lundi 31 décembre 2018 à 15h00min

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Sakoula : Noël avec des présumées « mangeuses d’âmes »

Réunies par un destin commun, celui d’avoir été accusées de sorcellerie, humiliées, bannies de leurs communautés. Des centaines de femmes venues de toutes les régions du Burkina Faso ont comme lieu d’exil forcé et de refuge, le Centre Delwendé de Ouagadougou depuis les années 1960. Les années passent, et malgré les sensibilisations, l’exclusion sociale par allégation de sorcellerie reste prégnante. De Tanghin à Sakoula, les pensionnaires ont déménagé dans de nouveaux locaux, mais toujours dans leurs baluchons, leurs histoires pesantes. A l’occasion de la fête de la nativité, nous avons passé une journée avec ces victimes d’allégation de sorcellerie. Le 26 décembre 2018, c’était leur Noël.

Sakoula, le 26 décembre 2018. Banlieue située à une vingtaine de kilomètres de la capitale, au Nord-Est dans l’arrondissement 4, secteur 22. Sous un hangar du Centre Delwendé (adosses-toi à Dieu, en langue nationale mooré), assise sur un tabouret, la soixantaine révolue, Tibnoaga Christine Sawadogo lutte contre la fraîcheur matinale en cette période d’harmattan. Un pagne pour envelopper son corps ridé, un foulard attaché à la tête, cela semble être le « dress code » de la centaine de pensionnaires du centre qui affluent sous le hall pour assister à la messe de la nativité célébrée en différé. Mais en attendant le célébrant, Monseigneur Léopold Ouédraogo, évêque auxiliaire de l’archidiocèse de Ouagadougou, l’on parlemente en sourdine. Les bruits des tabourets des nouvelles venues, et les petits éclats de rire viennent de temps en temps rompre ce silence épais digne d’un monastère.

Une fête de Noël loin des siens

Quand le cortège du célébrant est annoncé, l’assistance se met débout. Les chants de la chorale retentissent. La liste des messes demandées est annoncée et particulièrement trois retiennent notre attention. Une fidèle exhorte le Dieu de miséricorde pour la protection de ses enfants dont elle n’a plus de nouvelle. Dans une autre, la demandeuse implore Dieu de bénir les études de ses pupilles. Et enfin une autre pour les vieilles du centre qui ont perdu la vie au cours de l’année. Treize décès en 2018, dont quatre en l’espace de quatre jours, nous confiera-t-on plus tard.

En ce jour 26 décembre, l’église célèbre la fête de Saint Étienne. Ça ne pouvait pas mieux tomber, note l’évêque dans son homélie. Parce que, à bien des égards, l’histoire de ce prédicateur du premier siècle et premier martyr de la chrétienté trouve certaines similitudes avec le passé de ces dames de Sakoula. Accusé lui de blasphème, Étienne fut déshabillé puis lapidé à mort.

L’entrée de Monseigneur Léopold Ouédraogo président de la célébration

Mais en homme de foi, avant de rendre l’âme, il a pardonné ses bourreaux. C’est une coïncidence avec votre situation, dira Mgr Léopold Ouédraogo à l’endroit de ses interlocutrices. « Parmi vous, beaucoup ont souffert et il est souvent difficile de pardonner. Certaines sont venues dans ce centre en larmes. Mais soyez témoins de l’amour de Dieu comme Étienne. Laissez vos soucis dans vos maisons afin que vos vœux soient exhaussés », conseille l’homme d’église en langue nationale mooré.

Cette force de pardonner, Tibnoaga Christine Sawadogo qui vient de passer ses 15 ans au Centre Delwendé en aura besoin. Native de Ourgou Manèga, un département situé dans la province de l’Oubritenga (Ziniaré), sa vie a basculé un matin. Ce, après la mort du nouveau-né de sa coépouse. Elle est indexée comme étant la responsable.

