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Processus constituant au Burkina Faso : entre préservation des acquis démocratiques et persistance de certaines lacunes

Publié le lundi 26 mars 2018 à 23h51min

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Processus constituant au Burkina Faso : entre préservation des acquis démocratiques et persistance de certaines lacunes

L’élaboration de la Constitution de la Ve République burkinabè intervient dans un cadre post-insurrectionnel qui a emporté le régime déclinant de Blaise Compaoré. Suite au travail accompli par le régime de la transition burkinabè, le nouveau régime politique issu des élections de novembre 2015 dirigé par Roch Marc Christian KABORE va proposer d’élaborer une nouvelle Constitution qui devrait être soumise à référendum.

Déjà sous l’impulsion de Blaise Compaoré, le Burkina s’était déjà essayé à la rédaction d’une nouvelle Constitution sous l’égide d’une commission constitutionnelle après une décennie de régimes d’exception . En théorie, le pouvoir constituant originaire chargé d’établir une nouvelle Constitution est souverain et cela signifie que son pouvoir est inconditionné . En pratique, c’est le pouvoir en place qui établit l’organe chargé d’élaborer une nouvelle Constitution.

De cet avant-projet qui devrait nous conduire à la 5ème république, les textes entendent renforcer les droits humains et les libertés, selon le président de la commission constitutionnelle, Me Halidou Ouédraogo. « On a pris en compte d’autres droits nouveaux comme l’accès à la terre pour tous, le droit d’accès à l’eau potable, le droit à l’emploi (...) Un certain nombre de possibilités au niveau de la justice, au niveau du conseil supérieur de la magistrature, de l’Assemblée nationale, de la présidence, pour équilibrer les pouvoirs » a-t-il signifié.

Ainsi, des échanges issus de la restitution de cet avant-projet de loi aux forces-vives de la région du centre (députés, préfets, maires de commune et d’arrondissement, syndicats, etc.), l’on retient que la nouvelle constitution qui ambitionne de régler les questions fondamentales post-insurrectionnelles, consacre entre autres, l’intégrité, la probité, la tolérance politique et religieuse, le droit à la désobéissance civile. La constitution de la Ve république prévoit un président du Faso élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans, rééligible une seule fois ; une Assemblée nationale qui jouit d’une autonomie financière, mais dont la gestion est soumise au contrôle de la cour des comptes.

Il serait donc juridiquement intéressant de démontrer que dans le contexte burkinabè si le projet constitutionnel présenté a le mérite d’innover sur certains points en remédiant à certaines lacunes de la Constitution de la IVe République de B. Compaoré, il n’en demeure pas moins que certaines lacunes importantes persistent et suscitent l’inquiétude chez bon nombre de burkinabè sur les éventuelles difficultés auxquelles pourraient être confrontées les institutions du pays.
Nous envisagerons d’abord les innovations de l’avant-projet constitutionnel (I).
Ensuite, nous mettrons en lumière la persistance de certaines lacunes (II).

Les innovations du projet de réforme constitutionnelle burkinabè

Nous soulignerons ici tout d’abord la consécration des droits nouveaux. Ensuite, nous relèverons la volonté affirmée des rédacteurs de cette Constitution de rééquilibrer les rapports entre les pouvoirs.

Les droits nouveaux sont consacrés par la nouvelle Constitution notamment les arts 24 et 25 concernant l’accès à la propriété foncière. Cette disposition prévoit un accès égal pour tous les citoyens et aussi la privation qui ne peut être réalisée que dans le cadre d’une expropriation pour cause d’utilité publique et après une juste et préalable indemnisation.

De plus, la nouvelle Constitution consacre aussi l’accès à l’eau potable pour les populations, le droit à l’emploi (art.33). De ce point de vue, on peut affirmer qu’elle se situe dans le sens du renforcement de la protection des droits humains et des libertés fondamentales.

