LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Entreprises : "Il y a des fraudes qui confinent au crime"

Publié le mercredi 6 juillet 2005 à 08h05min

PARTAGER :                          

Après six mois d’exercice effectif, où en est la Direction des grandes entreprises (D.G.E.) censée être le poumon des recettes fiscales ? Le Directeur général des impôts (D.G.I.), M. Paténèma Kalmogo, répond dans l’interview qu’il nous a accordée le vendredi 1er juillet 2005. Il revient également sur le projet de recensement fiscal et parle longuement de la fraude qui serait devenue un véritable sport national.

Monsieur le D.G.I., rappelez-nous les raisons qui avaient présidé à l’érection de la Direction des grandes entreprises (D.G.E)

• La Direction de grandes entreprises a été érigée pour sécuriser les paiements des gros contribuables. Par la suite une autre mission qui en a découlé, c’est l’élargissement de l’assiette fiscale parce qu’à partir de ces gros porteurs, il nous est loisible de connaître tous ceux qui travaillent avec eux, leurs fournisseurs comme leurs clients. La DGE obéit donc à un double but.

A partir de quand a-t-elle commencé vraiment à fonctionner et avec combien d’agents ?

• Elle a véritablement commencé à fonctionner en septembre 2004 avec quelque 70 agents et un portefeuille de 470 contribuables.

Un peu moins d’un an plus tard, quel premier bilan peut-on en tirer ?

• il faut en fait parler de semestre, car entre septembre et décembre 2004, il y a eu un flottement, certains services ayant continué à recouvrer les recettes qui étaient désormais du ressort de la D.G.E. Mais à partir de janvier 2005, le transfert a été effectif et en 6 mois d’exercice la D.G.E. a recouvré 80 172 810 025 FCFA pour le budget national et 1 057 850 618 francs pour les collectivités locales.

Ça représente quel pourcentage du total de vos recouvrements ?

• Environ 80% du recouvrement de l’ensemble des services de la D.G.I. et nous nous situons dans la moyenne des D.G.E. des autres pays de la sous-region.

Avec cette poule aux œufs d’or, doit-on comprendre que les autres divisions fiscales comptent désormais pour quantités négligeables ?

• Non, pas du tout, car pour nous aucune recette n’est négligeable et quel que soit le montant de la contribution, c’est très important. Vous savez c’est comparable aux événements familiaux, heureux ou malheureux. Quand quelqu’un vous apporte son écot, vous ne faites pas forcément attention au montant mais à l’effort consenti par la personne. Vous pouvez ainsi apprécier plus un don de 100 francs qu’un autre de 5000 ou plus.

En plus de "sécuriser les paiements des contribuables" comme vous le disiez tantôt, la création de ce poumon fiscal n’a-t-il pas aussi pour objectif de "sécuriser" les recettes fiscales de l’Etat ?

• Tout à fait. Il ne faut pas se voiler la face, car une structure comme la D.G.E. permet de sécuriser l’essentiel des recettes. Vous conviendrez avec moi que c’est quand même mieux d’avoir 80% des contributions en un seul endroit et de mieux suivre ces contribuables-là.

Avez-vous aujourd’hui un feed-back des premiers concernés ?

• Au début il y’ avait quelques appréhensions surtout de la part de ceux qui n’étaient pas domiciliés à Ouaga, car ils estimaient que ce serait pour eux une charge supplémentaire s’ils devaient se rendre dans la capitale. Certains même avaient pensé qu’on dépouillait leur ville de ses recettes pour venir améliorer Ouaga. Fort heureusement, toutes ces inquiétudes se sont dissipées et les gens ont fini par comprendre que la création de la D.G.E. participe de la fourniture d’un service de qualité aux contribuables. Quand vous êtes élu à la D.G.E., vous ne faites plus la queue comme tout le monde.

Cela ne va pas empêcher ces gros porteurs de penser qu’on les a rassemblés dans un même espace pour mieux les presser.

