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Veille citoyenne au Burkina : LEJEPAD lance une plateforme de pétitions pour suivre les revendications sociales

Publié le lundi 8 octobre 2018 à 01h09min

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Veille citoyenne au Burkina : LEJEPAD lance une plateforme de pétitions pour suivre les revendications sociales

Lancé en septembre 2017, Leadership jeunes pour la paix et le développement en Afrique/Burkina Faso (LEJEPAD-BF) est une organisation de la société civile qui œuvre à la promotion des valeurs de paix, de démocratie, de civisme, de cohésion sociale et de bonne gouvernance. C’est fort de toutes ces missions que l’organisation, LEJEPAD, vient de lancer une plateforme de pétitions citoyennes (http://petitions-citoyennes-burkina.online) aux relatives revendications sociales au Burkina. Pour en savoir davantage sur cette initiative, nous avons rencontré la directrice exécutive, Flore Somda. Entretien !

Lefaso.net : Comment se porte LEJEPAD ?

Flore Somda (F.S) : LEJEPAD est à sa première année de vie et est en train de dérouler son plan d’action. L’un des axes de ce plan est la participation à la bonne gouvernance, tout en œuvrant pour un développement durable dans un Etat où règnent la paix et la cohésion sociale.

Pour allier le tout, nous nous sommes interrogés sur la situation actuelle du pays et ce qu’il faut comme actions et instruments pour consolider les acquis. On s’est donc rendu compte que le Burkina post-insurrectionnel est sur le chemin de la démocratie, avec une liberté d’expression qui peut être utilisée à bon escient ou de travers.

De fait, pour pallier aux dérives de cette liberté d’expression, nous avons décidé de mettre en place un outil destiné à toutes les couches et catégories socio-professionnelles afin de pouvoir s’exprimer pour une légitimation de leurs actions, faire prendre en compte leurs préoccupations par les pouvoirs publics tout en restant civique et citoyen. C’est dans ce sens que nous avons mis en place une plateforme de pétitions citoyennes (http://petitions-citoyennes-burkina.online).

Lefaso.net : Avant d’arriver à la plateforme, comment appréciez-vous votre année d’existence, en termes de fonctionnement ?

F.S : A ce jour, nous avons une grande satisfaction morale ; parce que nous avons commencé les activités par des formations et nous restons convaincus que leadership et développement se concrétisent par les formations. Donc, nous avons commencé par une série de formations au profit des jeunes sur la prévention des conflits, leur implication dans la lutte contre la corruption ainsi que les violences basées sur le genre. A ce jour, nous avons travaillé sur plusieurs formations et le programme de formations se poursuit. Nous allons beaucoup miser sur la formation comme outil pour une nouvelle conscience au sein des populations. C’est un travail de construction à améliorer. Donc, un processus.

Lefaso.net : On sait que vous avez mené une activité avec le soutien de structures comme l’ASCE-LC ; est-ce un des partenaires de LEJEPAD ?

F.S : L’ASCE-LC travaille avec des organisations de la société civile dans le cadre de ses missions, afin de contribuer à améliorer la vie publique. Nous aussi, nos missions ont des objectifs similaires à celles de l’ASCE-LC et se recoupent même sur certains axes. De ce fait, nous nous réjouissons déjà d’être comptés parmi les partenaires de cette structure et pour les actions futures, nous espérons pouvoir bénéficier de son soutien car, dans le cadre de la lutte contre la corruption, LEJEPAD peut intervenir sur certains aspects concrets, sur le terrain, et à travers un accès à des couches spécifiques de la société.

Lefaso.net : Quel est aujourd’hui le plus grand défi que votre organisation s’est assigné ?

F.S : Le défi central que notre organisation veut relever est celui de s’assurer que les interlocuteurs du gouvernement, les syndicats, portent vraiment les aspirations réelles de la société civile ; c’est-à-dire le peuple, parce que la voix d’une seule structure n’est pas forcément représentative de l’avis du peuple. Donc, le principal défi pour nous, c’est vraiment de s’assurer que les préoccupations portées par ces entités suscitées sont réellement celles du peuple.