Ici, on croit dur comme fer au verdict de certaines pratiques (Tēsse, sẽongo, en langue mooré) sensées détecter le coupable d’un décès jugé anormal. Sans défense, elle sera bannie de sa communauté et aura son salut dans la fuite. Et c’est le Centre Delwendé son point de chute. C’est pratiquement l’histoire commune des 207 pensionnaires. D’autres n’ont pas eu la force de supporter. Bernadette Koanda, directrice de la protection contre la violation des droits humains au ministère en charge de la justice nous révélera des « des situations ou les personnes accusées de sorcellerie n’ont pas pu supporter la honte et le déshonneur au sein de leur communauté ». Elles ont donc préféré « se donner la mort, par pendaison le plus souvent ».

Attention soutenue de l’assistance au message d’espoir

Difficile exode vers Sakoula

Autrefois situé sur le lit du barrage de Tanghin, le centre était menacé par les eaux. Chaque saison des pluies était une hantise pour les responsables et les femmes. L’image d’un jeune homme tenant dans ses bras une femme très âgée pour la sortir des eaux, est l’un des souvenirs marquant des pluies diluviennes ayant entraîné des inondations dans la capitale burkinabè le 1er septembre 2009. Le Centre s’est retrouvé prisonnier des eaux.

« Pour éviter des infections et des noyades (ce sont des vieilles fatiguées) puisque nous ne sommes pas là la nuit, on a décidé de déménager ici, même si le site n’était pas totalement fini », précise le gestionnaire. Mais cette décision avait créé une une rébellion au sein des pensionnaires qui ont refusé de quitter leur site initial de Tanghin. Elles y ont vu une manière de les éloigner de la ville, une deuxième exclusion plus diplomatique ».

« Il n’y avait pas d’eau, pas d’électricité. Avec notre situation, nous ne pouvons même pas aller demander de l’eau chez les voisins. C’est à cause de cela que nous avions refusé au départ. On rend grâce à Dieu maintenant, les choses ont évolué (...) », se rappelle Nopoko Antoinette Djiguemdé, ressortissante de Lanta, village de la province du Passoré. Neuf ans déjà que le centre Delwendé est son refuge. Ce refus, Gérard Zongo, ancien chargé du projet de lutte contre l’exclusion sociale et les violences faites aux femmes au sein de la commission épiscopale Justice et Paix, le comprend. Il s’en explique.

Chrétiennes ou non, les pensionnaires qui peuvent se déplacer ont quitté les “cellules” pour participer à l’une des rares occasions de gaité dans le centre

« Déjà à Tanghin, les visites n’étaient pas légions (...) cette exclusion est une forme de mort sociale et les mettre dans une situation où elles seraient encore exclues des rares citoyens qui viennent souvent leur rendre visite, on peut comprendre légitimement qu’il y ait ce ressenti ». Bannies pour la plupart de leurs communautés, ces pensionnaires reçoivent rarement des visites. C’est souvent en cachette que les enfants ou connaissances osent franchir le portillon du centre.

Même loin du village, il est formellement interdit d’adresser la parole à la personne rejetée. Certains visiteurs ou visiteuses l’ont appris à leur dépend. Le gestionnaire Benjamin Kaboré en veut pour preuve ces filles contraintes de revenir du village pour vivre au centre alors qu’elles étaient venues voir leur maman. L’accès à la cour familiale leur ayant été refusé à leur retour au village. Une source sur place nous confiera qu’un député qui avait sa mère parmi les pensionnaires encore à Tanghin, n’est jamais passé la voir. Bien que ce soit jour de fête pour les pensionnaires, ils étaient rares les enfants ou parents venus les rendre visite.

Le Centre Delwendé version Sakoula a donc été inauguré le 15 novembre 2011, mais il a fallu attendre le 1er août 2016 pour que les bénéficiaires regagnent leur nouveau domaine. La vie ici n’est pas du tout facile. Alors pour la supporter, l’entraide est le maître mot.

« Il y a presque 30 cellules. Dans chaque chambre, elles sont 6 à 7 personnes. C’est une manière de favoriser la cohabitation, pour qu’elles ne se sentent pas seules. A la cuisine, elles sont reparties en 12 groupes. Chaque groupe prépare pendant une semaine pour tout le monde. Celles qui sont encore solides s’occupent du jardin pour la consommation sur place, et la commercialisation en vue de subvenir à leurs besoins », explique Benjamin Kabore. « Si l’une d’entre nous a un problème, c’est le problème de toutes les femmes », résume Nopoko Antoinette Djiguemdé.

