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« On a l’impression que les gens n’ont pas encore compris les implications du mot guerre, surtout son aspect asymétrique », Dr Windata Zongo, spécialiste des relations internationales

Publié le dimanche 16 septembre 2018 à 20h00min

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« On a l’impression que les gens n’ont pas encore compris les implications du mot guerre, surtout son aspect asymétrique », Dr Windata Zongo, spécialiste des relations internationales

Il est le Chargé de programmes au Centre Africain d’Analyses et Recherches Diplomatiques et Stratégiques (CAARDIS), enseignant en relations internationales et en « public diplomacy ». C’est en véritable homme averti des questions de diplomatie, géopolitique, des relations internationales et de gouvernance politique, que Dr Windata Zongo donne (dans cette interview qu’il a accordée, début septembre) ses analyses sur la situation au Burkina, des sujets à l’échelle sous-régionale et continentale africaine ainsi que sur la nouvelle dynamique mondiale. Interview !

Lefaso.net : Comment allez-vous et comment évolue le CAARDIS ?

Dr Windata Zongo : Je vais bien et CAARDIS se porte bien, les activités se déroulent bien dans notre objectif qui est de participer à une meilleure compréhension des enjeux diplomatiques et la consolidation du régionalisme africain. Nous avons été rejoints dans l’équipe par le Dr Issiaka Souaré, un expert de la résolution des conflits, membre du comité de médiation des Nations-Unies. Il renforce les compétences sur les questions multilatérales et la politique en Afrique, au sein du CAARDIS.

Lefaso.net : Les axes sur lesquels vous fondez vos actions/analyses à savoir, la diplomatie et la sécurité, sont-ils des voies originales de développement pour l’Afrique ?

Dr Windata Zongo : En fait, la question de la sécurité est à l’origine de la création d’un ordre international, depuis la conférence de Westphalie en 1648. Donc, cette notion est un sous-champ de la diplomatie qui elle, peut se résumer à l’origine, à du pragmatisme pour la sécurité internationale. De nos jours, même si elle a plusieurs mutations du fait de l’intérêt national qui est fluctuant, la sécurité demeure son principal objectif ; ce qui est d’ailleurs la raison d’être des structures multilatérales.

Qu’est-ce qui fait partie des grandes questions de l’intégration africaine en ce moment ? La première idée, c’est la question sécuritaire ; parce qu’on a en Afrique, des Etats fragiles, en proie à des contestations internes des ordres politiques. Pour le cas de notre pays par exemple, j’avais dit que pour que le PNDES (Plan national de développement économique et social, ndlr) soit un succès incontestable, la sécurité devait être le préalable pour les pouvoirs publics ; parce que le pays traverse une période d’instabilité ponctuelle dans certains endroits.

Les actions de diplomatie économique et de public diplomacy suivent alors cette étape. Si vous voulez vous développer, il faut attirer des investisseurs, créer des mécanismes de connexion entre tous les acteurs. Qu’est-ce qui empêche ce mécanisme en ce moment, c’est la sécurité. Pendant deux ans, nous avons travaillé sur le domaine de la sécurité avec les gouvernants, parce que quand on entend parler de sécurité, les gens voient juste l’aspect militaire.

Alors que c’est une notion multidimensionnelle, qu’il faut savoir connaître. Lorsque vous vous adressez à un acteur canadien, américain ou français, vous devez parler le même langage. D’où la nécessité pour nous d’avoir intervenu pour une meilleure compréhension de cette notion-là dans le champ multilatéral. Il ne peut pas en être autrement quand on aspire au développement.

Lefaso.net : Dans cette dynamique, les étudiants ne pourraient-ils pas être une cible privilégiée pour CAARDIS, dans une perspective de mettre à la disposition du continent, de la ressource compétente ?

Dr Windata Zongo : Tout est une question de volonté politique et académique. Si je prends le cas de pays comme le Maroc et le Rwanda, et aussi le Cameroun, ils ont vite vu la nécessité de créer des écoles de formation en études politiques, diplomatiques et stratégiques au sein desquelles, on apprend la gouvernance politique, l’économie politique et diplomatique, ce qui permet une meilleure compréhension de la sphère multilatérale de la part des élites.

