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Gestion des catastrophes : « Le CONASUR ne peut pas renier sa vocation d’assister les victimes d’inondation », Felix Alexandre Sanfo

Publié le samedi 7 juillet 2018 à 14h00min

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Gestion des catastrophes : « Le CONASUR ne peut pas renier sa vocation d’assister les victimes d’inondation », Felix Alexandre Sanfo

Depuis quelques jours, la presse nationale et les réseaux sociaux se sont fait l’écho d’une lettre de madame le ministre de la Femme, de la Solidarité nationale et de la Famille, par ailleurs présidente du CONASUR. Dans cette lettre, Mme le ministre informe le maire de la commune de Ouagadougou que « le CONASUR n’interviendra pas dans les zones inondables dûment identifiées pour la gestion des mêmes situations ». Cette correspondance a suscité une polémique et donné lieu à plusieurs interprétations, y compris partisanes. Pour notre part, nous voulons, en tant que professionnel de l’action humanitaire et de la Réduction des risques de catastrophe (RRC), partager quelques éléments d’analyse.

Le contexte

Depuis plus d’une décennie, le Burkina Faso et la commune de Ouagadougou font face à une situation caractérisée par des inondations récurrentes devenues quasi-annuelles et donnant lieu à une assistance de la part du gouvernement à travers des institutions comme le CONASUR et la Direction générale de la protection civile (DGPC), avec les partenaires au développement.

En l’absence de mesures fortes en matière de réduction des risques d’inondations et, surtout, en raison de l’incivisme des populations (mauvais usage et mauvais entretien des caniveaux et canaux, installation et réinstallation dans les zones à risques), le gouvernement se retrouve à apporter une assistance répétitive aux habitants des mêmes zones.
Toutefois, si cette décision de madame la présidente du COANSUR peut être interprétée comme l’expression d’un ras-le-bol et l’affirmation d’une volonté de briser ce cercle vicieux, elle constitue un précédent lourd de conséquences et soulève davantage de problèmes qu’elle n’en résout…

La RRC a pour but d’éviter, d’atténuer ou de transférer les effets néfastes des risques actuels et futurs par le biais de mesures de prévention, d’atténuation, de préparation, de réponse et de relèvement, en lien avec le développement durable. La mise en œuvre de la RRC implique ainsi un rôle de coordination de l’activité de différents acteurs. Elle implique également une vision à long terme qui passe par l’intégration de certains principes dans la planification nationale et locale. Qui mieux que l’Etat (au sens wébérien du terme ), à travers ses démembrements et les collectivités, peut assurer ces fonctions ?

Les instruments internationaux

La communauté internationale confère aux Etats une responsabilité en matière de protection et d’assistance aux populations face aux catastrophes. Au titre des textes internationaux, on peut citer la résolution 2034 (XX) par laquelle l’Assemblée générale des Nations unies appelait les États membres à mettre en place les structures et les moyens appropriés en place pour assister leurs populations en cas de catastrophes.
Peut également être mentionné, le Rapport complet du secrétaire général qui porte sur l’« Assistance en cas de catastrophe naturelle » et qui a servi de base à la Résolution 2813 (XXVI) invitant les gouvernements à mettre en place les instruments appropriés pour la réponse aux catastrophes (y compris la prévention).

La Résolution 43/131 du 8 décembre 1988 quant à elle rappelle que c’est aux Etats qu’il incombe au premier chef de prendre soin des victimes de catastrophes naturelles et situations d’urgence du même ordre se produisant sur leurs territoires.
Cependant, les principales références en la matière ont été élaborées dans le cadre de la Stratégie internationale pour la prévention des catastrophes (SIPC).

Le premier cadre de référence au niveau global est le Cadre d’action de Hyōgo (CAH) 2005-2015 « pour des Nations et des collectivités résilientes face aux catastrophes », qui rappelait qu’« une volonté nationale et locale ferme est nécessaire pour protéger les vies et les moyens de subsistance contre la menace des aléas naturels » et qui appelle les pays à « mettre en place des politiques, des législations, des dispositifs organisationnels, des plans, des programmes et des projets pour intégrer la réduction des risques de catastrophe ».
La priorité 2 du Cadre d’action de Sendai (CAS) 2015-2030, adopté à la suite du CAH est intitulée « Renforcer la gouvernance des risques de catastrophe pour mieux les gérer », pour insister sur le lien entre RRC et gouvernance.