Lefaso.net : Mais allez-vous pouvoir vous assurer de cette donne ?

F.S : D’où l’idée de la mise en place de cette plateforme qui va permettre de quantifier, formaliser et surtout de surveiller les revendications sociales. Cela nous permettra de mesurer l’impact social. Car, souvent, nous pouvons croire que le peuple veut ceci ou cela, mais ce n’est en réalité pas la réalité (la voix de dix peut être considérée souvent, à tort, comme la voix de la nation).

Nous voulons aussi redonner de la légitimité aux gouvernants de prendre des décisions fâcheuses ou difficiles tant qu’elles sont alignées sur l’intérêt général. Par exemple, permettre à la mairie de régulariser la mise en fourrière des véhicules en mauvais stationnement sur certaines avenues (Kwamé Nkrumah, Charles de Gaulle), de concert avec la population. En bref, la plateforme de pétitions citoyennes va permettre de formaliser, quantifier et surtout suivre les revendications sociales. C’est un maillon important de la chaine posée par LEJEPAD pour la mise en œœuvre d’une démocratie participative.

Lefaso.net : De façon concrète, que faut-il s’attendre avec la plateforme ?

F.S : Nous avons lancé un site à travers lequel, les populations peuvent s’exprimer. A titre d’exemple, si vous estimez que pour l’intérêt général, chaque citoyen qui sort de chez lui, et qui se déplace à moto, doit porter un casque, vous pouvez aller porter une pétition sur cette préoccupation. Si vous la portez sur la plateforme, et qu’il y a par exemple 40 mille personnes qui vous suivent dans ce sens, en ce moment, on se rend compte qu’on ne va pas porter le casque parce que vous, vous l’avez décidé, mais parce que la majeure partie le juge nécessaire.

A cette ère du numérique où les gens sont beaucoup sur les réseaux sociaux, cela peut être un bon canal pour exprimer réellement les revendications, sans sortir poser des actes de violences, casser des édifices publics pour se faire entendre. Donc, c’est une méthode qui va permettre à chacun de gagner ; populations comme décideurs. Il faudrait cultiver cet esprit de citoyenneté, parce que, si jusque-là, les revendications sont violentes, c’est que les gens sont convaincus que c’est la seule façon pour faire prendre en compte leurs préoccupations par les gouvernants.

Lefaso.net : Comment les thématiques vont-elles arriver sur la plateforme pour être mises en pétition ?

F.S : Il faut signaler qu’il y a une équipe d’experts, pour éviter que la plateforme soit contrôlée par de mauvaises intentions. Dans un premier temps, les thématiques vont être recueillies, ensuite analysées par l’équipe des experts pour voir leur portée générale et, au besoin, être reformulées pour éviter toute polémique inutile. En clair, les experts vont voir la portée de l’intérêt général avant de la portée sur la plateforme pour la pétition. Nous pensons qu’on doit faire des revendications citoyennes, celles qui méritent de l’être.

Lefaso.net : Combien de temps reste une thématique sur le site pour la pétition ?
F.S :
En réalité, l’objectif, c’est de recueillir un certain nombre de voix et de la poser sur la table des décideurs. Si pour une préoccupation, on recueille par exemple 30 mille voix, on peut la déposer à la mairie, si la préoccupation est relative à la commune (ou à un arrondissement, sur le stationnement anarchique dans une zone par exemple).

Si à un moment donné, la mairie ne prend pas de décision pour répondre à la préoccupation, on peut passer à 50 mille voix pour aller déposer à l’Assemblée nationale pour une loi carrément. En réalité, la pétition légitime l’action de la société civile et légitime aussi la décision des décideurs ; parce que si pour une décision, il n’y a que quelques personnes qui sont « pour », il faut voir en cela que ce n’est pas une question d’intérêt général. Pour répondre à votre question, je dirais qu’on se fie plus au nombre de voix recueillies qu’au temps mis par une thématique sur la plateforme.