Regardez par exemple la stratégie subsaharienne actuelle du Maroc, de la Tunisie, la diplomatie africaine du Rwanda, l’Afrique du Sud post-apartheid, tout cela obéit à des volontés politiques que la compétence des élites rend possibles. Nous avons des articles dans notre site qui vous permettront de mieux comprendre les enjeux de ces stratégies. J’espère que le Burkina suive ce chemin, parce que c’est une nécessité.

Lefaso.net : On note que nombre d’entre vous enseignent dans des Universités occidentales, alors qu’on aurait souhaité vous voir dans les temples du savoir africains !

Dr Windata Zongo : Je vous le dis franchement, je connais beaucoup de Burkinabè avec lesquels on discute de cela et je puis vous assurer que les gens ne demandent que cela ; rentrer, et sans discrimination positive. Je profite d’ailleurs de l’occasion que vous m’offrez pour remercier le ministre Ouaro (Stanislas Ouaro, ministre de l’éducation nationale et de l’Alphabétisation, ndlr), un homme qui, quand il était à la tête de l’université Ouaga II, avait cela comme objectif, et a œuvre pour que beaucoup de Burkinabè rentrent. Me concernant, je suis déjà sur le terrain ici, mais pas encore en tant que permanent, juste parce que l’occasion ne s’est pas encore présentée.

Lefaso.net : On a ouï dire que des compétences burkinabè qui rentrent de l’extérieur peinent à s’insérer dans l’enseignement ; des blocages leur sont dressés, à telle enseigne que nombreux rebroussent chemin... !

Dr Windata Zongo : Mais quand on vous dit que votre profil ne colle pas avec les besoins des universités ici, que pouvez-vous dire ? Vous rebroussez chemin. Et les gens diront de vous que vous préférez rester dans votre confort occidental en oubliant le devoir de redevabilité envers votre pays, alors que la réalité est complètement différente.

Lefaso.net : Revenons sur la vie du CAARDIS. Cette année, vous avez fait le choix de porter la réflexion sur la politique étrangère du Burkina, de 1960 à ce jour. Qu’est-ce qui a motivé votre option ?

Dr Windata Zongo : Le thème de cette année découle d’observations que nous avons faites de la politique étrangère africaine sur les champs académique et pratique. Dans le champ académique, hormis l’exceptionnel travail de théorisation du doyen Pierre Dagbo Godé sur la politique étrangère en Afrique, c’est le désert. Tous les autres chercheurs qui ont suivi se sont contentés d’écrire sur la politique étrangère de certains pays. Cela dû au fait d’une pratique non normative de la politique étrangère sur le continent.

En effet, quand on observe la politique étrangère telle qu’elle est exercée en Occident et en Afrique, on se rend compte de l’énormité de la différence. En Europe, il existe une administration très structurée et très compétente dans le domaine. En Afrique, l’activité de politique étrangère se fait exclusivement très souvent à la présidence de la république et par des réseaux parallèles, voire concurrentes aux structures putatives et dans cette logique, le ministère des Affaires étrangères en Afrique est souvent chargé des procédures administratives.
Alors qu’il devrait y exister des compétences dans cette administration, non seulement pour les études de veilles stratégiques, mais aussi pour les études prospectives et les études de risques.

Donc, le thème de cette année est parti de ce constat. On restitue l’activité de la politique étrangère telle qu’elle se fait en Afrique c’est-à-dire dans une logique de cloisonnement, et ensuite, on propose des pistes pour en sortir. Quand vous lirez notre travail synthétique qui va être publié bientôt, vous verrez qu’on fait une proposition pour le cas burkinabè.
Nous avons opté pour le cas burkinabè au vu des mutations politiques intervenues ces dernières années dans ce pays, et de la position d’hégémon diplomatique sous-régional qui a été le sien. Ces données ont fait de notre pays, un choix scientifiquement intéressant.

Lefaso.net : Mais peut-on d’ores et déjà avoir les grandes lignes de cette étude ?