Au niveau continental et régional, l’Union africaine et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest se sont également dotés d’instruments en matière d’Action humanitaire de RRC aux fins d’orienter les actions des Etats membres. Il s’agit respectivement de la Stratégie régionale africaine pour la RRC de 2004 et de la Politique de la CEDEAO sur la RRC adopté de 2006 et de son Plan d’action adopté en 2012.

Le cadre institutionnel, législatif et règlementaire national

La création du Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR), en tant que plateforme nationale pour la RRC, témoigne de la volonté politique d’appliquer les recommandations de la communauté internationale. Le CONASUR « a pour mission de travailler à la prévention des catastrophes, de gérer les secours d’urgence et de réhabilitation ».
Le CONASUR est une structure pérenne à « vocation sociale et humanitaire », « une instance de coordination et d’orientation dans le domaine de la prévention des catastrophes, de la gestion des secours d’urgence et de la réhabilitation ». A ce titre, le CONASUR ne peut donc pas renier sa vocation humanitaire en refusant d’assister les victimes d’inondation…

Le Burkina Faso a, par ailleurs, élaboré et adopté des textes qui clarifient les rôles et les responsabilités en matière de gestion des risques de catastrophes, comme la loi n° 012-2014/AN du 22 avril 2014 portant loi d’orientation relative à la prévention et à la gestion des risques, des crises humanitaires et des catastrophes.
Cette loi dispose que « la structure nationale en matière de prévention et de gestion des risques, des crises humanitaires et des catastrophes, relevant du ministère en charge de l’action sociale, procède dans le cadre des plans nationaux de prévention et de gestion des risques, des crises humanitaires et des catastrophes, à l’organisation de l’assistance humanitaire au profit des personnes sinistrées par une catastrophe.

Toute personne physique affectée par une catastrophe bénéficie d’une assistance humanitaire, sans distinction de nationalité, d’appartenance ethnique, politique, religieuse, culturelle, sociale, de genre ou de toute autre considération » La loi prévoit, pour le cas particulier des risques d’inondation, plusieurs mesures spécifiques de prévention (articles 28 à 33) qui relèvent de la responsabilité de l’Etat, des communes ainsi que de l’administration et du ministère en charge de l’eau.

La loi 012-2014 définit clairement les responsabilités des autorités en matière d’identification, d’information et de sensibilisation au respect des zones à risque, avant de préciser les mesures applicables en vue d’ « empêcher l’installation ou la réinstallation de populations dans de telles zones », et les conditions pour les opérations d’expropriation, de déguerpissement et d’indemnisation.

Malheureusement, nonobstant son importance, cette loi promulguée par le décret Nº 2014-466/PRES attend toujours l’adoption des textes d’application, ce qui diffère sa mise en œuvre. Néanmoins, le ministère en charge de l’action sociale et le CONASUR disposent, dans le cadre de leurs activités habituelles, d’autres instruments administratifs et règlementaires pour mettre en œuvre des actions pour la lutte contre les risques d’inondation.

En effet, ce ministère possède une Politique nationale d’action sociale (PNAS) dont l’ambition est de créer les conditions nécessaires pour la promotion du concept de « sécurité humaine ». La PNAS énonce des principes de base, des décisions et des actions en matière d’action sociale au et intègre la problématique de la RRC .
Elle prévoit par exemple le « renforcement des mécanismes de prévention et de gestion des catastrophes et des crises humanitaires » à travers la mise en place d’un système d’alerte précoce, le renforcement du mécanisme de coordination et la mise en œuvre de programmes en faveur des personnes victimes de catastrophes ou de crises humanitaires.

Enfin, le Burkina Faso s’est également doté d’une Stratégie nationale de gestion des risques et des catastrophes assortie d’un Plan d’action de mise en œuvre, d’une Politique nationale de protection civile, d’un Plan d’action national pour le renforcement des capacités pour la réduction des risques et la préparation à la réponse aux urgences au Burkina Faso pour la période 2016-2020, etc.

La décision de Mme le ministre peut-elle se justifier face à l’existence de ce dispositif ? Cette décision a-t-elle été précédée par des actions pertinentes de communication pour un changement de comportement envers le risque d’inondation ? La réponse à ces questions est assurément non.