La misère, la véritable sorcière non inquiétée

Des points communs entre Tibnoaga Christine Sawadogo, Nopoko Antoinette Djiguemdé et toutes celles qui partagent ce lourd fardeau de l’exclusion sociale en ces lieux. Elles sont toutes du troisième âge. Les visages amincis, les corps ravagés par l’extrême pauvreté. Et pour ajouter au tableau de leur destin très peu enviable, elles étaient pour la grande majorité seule ou sans défense quand leur vie a basculé. « La plupart des vieilles qu’on accuse sont sans défense. Leurs fils sont en aventure, en Côte d’ivoire notamment. Leurs filles sont mariées, donc parties vivre avec leurs maris. Elles sont donc seules et ce sont ces personnes vulnérables qu’on accuse », constate Benjamin Kaboré.

« Si mes enfants étaient à côté (Ndlr. Ils sont en Côte d’Ivoire), tout cela ne serait pas arrivé. Quand on m’a accusée, mes enfants ont appris la nouvelle, mais que pouvaient-ils faire ? S’ils s’opposaient, on risquait de les accuser de la même chose. Ce sont mes filles mariées qui viennent me voir souvent », confirme Nopoko Antoinette Djiguemdé, le regard perdu dans le néant. Quand à la solitude d’une dame, s’ajoute la pauvreté, alors l’on devient la coupable idéale quand un malheur s’abat sur la communauté.

Face au nombre croissant de ces cas, une commission épiscopale Justice et Paix a été mise en place pour les juguler. François de Salle Bado, ancien secrétaire national de ladite commission explique les missions de la structure qu’il a pilotée durant des années. « Les causes de cette exclusion, c’est la pauvreté, le manque de moyens, l’abandon. On dit généralement que la maman du chef, même si elle est sorcière, personne ne va oser l’indexer. Nous avons donc travaillé à lutter contre les causes de cette exclusion, notamment en formant les femmes à des activités génératrices de revenus (fabrication de savon, de beurre de karité, du soumbala, de la teinture, du tissage) », commente celui qui est depuis quelques années, observateur des Droits de l’homme à Bangui en Centrafrique.

L’autre objectif de la commission a consisté à travailler à la réinsertion des accusées. Une équipe a travaillé avec les familles d’origine pour un éventuel retour des dames. Mais le mal est profond et bien ancré.

Gérard Zongo, chargé du projet de lutte contre l’exclusion jusqu’en 2012 est celui qui a écouté les plus de 300 femmes pour avoir une idée du remède à administrer. « Chaque soir, je pleurais dans mon lit après avoir entendu certaines histoires », se remémore-t-il douloureusement.

Dans certains cas, les accusateurs sont dans une logique de vengeance, de règlement de compte de vieilles querelles entre familles. « Si tu charges un corps et tu vas cogner mon parent qui sera pas la suite exclu, demain si j’ai aussi l’occasion de charger un cadavre, j’irai cogner ton père ou ta mère », c’est l’esprit qui prévaut le plus souvent et résumé par Bernadette Koanda, directrice de la protection contre la violation des droits humains.

Par conséquent, le travail de la commission épiscopale Justice et Paix ne s’est pas limité à des sensibilisations et à des formations aux métiers. Il y eut des procès intentés contre certains bourreaux. « J’ai eu raison, une amende a été infligée à mes bourreaux qui n’ont jamais payé. Je mets tout dans les mains de Dieu », soupire la native de Lanta, Nopoko Antoinette Djiguemdé. Lavées par la justice moderne, les victimes ploient toujours sous le poids de pratiques ou croyances socioculturelles.