Dr Windata Zongo : Il y a un peu d’optimisme parce qu’on se rend compte, toute analyse faite, qu’il y a une nouvelle dynamique qui est en train d’être créée en matière de politique étrangère. En matière de politique étrangère, chaque président imprime sa marque. Si vous prenez par exemple « America first », c’est une manière pour le président américain d’affirmer sa présence à l’international. « France is back » est pareil pour le président français.
La « diplomatie de l’émergence », c’est le concept du président Ouattara en Côte d’Ivoire. Nous, ce qu’on a remarqué au Burkina, c’est qu’il y a une nouvelle dynamique qui est entreprise dans le champ de la pratique, mais qui n’est pas conceptualisée. Or, il convient de la conceptualiser afin qu’on puisse vraiment analyser et qualifier son action. Les travaux vont être bientôt publiés dans notre site internet.

Lefaso.net : On a vu par exemple la « diplomatie du développement »

Dr Windata Zongo : Tout à fait. Et il en a été fait cas dans notre analyse. On s’est basé sur la diplomatie du développement, mais aussi sur la diplomatie de l’émergence, parce que ce sont des concepts qui avaient été initiés par le président Compaoré, et qui ont marqué la réputation internationale du pays. Depuis l’insurrection, on a assisté à une forme de diplomatie, factuelle et après, il y a un autre président qui est-là, qui initie une autre forme de diplomatie, plus axée sur le sud, mais qui répond aux besoins pendants.

Toutefois, cela n’est pas affirmé dans le discours en tant que concept. Notre travail avait aussi pour but, au-delà de l’exemple burkinabè, de lancer un appel aux gouvernants africains afin qu’il y ait en Afrique, une pratique diplomatique décloisonnée et décomplexée dans le discours, pour l’intérêt national.

Lefaso.net : Si on devait la conceptualiser, la diplomatie de Roch Kaboré pourrait être enveloppée dans quel concept ?

Dr Windata Zongo : Ce que je peux dire, toute analyse faite, c’est que dans la pratique diplomatique du président Roch Kaboré, il y a une forme de convergence entre son projet de gouvernance synthétisé dans le PNDES et les actions extérieures à cet effet. Le discours également car, si vous faites une analyse de sa gouvernance, vous voyez qu’il a capitalisé toutes les frustrations nées du rejet de l’ordre politique qui l’a précédé, qu’il entend transformer en réalisations. Donc, l’action à l’extérieur corrobore avec ce qui est dit pour que le PNDES aille de l’avant.

Lefaso.net : C’est dire donc qu’il y a une cohérence !

Dr Windata Zongo : Oui. Scientifiquement, on y perçoit une cohérence. Elle est perceptible lorsqu’on fait une corrélation entre les discours et les actions à l’extérieur. Mais, est-ce que le citoyen lambda est capable de la percevoir ? Cela légitime cette idée de la conceptualisation.

Lefaso.net : Avec le dernier remaniement, on a assisté à un éclatement du ministère des Affaires étrangères (d’une part, le ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération et, d’autre part le Ministère de l’intégration africaine et des Burkinabè de l’Extérieur). Quelle analyse faites-vous de cette nouvelle configuration ?

Dr Windata Zongo : De toute façon, le ministère des Affaires étrangères garde toujours ses mêmes prérogatives. Je pense que cette configuration vise à répondre à une promesse électorale, parce qu’il a été dit dans le projet du candidat Roch Kaboré, que les Burkinabè de l’extérieur voteraient en 2020.

Donc, pour créer les modalités administratives, les conditions matérielles pour l’optimisation de cette volonté présidentielle, il a fallu créer ce ministère (le Ministère de l’intégration africaine et des Burkinabè de l’Extérieur, ndlr). Il s’occupe de questions spécifiques tandis que le ministère des Affaires étrangères est consolidé dans son rôle. Je dirais même que ça lui fait du bien parce que là, le ministère des Affaires étrangères s’est recentré un peu plus sur les prérogatives qui sont les siennes.