Le Burkina Faso dispose, en somme, d’un cadre législatif, règlementaire et administratif ainsi que de documents de politique suffisamment clairs et adaptés en matière de gestion des risques de catastrophes. Cependant, c’est l’application de ces textes, surtout en matière de prévention et d’atténuation, qui constitue le ventre mou.

Au fait, il s’agit d’un problème de gouvernance, car cela touche aux conditions de la mise en œuvre des instruments internationaux, de la législation et de la règlementation nationale. Le problème réel réside en l’incapacité de concevoir la Réduction des risques de catastrophes non pas uniquement comme un impératif humanitaire immédiat, mais comme un défi pour le développement.

Le problème réel réside en l’incapacité de mettre en application les directives, recommandations et les priorités identifiées dans les différents instruments. Le problème réel réside en l’incapacité d’analyser les risques d’inondation comme un problème global exigeant plus que des réponses partielles. Le problème réel réside en l’incapacité de mettre en œuvre une vision de long terme à travers l’intégration de la RRC dans les politiques publiques et sectorielles, les programmes et les plans de développement.

Pistes de solutions

Les solutions à la récurrence des inondations et au non-respect de la législation sur les zones à risques doivent être recherchées ailleurs, à travers une meilleure gouvernance des risques qui passe d’abord et surtout par l’érection de la RRC comme une priorité nationale. Des pistes de solution doivent être recherchées dans les mesures structurelles et non structurelles d’atténuation des risques.
Les mesures structurelles pourraient par notamment consister : 1).
au renforcement du réseau des canaux de drainage des eaux pluviales de Ouagadougou ; 2). au curage des barrages urbains de la ville de Ouagadougou ; 3). en l’exécution diligente de la 3e phase du projet d’aménagement de l’exutoire à l’intérieur et en aval du parc Bangr-Weogo ; 4). en construction le cas échéant de digues le long des barrages urbains, etc.

De manière complémentaire, les mesures non structurelles comprendraient : 1). le renforcement des activités de formation, d’information, d’éducation et de sensibilisation sur les risques ; 2). le respect des textes en matière d’aménagement du territoire, en particulier le Schéma Directeur d’aménagement du Grand Ouaga (SDAGO) et le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) ; 3). la mise en place d’un système d’alerte précoce des inondations ; 4). l’application stricte de la législation sur les zones à risque ; 5).

Le renforcement des capacités techniques et financières du CONASUR et de la DGPC en attendant la mise en place de l’agence humanitaire unique ; 6). la négociation avec le secteur privé de la mise en place les polices d’assurance accessibles contre les dégâts des eaux comme mesures de transfert des risques ; etc.

Enfin, le gouvernement devrait organiser dans les meilleurs délais un forum pluridisciplinaire et multisectoriel sur la problématique des inondations récurrentes, au cours duquel ces questions pourront être discutées avec toutes les parties prenantes.

En définitive, la décision de Mme le ministre, présidente du CONASUR, n’est pas acceptable car elle est incompatible avec l’esprit et la lettre des instruments internationaux et nationaux en matière de RRC. Les autorités doivent plutôt mettre l’accent sur une réelle prise de conscience à propos de l’importance de la RRC et sur la gouvernance des risques aux niveaux national et local.
Face à l’importance du sujet pour un pays comme le Burkina Faso, son Excellence Monsieur le Président du Faso est interpelé, lui qui avait contracté un engagement personnel en signant le 3 novembre 2015 le Pacte sur la réduction des risques de catastrophe et qui avait promis d’en faire une de ses priorités…

Felix Alexandre Sanfo
Consultant en Action Humanitaire et
Réduction des Risques de Catastrophe

Chevalier de l’Ordre National

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Vos commentaires

  • Le 8 juillet 2018 à 07:37, par mal gouvernance En réponse à : Gestion des catastrophes : « Le CONASUR ne peut pas renier sa vocation d’assister les victimes d’inondation », Felix Alexandre Sanfo

    Sur le fond, on est d’accord mais c’est à vous d’interpeller le gouvernement sur sa mal gouvernance en lien avec votre travail. Il n’est pas acceptable que les sinistrés aidés reviennent chaque année comme les criquets pour quémander ! c’est ni ni moins un gaspillage des maigres ressources disponibles pour soutenir les nécessiteux... Soit la forme de la décision de la ministre pose question mais vous ne posez pas la bonne pour prévenir cette année. Est-ce qu’il n’est pas mieux d’accompagner le gouvernement dès maintenant pour les déloger définitivement et les aider à s’installer ou se réinstaller définitivement là où ils devaient être depuis plusieurs années ? au final, on aura fait coup double : plus personne dans ces zones à risque, et, si demain, vous avez une pluie exceptionnelle vous aurez éviter la mort de dizaine voire centaines de personnes.

