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Tribune : De l’indépendance des pays africains, mais quelle indépendance ?

Publié le mardi 11 décembre 2018 à 00h24min

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Tribune : De l’indépendance des pays africains, mais quelle indépendance ?

Chaque année, le 11 décembre est une journée particulière pour moi et peut-être pour bien d’autres Burkinabè. Ce jour-là, je reste devant ma télévision. J’aime tout ce qui y est présenté, entre autres les discours, la revue de troupes, les défilés, surtout les défilés de nos braves forces de l’ordre et de la sécurité, les témoignages des anciens, l’esprit de festivité. Tout est réuni pour me rappeler que le pays commémore un évènement important qui est l’indépendance acquise et non conquise bientôt une soixantaine d’années. Mais de l’indépendance, quelle indépendance ? Sommes-nous vraiment indépendants ? J’en doute fort. Suivez mon regard.

Dès le IVe siècle, l’Afrique fut victime de la traite orientale au cours de laquelle des milliers de noirs ont été déportés dans les pays arabes et les pourtours de la Méditerranée. Après la découverte des côtes africaines, ce sont les Portugais qui se sont lancés à leur tour dans ce trafic honteux. Les Noirs étaient déportés en grand nombre vers le Portugal. Mais le pire était en téléchargement.

Après la découverte de l’Amérique en 1492, il y eut un besoin pressant de main-d’œuvre pour exploiter les immenses richesses du sous-sol et du sol américain. Après l’échec de l’emploi des « petits Blancs » et suite à la tragédie des Amérindiens, la solution de rechange était les « Noirs si dociles, robustes, travailleurs et acclimatés ». Ainsi naquit la Traite négrière atlantique.

Le Noir perd sa qualité humaine pour devenir une marchandise (le bois d’ébène) et vendu au même titre que l’or, l’ivoire, la gomme arabique et autres produits africains très prisés en Europe. C’est le début du traumatisme collectif des Africains. C’est aussi le début du déclin économique, politique et social de l’Afrique. Le Noir perd ainsi ce qu’il avait de très précieux : sa fierté, sa dignité, son esprit de créativité et la confiance en soi. C’est le début du basculement.

Le Commerce triangulaire a permis à l’Europe d’accumuler d’immenses richesses qu’elle va injecter dans les recherches scientifiques et les inventions techniques. Ainsi naquit la révolution industrielle, base de la puissance économique de l’Europe puis de l’Amérique.

Avec l’industrialisation, les machines remplacent les hommes. La main d’œuvre « noire » devient de plus en plus dispensable et coûteuse.

Et avec l’industrialisation, il fallait la matière première agricole et minière. Des produits qu’on ne pouvait plus piller en Amérique, laquelle, après sa mise en valeur par la main-d’œuvre noire, avait conquis son indépendance. Les Américains, surtout ceux du Nord, n’avaient plus besoin d’esclaves et les Européens avaient peu d’intérêts à continuer ce trafic. C’est à ce moment que les religieux et les philanthropes, comme par enchantement, découvrent que la traite négrière est à bannir.

Par la bénédiction de la guerre de sécession, l’action des hommes d’église et des intellectuels, elle fut officiellement abolie.

Il a fallu attendre quelques dizaines d’années pour comprendre que le système d’exploitation des Noirs a tout juste changé de forme. Il n’était plus question de convoyer les Noirs vers l’Amérique mais il fallait les soumettre sur leur propre sol. Ainsi naquit l’exploration, la colonisation puis l’exploitation coloniale. Les Noirs devaient servir de main-d’œuvre et produire des matières premières sur leurs propres sols pour les ex-négriers afin d’alimenter leurs industries. Ils devaient aussi intervenir comme fantassins en temps de guerre en Europe.

Après la Seconde guerre mondiale, les Noirs, lassés par la servitude, haussent le ton.
Ainsi naquit l’indépendance, puis le néocolonialisme et le néo-impérialisme.
Les colonisateurs se sont retirés en prenant le soin de mettre en place un système d’exploitation et de soumission encore plus efficace qu’à la période coloniale.
Les outils de cette nouvelle forme de domination sont entre autres les présidents africains fantoches, l’aide au développement, la démocratie dans sa forme actuelle, le franc CFA, la détérioration des termes de l’échange, le complexe d’infériorité de nombreux Noirs et le terrorisme.

Selon l’ex-président malien Modibo Keïta « le néocolonialisme, c’est quand un pays indépendant est géré indirectement par son ex-métropole par le truchement des traitres qu’elle a hissés au pouvoir ».

