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Enjeux des élections 2005-2006 : le message des évêques du Burkina Faso

Publié le mercredi 6 juillet 2005 à 07h43min

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Frères et sœurs dans le Christ, et vous tous hommes et femmes de bonne volonté,

“Que la grâce et la paix vous soient données en abondance de la part de Dieu le Père et de son fils Jésus-Christ notre Seigneur” !

1 - INTRODUCTION : OBJET DE NOTRE MESSAGE

De Ouagadougou où nous nous sommes réunis en Assemblée plénière, nous, Evêques, nous voulons vous adresser en plus de nos salutations fraternelles et cordiales, un message qui nous tient à cœur.

Nous avons pensé en effet que dans la perspective des futures élections que notre pays se prépare à vivre, il était de note devoir, en tant que pasteurs de vos âmes de nous entretenir avec vous sur un événement si important pour l’avenir de notre Nation. Notre désir est de vous aider à repérer des pistes de réflexion, des critères de jugements et des directives d’action, à la lumière de la Parole de Dieu et de la doctrine sociale de l’Eglise.

2 - CONTEXTE DU MESSAGE

Depuis le début de l’année 2005, les moyens de communication sociale nous ont rendu compte des nombreux événements socio-politiques qui se sont succédés comme en chaîne sur le continent. Nous avons pu tirer de bonnes leçons de la manière dont les pays concernés ont géré les situations qui se sont imposées à eux. En considérant la situation de bons nombres de ces pays, nous pouvons et nous devons même nous nourrir d’espérance et de confiance pour notre pays, le Burkina Faso.

Dans quelques mois notre pays va vivre des consultations populaires en vue de placer des hommes et des femmes à la tête de nos instances de gouvernement. Le Pays sera dirigé par des hommes et des femmes qu’il se sera donnés. La gravité et l’enjeu de ces événements que nous allons bientôt vivre n’échappent à personne. Alors que la préparation matérielle des élections échoit à l’Etat, nous croyons, nous Evêques, qu’il est de notre devoir, en raison de notre charge apostolique auprès de vous, de vous rappeler les implications morales que suppose une bonne préparation aux élections.

Dans la perspective des élections le remue-ménage politique a déjà commencé. Ça et là se tiennent des congrès de partis pour investir les candidats. Des marches s’organisent pour réclamer ou condamner la candidature de l’un ou de l’autre, ou tout simplement pour désapprouver l’une ou l’autre de ces marches, sans oublier les nombreux meeting et mini-congrès pour déterminer les stratégies à mettre en œuvre.

Même si jusque-là nous ne disposons pas d’une liste officielle de candidats à la présidentielle et aux municipales, nous entrevoyons que les campagnes sélectorales seront vives. Elles porteront sur la scène politique des personnalités connues, et aussi de nouveaux visages. Tous nous demanderons notre suffrage.

3 - DE L’IMPORTANCE DES ELECTIONS : LE DEVOIR DE VOTER

Faut-il vous le rappeler ? Les élections sont un moment important dans la vie d’une nation. Le vote est un des devoirs fondamentaux du citoyen d’un pays. Par-là celui-ci exprime librement son opinion, sa sensibilité politique, son appréciation des institutions et des hommes. Par le vote, le citoyen prouve qu’il est membre d’une société qui choisit ses dirigeants, et non qui les subit.

Une certaine conception et pratique de la politique fait qu’aujourd’hui encore, nombre de citoyens, et parmi eux de nombreux chrétiens, nourrissent une réticence à l’égard des activités purement politiques, et préfèrent se tenir à l’écart. L’Eglise pourtant, a toujours considéré la politique en soi comme une chose bonne et nécessaire. Elle déclare à juste titre : “La communauté politique existe pour le Bien Commun ; elle trouve en lui sa pleine justification et c’est de lui qu’elle tire son droit propre ».1 Dès les premiers siècles de l’Eglise, les chrétiens ont participé en tant que citoyens, à la

vie publique des institutions “s’acquittant de tous leurs devoirs de citoyens »2 . On ne peut donc se dire citoyen et s’adonner à l’abstention facile. Participer aux élections est non seulement un droit, mais plus encore un devoir pour tous ceux qui en remplissent les conditions.