• Que non ! Dites-vous que le deuxième objectif assigné à la D.G.E, à savoir fournir beaucoup plus d’informations aux partenaires, aux co-contractants de ces entreprises, doit permettre d’élargir l’assiette. Et dans ce cas, les premiers bénéficiaires, c’est ceux qui payaient déjà. Si vous êtes seul à payer, vous supportez naturellement plus le poids de l’impôt. C’est une simple loi de la physique qui veut que plus l’assiette est large, moins la pression est forte et vice versa. C’est la même chose pour la pression fiscale. Si nous avons une base de contribuables très étendue, il sera plus facile de réduire les taux pour que ceux qui casquaient déjà puissent souffler un peu.

Y a-t-il tout de même des réglages supplémentaires à faire pour rendre la D.G.E encore plus efficiente ?

• En fait, les premiers mois de l’existence de la D.G.E ont été consacrés à ces réglages-là. Au niveau du service d’assiette, il y a eu ainsi l’élaboration d’un guide des tâches. A la brigade des vérifications, ils ont procédé à l’élaboration d’un manuel de procédures. Tous ces instruments permettent aux agents de travailler convenablement, de savoir dans quelle direction ils vont et cela a commencé à donner des résultats.

Au titre de 2005, qu’est-ce que l’Etat attend de la D.G.E et où en est-on à mi -parcours ?

• Pour 2005, il a été assigné à la D.G.I. des objectifs de recouvrement de 203 milliards. Il faut dire que c’est un objectif ambitieux parce qu’on enregistre tout de même une hausse de 27% par rapport à 2004. Au point que nos collègues de la sous-région nous chahutent parfois, se demandant si le Burkina n’aurait pas par hasard découvert du pétrole. A mi-parcours, fin juin donc, nous sommes à 97 milliards. On aurait dû être à 100 - 103 milliards mais rien n’est encore perdu et nous nous battons jour après jour pour relever ce défi.

Hier c’était la D.G.E, aujourd’hui quels sont vos nouveaux chantiers ?

• C’est l’informatisation et le recensement fiscal qui concourent en réalité au même but, à savoir l’élargissement de l’assiette et sa maîtrise. Pour l’informatisation, nous avons adopté depuis le 31 mars 2005, un nouvel identifiant fiscal unique, qu’on peut abréger en N.I.F.U, et je pense que d’ici fin décembre 2005, tous les contribuables déjà identifiés vont faire l’objet d’une réimmatriculation avec un numéro de 9 chiffres, ce qui nous permettra de faire au moins 50 ans sans être saturé.

Maintenant pour ce qui concerne le recensement, il faut dire que c’était une tâche habituelle de l’administration fiscale mais qui a été abandonnée depuis une bonne décennie surtout dans les grands centres urbains comme Ouaga et Bobo.

Or, un service des impôts qui ne recense pas ne peut pas connaître son potentiel fiscal. Nous avons donc décidé de reprendre l’activité et de l’inscrire comme une activité permanente. Nous allons recommencer en 2005, et chaque année, on fera le recensement fiscal. Et pour donner toutes ses chances à l’opération, nous avons mis sur pied une commission qui nous a proposé une méthodologie, laquelle a été validée lors d’un atelier tenu les 17 et 18 juin 2005. Je pense que nous disposons maintenant d’un bon document de travail.

Concrètement, comment cela va-t-il se passer sur le terrain ?

• Il s’agit d’un recensement topographique qui va se faire de porte en porte. Les agents recenseurs vont donc se présenter devant toutes les parcelles, en connaître le propriétaire, les occupants et les activités qui s’y mènent :

Quelle garantie avez-vous prise pour que les occupants des parcelles recensées jouent franc-jeu.

• Il faut avouer que nous avons quand même quelques appréhensions. C’est, ne l’oublions pas, une opération qui avait été interrompue depuis dix ans de sorte que beaucoup de contribuables ne savent pas ce que c’est.

Nous comptons de ce fait beaucoup sur les hommes de médias pour informer le public parce que l’incompréhension est souvent source de difficultés. Il s’agit après tout d’aboutir, à terme, à l’élargissement de l’assiette fiscale pour donner plus de moyens à l’Etat et aux collectivités. Si on le comprend ainsi, notre tâche n’en sera que plus facilitée.

Notre requête va également à l’endroit des élus locaux qui vivent au quotidien avec les populations et qui sont leurs représentants au sein des conseils municipaux. Il faut donc qu’ils s’impliquent dans la sensibilisation car sans ressource, le conseil municipal ne pourra rien faire.