  • Le 9 juillet 2018 à 09:14, par HUG En réponse à : Gestion des catastrophes : « Le CONASUR ne peut pas renier sa vocation d’assister les victimes d’inondation », Felix Alexandre Sanfo

    Que disent les techniciens du CONASUR (administrateur des affaires sociales,.............). Voyez vous il faut avoir souvent le courage de dire la vérité.

  • Le 9 juillet 2018 à 09:48, par HUG En réponse à : Gestion des catastrophes : « Le CONASUR ne peut pas renier sa vocation d’assister les victimes d’inondation », Felix Alexandre Sanfo

    Que disent les techniciens du CONASUR (administrateur des affaires sociales,.............). Voyez vous il faut avoir souvent le courage de dire la vérité.

  • Le 9 juillet 2018 à 10:19, par HUG En réponse à : Gestion des catastrophes : « Le CONASUR ne peut pas renier sa vocation d’assister les victimes d’inondation », Felix Alexandre Sanfo

    J’avais dit sur cette même tribune de fasonet que quel qu’en soit le comportement d’un Homme il a droit à l’assistance. j’avais dit aussi que le travail social est un sacerdoce et que toute personne a droit à l’assistance. certains avaient eu des mots très durs contre ceux qui défendait cette position. J’avais dit que la ministre avait raison car il n’est pas technicien mais que ceux savaient n’avaient pas le courage de lui dire la vérité car il y avait leur gombo. Voyez vous le Burkina Faso est un pays démocratique. Voici le point de vue d’un expert en la matière. Qu’en dites vous ?

  • Le 9 juillet 2018 à 11:36, par tiibo En réponse à : Gestion des catastrophes : « Le CONASUR ne peut pas renier sa vocation d’assister les victimes d’inondation », Felix Alexandre Sanfo

    J’ose croire que ce sont des nouveaux sinistrés qui demandent de l’aide. C’est ca le hic avec l’Etat , en 2009 des gens ont été attributaires de terrains et même ont bénéficié d’une aide financière afin de s’y installer, il aurait fallu qu’en même temps que ces attributions se faisaient que l’Etat donne un délais pour les déguerpir afin de raser définitivement ces zones, chose qui n’a pas été faite. Il aurait égalema fallu l’interdiction formelle de vente des parcelles attribuées sous peine de sanctions , chose qui n’a pas été faite non plus. Conséquences l’autorité de l’Etat est défié et mieux encore on lui demande un secours. En toute hônnétété comment peut on aider des gens comme ca ?

  • Le 9 juillet 2018 à 12:18, par ALASSANE En réponse à : Gestion des catastrophes : « Le CONASUR ne peut pas renier sa vocation d’assister les victimes d’inondation », Felix Alexandre Sanfo

    Ces sinistrés sont comme tout le monde, cherchant à vivre abusivement au crochet de l’Etat quand l’occasion se présente, notre Mère à tous. On ne peut pas les en vouloir, car ils ne sont pas pires que : le fonctionnaire qui n’ arrête pas de détourner les biens de l’Etat, qui cumule des postes pour avoir plusieurs salaires ou qui bénéficie de fonds communs abusivement ; le commerçant qui ne paie pas ses impôts bref... la liste est longue. Le gouvernement a tout le pouvoir pour empêcher l’occupation des zones inondables, s’il ne le fait pas par incompétence ou pour d’autres raisons et que la catastrophe arrive, Madame le Ministre vous avez l’obligation au nom de l humanité et de la solidarité de les assister. Publier une telle lettre dans certains pays vaut une démission car c’est un raté irréparrable. Posez vous la question, pourquoi les migrants sont toujours secourus au niveau des cotes occidentales malgré les multiples avertissements et blocages pour les empêcher d’arriver ??? C’ est tout cela le sous développement, c’est occupé des postes et des missions dont on ne connait ni le sens ni la vision. Dieu protège le Burkina !

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