Et les faits sont là. Les faits sont têtus. Interrogez l’histoire, elle vous répondra. Elle vous dira comment la France a préparé Albert Bongo (Oumar Bongo) pour qu’il remplace Léon Bâ, elle vous dira comment l’opération Barracuda a détrôné l’empereur Bokassa pour introniser David Dacko en Centrafrique.

Interrogez l’histoire sur toutes les opérations menées par le réseau Jacques Foccart, Bob Denard pour préserver les intérêts français en Afrique. Ainsi, un peu partout en Afrique les « Valets locaux » au pouvoir devaient servir les intérêts des ex-métropoles et non ceux de leur peuple. Ceux qui refusaient de marcher aux pas, les patriotes qui refusaient de trahir leur peuple, devaient le regretter. Les exemples sont nombreux : Sylvanus Olympio du Togo, Thomas Sankara du Burkina Faso, Patrick Lumumba de la RDC et j’en passe.

Le secret d’un long règne était de se mettre au service de la métropole, excepté quelques cas comme Robert Mugabe du Zimbabwe, Mouammar Kadhafi de la Libye qui finalement n’a pas pu échapper à la sanction. Ainsi naquit la France-Afrique.

A quelques exceptions près, la plupart des chefs africains sont restés dans une logique de subordination face à l’Occident qui consiste à servir le maître, puis à se servir et tant pis pour le peuple. Et si certains sont complices du système d’exploitation mis en place par l’Occident pour pomper les ressources de leurs pays, tout juste pour se maintenir au pouvoir, d’autres sont tout simplement naïfs et incompétents. Des marionnettes tout juste placées par l’Occident pour qu’ils roulent pour lui.

Les conséquences sont visibles. La plupart des présidents africains et leur entourage sont vachement riches tandis que la majorité du peuple croupit dans la misère. Peut-être que j’exagère, peut-être qu’il y a moins de pression occidentale sur ces dirigeants, peut -être que la France-Afrique est morte. Je n’en sais rien.

Mais ce que je sais est qu’en fait, s’il s’agit de servir les aspirations profondes du peuple, ces dirigeants nous servent du dilatoire, de la diversion : colloque, atelier, symposium, séminaire, forum des jeunes, journée nationale du paysan et tant de folklores budgétivores sans impact réel. Par exemple, avons-nous besoin de forum des jeunes pour diagnostiquer les problèmes des jeunes encore de nos jours ? Avons-nous besoin de journée nationale de paysan pour proposer des solutions aux problèmes de l’agriculture qu’un élève de la classe de 3e peut nous donner ? Que d’argent et du temps perdus !

Pourtant ces dirigeants savent qu’ils ne pourront pas impacter la vie de la nation même cinquante ans au pouvoir sans une politique agricole cohérente et efficace, sans une politique éducative qui permet de former des citoyens consciencieux utiles à eux même et à la société. Ils doivent donc nous épargner ce système éducatif de type colonial qui est devenu comme un laboratoire de fabrication de chômeurs exportables vers l’Europe à travers la Méditerranée.

Doit-on parler de chômage dans une Afrique où il y a tellement d’opportunités et de potentialités ? Quel paradoxe !

Ces dirigeants savent qu’ils doivent mettre en place une politique énergétique et industrielle adaptée afin de propulser l’économie nationale et africaine. On n’a pas besoin d’être économiste pour savoir que la faiblesse des secteurs primaire et secondaire entraine forcément un déficit de la balance commerciale. Le déficit chronique de la balance commerciale a pour corollaire un manque de capitaux, donc un manque d’investissement qui se soldera par un retard économique.

Qui parle de retard économique, parle de pauvreté de la population. Et comme solution, les dirigeants africains adoptent la politique de la main tendue et basculent leurs pays dans l’endettement qui est l’antichambre de la dépendance politique et économique.

C’est ce système d’aliénation économique que nous appelons pudiquement l’aide au développement, qui est en réalité une aide à la déchéance économique des Etats africains avec la complicité des outils de domination que sont la Banque mondiale et le FMI.

Pour parachever l’holocauste économique des pays africains, la détérioration des termes de l’échange est subtilement activée depuis les déclarations d’indépendance. En effet, les prix des matières premières africaines sont fixés par les clients que sont en priorité les ex-métropoles. Par conséquent, les pays africains exportent leurs matières premières à un prix dérisoire et importent les produits industriels à des prix très élevés.

Vous comprenez que dans ces conditions, l’indépendance économique n’est qu’un mirage.

C’est fort de ces indépendances sous contrôle que François Mitterrand, à travers son discours de La Baule du 20 juin 1990, a imposé la démocratie à ses anciennes colonies. Les pays africains francophones n’avaient plus le choix entre parti unique, régime communiste, etc. ils devaient adopter la démocratie pluraliste.