4 - DE LA CAMPAGNE ELECTORALE

Le vote est l’occasion, toujours unique où, de manière consciente et libre le citoyen décide de l’avenir du pays, en choisissant la manière dont il sera dirigé. De ce fait, la campagne électorale doit se conformer à certaines conditions morales. De même que la politique adoptée par les uns et les autres ne peut servir la cause du pays “que si elle se fonde sur la vérité”3, de même la campagne doit-elle se dérouler dans la vérité. On doit y bannir le mensonge, la corruption, la manipulation de la masse. La campagne électorale ne peut devenir non plus le canal de démagogies, canal par lequel les gens se dénigrent et se détruisent, au lieu de confronter leurs opinions et leurs programmes pour convaincre. De même que les candidats doivent éviter d’acheter les consciences et d’intimider les citoyens et d’exercer sur eux la pression morale. Les électeurs à leur tour doivent cultiver leur esprit critique, défendre leur liberté et leur dignité.

5 - CRITERES DE CHOIX

Bien chers fils et filles, il ne nous appartient pas d’orienter votre choix sur tel ou tel candidat. Le vote sera secret et ne concernera que vous et votre conscience. Nous ne voulons pas “exercer un pouvoir politique ni éliminer la liberté d’opinion4 ». Nous vous exhortons seulement à rechercher “une société qui promet le bien de tous les hommes et de tout l’homme »5. Nous entendons, conformément à notre rôle et à notre mission, former et illuminer la conscience de ceux qui “se consacrent à un engagement dans la vie politique pour que leur action reste toujours au service de la promotion intégrale de la personne humaine et du bien commun6 ».

Avant donc de voter pour l’un ou l’autre candidat, il est d’une importance capitale pour vous de prendre en considération les programmes qu’ils proposent et de voir si cela vous permettra de servir Dieu et les hommes. En allant aux votes, une interrogation doit vous habiter : que pensent et disent les candidats sur :

a - Les libertés individuelles et collectives.

Un programme politique ne devra retenir votre choix que s’il donne l’assurance de garantir les libertés individuelles et collectives, liberté de religion et de culte, liberté d’entreprise et d’association et liberté d’organisation syndicale.

b - Les droits humains

Un tel programme doit aussi promouvoir les droits humains : droit à la vie et droit à fonder librement un foyer, droit à la santé et au travail, à l’éducation et à la sécurité, à l’eau et à l’alimentation, à l’habitation et à la libre circulation, droit à l’information, à la tolérance dans la paix et la justice.

c-La Justice et la lutte contre l’impunité

Il va sans dire que le domaine de la justice, clef de voûte de toute démocratie, ne saurait être occulté. Sa liberté et son indépendance devraient être garanties dans son exercice par ceux qui postulent les responsabilités politiques. Les “dossiers pendants” et des dossiers de crime économique souvent identifiés et recensés par l’Inspection Générale d’Etat ou d’autres structures restent en souffrance et donnent raison à l’accusation d’impunité portée contre l’Etat, empoisonnant le climat social, et entretenant les oppositions et les contestations sourdes ou explicites.

d - Autres critères

Nous pensons que pour réaliser un tel programme, il est du devoir des partis politiques qui sollicitent nos suffrages, de s’attacher à résoudre le problème épineux des riches et des pauvres. Il faudra faire en sorte que les richesses soient équitablement réparties et non concentrées entre les mains d’une minorité, et que diminue l’immense proportion de ceux qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté en campagne comme en ville ; trouver une solution satisfaisante pour le chômage grandissant qui détruit les familles et hypothèque le présent et l’avenir des jeunes ; réduire la gangrène de la corruption si généralisée ; veiller à ce que les fonds alloués pour les pauvres et les malades atteignent réellement leurs destinataires. Cela signifie, en bref, lutter contre la pauvreté, les maladies et l’analphabétisme tout en luttant pour le développement, la santé, l’éducation et l’environnement.

6 - DU BON DEROULEMENT DU SCRUTIN

1)Transparence

Convaincus encore que l’usage du libre suffrage doit viser le bien communautaire, nous pensons qu’il ne peut être sincère si les élections ne se déroulent pas dans des conditions aussi justes qu’équitables. Et pour l’être, les élections doivent demeurer transparentes. Il revient aux autorités compétentes en la matière de favoriser un suivi sécurisé de toutes les étapes des élections, depuis la constitution des listes électorales jusqu’à la proclamation des résultats. Rien ne devrait se faire en l’absence des autres ou en brimant les droits d’un quelconque parti politique. A ce stade des élections, ils sont égaux et soumis aux mêmes conditions.