Ensuite, toujours par rapport à cette question des droits nouveaux, la nouvelle Constitution a l’ambition de régler un certain nombre de questions fondamentales post-insurrectionnelles. Dans cet objectif, elle consacre notamment dans son préambule les valeurs telles que l’intégrité, la probité, la tolérance politique et religieuse et le droit à la désobéissance civile. Sur ce dernier point, l’art.49 de la nouvelle Constitution est formel : seule la Constitution est une source de légitimité. De ce fait, le droit à la désobéissance civile est reconnu aux citoyens qui se verraient imposés un Gouvernement issu d’un changement inconstitutionnel.

Concernant la question de la dévolution du pouvoir, selon l’art.59 de la nouvelle Constitution, le Président du Faso est élu pour un mandat de 5 ans et n’est rééligible qu’une seule fois. Cette disposition est une innovation tant la question de la limitation du mandat présidentiel a divisé la classe politique burkinabè sous l’ère Compaoré. Cette question a même été à l’origine de l’exil de l’ancien dictateur burkinabè vers la Côte d’Ivoire.

Une autre innovation consacrée dans cette Constitution est l’autonomie financière de l’Assemblée nationale prévue à l’art. 109. Cependant, cette institution est soumise à un contrôle de sa gestion de la part de la Cour des comptes qui rend un rapport public à ce sujet. De plus, le Président de l’Assemblée nationale est responsable devant des pairs de la gestion financière de l’institution. Il peut même de ce fait être démis de ses fonctions à la majorité renforcée.

En plus de ces droits nouveaux, il y a aussi la volonté des nouvelles autorités de rééquilibrer les rapports entre les pouvoirs.

Sur ce point, il convient de s’appesantir sur les rapports entre l’Exécutif et le législatif tout d’abord. Ensuite, il y a l’épineuse question de l’indépendance de la Magistrature. S’agissant des rapports entre l’Exécutif et le législatif, la nouvelle Constitution a introduit un certain nombre de réformes. Selon l’art.67 al.1 de la Constitution, les nominations aux hautes fonctions civiles et militaires devront désormais recevoir l’approbation du Parlement burkinabè : « Le président du Faso nomme, après consultation de l’Assemblée nationale, aux fonctions de la haute administration civile et militaire à caractère stratégique pour la nation ». Cela devrait contribuer à renforcer la fonction de contrôle exercée par le législateur burkinabè sur l’Exécutif.

L’autre point concernant les rapports entre ces deux pouvoirs se rapporte à l’exercice des pouvoirs de crise. Selon le nouveau projet de Constitution, la prorogation au-delà de trois mois des pouvoirs de crise nécessite l’intervention de l’Assemblée nationale. Il est prévu aussi que pendant cette période, il est impossible de dissoudre la dite assemblée.

Selon l’art.87 du nouveau projet de Constitution, le nouveau Premier ministre présente son discours de politique générale devant le Parlement qui donne lieu à un débat et à des votes. Si son texte ne recueille pas la majorité des voix, il est mis fin de plein droit à ses fonctions.

L’autre question épineuse se rapporte à l’indépendance de la Magistrature. La nouvelle Constitution est soucieuse de rétablir et renforcer l’indépendance des magistrats burkinabè. La justice, véritable talon d’Achille du système politique et institutionnel burkinabè doit être absolument réaménagée.

Selon l’art. 153 de la nouvelle Constitution, c’est désormais le premier président de la Cour de cassation qui préside le Conseil supérieur de la Magistrature. De ce fait, cette institution n’est plus soumise à l’autorité du Président du Faso, situation longtemps contestée par les Magistrats sur le terrain de la séparation des pouvoirs. Selon l’art. 157 de l’avant-projet de Constitution : « Les magistrats du siège, dans l’exercice de leurs fonctions, ne sont soumis qu’à l’autorité de la loi. Ils sont inamovibles ». Mais ce point pose aussi problème dans la mesure où étant des fonctionnaires et émargeant au budget de l’Etat, les Magistrats devraient aussi être soumis au pouvoir hiérarchique.

Nous en venons maintenant aux insuffisances de cet avant-projet de Constitution.
Les insuffisances de l’avant-projet de Constitution de la Ve République burkinabè
Si des insuffisances existent dans le projet de réforme constitutionnelle au Burkina, il faut sans doute les rechercher d’abord dans l’irresponsabilité présidentielle en matière politique . Ensuite, il s’agit des questions polémiques qui divisent.