Lefaso.net : Quelle appréciation faites-vous de la conduite du département des Affaires étrangères par Alpha Barry, qui n’est pas diplomate de carrière ?

Dr Windata Zongo : Dans le champ actuel de la pratique diplomatique, l’expression « diplomate » n’est plus exclusivement représentative de la diplomatie que soit dans le champ multilatéral ou étatique à cause de la diversité des acteurs qui y interagissent. La diplomatie c’est l’art de la négociation. Depuis Westphalie, on a assisté à la création d’une société internationale avec des modalités normatives auxquelles des juristes comme Grotius ont participé à la rédaction.

La création plus tard du métier de diplomate depuis la première convention de Vienne se justifiait par le fait qu’il fallait former les acteurs des relations inter-Etats, à la connaissance des pratiques et usages administratives qui avaient droit de cité puisqu’à cette période, la diplomatie était exclusivement faite, de manière interétatique.

Mais depuis l’avènement du multilatéralisme, on est dans un ordre mondial avec l’émergence de plusieurs types de diplomaties qui peuvent tous concourir à l’intérêt national d’un pays, et des acteurs non-étatiques ou pas issus du sillage classique qui interviennent également dans les négociations et qui ont tous une légitimité empirique : Des ONG, des acteurs transnationalistes, des personnalités de la société civile.

Médecins sans frontières par exemple intervient dans les négociations lors des conflits, Wangari Maathai était une actrice diplomatique influente sur les questions environnementales alors qu’elle était vétérinaire. Bernard Kouchner a été un excellent ministre des affaires étrangères en France sans avoir été diplomate mais en maitrisant le champ diplomatique.

Donc, quiconque maîtrise l’art de la négociation sur des thématiques dans lesquelles il a une légitimité, peut être un acteur diplomatique. Ici, les gens se sont montrés réticents quant à la capacité de monsieur Barry à gérer son ministère au début, parce qu’il n’est pas issu du milieu, mais ces mêmes remarques avaient été faites à monsieur Bassolé et on a vu le résultat.
Pour Barry, on a oublié qu’en tant que journaliste habitué aux restitutions des manifestations de la gouvernance au Burkina et en Afrique, c’est un acteur qui dispose d’une légitimité empirique. On a même vu que c’était une chance, parce que la diplomatie suppose également la capacité de maîtriser la communication stratégique.

Or, dans ce domaine, on voit qu’au ministère des Affaires étrangères, il y a une communication stratégique qui se fait et qui est efficace sous sa conduite. Il y a une dynamique qui se déroule avec ce monsieur. Evidemment, c’est à la fin de son séjour dans ce ministère qu’on pourra faire un bilan plus profond mais, je pense qu’il fait du bon travail. J’ai particulièrement apprécié sa gestion du dossier dit des écoutes téléphoniques.

Lefaso.net : Parlons de gouvernance, le pays s’est caractérisé aussi par un certain nombre de mouvements, notamment des grèves, des attaques, des débats politiques surchauffés. De façon globale, peut-on dire que c’est un passage obligé pour le Burkina après tout ce qu’il a connu comme évènements ?

Dr Windata Zongo : Le problème sécuritaire est toujours regrettable dans un pays, parce que ça fragilise ; que ce soit ici, au Mali, au Niger, Nigéria, Cameroun, la dynamique d’un gouvernement en matière d’actions publiques. Quant aux débats dont vous parlez, pour moi c’est l’illustration de l’existence d’une liberté de parole.

Lefaso.net : Avec les épisodes Naïm Touré, et tout dernièrement, Safiétou Lopez, certains Burkinabè pensent que c’est une façon d’étouffer la liberté d’opinion !

Dr Windata Zongo : Ce sont deux choses complétement différentes. Le cas du premier cité, va faire école ici au Burkina Faso et aussi dans certains pays de la sous-région, comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal ou le Congo où des activistes ont été écroués. On est dans une société de type légal-rationnel, donc quand on est un personnage public engagé dans l’activisme, on doit faire attention ce que l’on dit et surtout, pouvoir le prouver.
Il faut en plus veiller à être en conformité avec les textes en matière de communication et d’information, surtout dans ce contexte de guerre. Je crois que c’est là une occasion pour cette communauté de mieux se former pour ne pas basculer dans la propagande puérile ou la subversion.