Mais la ministre de la femme, de la solidarité nationale et de la famille ne jure que par la loi. « Nous allons faire appliquer la loi, nous sommes dans un État de droit et c’est la loi qui devrait nous départager. Je m’attellerai à ce que la loi soit appliquée. Nous pensons que les sanctions vont dissuader. Nous avons assez sensibilisé, il faut maintenant sanctionner », se défend Marie Laurence Ilboudo/Marshal. Il s’agit notamment de la loi N° 061-2015/CNT du 06 septembre 2015, portant prévention, répression et réparation des violences à l’égard des femmes et des filles et prise en charge des victimes.

Pour le jeune Gérard Zongo, c’est simplement révoltant que des citoyens se trouvent toujours privés de liberté, chassés de leurs domiciles, quelques fois avec des coups et blessures dans l’indifférence générale. « C’est un scandale sous nos yeux », fulmine le jeune doctorant.

Une fermeture souhaitée en chorus

Malgré les pesanteurs socioculturelles qui rendent difficile la lutte contre l’exclusion, les actions concertées des acteurs impliqués dans la lutte a produit quelques résultats. La preuve, le centre Delwendé de Sakoula compte désormais 207 pensionnaires. Ils sont loin ces temps où l’on a frôlé les 500 âmes. Mais le phénomène des femmes accusées de sorcellerie semble être une véritable quadrature du cercle.

Les chiffres hurlent sa complexité. Pour la période 2012-2017 dans la seule province du Passoré, selon les données de l’action sociale et de l’Association pour la promotion de la femme et de l’enfant du Passoré (APF), 877 femmes ont été exclues de leurs familles pour des allégations de sorcellerie.

Le ministère de la justice, des droits humains et de la promotion civique a mis en place une feuille de route de retrait et de réinsertion des personnes exclues pour allégation de sorcellerie. Selon ladite feuille de route, le rayon géographique des pensionnaires du centre d’accueil Delwendé et la cour de solidarité de Paspanga est surtout en pays moagha.

La province du Kourwéogo vient en tête avec 31% des pensionnaires, le Passoré se classe deuxième avec 22,30%, alors que l’Oubritenga ferme le trio avec un taux de 13,9%. Le Sanmatenga (9,4%), le Bazèga (7,6%), le Boulkiemdé (7,2%), et le Kadiogo (5,9%) constituent les autres provinces qui ont plus de ressortissants dans les deux centres d’accueil. Pourtant, tout le monde souhaite la fermeture des centres du même acabit que Delwendé.

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« C’est notre souhait, nous prions chaque jour qu’on puisse fermer ce centre. Quand on analyse bien, c’est comme si on encourageait les gens dans ce sens. Quand on pense que ce sont des gens qui ont laissé toutes leurs familles pour se retrouver dans cette situation, ça fait très mal. Elles ont la prise en charge sanitaire, alimentaire, presque tout, mais du côté sentimental, il n’y a pas de lien parental, c’est rompu. Cela fait qu’elles sont tout le temps en dépression », relève pour sa part Benjamin Kaboré, gestionnaire, tout en précisant que depuis 2013, le centre a pu réinsérer plus de 90 femmes dans leurs communautés. Avec des fortunes diverses, faut-il le préciser. Certaines sont revenues.

Les mentalités qui ont mis des générations à se construire ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Pendant ce temps, à Sakoula, l’action de grâce pendant la messe fut un instant de débauche de joie pour ces dames qui n’ont pas toujours des instants de gaieté. Puis c’est un repas qui est partagé en toute convivialité. Quelques heures plus tard, ceux qui sont venus de l’extérieur ont vidé les lieux. Des coups de pilon se font entendre depuis la devanture des bâtiments servant de dortoirs, l’on aperçoit également de la fumée se dégager. Le riz gras, et le spaghetti servis à l’occasion de la fête de Noël ne s’accommodent pas aux habitudes alimentaires de la plupart d’entre elles qui restent fidèles au tô, accompagné d’une sauce bien gluante.

Tibnoaga Christine Sawadogo et ses camarades de fortune quittent le hangar et rejoignent également les « cellules », dans l’espoir d’y sortir « libres » un jour et exemptées de tous ces regards qui les jugent, les condamnent et les excluent.

Tiga Cheick Sawadogo
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