La démocratie est présentée comme une panacée, un remède magique à tous les problèmes. Pourtant dans un contexte de pauvreté généralisée, elle apparait comme un outil de domination. Les élections sont organisées à coût de milliards ; pourtant le gagnant est parfois connu d’avance. En général, le président au pouvoir ne perd jamais les élections. Des élections qui deviennent d’ailleurs des sources de conflits inutiles et fratricides.

Les institutions fonctionnent à coût de milliards et n’apportent rien au vécu quotidien sinon un semblant de liberté que certains confondent avec libertinage. Certains, au nom de la liberté d’expression, s’installent dans des revendications périlleuses et la critique à tout vent.

La politique est devenue la voie royale pour l’enrichissement. En Occident, ce sont les industriels qui sont riches. En Afrique, ce sont les politiciens qui s’enrichissent très facilement. Un député déclarait avoir vendu son véhicule à quinze millions pour battre sa campagne. Après son élection, il rentabilisera son investissement en moins d’un an et il lui restera quatre années à accumuler de l’argent sur le dos du contribuable. C’est ainsi que la démocratie appauvrit la République.

Les nombreuses dettes contractées servent en partie à financer le système démocratique pour élire des dirigeants sans esprit patriotique qui ne tardent pas à patauger dans la corruption, la gabegie, le clientélisme et le favoritisme. Et certains poussent le diable jusqu’au crime de sang pour protéger leurs statuts.

Pourtant, dans le contexte actuel de pauvreté pour chacun et pour tous, excepté la classe des privilégiés, le détournement d’un centime des services publics par un dirigeant ou un citoyen lambda est un crime qui devait être sévèrement sanctionné.
Malheureusement, la justice poursuit toujours mais n’attrape jamais les gros requins. Pourtant, nous voulons croire au développement.

J’oublie intentionnellement les effets du franc CFA, du PAS et de la mondialisation, pour m’intéresser à la place de l’homme blanc dans l’imaginaire de nombreux Africains.

Le choc traumatisant de la rencontre entre les Blancs et les Noirs a fini par faire croire aux Noirs qu’ils sont inférieurs aux Blancs. Pendant la traite négrière et surtout pendant la période coloniale, les Européens vont entretenir ce mythe de supériorité pour mieux exercer leur domination sur les peuples africains considérés à dessein comme inférieurs.

Par la persuasion et la contrainte d’une part et d’autre part grâce à la domination économique et technologique, le complexe d’infériorité s’est développé finalement chez le Noir. Le Blanc représente à ses yeux le maître, le père, sinon le père céleste. Je me rappelle ce vieux qui s’exclamait après avoir utilité son téléphone portable : « Ah quel miracle ! Dieu est grand mais le Blanc n’est pas petit ». Cette façon à vouloir comparer le Blanc à Dieu montre jusqu’à quel point le mal est profond et persistant.

Après la décolonisation des territoires, il fallait une décolonisation des mentalités. Une mission que le système éducatif devait accomplir. Malheureusement, nous avons toujours un système éducatif qui participe à l’aliénation culturelle des Africains. Le Blanc devient donc le modèle à imiter. Un enfant de quatre ans qui parle correctement le français est admiré. Pourtant, s’il parle le mooré ou le dioula, il n’impressionne personne. La langue du colon est valorisée par rapport aux langues nationales. Par ailleurs, dans un pays où à peine 15% de la population parle correctement le français est tout de même appelé « pays francophone ».

Nous sommes toujours intimement liés à la France. Revenons sur la visite d’Emmanuel Macron, le président français, il y a à peine un an. A travers son discours de colonisateur pour les colonisés, il reconnait que « parfois, (son) aide publique au développement ne répond pas aux besoins » des Africains. Le président français n’était pas venu pour nous donner des leçons. Mais il voulait s’assurer que « 7, 8, 9 enfants par femme » est le choix de nos femmes. Bref, laissons Macron régler ses comptes avec les gilets jaunes.

C’est en Afrique que nous ne savons pas encore que le choix et l’achat d’un produit de consommation est un acte politique. Nous préférons les produits importés, même de piètre qualité, à nos produits locaux. Le manque de patriotisme économique lié à notre aliénation plombe notre économie. Je me rappelle ce cordonnier qui fabriquait de jolies paires de souliers mais qui, malheureusement, n’avait pas de clients. Il a alors acquis une petite machine qui lui permettait d’estamper sur les semelles « Made in Italia » et du coup, il avait du mal à satisfaire les demandes. Voilà plus au moins la photographie de notre indépendance.