Pour le cas de Mme Lopez, je compatis à la peine qu’elle a d’être en prison en ce moment. Mais, je me dis que malgré tout ce qu’elle représente pour la démocratie au Burkina Faso, si les Forces de l’ordre l’ont conduite en prison, c’est qu’il y a une présomption de culpabilité sur elle. En la matière, il faut laisser la justice faire son travail et attendre le verdict. Si son innocence est avérée, elle sera certainement libérée et blanchie, comme l’a été monsieur Kanazoé Inoussa.

Lefaso.net : Parlant de sujets qui divisent, l’adoption du nouveau code électoral continue de diviser la classe politique, n’est-on pas un processus qui est mal parti ?

Dr Windata Zongo : Non, je ne pense pas. Pour moi, c’est l’expression de la vitalité d’une démocratie. Mais, on a affaire à des acteurs politiques, donc il y a pour chaque camp, un enjeu politique sous-jacent. Que doit faire l’Etat pour que nos compatriotes à l’extérieur puissent disposer de la carte nationale d’identité ou du passeport, le plus rapidement possible ? Telle doit être l’action de chaque camp politique qui est sûr de son poids, à partir du moment où l’autorité constitutionnelle a tranché. Le reste, ce sont des débats futiles, de mon point de vue.

Lefaso.net : Les deux années à venir sont celles d’élections présidentielles en Afrique, avec entre autres, un Joseph Kabila qui se retire du pouvoir et un Paul Biya qui rebelote. Dans un contexte d’institutions sous-régionales qui cherchent leur ancrage, une union africaine qui, visiblement, tarde à fédérer, comment analysez-vous la situation globale ?

Dr Windata Zongo : Le problème de l’Union africaine (UA), c’est qu’elle n’a pas de capacité coercitive sur les Chefs d’Etat. C’est comme un Forum des Chefs d’Etat. Tant que l’UA n’aura pas de capacité coercitive, elle ne peut pas influer sur les décisions prises à l’interne par un Chef d’Etat. Par exemple au Congo, la volonté de monsieur Kabila ne relève pas des injonctions de l’UA. C’est pareil pour le Cameroun.

Mais, d’une manière globale, la gouvernance en Afrique est dans une logique développementaliste ; c’est-à-dire qu’on a 50 ans d’indépendance, on a une population qui n’a pas une culture politique assez développée, on a ce que Jean François Bayart a appelé les « big men », c’est-à-dire des Chefs d’Etats qui se comportent comme des Chefs de tribus et qui ont cette perception de la gouvernance qui passe exclusivement par eux.

Donc, il appartient à chaque société de lutter de telle sorte que les gouvernants puissent comprendre que le contrat social suppose un CDD (contrat à durée déterminée, ndlr) qui a un début et une fin. Au Burkina par exemple, l’insurrection en a été une illustration. Le Sénégal, et maintenant le Congo, sont aussi des exemples dans lesquels, les luttes paient.

En fait, en Afrique, on est très loin de la démocratie à la perfection certes, mais, je pense qu’avec l’éveil des consciences des jeunes en Afrique, les choses vont évoluer dans le sens de la volonté du peuple, si celui-ci se bat.

Lefaso.net : On constate dans le même temps que des institutions sous-régionales se battent pour se faire une place, cela ne fragilise-t-il pas l’UA ?

Dr Windata Zongo :
Au contraire, c’est une bonne chose, parce que l’UA est une institution créée par le haut. Ce n’est pas le résultat d’une émergence des besoins des populations, alors que les unions sous-régionales le sont. Ce qui se passe, est que les Chefs d’Etat ont compris que la logique de la subsidiarité, telle que voulue et appliquée par l’ONU, doit se faire aussi dans les ordres régionaux comme en Afrique. Si vous prenez par exemple la CEDEAO, elle est en train de faire un travail remarquable en Afrique de l’Ouest, qui sert d’ailleurs d’exemple au niveau de la CEMAC.