Il importe donc qu’ils s’investissent dans la sensibilisation et que, de temps à autre, ils montrent les réalisations qui ont été faites grâce aux impôts locaux et qu’ils indiquent les projets qui attendent les contributions pour voir le jour. Les élus nationaux sont également interpellés puisque c’est eux qui votent la loi, mandatés qu’ils sont par les populations. Et c’est fort de ce mandat qu’ils consentent l’impôt.

Pour ce qui est des autorités administratives et politiques, nous avons déjà leur soutien mais on ne se lassera pas d’insister.

Ce que nous pouvons demander aux gouverneurs, hauts-commissaires et autres, c’est que nos services soient épargnés de certaines cérémonies protocolaires et que nos véhicules ne soient pas réquisitionnés pour telle ou telle sortie car ce faisant, on nous handicape du même coup. On ne peut avoir l’argent et les honneurs en même temps. Et si nous les accompagnons sur le terrain, quelque part, les recouvrements vont en pâtir.

Combien de temps cela va-t-il prendre et combien de personnes seront mobilisées à cette fin ?

• Nous pensons boucler l’opération en 6 mois, de début octobre à fin mars, pour tenir compte de la période de la chaleur. Seront mobilisés 280 agents contractuels, soit 200 à Ouaga et 80 à Bobo, sans compter nos propres agents qui vont s’impliquer.

Commencer un recensement fiscal à une période d’agitation électorale, est-ce politiquement opportun ?

• C’est justement toute la difficulté de notre métier dans la mesure où les actions peuvent ne pas être comprises ou même quand elles le sont, il y a toujours des gens qui cherchent le pouvoir par tous les moyens et qui peuvent, de ce fait, induire des honnêtes citoyens en erreur. C’est pour toutes ces raisons que nous allons être prudents, le mois d’octobre et début novembre devant être consacrés à la préparation, à la formation, à la sensibilisation. Pour éviter qu’il y ait des amalgames entre les actions de la D.G.I et les échéances politiques.

On entend beaucoup parler de la D.G.I ces derniers temps. Quel genre d’opération avez-vous entreprise pour ainsi mettre la ville sans dessus-dessous ?

• Effectivement, depuis peu, nous sommes allés à la chasse aux fraudeurs, notamment dans le domaine des faux enregistrements de marchés . Quand vous obtenez un marché, vous devez vous présenter à nos services pour payer 3% du montant du marché. Mais il y a toujours de petits malins qui veulent avoir tout.

Et dès qu’ils voient le marché, ils voient des spécialistes en ville qui leur délivrent les mêmes formalités, cachets à l’appui, etc., moyennant bien sûr rémunération. Depuis deux ans, nous avons averti les gens mais quand ils n’ont pas vu, il y en a qui ne croient pas. Car malgré nos avertissements, le phénomène a pris de l’ampleur. Nous avons donc commencé à sévir. Tenez, dans une petite structure de la place, sur 75 marchés et lettres de commandes passés en 2004, 25 étaient l’objet de faux enregistrements, soit un bon tiers.

Le rouleau compresseur de la D.G.I est donc en train de passer sur les structures qui passent des marchés. Il a suffi de cela pour que certains fraudeurs prennent attache avec nous, pour nous dire qu’ils ont été trompés, qu’ils ont été abusés et que, si on voulait, ils pouvaient même nous amener les contrefacteurs. A tous nous répondons ceci : "tant qu’il ne s’agit pas de nos agents, ils ne nous intéressent pas". Nous calculons tout simplement nos droits avec les pénalités de rigueur : les droits d’enregistrement avec 100% de pénalités, l’impôt sur les bénéfices avec 100% de pénalités et la TVA avec 200% de pénalités. Si cela fait leur affaire, ils peuvent continuer. Maintenant, s’ils veulent, ils peuvent déposer plainte contre ces contrefacteurs et nous nous porterons partie civile.

Vos agents ne se rendent-ils pas quelquefois coupables de telles situations ?

