LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Situation alimentaire dans Koulpelogo : entre famine et espoir

Publié le lundi 25 juillet 2005 à 07h37min

PARTAGER :                          

La famine, du fait de la mauvaise pluviométrie et de l’invasion acridienne de la campagne écoulée, sévit en ce moment dans la plupart des provinces du Burkina, même dans certaines qui avaient été déclarées excédentaires en fin de campagne.

C’est le cas de la province du Koulpelogo dans la région du Centre-Est où, sur les marchés le grain se fait rare et, pire, quand il existe, est hors de portée de la majeure partie de la population.

Nous sommes au marché de Ouargaye, chef-lieu de la province du Koulpelogo, en cette matinée du samedi 16 juillet 2005. Il est 9 heures et le marché est presque désert. Seulement, quelques propriétaires de boutiques çà et là, dans le marché, assis à la devanture de ce qui leur tient de lieu de travail, attendent quelques hypothétiques clients. Et pourtant, c’est jour de marché (ndlr : le marché a lieu tous les trois jours).

La première personne à qui nous demandons où s’installent les commerçants de céréales nous indique l’extrémité sud du marché. C’est sous deux gros arbres dont l’un apparemment mort au regard de ses branches asséchées en cette période hivernale. "Les gens ne commencent à venir au marché qu’après 10 heures...", nous informe notre interlocuteur. Nous prenons donc notre mal en patience. Mais, en attendant nous essayons d’avoir auprès de quelques personnes rencontrées au gré de notre "ballade" dans le marché, une idée sur la situation alimentaire, la disponibilité et les prix des céréales dans la province.

Un constat : l’unanimité s’est dégagée sur le fait que la famine touche toute la province. Et pire, les céréales sont rares sur les marchés et les prix hors de portée pour bon nombre de personnes.

Certains disent ne plus savoir exactement à combien se vend telle ou telle quantité de céréales tellement les prix sont instables. Le vieux Lallé, assis sous un hangar au milieu du marché affirme que certaines familles n’ont plus rien à manger.

"Beaucoup de familles ont épuisé depuis longtemps leurs stocks. Actuellement elles se débrouillent pour survivre. A part les producteurs qui ont cultivé le coton l’année dernière, ils sont nombreux à être sans le sou pour faire face à la situation. Les prix des céréales ont grimpé. L’année dernière à la même période, l’assiettée de maïs blanc ou de sorgho coûtait 300 à 350 francs CFA contre 650 à 700 francs CFA cette année...", note le vieux Lallé.

Diane Dolsouné et Mariétou Yaméogo vendent des fruits (des mangues, des oranges notamment) en bordure de la voie jouxtant le marché. Elles soutiennent l’une et l’autre que, contrairement à ce que pourrait croire l’opinion, la famine frappe durement les populations du Koulpelogo. "Il y a des familles qui n’ont vraiment rien à manger actuellement. Le pire, c’est qu’on ne trouve pas les céréales sur les marchés ou alors elles sont hors de prix. L’assiettée de maïs ou de petit mil coûte 750 francs CFA. Même le sorgho rouge dont le tô n’était pas très prisé coûte 750 francs CFA...", affirme Diane. Elle est soutenue dans ses propos par la vieille Azara Wango. Toutes les trois souhaitent que la présente campagne agricole se termine bien. "Les pluies ont démarré très tôt et se sont interrompues peu après. Lorsqu’elles ont repris, il a fallu reprendre les semis. Maintenant il pleut un peu trop et cela risque d’hypothéquer la saison...", note Diane.

Du riz contre la famine

Saïdou Sondé affirme pour sa part que du fait de la cherté et de la rareté du sorgho du maïs sur les marchés, certaines familles préfèrent manger le riz qui coûte nettement moins cher. "Le sorgho blanc et le maïs coûtent 750 francs CFA l’assiettée. Mais tu peux avoir l’argent en poche et ne pas les trouver sur le marché. Autant acheter le riz qui est disponible. Le prix de deux sacs de 50 kg de riz coûtent moins cher qu’un sac de 100 kg de maïs ou de sorgho. Moi je n’hésite pas à acheter le riz pour ma famille car, contrairement à l’opinion déjà faite, cette denrée ne constitue plus un aliment de luxe ; surtout pas en cette période de famine..." relève-t-il, bien "calé" sur son banc face à la voie.

Il est 12 heures 15. Le marché est devenu plus animé. Nous revenons alors sur nos pas au marché de céréales. Seulement deux commerçants de cette spéculation. L’un s’affairait sur son tas de sorgho rouge. A peine a-t-il il répondu à notre bonjour. L’autre, devant un tas de maïs, échangeait avec une dame. "Ils dépassent rarement ce nombre (parlant des commerçants de céréales) par ces temps-ci...", nous dit une autre dame qui, elle, proposait des amandes de karité dont les recettes devront servir à l’achat de vivres.