Donc, l’Union africaine pourra se baser sur les interconnexions de ces organisations sous-régionales en matière d’administration. Lors du dernier sommet à Nouakchott, le président Kagamé a été l’instigateur-phare d’un mouvement très fort sur la collecte et la gestion des Fonds de l’organisation, ainsi que sa modernisation. Cela s’inspire de décisions appliquées avec succès dans les espaces CEMAC et CEDEAO dans le cadre du partage d’expériences entre ces deux institutions sous-régionales sur les questions de la monnaie unique, la libre circulation des personnes et des Biens ...

Lefaso.net : En plus d’appartenir à la CEDEO et à l’UEMOA, la Côte d’Ivoire et le Burkina ont mis en place le TAC (Traité d’amitié et de coopération). Est-ce une bonne tendance dans ce contexte de quête d’intégration africaine ?

Dr Windata Zongo : C’est une bonne chose, parce que les deux pays partagent beaucoup de valeurs et réalités. Ce sont des types d’organisations qui existent, même dans l’Union européenne, vous voyez qu’il y a la Conférence germano-francophone, parce qu’au sein des espaces de regroupement, existe des pays qui ont des liens historiques très forts. La Côte d’Ivoire et le Burkina sont historiquement liés, donc il est important que les gouvernants en place le sachent et l’expriment à travers des initiatives de ce genre.

Le TAC a été initié sous les présidents Blaise Compaoré et Laurent Gbagbo et malgré les petites incompréhensions qui ont failli avoir lieu au début du mandat du président Kaboré avec ce pays, on constate que cette initiative a été maintenue, elle a même été renforcée et ce sont les populations des deux pays qui en profitent. Cela n’entache le travail de l’UEMOA, bien au contraire.

Lefaso.net : Parlons de l’actualité internationale, quand vous avez un président américain, Donald Trump, qui traite les pays africains de « pays de merde », comment interprétez-vous cela ?

Dr Windata Zongo :
En fait, tout est une question de perception de pays. « Pays de merde », ce peut être diplomatiquement frustrant. L’occident est un monde très structuré, dans lequel toutes les prestations et prérogatives des administrations publiques sont un acquis naturel. Lorsqu’ils se retrouvent en Afrique, leur ressenti c’est que c’est le chaos. Ce qui, sur le plan scientifique, se traduit par des euphémismes comme Etats en faillite, Etats fragiles et qui s’observe à Haïti et aussi dans la majorité des pays africains.

En ce qui me concerne, je dirai que même si les propos de Trump sont vulgaires, choquants et insultants, il a eu le mérite d’être direct et en Afrique, on a peut-être besoin de ce traitement de choc qui sort du politiquement correct. Sinon, comment justifier la trajectoire de l’Etat en Afrique au 21e siècle, en comparaison à celui des pays de l’Asie du Sud-Est, tous membres du groupement géopolitique du tiers monde ?

Lefaso.net : Aux premiers moments de son mandat, on a assisté à une sorte de guerre voilée entre les USA et la Corée du nord, arbitrée en quelque sorte par la Russie. Aujourd’hui, avec le dégel, peut-on dire que les USA règnent sur le monde en maître ?

Dr Windata Zongo : C’est impossible, le temps de l’unilatéralisme est révolu ; parce que le retard que les autres ont accusé sur les Etats-Unis a été rattrapé. Si vous voyez aujourd’hui, la Russie n’a rien à envier sur le plan militaire aux USA, la Chine est là aussi. L’ordre mondial établi depuis le discours de Bush père a fait face à des puissances révisionnistes.

Sur le plan diplomatique, on note outre, la Russie, la montée en puissances des émergents et des pôles régionaux. Donc en ce moment, on peut penser qu’on tend vers un ordre multipolaire. Personnellement, je suis pour la multipolarité qui est vecteur d’équilibre. Je pense que l’unilatéralité est aussi une forme de domination d’un Etat sur tous les autres. Quant à l’action du président nord-coréen, Kim Jong-un, c’est juste une stratégie de légitimation interne de son pouvoir.