2) Climat de paix

Bien chers fils et filles, on ne le répètera jamais assez. Le vote doit se passer dans des conditions de véritable liberté, de respect des institutions, des personnes et des biens. Chacun est invité à éviter d’alourdir l’atmosphère des jours de vote par des paroles et des attitudes de provocation ou encore par des actes de violence. L’apôtre Paul ne dit-il pas aux fidèles de la Communauté de Rome : “Ne te laisse pas vaincre par le mal, sois vainqueur du mal par le bien” (Rm 12, 21). De cette même manière, chacun de nous est appelé à ne pas prêter son visage et son nom au mal et à la provocation. “La violence est un mensonge, nous dit le Pape Jean-Paul II. Elle va à l’encontre de la vérité...de notre humanité. La violence détruit ce qu’elle prétend défendre : la dignité, la vie, la liberté des êtres humains »7. Soyons des bâtisseurs de paix “la paix exige le refus radical et absolu de la violence, et elle requiert un engagement constant et vigilant de la part de ceux qui ont une responsabilité politique »8. Le Cardinal Paul ZOUNGRANA de vénérée mémoire nous exhortait en 1991 : “Que Dieu nous garde du démon de la division ! qu’Il fasse tomber les barrières de la haine et les masques du mensonge ; qu’Il rapproche les cœurs des “frères” par le véritable pardon, par la reconnaissance et l’acceptation, en acte et en vérité, de l’autre dans sa différence et dans sa complémentarité »9.

Nous le voyons tous. Les élections sont un défi lancé à la nation entière et particulièrement à ses futurs dirigeants qui sortiront des résultats des urnes afin qu’ils prennent à cœur le bien suprême de la nation et non la recherche d’intérêts égoïstes de groupuscules.

7 - APPELS

En dépit des insuffisances, notre pays s’est doté d’institutions qui le maintiennent et l’aident à cheminer sur la voie de la démocratie. C’est forts de cela que nous terminons notre message en lançant les appels à tous et à chacun individuellement, espérant un meilleur devenir pour notre pays. Le Burkina Faso n’est la propriété privée de personne. Il appartient à tous les Burkinabé, ceux qui l’aiment vraiment et ceux qui veulent le construire. Notre pays a besoin de tous ses fils et filles pour son développement harmonieux. Personne ne saurait en être exclu.

1 - Aux Responsables religieux

Responsables religieux, assumons notre rôle de proclamer les valeurs morales et spirituelles à temps et à contre temps (cf 2Tm 4, 2), aidant de nos conseils tous les fils et filles de ce pays, afin de chasser de leur cœur l’indifférence, l’égoïsme et le fanatisme. Tout en invitant les fidèles à faire preuve de tolérance, il nous revient à tous de veiller à ce que la religion ne soit pas utilisée à des fins politiques et partisanes.

2 - Aux Croyants

Afin que l’autorité puisse garantir une vie calme et paisible que nous mènerons en toute piété et dignité, il est nécessaire qu’à tout moment, les croyants “fassent des prières, des supplications, des actions de grâce pour les dépositaires de l’autorité” (1Tm 2, 1.2), ceux qui l’exercent aujourd’hui et ceux qui l’exerceront demain, sachant que toute autorité vient de Dieu à qui sont soumis ceux qui en sont investis pour lui rendre compte.

3 - Aux Hommes politiques

Aux hommes politiques, potentiels candidats ou membres des états majors, nous disons : vous aimez vraiment ce pays et êtes conscients que son destin est entre vos mains ; ne cédez donc pas alors à la tentation de sacrifier son avenir sur l’autel d’ambitions personnelles, partisanes ou régionalistes.

4- Aux Jeunes

Avec les adultes, vous êtes déjà le présent de ce pays et vous en êtes surtout l’avenir. Nous vous invitons à participer aux votes, sachant que chaque voix compte et contribue à manifester la volonté du peuple. Restez vous-mêmes et ne vous laissez pas récupérer et utiliser par des hommes aux projets trompeurs. Il y va de votre avenir. Ne l’hypothéquez pas. Même en cas de manifestation ne détruisez pas ce qui vous tient à cœur ou ce que vos prédécesseurs ont bâti au prix de lourds sacrifices. On ne détruit pas ce qu’on aime, juste pour assouvir sa colère ou son égoïsme d’un moment.

5 - Aux Femmes

Quant à vous les femmes, ces élections constituent pour vous une heureuse opportunité de vous affirmer et de prendre votre place dans la gestion des affaires de l’Etat. Dépositaires et gardiennes de la vie, votre contribution active à la vie du pays apportera sa part d’humanisation à la société par les candidats(es) que vous choisirez. Votre nombre ne manquera pas d’attirer les candidats qui solliciteront vos suffrages. Il vous faudra faire preuve de maturité dans vos choix.