Lefaso.net : Donc, les thématiques ne sont pas celles de LEJEPAD ?

F.S : LEJEPAD offre la plateforme aux populations. C’est dire que toute personne peut proposer une préoccupation, la justifier et elle va être examinée et portée à la pétition. C’est donc une plateforme participative.

Lefaso.net : On sait qu’il y a une plateforme similaire, le « presimètre ». Quelle est la différence entre ce dernier et la vôtre ?

F.S : Le « présimètre » mesure certes, le programme de gouvernance, mais c’est différent d’une pétition. Là, on fait des constats, et nous, nous posons des actions. C’est comme si la pétition citoyenne venait compléter le « présimètre » (en étant un relais sur le terrain). Nous apportons un plus à la démocratie participative. En 2008 par exemple, la mesure avait été prise d’amener le peuple burkinabè à porter des casques, mais elle n’a pas été épousée. En son temps, il y a eu une désinformation. Mais, si la préoccupation était portée directement par les populations, elle aurait été facile à mettre en œuvre par les décideurs.

Lefaso.net : Vos pétitions seront posées sur la table de décideurs, selon la nature de la préoccupation. Mais, de quel moyen disposez-vous pour faire pression pour que les pétitions ne restent pas lettres mortes ?

F.S : Effectivement, nous n’avons pas de moyens coercitifs, mais étant dans un Etat de droit, on se dit que la voix du peuple doit être écoutée. C’est raison pour laquelle, nous travaillerons avec l’Assemblée nationale qui représente le peuple. Cette démarche peut permettre aux députés de formuler des lois qui émanent directement des populations. Et la pétition est la voix directe du peuple. Cette démarche pourrait réduire non seulement les revendications violentes, mais également les nombreux mouvements sociaux. Ce qui peut être la solution à plusieurs difficultés que le pays connaît aujourd’hui.

Lefaso.net : Mais comment s’assurer de la fiabilité de cette pétition en ligne ?

F.S : En réalité, dans les grandes lignes, le citoyen qui intervient doit s’identifier. Il est exigé les références CNIB (Carte nationale d’identité burkinabè). L’équipe technique a vraiment pris en compte toutes ces préoccupations que soulève votre question. A partir des données qui seront récoltées, on peut même faire recours à l’ONI (Office national d’identification) pour vérifier les données CNIB.

Lefaso.net : Disposez-vous de ressources humaines et de partenaires pour vous accompagner dans ce sens, quand on sait que c’est un vaste chantier ?

F.S : Effectivement, nous avons une équipe d’experts et de techniciens qui s’occupent, chacune, des aspects qui lui concernent. En ce qui concerne les partenaires ou éventuels partenaires, nous avons déjà l’Assemblée nationale et certaines mairies.

En plus de cela, nous avons approché l’Ambassade du Luxembourg pour leur expérience ; car au Luxembourg, il existe une plateforme de pétition, qui constitue même chez eux une Chambre de l’Assemblée (en quelque sorte). Nous sommes allés auprès de ces devanciers, pour requérir leur avis, chercher à savoir qu’est-ce qui a marché chez eux, qu’est-ce qui n’a pas marché. Nous avons échangé avec des autorités dans ce sens. Nous avons présenté le projet aux organisations comme le PNUD, au Conseil national des OSC, à Diakonia.

Lefaso.net : Vous êtes donc convaincus qu’à travers une telle initiative, on peut moraliser la vie publique et réduire beaucoup d’actes de violence et d’incivisme !

F.S : Effectivement. Si vous faites un micro-trottoir tout de suite, vous verrez que nombre de personnes diront que pour avoir gain de cause avec les décideurs, il faut user de la violence. C’est cette conscience que nous voulons contribuer à changer. Il s’agit là de montrer que le peuple burkinabè sait revendiquer et que les décideurs aussi savent écouter la voix de leur peuple. C’est un grand défi.

Lefaso.net : A partir de quel moment la plateforme va-t-elle être opérationnelle pour les populations ?