Lefaso.net : N’empêche que, lorsqu’un pays comme les USA se retire d’une organisation comme l’UNESCO, le monde entier n’est pas indifférent !

Dr Windata Zongo : Comme je l’avais dit en citant l’ex secrétaire d’Etat Madeleine Albright, la politique étrangère aux Etats-Unis est le lieu de l’opportunisme entre posture multilatéralisme ou pas. Le cas de Trump est l’illustration du déroulement de « America first », c’est un concept de gouvernance qui a des ramifications dans le champ international.
Cela le différencie du président Obama qui lui, était beaucoup plus axé sur le multilatéralisme, parce qu’il fallait restaurer l’image des USA à l’extérieur. Là on a un président qui est élu dans un contexte de chômage accru depuis des années et qui estime que les USA perdent du temps et de l’argent à s’investir dans multilatéralisme qui ne leur profite pas.

Donc, « America first », c’est consacrer les ressources du pays à la restauration de la puissance américaine, ce qui se traduit aussi par le fait de se retirer des organisations jugées inutiles comme l’UNESCO, mais aussi empêcher l’ONU dont les Etats-Unis sont le principal contributeur financier, de contribuer au financement d’organisations non stratégiques pour ce pays, comme le G5 Sahel.

C’est aussi une réalité. Les ressources sont concentrées exclusivement le développement économique et militaire des USA. Mais je le répète, dominer seul, être le seul gendarme du monde n’est plus possible. D’ailleurs cela ne figure pas dans son discours.

Lefaso.net : Votre mot de la fin ?

Dr Windata Zongo : Je parlerai d’abord du contexte sous-régional. A ce sujet, je dirais que nos Forces de défense et de sécurité, que ce soit au Burkina, en Côte d’Ivoire, au Niger, au Mali, au Nigéria, Cameroun traversent des moments très durs. Donc, mon mot de fin va consister à d’abord reconnaitre et saluer le mérite de ces Forces de défense et de sécurité, et inciter les populations à la collaboration, à la compréhension, plutôt qu’à la démoralisation.
Ensuite pour le cas spécifique du Burkina, on doit être capable de dépasser les divergences et soutenir nos Forces de défense et de sécurité qui luttent tous les jours et qui mettent leur vie en danger pour que nous soyons en sécurité.

On doit aussi encourager nos autorités politiques au nom de l’intérêt supérieur national, dans leurs actions contre les forces du mal. On a comme l’impression que les gens n’ont pas encore compris les implications du mot guerre, surtout son aspect asymétrique, et le rôle que chacun peut jouer à son niveau. Parfois, j’ai même l’impression que certains Burkinabè se réjouissent de ce qui arrive à leur pays. J’ai lu une interview du ministre Simon Compaoré, qui disait que si ce pays brûle, tout le monde sortira perdant.

Je partage largement son point de vue et j’espère que chaque Burkinabè puisse agir au nom de l’intérêt national comme on peut voir par exemple dans des pays comme l’Algérie, la France, les Etats-Unis post 11 septembre (attentats de 2001, ndlr) et le Rwanda post-génocide. Dans ces pays, tous les acteurs font front derrière les pouvoirs publics, lorsque le pays est attaqué.

Enfin, je profite de l’occasion que vous m’offrez pour informer l’opinion burkinabè que très prochainement, nous allons lancer, avec l’apport de l’aumônier militaire, Samuel Bandé, qui est investi auprès des familles des agents des Forces de défense et de sécurité, une initiative en faveur des familles de ces Forces, morts ou en etat de handicap suite aux actes terroristes.

Nous avons ouvert un ‘’compte patriote’’ dans une société bancaire de la place, destiné à venir en aide à ces familles. Quiconque le veut, peut y apporter sa contribution et l’argent sera entièrement reversé aux familles pour les soutenir. Normalement, le lancement doit se faire dans les deux semaines à venir et j’en dirai plus à cette occasion sur l’initiative, les modalités et les acteurs étatiques ou pas qui seront associés.

Interview réalisée par Oumar L. Ouédraogo
(oumarpro226@gmail.com)
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