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Politique : Le crépuscule des intellectuels africains ?

Publié le lundi 25 juillet 2005 à 07h52min

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Le président du Parti pour la renaissance nationale (PAREN), Laurent Bado, s’est-il définitivement brûlé les ailes ? Peut-être pas. Mais dans l’affaire des 30 millions qui a éclaboussé l’Opposition burkinabè unie (OBU), il a subi un terrible coup. L’intellectuel, chantre de la morale, "prof" à l’UFR Sciences juridiques et politiques, député de son état, a cueilli et consommé ce que certains ont appelé "le fruit défendu". Mais il n’est pas seul.

Les leaders de l’OBU, Laurent Bado et Emile Paré, ont été clairs : plusieurs hommes politiques sont passés à la caisse. Et pas des moindres. Du coup, le rôle de l’intellectuel en politique se pose avec acuité.

Combien sont-ils en effet à avoir fait des revirements spectaculaires, foulant ainsi au pied leurs convictions de départ ? Laurent Bado aurait peut-être été plus utile à sa société s’il ne s’était pas mêlé de ce que lui-même avait qualifié d’"immense vallée de larmes". Grand tribun, ayant un sens aiguisé du droit, il aurait pu donner une impulsion aux valeurs sociales et contribuer à mettre en selle le développement humain durable tant espéré par les Africains.

Mais le père du "tercérisme" a préféré s’engager en politique. Cela n’est pas mauvais en soi. La politique est par excellence un domaine mouvant de la vie des nations. C’est généralement là que l’on décide du sort des communautés. C’est aussi un secteur fertile pour le débat démocratique. L’intellectuel devrait donc y faire valoir son expertise. Mais comment ?

Le constat sur l’échiquier africain et mondial montre qu’il y a eu trop de gâchis en la matière. Laurent Gbagbo, l’historien par exemple, s’est métamorphosé. Il avait pourtant réussi, à une certaine époque, à se construire l’image d’un opposant fort, à même de donner une chance de réussite à l’alternance et au développement.

Mais le "christ de Mama" a retourné sa veste de fort mauvaise manière. Si bien que certains observateurs de la scène politique ivoirienne affirment qu’un coup d’oeil dans le rétroviseur lui permettrait de constater sa laideur dans tous ses états. Le concepteur de l’ivoirité, Pierre Kipré, intellectuel de haut vol au départ, devrait lui aussi faire une introspection. De même qu’Edem Kodjo, le Togolais, et bien d’autres intellectuels pris dans le rouleau compresseur des pouvoirs africains.

Et même lorsqu’ils ne sont pas membres d’un parti politique, certains "intello" se livrent à des pratiques qui prennent en otage les élans de développement. Ils tirent les ficelles dans les couloirs des partis et des palais présidentiels. Allant même jusqu’à mettre certains acteurs en conflits, pourvu que leurs intérêts et ceux de leurs "patrons" gagnent en grade. En fait, des sortes de "nègres" toujours prêts à se renier, dans l’espoir d’accaparer le beurre et l’argent du beurre.

Certes, tous les intellectuels ne s’égarent pas lorsqu’ils s’engagent en politique. Le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, le Malien Alpha Oumar Konaré et bien d’autres semblent avoir tiré leur épingle du jeu. Mais en réalité, sur ce continent qui ploie sous le lourd fardeau des crises, les bons exemples ne sont pas légion. Surtout que les tentations sont grandes dans l’univers politique.

Bien souvent, la férule des billets craquants et des espèces sonnantes et trébuchantes finit par balayer les convictions politiques des intellectuels. Et il est difficile de faire marche-arrière, à moins de faire preuve de responsabilité. Le Nigérian Wolé Soyinka semble avoir réussi à se démarquer de ces pratiques obscènes, lui qui, sans forcer son talent et en restant constamment droit dans ses bottes, a été fait prix Nobel de littérature.

Il est donc impératif que les intellectuels africains exercent de façon adéquate leur responsabilité sociale. Du reste, si Laurent Bado n’avait pas créé un parti politique, s’il s’était engagé sous un label indépendant, il aurait, tout en gardant sa liberté et son aura, beaucoup plus apporté à son peuple. Il est donc temps qu’en plus de l’élection présidentielle, les candidatures indépendantes soient en vigueur au niveau des municipales et des législatives. Cela aurait le mérite de donner une marge de manoeuvre aux intellectuels.

Encore faut-il que ces derniers aient une grandeur de vue quel que soit le domaine où ils se trouvent. Sinon, le microcosme politique apparaîtra comme le théâtre d’une tragi-comédie où comptent seulement les intérêts des principaux acteurs. Ce serait alors dommage pour ce continent qui tangue depuis plus de quarante ans sur le rocher de la dépendance vis-à-vis de l’Occident et sur celui de son incapacité à tracer les véritables sillons de son avenir.

Le Pays

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