Avec beaucoup de difficultés nous obtiendrons auprès de nos deux commerçants les prix des céréales sur les différents marchés dans la province.

Le constat est que les prix à nous communiqués par les commerçants sont en tout cas bien inférieurs à ce que les populations disent. Peut-être nous ont-ils pris pour des contrôleurs de prix ? La moyenne des prix qu’ils nous ont donnée tourne autour de 650 francs CFA pour tous les types de céréales. Lorsque nous émettons des doutes sur ces prix, Bernard Tegmangré, le commerçant de maïs, nous rétorque : "Je viens de vendre le maïs que vous voyez à 650 francs CFA à la dame devant vous. Vous pouvez le lui demander". Celle-ci nous le confirme mais refuse d’en dire plus. Nous apprenons plus tard que la dame en question est aussi une commerçante. Elle fait le tour des marchés, s’approvisionne en céréales qu’elle revend sur le marché de Tenkodogo.

Le coton au détriment des céréales

Au marché de Lalgaye, département situé à quelque 20 km de Ouargaye et à environ 40 km de Tenkodogo, le maïs et le sorgho coûtent 600 francs selon Saïdou Balima et Abdoulaye Oubda, seuls commerçants sur place ce samedi 16 juillet 2005. "Nous n’avons pas eu grand chose aujourd’hui. C’est presque d’ailleurs la même chose chaque jour de marché. Cette année les céréales sont rares sur le marché...", soutiennent-ils en chœur avec chacun un petit tas devant lui.

A Ouargaye comme à Lalgaye, tout le monde est unanime que les producteurs ont, la campagne écoulée, préféré la culture du coton au détriment des cultures céréalières. La rareté des céréales sur le marché découlerait de cette situation. Le directeur provincial de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques, Victor Sawadogo reconnaît certes, que les producteurs ont beaucoup misé sur la culture du coton l’année dernière mais, à l’en croire, le problème viendrait du fait que ceux-ci n’aient pas reçu leur argent très tôt pour pouvoir s’approvisionner au moment où les céréales étaient disponibles sur les marchés. "La nationale des fibres et textiles s’est désengagée de la filière dans la région de l’Est au profit d’opérateurs privés.

Le coton n’a pas été enlevé rapidement et jusqu’au mois d’avril 2005, 90 % de producteurs n’avaient pas encore reçu leur argent...", explique-t-il.

La crise alimentaire dans la province, selon lui, est légère. Il précise que les prix ont grimpé en juin, dépassant au moins deux fois les prix de l’année dernière à la même époque. "Le kilogramme de sorgho coûte actuellement 181 francs CFA contre 80 francs CFA en 2004 et le maïs blanc 208 francs CFA le kg contre 110 francs l’année écoulée...", indique-t-il. Le haut commissaire aurait demandé, selon lui, au Comité national de secours d’urgence (CONASUR) des vivres à prix social au profit de la population.

Perspective d’une bonne saison

Aux dires de nombreuses personnes, beaucoup de producteurs auraient refusé de spéculer sur le coton cette campagne. Le directeur provincial de l’Agriculture, Victor Sawadogo, affirme effectivement que certains producteurs ont renoncé cette campagne à la culture du coton. "A Lalgaye, les paysans ont rejeté en bloc la culture du coton cette année", soutient Naba Molfo de Lalgaye. Celui-ci note que la famine frappe durement de nombreuses familles au Koulpelogo alors qu’on avait déclaré la province excédentaire. Pour lui, la campagne écoulée a été mal évaluée par les agents du ministère de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques et c’est ce qui les aurait amenés à déclarer le Koulpelogo excédentaire. "Ils l’ont fait au moment de la maturation alors que les pluies se sont interrompues avant la fin", relève-t-il.

La physionomie de la présente campagne agricole que Naba Molfo souhaite abondante, se présente bien. Elle a démarré difficilement selon le directeur provincial mais aujourd’hui tout serait rentré dans l’ordre. Les populations s’attellent actuellement aux opérations de sarclage-binage même si certains poursuivent les semis. "La campagne se présente très bien. Les gens estiment qu’il pleut même un peu trop actuellement.

La situation phytosanitaire est calme. Nous n’avons pas connu d’attaque nécessitant des commentaires. Si la tendance se poursuit sans interruption majeure, et si les producteurs s’attellent correctement aux différentes opérations culturales, on peut espérer de bonnes récoltes...", se réjouit Victor Sawadogo.

Etienne NASSA (nassa_parate@yahoo.fr)
Sidwaya

PARTAGER :                              
 LeFaso TV