6 - Aux Travailleurs

Pour vous travailleurs, l’intérêt des élections est une chose évidente, vous qui luttez pour défendre et faire reconnaître vos droits. Par votre vote vous contribuerez à orienter l’avenir de votre pays pour plus de justice.

7 - Aux Paysans

Quant à vous paysans, nous vous demandons de ne pas vous mettre à l’écart de cette action nationale qui vous concerne aussi. Par votre vote, vous pouvez contribuer à donner à notre pays les dirigeants qu’il lui faut. Ne vous laissez donc pas tromper par ceux qui voudront utiliser et exploiter votre pauvreté.

8 - Aux Autorités coutumières

Enfin, nous en appelons à vous Autorités coutumières. La liberté est votre droit et elle appartient aussi à ceux qui sont sous votre autorité. Vous devrez résister à toute intimidation et à toute pression qui pourraient s’exercer sur vous ou par vous.

8 - CONCLUSION

Bien chers fils et filles de l’Eglise-Famille de Dieu, et vous tous hommes et femmes de bonne volonté. Nous le redisons encore bien haut. L’Eglise n’a pas de système politique à proposer. Mus seulement par notre devoir de pasteur, nous avons voulu partager avec vous, ce qui nous semble nécessaire pour un meilleur devenir de notre nation. Tous ensemble, puissions-nous nous engager et nous investir à fond, de manière ouverte et critique pour que notre Burkina Faso réalise ses aspirations les plus nobles. “Si le Seigneur ne bâtit la maison les bâtisseurs travaillent en vain”. (Ps 126 1).

Que Dieu bénisse le Burkina Faso et nous garde toujours unis !

Fait à Ouagadougou, le 11 juin 2005

Vos Archevêques et Evêques du Burkina Faso, vos pasteurs

Son Excellence Mgr Philippe OUEDRAOGO
Evêque de Ouahigouya

Président de la Conférence Episcopale du Burkina-Niger

Son Excellence Mgr Jean-Marie COMPAORE
Archevêque de Ouagadougou

Son Excellence Mgr Anselme SANON
Archevêque de Bobo-Dioulasso

Son Excellence Mgr Séraphin François ROUAMBA
Archevêque de Koupéla

Son Excellence Mgr Jean Baptiste SOME
Evêque de Diébougou

Son Excellence Mgr Basile TAPSOBA
Evêque de Koudougou

Son Excellence Mgr Wenceslas COMPAORE
Evêque de Manga

Son Excellence Mgr Paul OUEDRAOGO
Evêque de Fada-N’Gourma

Son Excellence Mgr Lucas K.SANOU
Evêque de Banfora

Son Excellence Mgr Thomas KABORE
Evêque de Kaya

Son Excellence Mgr Joseph SAMA
Evêque de Nouna

Son Excellence Mgr Joachim OUEDRAOGO
Evêque de Dori

Son Excellence Mgr Zéphyrin TOE
Evêque Emérite de Dédougou

Son Excellence Mgr Jude BICABA
Evêque nommé de Dédougou

Notes

1. CONCILE VATICAN II, Const. Past. Gaudium et Spes n° 74§1.

2. Lettre à Diognète 5,5.

3. Jean XXIII, Encyclique Pacem in Terris, 11 avril 1963, n° 35.

4. CONGREGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement et le comportement des Catholiques dans la vie politique, Liberia editrice vaticana, Cité du Vatican 2002, n° 4§4.

5. CATECHISME DE L’EGLISE CATHOLIQUE, n° 1912.

6. Ibid., n° 6§3.

7. JEAN-PAUL II, Homélie à Droghéda en Irlande, 29 sept. 1979, D.C. 76 (1979) 854.

8. CONGREGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Op. cit., n° 6§3.

9. ZOUNGRANA, Card. Paul, Appel, Soyons des citoyens dignes et responsables, 15 décembre 1991.

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Vos commentaires

  • Le 11 juillet 2005 à 15:14, par langouste En réponse à : > Enjeux des élections 2005-2006 : le message des évêques du Burkina Faso

    Vous êtes formidables et que Dieu vous entende. Et si tous les responsables réligieux de notre pays se faisaient un devoir de nous apporter leur contribution aussi modeste soit-elle en ces jours et mois de forte ambiance politique ? Une contribution pour une meilleure compréhension de l’enjeux. A vous tous, très sages burkinabé, merci.

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