• Dans une maison aussi grande que la D.G.I, il peut y avoir des agents indélicats, j’en conviens. Mais nous avons clairement indiqué que si on nous donnait le nom d’un seul agent, nous effacerions les pénalités et nous nous retournerions contre lui, sans pitié. Mais je sais que nos agents ne sont pas mêlés dans les cas dont il est question. Car vu la sévérité de la sanction, certains se seraient empressés de les dénoncer. Vous savez, la fraude est devenue un véritable sport national, une véritable industrie au Burkina. Si on devait faire un inventaire des types de fraudes que nous rencontrons, toute la matinée ne suffirait pas.

Donnez-nous quand même quelques types en plus des faux enregistrements.

• Aujourd’hui par exemple si vous voulez une facture de n’importe quel montant, il y en a qui vous le font séance tenante, moyennant, je crois, une commission de 10% à ce qu’on dit, sur le montant de la facture sur laquelle on déduit la TVA, les charges...

Nous avons pris des dispositions mais lors de nos contrôles, certains ont le culot de nous dire qu’ils ne peuvent pas retrouver la personne qui leur à fait la facture. J’ai ainsi un cas, révélateur qui n’est en fait pas isolé, d’achats de 30, 40, 50 millions effectués dans la zone commerciale de Ouaga en 2003 et un an plus tard, l’acheteur était incapable de localiser le vendeur. Et si c’était des marchandises volées ? Dans ce cas, ou il est receleur, ou il est le voleur même.

Il y a aussi ceux qui déduisent des factures plusieurs fois en comptant sur le manque de vigilance de nos services.

Il y a ceux qui déduisent la TVA sur des opérations d’importations alors qu’ils ne les ont pas acquittées. Or la loi est claire : pour déduire une TVA à l’importation, il faut l’avoir payée. Il y a ceux qui soustraient carrément les marchés de la déclaration TVA, BIC, BNC...

A vous entendre tous les contribuables sont des fraudeurs en puissance.

• Fort heureusement non, sinon nous n’aurions pas atteint les performances qui sont les nôtres aujourd’hui. Il faut savoir que dans la sous-région, notre administration fiscale est reconnue comme étant l’une des plus performantes. Quand je regarde ce qui se passe autour de nous, je félicite chaque fois mes collaborateurs et les agents pour le travail qui est abattu dans l’adversité. Et il y a des contribuables sérieux, qui sont un exemple de civisme et c’est eux aussi qui nous donnent des raisons d’espérer.

Sans trop trahir vos secrets, de quels moyens techniques ou autres disposez-vous pour traquer les fraudeurs ?

• Nous avons tous les moyens ; en tout cas la loi nous en donne beaucoup. Il y a les éléments de recoupement et en dehors du secret défense et du secret médical, aucune objection ne peut nous être opposée.

Pas même le secret bancaire ?

• Si nous voulons tous les comptes de X, la banque ne peut que s’exécuter. Si nous avons besoin des mouvements des comptes de Y, la banque ne peut que s’y plier. Si fait que nous avons des possibilités énormes pour collecter et recouper toutes les informations que nous voulons, que ce soit à la banque, à la douane... Sans oublier les informations que nous possédons dans nos propres services.

Si on déduit la TVA ici, nous partons d’une règle simple qui veut que ce qui est charge ici est produit quelque part. Il y a également que les gens parlent beaucoup et il nous arrive de tomber sur des gens qui dissertent en public de certaines affaires. Nous notons alors discrètement et après on vérifie.

Il semble que vos relations ne soient pas au beau fixe avec la douane qui accepterait parfois des déclarations fantaisistes sans commune mesure avec la réalité des affaires.

• Non, nous n’avons pas de problèmes avec la douane. Elle fait son travail, les impôts font le leur. Ce sont les commerçants qui se font souvent prendre à leur propre jeu. Quand vous achetez des postes téléviseurs en couleur, comme je l’ai déjà vu, et que vous déclarez l’unité à 2800 francs CFA, lors de nos contrôles, nous évaluons le coût de revient de ce téléviseur, soit 2800 + les droits de douane y afférents + les frais de transit et nous comparons au prix de vente.

Et si ce téléviseur est revendu à 175 000, vous voyez la marge ! Donc ils pensent gagner avec la douane, mais ils perdent toujours au finish avec les impôts. Nous ne serions même pas mécontents qu’ils déclarent 0 franc à la douane, ça nous ferait 100% de marge, avec toutes les conséquences. Nous n’avons donc pas de problème avec la douane.