Tout d’abord, on constate avec déception que le Discours sur la situation de la nation n’est pas soumis à une discussion suivi d’un vote. Cela consacre de fait une irresponsabilité politique. On peut mentionner toujours dans le sens de l’irresponsabilité certaines dispositions suspectes de l’art.56 de la Constitution. De même l’art. 66 relatif à la nomination du Premier ministre par le Président du Faso évoque « l’intérêt supérieur de la nation » sans la définir. On voit là une source potentielle de conflits dans l’hypothèse où il y aurait une contestation politique sur le choix exprimé par le Président.

En réalité, le Burkina du fait du fait majoritaire n’a jamais connu de période de cohabitation politique entre un Président du Faso, minoritaire au Parlement et un Premier ministre issu de la majorité parlementaire. Mais dans l’hypothèse où une telle situation devait se produire, un conflit politique important pourrait survenir au sujet de certains choix présidentiels compte tenu de l’imprécision du texte constitutionnel et notamment des dispositions précitées. De ce point de vue, les alinéas 6 et 7 de la future Constitution, très floues et imprécis devraient être revus pour éviter quelques surprises dans le fonctionnement du système politique burkinabè.

L’art.67 qui porte sur les pouvoirs de nomination aux hautes fonctions administratives n’est guère mieux rédigé. Il porte en lui les germes de la poursuite de la guerre des égos entre désormais les deux hommes forts du pays, le Président Kaboré et S. Compaoré. Ses dispositions lapidaires ne sont pas dignes de figurer dans un texte constitutionnel de haut niveau.

Si l’irresponsabilité politique présidentielle est sans doute une faiblesse de la nouvelle Constitution, il en va tout autant de certaines questions non encore résolues ou laissées de côté car divisant profondément les burkinabè.
La première question qui mérite d’abord d’être relevée ici et qui avait été soulignée par les représentants de l’ex parti politique majoritaire, le C.D.P. est relatif à certaines références faites dans le préambule du texte constitutionnel. Bien entendu, les partisans de l’ex parti majoritaire et du Président déchu, B. Compaoré ne peuvent tolérer les mentions de la période révolutionnaire de 1983 et du soulèvement populaire des 30 et 31 octobre 2014.

Toujours dans le même sens que ce premier point, il convient de relever le cas de l’art. 43 al.4 de la nouvelle Constitution qui porte sur la devise nationale du pays. Pour certains, il faudrait simplement avoir le courage de revenir à l’ancienne devise qui est un slogan de la période révolutionnaire. Pour les partisans de l’ex parti au pouvoir, il n’en est pas question.

Ensuite, l’autre question fondamentale qui divise profondément les burkinabè est celle relative au maintien ou pas de la peine de mort. Selon l’art.5 al.2 de la nouvelle Constitution en gestation, « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ». On se doute bien qu’une telle disposition réjouit les ONG de défense des droits de l’Homme car certaines d’entre elles avaient mené un lobbying important auprès des autorités politiques burkinabè afin de maintenir cet effet de cliquet et ne pas revenir sur les acquis en matière de protection des droits fondamentaux. On sait aussi que par exemple grâce à l’action de ces ONG et de la Cour européenne des droits de l’Homme, la zone du Conseil de l’Europe est aujourd’hui exempte de l’application de la peine de mort.

Mais les partisans de la peine de mort arguent que le pays doit faire face à un certain nombre de défis contemporains dont la recrudescence de la menace terroriste qui frappe jusqu’au cœur de la capitale burkinabè, Ouagadougou. La question qui se pose est donc de savoir si face au contexte sécuritaire, le rétablissement de la peine capitale ne pourrait pas constituer une mesure dissuasive et une avancée en termes de sécurité ?