A la lumière de l’histoire, observons maintenant l’actualité de notre pays.
Les 30 et 31 octobre 2014, la volonté populaire balaya le régime de Blaise Compaoré, vieux de 27 ans. En septembre 2015, elle s’opposa à nouveau au coup de force de Gilbert Diendéré. En novembre 2015, les élections démocratiques libres et transparentes portèrent Roch Marc Christian Kaboré à la tête du pays. Le peuple, après tant de sacrifices, s’installe dans une euphorie générale en attente des dividendes du changement qui tarde à être servies.

La colère rampe. Certains commencent à regretter l’ère Compaoré et d’autres gardent l’espoir. Mais peu de citoyens ont compris que notre sort est aussi lié au système et non seulement à une personne. Beaucoup de gens croyaient que le président Kaboré, par coup de magie, allait résoudre en peu de temps tous les problèmes. Malheureusement non.

Organisons et réorganisons des élections, changeons et rechangeons les présidents, nos conditions de vie ne changeront guère de façon significative tant que nous resterons dans ce système d’aliénation. Nos conditions ne changeront pas tant que nous n’allons pas activer nos propres systèmes de productions et de consommation.
Les louanges de Thomas Sankara sont chantées à longueur de journée. Sankara est brandi comme un trophée, mais ses convictions restent enterrées avec lui. Pourtant, il avait frayé le chemin à suivre.

Le PNDES financé par l’Occident est présenté comme une panacée. Certes, il est bien élaboré et est très pertinent mais il a aussi ses limites. Pour construire une nation indépendante, il faut de la vision à court, moyen et long termes. Cinq ans dans la vie d’une nation est courte pour l’impacter réellement.

Pourquoi les filles et fils du Burkina de tous bords ne peuvent pas se réunir pour dégager le destin qu’ils veulent du Burkina Faso d’ici 25 ou 50 ans, ce qui aura pour avantage de reformater toutes les structures (éducatives, sanitaires, productives…) afin de créer les conditions pour l’atteinte de ces objectifs communs ? Ainsi, chaque président, au début de son mandat, élaborera son plan quinquennal en tenant compte des objectifs communs, du but ultime.

Pour le moment, la République dandine et ceux qui souhaitent le pire pour prouver qu’ils étaient les meilleurs applaudissent.

Bonne indépendance à tous, pas celle que nous avons acquise, mais celle que nous devons conquérir !

KIEBRE Mahamoudou
Professeur certifié d’histoire géographie des lycées et collèges
kebrosson@yahoo.fr

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Vos commentaires

  • Le 11 décembre 2018 à 05:42, par Le corse En réponse à : Tribune : De l’indépendance des pays africains, mais quelle indépendance ?

    Cet article est bien argumente , et souligne des vérités incontestables , liées à notre histoire commune . Vous les africains , vous n avez pas toujours conscience d un fait primordial .
    c est que l’immense majorité des français , était contre , ce droit d ingérence en Afrique
    Et l est toujours d ailleurs
    nous subissons des choix politiques , qui ne nous ressemblent pas
    Ce sentiment d infériorité envers l homme blanc , vous ne devriez jamais le ressentir , parcequ il n existe pas
    Sachez , que nous sommes admiratifs ,pour la plupart d entre nous ,de vos capacites , de vos compétences, de votre créativité ,de votre sens de la famille , de votre pouvoir de résilience , de votre culture etc................................
    Je soulignerai juste un bémol , quand à l aspect négatif du fcfa qui finalement à été une solution technique mais que vous êtes à même de faire évoluer si vous le souhaitez vraiment , la solution est entre vos mains
    L immense majorité des décisions vous appartiennent , la france Afrique n existe plus , nous sommes si peu représentés aujourd hui , c est la réalité et les français pour la plupart n ont aucune nostalgie de tout ça bien au contraire
    Nous souhaiterions vous voir émerger durablement et créer des partenariats équitables ensemble
    La dure réalité c est que les dirigeants africains souvent se comportent de manière inhumaine, face à leur peuple , et s enrichissent démesurément , en en faisant profiter les copains , il est idiot de dire , que ce sont les blancs , qui leur ont montrés cette voie
    La cupidité et l égoïsme n ont pas de couleurs
    Qui n a pas connu , un chef de village africain , se conduire , de la sorte ?

  • Le 11 décembre 2018 à 11:43, par Ghilat En réponse à : Tribune : De l’indépendance des pays africains, mais quelle indépendance ?

    Bonjour,
    Merci pour votre contribution.
    J’ai ressenti de la fierté en la lisant.
    Il y’a encore des hommes lucides en terre du Faso.
    Encore merci.
    **Pensons tous a soutenir Kemi Seba, car je vois une petite lueur dans un petit coin de ciel pour l’homme noir et l’Afrique francophone en particulier.
    La France doit lâcher prise, il est temps.

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