Vous avez donc aujourd’hui tous les moyens pour savoir qui fraude et qui ne fraude pas ?

• En tout cas, nous avons une étendue de moyens. On peut même dire qu’à quelque chose malheur est bon, car le 11-Septembre est venu arranger les choses dans la mesure où les transferts sur le plan international sont désormais scrupuleusement bien réglementés. Vous ne pouvez plus transférer des fonds à l’étranger sans des justifications sérieuses. De sorte que si nous devons contrôler un importateur par exemple, nous pouvons disposer auprès de sa banque de l’état de ses transferts internationaux. On compare alors et le plus souvent, pour ne pas dire toujours, c’est le jour et la nuit entre ce qui a été déclaré et ce qui a été transféré. On a ainsi des cas où la différence atteint 800 millions de FCFA pour une seule année.

Qu’est-ce que vous faites alors ?

• On fait les redressements qui s’imposent puisque ce sont des chiffres d’affaires non déclarés.

On entend aussi parler quelquefois de fraudes sur les salaires. Comment ça se passe ?

• Ça consiste à la minoration de la base imposable ou à la non-déclaration d’avantages en nature dont jouissent de nombreux cadres d’entreprises, tels le logement, la voiture, le téléphone, l’électricité, etc., qui sont pourtant des éléments du salaire imposable.

On comprend mieux pourquoi tout le monde se plaint des impôts parce que vous êtes de véritables inquisiteurs. Etes-vous conscient de l’image détestable que vous avez dans l’opinion ?

• Qu’est-ce que vous voulez ? Dans une société il faut du tout, notamment des gens pour faire le sale boulot. Quand j’étais au village, j’avais un oncle qui était fossoyeur et toutes les fois qu’il enterrait un mort, pendant une bonne semaine, j’avais un haut le cœur quand je mangeais avec lui. Mais lorsque j’ai grandi, j’ai compris que tout fossoyeur qu’il était, il était utile à la société.

C’est la même chose pour les impôts. Nous savons que nous ne sommes pas aimés, mais il faut bien que quelqu’un fasse ce travail qui est à la fois ingrat et noble, puisque c’est l’intérêt général qui nous guide. D’ailleurs, la plupart de nos pourfendeurs sont les premiers bénéficiaires de notre action. Ils ont donc tout intérêt à nous comprendre, à nous aider. Nous savons que c’est difficile de payer, on ne le fait jamais de gaieté de cœur, mais les impôts sont un mal nécessaire.

Il m’arrive d’entendre certains se plaindre en ces termes : "J’ai beaucoup fait pour ce pays... Je ne mérite pas que les impôts troublent mon sommeil... et patati et patata".

Mais entre nous, est-ce qu’on a besoin de clamer sur tous les toits qu’on a beaucoup fait pour sa mère ou pour son père, car le pays c’est notre patrie ? Après tout, si vous avez beaucoup fait pour ce pays, en retour vous lui devez tout, sauf à ne pas se considérer comme un de ses fils. Nous comprenons le contribuable, car dès qu’il est pris, c’est comme un poisson au bout de l’hameçon.

Il s’agite beaucoup puis il finit par comprendre qu’il est bien pris et il n’a pas autre chose à faire que de suivre la ligne. Et quand vous tirez, il suit docilement. C’est la typologie des contribuables. Il est vrai que quand tu reçois une notification de 100 ou 500 millions, comme ça peut arriver, tu ne peux que t’agiter. Mais il faut comprendre que nous faisons notre boulot. En vérité, la plupart du temps, les gens ne veulent pas nous communiquer tout de suite les informations. Ce qui nous oblige à faire une évaluation d’office.

On s’est laissé dire que vous subissez souvent des pressions venant "d’en haut" dans la mesure où les opérateurs économiques et les hommes d’affaires de premier plan ont partie liée avec les premiers responsables de l’Etat.

• Nous ne le sentons pas. Quand nous avons affaire à un contribuable, nous ne cherchons même pas à savoir qui est devant lui ou qui est derrière lui. C’est un contribuable, un point un trait. Dieu merci, à ce jour, aucun de mes supérieurs n’est jamais intervenu pour demander de lever le pied ici ou là. Je sais que nos responsables sont conscients qu’il n’y a pas d’autre solution que de mettre les contribuables à contribution et sur le même pied d’égalité devant la Loi fiscale. Autrement nous serions tous perdus.