Pour ce qui nous concerne, nous pensons que la violence entraine toujours la violence. De plus, en prenant l’exemple d’autres pays confrontés à la même, comme par exemple le Nigéria, le Pakistan, le Mali ou l’Etat du Texas en Amérique, le maintien ou le rétablissement de la peine capitale n’a pas été suivi par une diminution corrélative de la violence ni une amélioration sensible du contexte sécuritaire.
Enfin, selon les principaux textes internationaux relatifs à la protection des droits fondamentaux (Convention européenne des droits de l’homme, Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, Convention interaméricaine des droits de l’Homme), le droit à la vie est un droit indérogeable, sacré quelque soient les circonstances même les plus exceptionnelles telles que la lutte contre le terrorisme international ou le crime organisé.

Enfin, la formulation de l’art. 49 de la future Constitution interpelle. En, le texte a beau jeu d’affirmer que tout Gouvernement doit tirer sa légitimité de la Constitution sans quoi le peuple a le droit de recourir à la désobéissance civile. Doit-on comprendre qu’il y a une différence entre désobéissance civile et insurrection ? Certainement oui. Ne peut-on pas comprendre cette disposition comme limitant les droits fondamentaux des citoyens burkinabè ? Certainement oui. En effet, la distinction est subtile, mais il y a bien une différence entre les deux notions et les dirigeants en place pourraient bien l’exploiter le moment venu pour limiter les droits fondamentaux.

Par Kibessoun Pierre Claver MILLOGO
Docteur en Droit public
Chercheur au C.N.R.S.T./I.N.S.S.
Ouagadougou
BURKINA FASO

Tel : 70287055
Email : millgolo@gmx.fr

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Vos commentaires

  • Le 27 mars 2018 à 08:22, par sans vénin En réponse à : Processus constituant au Burkina Faso : entre préservation des acquis démocratiques et persistance de certaines lacunes

    Merci Docteur. Nous attendons l’apport de tous les Burkinabé. N’attendons pas de jaser après que le vin ait été tiré.

  • Le 27 mars 2018 à 09:26, par Yes man En réponse à : Processus constituant au Burkina Faso : entre préservation des acquis démocratiques et persistance de certaines lacunes

    Docteur, vous êtes plus ambiguë que l’avant projet de la nouvelle constitution. Cet article n’éclaircit en rien la lenteur de nos concitoyen. c’est floue floue !

  • Le 27 mars 2018 à 09:26, par Chef Massoud En réponse à : Processus constituant au Burkina Faso : entre préservation des acquis démocratiques et persistance de certaines lacunes

    à quand cette histoire va-t-elle être votée ? Dans le contexte, est-ce qu’on peux organiser un référendum ?

  • Le 27 mars 2018 à 09:29, par yabore En réponse à : Processus constituant au Burkina Faso : entre préservation des acquis démocratiques et persistance de certaines lacunes

    merci pour ces observations notamment celles portant les insuffisances.
    1) De la possible cohabitation : n’eut été une interprétation des aspirations du peuple pour une gouvernance de gauche, une coalition sans le MPP aurait conduit à une cohabitation puisque le MPP n’avait pas la majorité requise pour gouverner seul. A l’avantage d’un gouvernement de cohabitation, il y a l’obligation du dialogue pour un Programme minimum. l’inconvénient est l’instabilité évidente suite aux retraits des membres de la coalition.
    2) De l’irresponsabilité politique. que se rappelle que la thèse doctorale de Salif DIALLO nous enseigne que les constitutions africaines sont causes des instabilités politiques. c’est dire toute qui ne s’engage pas et ne suit que le vent conduit obligatoirement aux impasses.
    3) De la prise en compte de certaines orientations des conventions internationales dans les constitutions qui s’oppose souvent aux aspirations populaires surtout aux consciences religieuses. ici on se rappelle principalement de la peine de mort, du mariage pour tous, de la question des mutilations génitales féminines etc.
    3) de la rédactions des articles de la constitutions. nous avons assisté à la guerre entre l’esprit et la lettre certainement à la mauvaise transcription de la volonté populaire. une mauvaise ponctuation crée la guerre des écoles.
    4) a ce stade, il n’est pas trop tard pour arriver à un compromis rédactionnel qui évitera des couacs . et ça c’est l’œuvre des sociologues pour une bonne intégration de nos valeurs et des juristes pour un langage juridique.

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