F.S : Le site est déjà en ligne depuis ce mois de septembre et pour le moment, LEJEPAD fait avec ses moyens de bord et sur fonds propres. Nous espérons qu’elle aura l’adhésion de tous.

Lefaso.net : C’est dire que la plateforme peut déjà accueillir des préoccupations !

F.S : Effectivement, elle est déjà opérationnelle et nous allons évoluer progressivement avec les populations.

Lefaso.net : Au Burkina, le nombre de personnes ayant accès à Internet n’est pas très important. Quelles dispositions allez-vous prendre pour que les préoccupations puissent être soumises à la majeure partie des Burkinabè ?

F.S : Effectivement, nous avons pris des dispositions à cet effet, pour que non seulement la plateforme puisse être facilement accessible, mais également pour qu’avec un simplement SMS, on puisse pétitionner. Nous avons pris attache avec des opérateurs de téléphonies-mobiles pour cela. Il y a même cette possibilité qui permet de recueillir sur support papier et reverser sur le site.

Lefaso.net : On a aussi les barrières liées à la langue, comment allez-vous surmonter tout cela ?

F.S : Nous avons pensé à la traduction dans les grands groupes de langues. LEJEPAD a des représentants dans toutes les régions. Donc, lorsqu’une pétition est lancée, toutes les dispositions seront prises pour la rendre accessible aux populations. A travers les radios locales, nous pourrons organiser des émissions radios et soumettre la question à l’appréciation des populations. Si nous prenons le cas du Luxembourg, à un moment, les autorités ont remarqué qu’à Luxembourg, il y a plus d’étrangers qui sont là pour travailler que de Luxembourgeois.

Donc, les décideurs ont voulu les faire voter. Ils sont donc passés par une pétition, mais ils se sont rendus compte que les Luxembourgeois ne sont pas pour cette décision. Donc, la loi n’a pas été votée. Pourtant, les autorités pensaient bien de faire voter les étrangers. Voyez-vous que ce n’est pas gagné d’office ! Cela évite que ce soit quelques têtes qui imposent leur préoccupation à tout le monde. Nous restons ouverts à toutes les critiques et à toutes les suggestions pour pouvoir atteindre les objectifs que nous nous sommes assignés à cet effet.

Lefaso.net : Quelles sont les perspectives, après la série de formations et le lancement de cette plateforme (http://petitions-citoyennes-burkina.online) ?

F.S : C’est, dans le cadre de notre participation à la bonne gouvernance, permettre au maximum de personnes de connaître les lois qui sont adoptées ; parce qu’au Burkina, nous avons quand même l’avantage d’avoir des lois sérieuses et pertinentes. Mais peuvent-elles être efficaces, si les populations ne sont pas informées de ces lois. Donc, vulgariser les lois contribuerait à leur application, car celui qui ne connaît pas peut réclamer son ignorance, celui qui connaît ne peut pas utiliser l’ignorance comme excuse. Dans ce sens, nous travaillerons par exemple à faire connaître la loi anti-corruption. Un autre chantier est de permettre la promotion de l’éducation en contribuant à réduire le taux d’analphabétisme. Nous avons donc un agenda assez chargé et plusieurs activités sont également en cours. LEJPAD fera tout ce qu’il peut pour la mise en œuvre de ses activités.

Lefaso.net : Votre mot de fin ?

F.S : C’est pour inviter les populations, notamment les jeunes, à s’impliquer dans la gestion de la chose publique à travers la plateforme que nous venons de lancer. Vous n’avez pas à attendre les élections. Cette plateforme est un outil qui permet aux gens de s’exprimer pour influer la gestion de la chose publique, parce qu’il est pour tout le monde. Car, il faut bien le dire : je suis l’Etat, tu es l’Etat, nous sommes l’Etat.

Nous lançons un appel à tous les intellectuels du Burkina, pour qu’ils puissent vraiment s’exprimer ; parce que même pendant les élections, ils restent toujours neutres.

Entretien réalisé par O.L
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