Avez-vous un message particulier à l’endroit des contribuables, en l’occurrence des opérateurs économiques ?

• Tout ce que nous leur demandons, c’est beaucoup de compréhension. Il nous est par exemple revenu que le but du recensement fiscal est d’augmenter la pression fiscale. C’est à la fois vrai et faux.

Vrai parce que cette opération va nous permettre de découvrir de nouveaux contribuables qui ne payaient pas ou d’autres qui étaient connus, mais qui déboursaient beaucoup moins que ce qu’ils devraient. Pour ces gens, c’est forcément une pression fiscale qui s’augmente.

Mais quand nous aurons fait le tour et que notre potentiel fiscal sera plus important, on pourrait baisser les taux et ceux qui casquaient normalement vont ressentir une certaine baisse de la pression.

Nous sommes ouverts à la critique, aux propositions parce que sur le terrain tout n’est pas parfait et nous travaillons tous les jours à corriger nos défauts ; mais nous disons qu’il faut éviter de tronquer les informations, du genre : "les agents passent 5 mois dans l’entreprise, ils font des redressements farfelus, etc.".

En fait, du premier au dernier jour de nos interventions, souvent ça peut faire effectivement cinq mois. Mais quand nous demandons une information à l’entreprise, qui met trois semaines pour nous la fournir, pendant ces 3 semaines nous ne venons pas nous asseoir là-bas.

Pour éviter d’ailleurs ces querelles stériles, nous avons pris des dispositions pour pointer les jours effectifs de travail dans les sociétés. Ça va sans doute apporter plus de transparence à nos interventions.

Souvent, nos contempteurs ne voient même pas loin. Quand on prend l’exemple des faux enregistrements que nous traquons en ce moment, ce qu’il faut comprendre, c’est que les coupables faussent la concurrence dans la mesure où quelqu’un qui soumissionne à un marché et qui sait qu’il va faire un faux enregistrement, qu’il ne va pas payer la TVA, l’impôt sur les bénéfices, etc., peut casser les prix, ce que son concurrent honnête ne peut se permettre.

Tout le monde a donc intérêt à nous soutenir, et je n’ai jamais vu un pays qui s’est construit sur du faux. Vous voyez des gens en ville, on ne sait pas exactement ce qu’ils font ou des dirigeants d’entreprise qui ont à peine quelques années d’existence et qui roulent carrosse. Mais comment de grosses fortunes peuvent être bâties en si peu de temps si ce n’est sur du faux.

Vous n’êtes pas loin de prôner le "délit d’apparence" si cher au député Laurent Bado.

• Mais ce n’est pas nouveau. Chez nous on appelle cela "les signes extérieurs de richesse" et nous sommes en train de réfléchir à une disposition législative qui nous permettrait de mieux imposer quelqu’un selon ses signes extérieurs de richesse.

Vous avez parfois le sentiment que ceux qui crient le plus à la pression fiscale sont aussi souvent les plus grands fraudeurs fiscaux ?

• Il s’en trouve effectivement qui crient beaucoup, mais quand je regarde leurs dossiers, je suis souvent déçu. Vous savez, il y a des fraudes qui s’apparentent à des crimes. Quand une fraude fiscale va chercher dans le milliard, pour le Burkina, il n’y a pas d’autre mot que crime pour la qualifier. Malheureusement nous voyons ce genre de cas. Certains prétendent qu’ils ne savaient pas, ils viennent clamer leur bonne foi et pourtant ils continuent dans leur lancée. C’est pour moi l’occasion de rendre hommage à mes agents qui, chaque jour que Dieu fait, dans les bureaux ou sur le terrain, essuient injures, diffamations, calomnies, menaces de mort, mais notre seule chance c’est que nous sommes sur le bon chemin puisque nous travaillons dans l’intérêt de tous. Nous sommes rigoureux avec nous-mêmes et c’est ce qui nous sauve.

Entretien réalisé par Ousséni Ilboudo
L’Observateur

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique